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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 4 février 1993, n° 263-89

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Benckiser Saint-Marc (SA)

Défendeur :

Dérivés Résiniques et Terpéniques (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouscharain

Conseillers :

MM. Martin, Ors

Avoués :

SCP Boyreau, Me Fournier

Avocats :

Mes Ribeton, Klein, Defos du Rau, Cambriel.

T. com. Bordeaux, du 29 nov. 1988; T. co…

29 novembre 1988

Au début de l'année 1987, la société Benckiser Saint-Marc aux droits et obligations de la société des Lessives Saint-Marc a cessé de s'approvisionner auprès de la société Dérivés Résiniques et Terpéniques - ci-après DRT - en produit dénommé " 121 E " qui servait de base à divers produits qu'elle commercialisait. Pendant le cours des relations des deux sociétés, la société des Lessives Saint-Marc avait déposé, le 10 mai 1984, deux demandes de brevet d'invention, l'une pour une composition détergente liquide, l'autre pour une crème à récurer. La société DRT a alors commercialisé son produit selon des procédés que la société Benckiser Saint-Marc a critiqués.

En cet état, trois procédures ont opposé les parties, l'une tendant principalement à l'annulation des demandes de brevet, la deuxième en indemnisation du préjudice causé par la rupture unilatérale du contrat souscrit entre les parties le 12 septembre 1984, la troisième pour obtenir la sanction d'actes de concurrence déloyale reprochés à la société DRT par la société Benckiser Saint-Marc.

Par jugement du 29 novembre 1988, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a annulé les brevets n° 84-08-384 et 87-07-385 déposés le 10 mai 1984 pour une composition détergente liquide et une crème à récurer et condamné la société Benckiser Saint-Marc à payer à la société DRT une indemnité de deux millions cinq cent mille francs outre 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 9 décembre 1988, le Tribunal de commerce de Bordeaux a constaté que " Lessives Saint-Marc Groupe Benckiser " avait rompu unilatéralement les relations existant entre elle et DRT, fait interdiction à " Lessives Saint-Marc Groupe Benckiser ", à peine d'une astreinte de 20 000 F par jour à compter du jugement et jusqu'au 12 septembre 1989, de commercialiser les produits Saint-Marc Crème, Saint-Marc ménage et tout autre produit à base d'acide gras, de terpinéol et autres dérivés terpéniques les rendant similaires au " 121 E " et condamné la société Benckiser Saint-Marc à payer à DRT les sommes de 29 669 640 F, de 23 025 235 F et 9 231 260 F outre 12 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du même jour, ce même tribunal a fait interdiction à la société DRT de recourir à des procédés de dénigrement à l'égard du groupe Benckiser Saint-Marc et à des procédés de publicité comparative, a condamné la société DRT à payer à la société Saint-Marc une indemnité de 200 000 F et 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 4 janvier 1989, la société Benckiser Saint-Marc a, par actes séparés, interjeté appel de ces trois jugements.

Sur l'appel du jugement du 29 novembre 1988 et par conclusions du 11 septembre 1989, cette société prie la Cour de débouter la société DRT, de dire valables les brevets déposés le 10 mai 1984 et de lui allouer 300 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle affirme qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir divulgué un secret de fabrique, DRT ayant commercialisé le détergent correspondant à la formule E121 depuis 1966, assurant une divulgation dans le public, l'utilisation de terpinéol, d'acides gras de tall-oil ou d'autres dérivés terpéniques dans les détergents liquides n'étant pas une nouveauté en 1968 et la lettre contrat du 22 avril 1968 ne contenant expressément aucune obligation de confidentialité, mais seulement une exclusivité de distribution, ce qui implique que le E 121 était divulgué quand les parties ont contracté le 12 septembre 1984, cette convention contenant même l'aveu que le produit E 121, qu'il est possible de se procurer sur le marché, n'est plus un secret de fabrique et l'obligation de confidentialité qu'elle prévoit ne s'appliquant qu'aux informations susceptibles d'être données dans le cadre d'une assistance technique future.

Elle estime qu'en tant qu'il contient réservation de savoir-faire ou licence de secret de fabrique, le contrat du 12 septembre 1984 est nul car il ne comporte ni les quantités que Saint-Marc devait acheter ni le mécanisme de détermination du prix, la fixation de celui-ci ne pouvant être laissée à la discrétion du vendeur, ce qui constituerait une condition potestative.

La clause d'exclusivité est limitée à 10 ans mais le point de départ de ce délai n'est pas le 12 septembre 1984 mais la lettre contrat du 22 avril 1968. Les clauses d'exclusivité enfreignent les dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome, le Saint-Marc Ménage étant un produit de grande diffusion commercialisé dans plusieurs pays du Marché Commun.

Elle invoque l'article 1151 du Code civil et le fait que la convention ne fixait ni quota ni minimum d'achat pour soutenir que le préjudice subi par la société DRT ne peut être évalué à partir des ventes à elle effectuées en 1987 et 1988, cette société ayant elle-même commercialisé directement des produits concurrents, " Saniterpen Ménage " puis " le Vrai Ménage ".

Elle reconnaît que le détergent liquide à base de terpinéol et d'acides gras du tall-oil n'est pas nouveau, mais estime nouveau et original le mode opératoire comprenant la phase de deux prémélanges.

Par conclusions du 17 avril 1990, communes aux trois appels, la société Benckiser Saint-Marc sollicite, essentiellement, l'annulation du contrat du 12 septembre 1984 pour violence, abus de position dominante, indétermination du prix et de la qualité, la constatation de ce qu'une résiliation amiable de ce contrat est intervenue et le rejet de la demande d'annulation des brevets.

Elle demande que la prétention relative aux faits de publicité mensongère soit déclarée irrecevable comme nouvelle en cause d'appel et que la demande de sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été jugé sur la plainte pénale par publicité mensongère ne soit pas accueillie.

Elle demande également que l'excuse de légitime défense invoquée par son adversaire ne soit pas accueillie.

Elle fait essentiellement valoir que, par l'effet de la loi du 14 octobre 1943, la convention du 22 avril 1968 a pris fin le 22 avril 1978, les parties poursuivant des relations de fournisseur à clients, sans exclusivité.

Elle reproche à DRT de l'avoir menacée d'interrompre immédiatement ses livraisons à défaut d'assurances, matérialisées par contrat, sur la suite des relations des deux sociétés, le rythme des relations ayant été réduit ce qui l'avait amenée à saisir le comité d'entreprise d'une telle situation qui entraînait la paralysie de son activité. Elle fait état du monopole dont bénéficiait la société DRT pour la fourniture des dérivés terpéniques ou des acides gras du tall-oil en provenance du pin des Landes, image sur laquelle était assise la notoriété de ses produits.

Analysant les clauses du contrat du 12 septembre 1984, elle déduit que celui-ci profite exclusivement à DRT.

Elle estime le soudain refus de vente qui lui a été opposé constitue une manœuvre illicite caractéristique d'une violence anormale viciant le consentement. Le fait d'avoir exécuté un tel contrat pendant trente mois sans réserves n'entraîne pas confirmation tacite dès lors que la violence n'avait pas cessé, car une remise en cause du contrat aurait automatiquement entraîné des mesures immédiates de rétorsion. Elle affirme d'ailleurs avoir émis des réserves, d'autant que le contrat contenait une clause de non concurrence léonine pour lui interdire de fabriquer et diffuser des produits susceptibles de concurrencer le E 121, les produits similaires faisant l'objet d'une définition plus étendue que les produits provenant du pin des Landes

Elle invoque, en se fondant sur les articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'abus de position dominante de son adversaire qui contrôle directement ou indirectement toutes les matières premières provenant de la forêt des Landes.

Elle affirme que le contrat du 12 septembre 1984, qu'elle qualifie de contrat de vente à exécution successive est nul pour ne pas prévoir de mécanisme de détermination du prix, des discussions s'étant à cet égard instaurées entre les parties. Elle estime n'avoir pas pu résister à la pression exercée sur elle par DRT. Evoquant le détail des tractations avec DRT, elle souligne que la rupture des relations procède d'un désaccord sur le prix qui n'était pas contractuellementdéterminable.

Elle estime que la nullité du contrat retentit sur les clauses accessoires de non concurrence, de préférence et de redevance, ces clauses n'étant au surplus pas divisibles de la clause d'achat exclusif.

Elle ajoute que l'échange de télex des 4, 9 février et 4 mars 1987 emporte résolution amiable du contrat du 12 septembre 1984 et nove les engagements antérieurs.

Elle affirme que DRT a refusé de lui vendre du produit 121 E.

Elle affirme également que l'assistance technique prévue ne lui a pas été fournie, aucun avenant n'ayant été signé ; de la sorte, l'obligation de confidentialité attachée aux informations reçus à ce titre ne peut recevoir application. L'obligation de versement d'une redevance est étroitement liée aux autres obligations contractuelles et s'applique à la fabrication et à la commercialisation de produits définis comme similaires et dont la définition a en réalité pour effet de lui interdire de s'intéresser à l'activité en cause.

Elle prétend que le produit 121 E ne constitue pas un secret de fabrique, la découverte de sa formule chimique étant réalisable, ainsi que l'a démontré l'expertise organisée par le tribunal de commerce. Elle ajoute que ce produit a été introduit dans le public dès 1996, que la lettre du 22 avril 1968 lui confiant la distribution exclusive qui a d'ailleurs cessé au bout de 10 ans par l'effet de la loi du 10 octobre 1943, ne lui imposait aucune obligation de confidentialité et que des publications américaines de 1967 et 1979 comportent l'indication de formules détergentes à base d'acides gras du tall-oil, de tensioactifs et de terpinéol.

Ainsi, à l'époque du dépôt des demandes de brevet, le 10 mai 1984, le produit 121 E n'est plus un secret de fabrique, en outre, les formules déposées diffèrent dans leurs constituants et leurs proportions de la formule du E 121.

Elle ajoute que cette formule ne pouvait être reconstituée à partir des indications fournies par lettre du 25 juin 1973 et destinées au Centre Anti Poison.

En outre, les revendications des brevets présentent une originalité certaine les différenciant des produits similaires élaborés par DRT.

Elle ajoute que, comme tous ses concurrents, elle a dû renouveler sa formule lorsqu'elle a lancé le " Saint-Marc Ménage Suractif ".

Elle estime inutile l'enquête demandée par son adversaire.

Répondant à l'imputation qui lui est faite de publicité mensongère, elle indique s'être approvisionnée en essence de pin des Landes auprès d'une cliente de la société DRT, la société Quest International.

Elle affirme qu'alors qu'en première instance elle recherchait sa responsabilité contractuelle, la société DRT met en jeu sa responsabilité délictuelle en invoquant une concurrence déloyale par publicité mensongère, ce qui rend cette demande irrecevable devant la Cour.

En outre, la saisine de la juridiction pénale empêche DRT de porter sa demande de ce chef devant la juridiction civile. Enfin, il incombe à DRT de prouver un préjudice certain, né et actuel. Or la société DRT n'a commencé à prospecter le marché des collectivités qu'à partir de mars 1987 et ne produit aucune preuve du préjudice prétendu.

Elle invoque au contraire comme constitutifs de concurrence déloyale les agissements de son adversaire, que n'excusent pas les prétendues agressions qu'il soutient avoir subies de sa part. Elle estime que les actes de la société DRT ne constituent pas une défense légitime mais des actes de vengeance.

Par conclusions du 30 juin 1992, la société Benckiser Saint-Marc, ajoutant à ses précédentes demandes, prie la Cour, en conséquence de l'annulation du contrat du 12 septembre 1984, d'annuler tous les contrats de cession de E 121 intervenus entre le 12 septembre 1984 et le mois de mars 1987, de lui allouer une provision de 5 000 000 F, d'ordonner une expertise, de lui allouer une indemnité de 500 000 F en indemnisation du préjudice causé par le refus de la société DRT de négocier de bonne foi les ajustements de prix demandés.

A titre subsidiaire, elle prie la Cour de considérer que l'allocation d'une indemnisation pour violation des obligations du contrat du 12 septembre 1984 exclut le prononcé d'une interdiction de commercialisation pendant 30 mois d'un produit similaire au E 121.

Elle sollicite 300 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle affirme que le contrat du 12 septembre 1984 comporte obligation de donner, et non obligation de faire, et qu'il est nul pour violence, abus de position dominante, indétermination du prix et des quantités.

La clause d'offre concurrente est nulle pour insuffisante référence à un mécanisme de détermination du prix. La clause de redevance n'a pas de cause juridique.

La nullité du contrat entraîne la répétition des prix de vente excessifs pratiqués par la société DRT dont la prestation doit dès lors être évaluée selon le coût réel du produit, marge bénéficiaire exclue.

La demande d'interdiction de vendre tout produit similaire au E 121 pendant trente mois ne peut être accueillie, car elle aurait pour effet de faire revivre un contrat expiré depuis plus de trois ans et se cumulerait avec les indemnités ayant le même objet.

Elle impute une contradiction de la décision relative au brevet en ce que celle-ci annule les brevets pour défaut de nouveauté, ce qui suppose une divulgation du procédé et retient à son encontre la divulgation d'un secret de fabrique. En outre le tribunal, pour accorder une indemnité, ne s'est pas fondé sur le dépôt des brevets, mais sur la violation des engagements souscrits le 12 septembre 1984, bien postérieurement.

Or le E 121 n'était pas un secret de fabrique et la formule brevetée n'est pas identique avec celle du E 121.

Elle s'estime fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de DRT pour avoir refusé d'examiner ses propositions relatives à la révision du prix des fournitures.

Sur l'appel du jugement du 29 novembre 1988, la société DRT a conclu le 24 janvier 1990 demandant pour l'essentiel l'allocation d'une indemnité de 50 000 000 F pour divulgation de secret de fabrique, le transfert de la propriété des brevets litigieux et la restitution des fruits et revenus de ceux-ci, au besoin après expertise.

A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement et plus subsidiairement l'organisation d'une enquête.

Elle demande l'allocation de 200 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle affirme qu'en déposant les demandes de brevet litigieuses, la société Benckiser Saint-Marc a tenté de s'approprier son invention. Elle ajoute que ces demandes divulguent l'essentiel de la formule E 121 en la présentant comme connue. Cette société revendique le brevet pour des perfectionnements - abaissement du PH, ajustement de la viscosité, mise en œuvre de deux composantes et, en ce qui concerne l'autre brevet, adjonction d'une poudre minérale.

Elle estime que, compte tenu de la difficulté de parvenir à la reconstitution par analyse de la formule E 121, le secret de fabrique constituerait une protection supérieure à celle du brevet qui entraîne divulgation de la formule et n'offre qu'une protection limitée dans le temps.

Outre le fait que les publications invoquées par Benckiser Saint-Marc sont postérieures à la mise au point de la formule du E 121, les formules qu'elles donnent diffèrent de celle du E 121 qui contiennent du métasilicate de sodium. De plus, E 121 présente une formule stable, sans risque de déphasage, et une viscosité compatible avec l'utilisation prévue, ce qui rend inutile l'ajout d'une hydrotope, alors qu'aucune des formules avancées par Benckiser Saint-Marc ne parvient à cet équilibre.

Contrairement à ce qui est prétendu sur le fondement de l'article 3 du contrat du 12 septembre 1984, ce n'est pas le produit E 121 qu'il est possible de se procurer sur le marché européen mais les matières premières entrant dans sa composition.

Elle estime que la formule du produit E 121 était originale et ne découlait pas, de manière évidente, de l'état de la technique.

Elle estime que, compte tenu des relations contractuelles existant entre elles, le dépôt des demandes de brevet par la société Saint-Marc constituait une manœuvre déloyale. Le risque de ne pas faire breveter le produit était constitué par la possibilité pour un concurrent, de découvrir un produit semblable par des procédés loyaux. Le fait pour Benckiser Saint-Marc d'exploiter les informations privilégiées dont elle avait eu connaissance constitue un acte de concurrence déloyale, sans que cette société puisse lui opposer le fait de n'avoir pas prévu une clause de non concurrence.

Elle ajoute que lors de la négociation du contrat signé le 12 septembre 1984, son adversaire ne l'a pas informée du dépôt des demandes de brevet fait le 10 mai 1984 et ne les a pas retirées, ce qu'elle aurait pu faire et qui aurait évité la mise à la disposition du public du 15 novembre 1985 intervenue postérieurement à la souscription par elle d'engagements de non-concurrence et de confidentialité.

Elle caractérise son préjudice par la perte de la spécificité, de la compétence et de savoir-faire sur un produit de potentialité économique considérable.

Sur les perfectionnements fondant les demandes de brevet, elle affirme que l'abaissement du PH à 10,5 avait été mis au point par elle dès le mois de février 1981 et fait état des commandes de tels produits qu'elle a livrés à Benckiser Saint-Marc avant d'avoir connaissance des demandes de brevet déposées par celle-ci.

Elle justifie qu'il en est de même pour l'ajustement de la viscosité et de la mise en œuvre de deux composantes.

Elle s'estime en présence d'un vol d'invention et fondée à revendiquer la propriété des brevets litigieux. Elle ajoute que la rétrocession a d'ailleurs été offerte lors de l'audience de plaidoiries du 18 octobre 1988 devant le Tribunal de grande instance.

Restituant le brevet, la société Benckiser Saint-Marc devra en restituer les fruits qui ne pourront être évalués qu'après expertise.

Subsidiairement, elle demande l'annulation des brevets pour défaut d'activité inventive en faisant valoir que l'abaissement du PH au moyen de silicate de sodium et de soude, reformant in situ le métasilicate de sodium qui avait été décrit en 1980, que l'addition de chlorure de sodium pour modifier la viscosité et d'un antioxydant pour prémunir le produit des risques d'oxydation dus à la baisse de PH sont des opérations connues de l'homme de l'art, que la mise en œuvre de deux composantes est une simple manière d'opérer un mélange et que l'addition d'une charge minérale pour réaliser une crème à récurer est une évidence, la plupart des produits similaires étant fabriqués de la même façon.

Dans le cas où un doute subsisterait, elle sollicite l'audition des personnes désignées comme inventeurs dans les brevets litigieux, des personnes ayant mis au point ces perfectionnements pour son compte et la personne qui, à raison de ses fonctions, a eu connaissance des faits.

Par conclusions du 21 septembre 1992, la société DRT, ajoutant à ses précédentes demandes, sollicite qu'en cas d'annulation des ventes intervenues entre le 12 septembre 1984 et février 1987, l'apurement des comptes sont fait après expertise en ce qu'elle remboursera à Benckiser Saint-Marc les sommes reçues au titre du produit et que cette société lui restituera le prix auquel elle l'a vendu.

Elle expose qu'après des relations contractuelles qui ont duré 14 ans, sans incident, et qui ont été profitables à la société Saint-Marc, les responsables de cette société, désireux de céder leurs parts, ont voulu maîtriser la fabrication du produit, que le contrat du 12 septembre 1984 constitue un processus de désengagement, Benckiser Saint-Marc obtenant à terme la maîtrise du produit et DRT maintenant la situation antérieure pendant 5 ans supplémentaires, les commandes étant passées sur la base des prix antérieurs.

Or en février 1987, Benckiser Saint-Marc cesse tout approvisionnement, tout en continuant à vendre le " Saint-Marc Ménage au pin des Landes " et en lançant le " Saint-Marc Ménage au Citron ".

Le contrat du 12 septembre 1984 ne comporte aucun minimum d'achat, bien que DRT réserve à Benckiser Saint-Marc la fourniture exclusive du produit.

Elle estime le contrat plus favorable à son cocontractant.

Elle fait observer qu'en ne demandant pas la répétition des sommes payées antérieurement au 12 septembre 1984, son adversaire admet que ce prix était contractuel. Or il n'a pas changé ensuite. Une seule révision est ensuite intervenue d'accord entre parties le 12 décembre 1985. Elle soutient que les augmentations réalisées ont été très modérées.

L'annulation des ventes entraîne pour la société Benckiser Saint-Marc l'obligation de restituer le prix qu'elle a perçu sur la vente d'un produit qui ne lui appartenait pas.

Elle observe que la demande de révision de prix que son adversaire lui reproche de n'avoir pas acceptée se situant en période précontentieuse et prévoyait une baisse rétroactive de 20 % qui la rendait inacceptable.

Sur l'appel du jugement du 9 décembre 1988, statuant sur la rupture des relations contractuelles, la société Benckiser Saint-Marc a d'abord conclu le 11 septembre 1989 au débouté de DRT et à l'allocation de 300 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient que la prétention de DRT suppose qu'existe un secret de fabrique, or, depuis 1966, le produit E 121 est commercialisé, ce qui entraîne sa divulgation dans le public ; à l'époque des accords des deux sociétés, en avril 1968, l'utilisation de terpinéol, d'acides gras du tall-oil et d'autres dérivés terpéniques n'était pas une nouveauté et d'ailleurs la lettre du contrat du 22 avril 1968 ne contenait aucune obligation de confidentialité, mais seulement un engagement d'exclusivité de distribution. Elle en déduit que lors de son adhésion au contrat du 12 septembre 1984, le prétendu secret était divulgué, ce dont elle trouve confirmation dans la clause de ce contrat prévoyant un engagement d'achat auprès de DRT de 80 % des produits de base pour autant que les conditions offertes par DRT ne soient pas supérieures aux prix pratiqués sur le marché européen pour des quantités identiques. D'ailleurs, la seule obligation de confidentialité contenue dans le contrat du 12 septembre 1984 s'applique aux informations reçues dans le cadre d'une assistance technique future.

Elle soutient que le contrat du 12 septembre 1984 est nul en ce qu'il ne comporte ni détermination des quantités devant être achetées ni fixation du prix de cession de celles-ci ni choix d'un mécanisme de fixation de celui-ci, le rendant déterminable. A cet égard, il ne peut pas être soutenu qu'il s'agit d'un contrat cadre, celui-ci faute de fixer ou de déterminer un prix, étant atteint de nullité.

La clause d'exclusivité est également nulle pour infraction à la loi du 14 octobre 1943 et cette nullité entraîne la nullité du contrat en son entier.

En outre ces clauses violent l'article 85-1 du Traité de Rome comme étant susceptibles d'affecter le commerce entre Etats Membres du marché commun compte tenu de l'importante diffusion des produits lessives.

Enfin le contrat est nul pour défaut d'objet et de cause, le secret de fabrique n'existant plus à la date de sa conclusion.

Elle admet que le détergent liquide à base de terpinéol et d'acides gras du tall-oil n'est pas nouveau, puisqu'il existe dans de nombreuses combinaisons incorporant ces produits mais estime nouveau et original le mode opératoire comportant une phase de deux prémélanges. Le dépôt de ces demandes de brevet ne pouvait divulguer un secret de fabrique qui, alors, n'existait pas.

Elle critique le mode d'évaluation de son préjudice avancé par DRT par extrapolation des quantités livrées en 1986 alors qu'en 1987 et 1988, ses commandes ont été de bien moindre importance.

En outre, DRT ayant elle-même commercialisé des produits tirés du E 121, l'appréciation de son préjudice doit tenir compte du produit de cette commercialisation.

La société Benckiser Saint-Marc a également déposé le 17 avril 1990 sur cet appel des conclusions identiques à celles déposées le même jour sur l'appel du jugement du 28 novembre 1988, ajoutant qu'en réalité les parties se sont mutuellement déliées de leurs obligations réciproques. Les moyens et arguments contenus dans ces conclusions ont déjà été succinctement résumés.

La même société a également déposé le 30 juin 1992 des conclusions responsives communes aux trois instances qui ont déjà été succinctement résumées.

La société DRT a conclu le 24 janvier 1990, demandant la condamnation de Benckiser Saint-Marc à interrompre pendant 30 mois la vente de Saint-Marc Ménage et de Saint-Marc Crème à peine d'astreinte, à lui payer 29 669 640 F avec intérêts au taux légal depuis l'assignation en réparation de la violation de l'engagement d'approvisionnement exclusif, à lui payer 23 025 235 F avec intérêts au taux légal en réparation de la violation du pacte de préférence relatif aux matières premières et 9 321 260 F avec intérêts au taux légal au titre de la redevance. Elle sollicite l'allocation de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Subsidiairement, elle demande qu'il soit sursis sur les moyens fondés sur la responsabilité délictuelle.

DRT relève que la convention du 22 avril 1968 ne met pas à sa charge l'obligation de livrer ni n'oblige Saint-Marc à acheter. Elle n'est donc pas une vente. Saint-Marc n'agissant pas pour son compte, la convention n'est pas un mandat. En réalité, la convention, prévoyant que DRT s'engage à fabriquer les produits décrits et à en réserver l'exclusivité à Saint-Marc qui s'engage à ne commercialiser un produit concurrent, met à la charge de chaque partie une obligation de faire.

Cet accord a été exécuté sans difficulté, les parties convenant d'un prix qui ménageait leurs intérêts propres et le révisant compte tenu de l'évolution des prix du marché. Elle affirme que sa marge bénéficiaire sur le E 121 a toujours diminué alors que celle de Saint-Marc n'a cessé d'augmenter, le chiffre d'affaires de cette société ayant triplé entre 1978 et 1983 grâce à la vente du Saint-Marc Ménage dérivé du E 121, les bénéfices nets de cette société étant passés de 1 155 000 F en 1978 à 6 327 000 F en 1983.

DRT affirme en outre avoir consenti à Saint-Marc un crédit fournisseur d'environ 10 millions de francs et maintenu à son bénéfice un stock tampon de 700 tonnes.

Elle fait état des tractations en vue de donner forme à un accord entre les sociétés jusqu'à la crise du mois d'août 1984 où elle a appris que Saint-Marc recherchait les matières premières entrant dans la formulation du E 121. Dans ces conditions ont été engagées des négociations qui aboutissaient à la signature de l'acte du 12 septembre 1984 qui met en œuvre un processus de désengagement permettant à terme à Saint-Marc de produire le E 121.

Elle estime que ce contrat, qui règle un différend, a la nature d'une transaction. Le contrat comporte quatre engagements de faire ou de ne pas faire et l'obligation d'approvisionnement n'a pas de portée puisqu'elle ne comporte aucune obligation d'achat.

Le contrat a été normalement exécuté de septembre 1984 à février 1987, chaque vente donnant lieu à une commande précisant la quantité et le prix.

En avril 1986, DRT a appris que Saint-Marc avait déposé une demande de brevet portant sur une composition détergente liquide et sur un procédé pour sa préparation, ledit brevet divulguant la formule du E 121 et portant sur des modifications minimes qu'elle avait mises au point à partir de 1980.

Le 11 septembre 1986, Saint-Marc sollicita une importante baisse du prix du E 121 qui n'avait pas varié depuis août 1985. DRT refusa, Saint-Marc continua ses approvisionnements puis mit fin aux relations commerciales en mars 1987, Benckiser Saint-Marc continuant de vendre le Saint-Marc Ménage et le Saint-Marc Crème.

DRT déclare fonder son action sur l'inexécution du contrat du 12 septembre 1984 et sur la concurrence déloyale.

Elle estime que le contrat du 12 septembre 1984 comporte cinq engagements distincts et indépendants de Benckiser Saint-Marc : un engagement de non-concurrence du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989, un engagement d'approvisionnement exclusif en E 121 du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989, un engagement d'approvisionnement en matières premières du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989, un engagement de confidentialité et un engagement de payer une redevance du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989.

En fabriquant et vendant depuis le début de 1987 un produit comportant des dérivés terpéniques ou des dérivés d'acides gras du tall-oil avant le 12 septembre 1989, la société Benckiser Saint-Marc, qui le reconnaît, a enfreint cette obligation de non concurrence. Dans la mesure où l'obligation d'approvisionnement exclusif ne comporte pas de minimum d'achat, il n'était pas besoin que le contrat détermine un prix qui, au demeurant, avait été fixé en plein accord entre les parties en juillet 1984, ainsi qu'en attestent la lettre du 9 juillet 1984 et les bons de commande de la société Benckiser Saint-Marc, la convention ayant seulement prévu des modalités de révision du prix.

L'engagement d'approvisionnement assorti d'un pacte de préférence et de la clause dite l'offre concurrente constitue une obligation de faire qui n'a pas été respectée du fait de la rupture des relations.

Benckiser Saint-Marc a violé l'engagement de confidentialité en publiant la formule du E 121 dans ses demandes de brevet d'invention.

DRT ayant inventé le produit E 121, il est légitime qu'en contrepartie du transfert de technologie et de l'autorisation d'exploitation, une redevance soit prévue.

En outre le contrat stipule expressément que les différents engagements sont indépendants les uns par rapports aux autres.

DRT reproche en outre à Benckiser Saint-Marc, au titre de la concurrence déloyale de s'être emparée de son produit par des procédés déloyaux en fabriquant elle-même le produit E 121 et en déposant à son propre nom des brevets d'invention. Elle lui reproche également de commettre des actes de concurrence déloyale en ce que [...] alors que le principe actif du Saint-Marc Ménage et du Saint-Marc Crème fabriqués à partir du E 121 était extrait du pin des Landes, les produits actuellement fabriqués par cette société sont simplement parfumés au pin, alors que dans leur dénomination la mention " Au pin des Landes " a été maintenue sans changement. DRT soutient que seul peut bénéficier de la dénomination " au pin des Landes " le produit " Le Vrai Ménage " quelle fabrique et dont le principe actif est tiré du pin des Landes.

Benckiser Saint-Marc a ainsi privé DRT de tous ses débouchés commerciaux et a accaparé la clientèle en la trompant sur le principe actif de ses produits.

Faisant valoir qu'elle a déposé plainte pour publicité mensongère et qu'une information est en cours, la société DRT demande qu'il soit sursis à statuer sur cette demande.

Elle estime que le grief de violence qui lui est fait n'est pas fondé, les livraisons n'ayant pas été suspendues contrairement à ce qui est allégué, toutes les commandes de la société Saint-Marc ayant été honorées pendant la période d'août et septembre 1984, et les livraisons faites sans retard.

Elle admet avoir menacé Saint-Marc de ne pas reprendre la fabrication d'E 121 si aucun accord n'intervenait, mais estime que cette menace était légitime, aucun contrat ne la liant alors à Saint-Marc.

Elle tire de l'analyse du contrat signé le 12 septembre 1984 que celui-ci est avantageux pour Saint-Marc qui obtenait la liberté de fabriquer le produit E 121.

En outre, Saint-Marc a exécuté ce contrat pendant 30 mois ce qui implique une approbation de celui-ci. D'ailleurs, lorsque cette société a rompu les relations contractuelles, elle n'a pas invoqué la violence mais la cessation de l'emploi du E 121 comme base de ses produits. Répondant au moyen tiré de l'indétermination du prix, DRT expose qu'en réalité le prix a été fixé à l'origine, en 1968, puis régulièrement révisé en fonction de l'évolution du cours des matières premières. Elle invoque ses propres correspondances et les commandes de Saint-Marc passées aux prix révisés, la révision opérée en juillet 1984 s'étant appliquée après la signature du contrat du 12 septembre 1984 qui a prévu une obligation de négocier les révisions ultérieures, ce qui a été fait le 1er décembre 1984, le 1er janvier 1985, le 1er mai 1985, et le 1er août 1985, le prix n'ayant ensuite plus varié. Elle observe qu'en cas de désaccord sur une révision, l'ancien prix demeurait valable. Ainsi, à fin 1986, Benckiser Saint-Marc souhaitait une baisse de prix mais, faute d'accord, passait commande au prix antérieur.

DRT soutient qu'en cas de blocage, un expert aurait pu être désigné en justice pour opérer la révision en tenant compte de l'usage ayant consisté à tenir compte de l'évolution du cours des matières premières entrant dans la composition du produit.

Dans la mesure où l'engagement ne comporte aucune obligation minimale d'achat, l'indétermination des modalités de révision du prix ne peut entraîner la nullité de l'engagement d'approvisionnement. Elle pouvait tout au plus être considérée comme entraînant la caducité du contrat. Et s'il y avait nullité, elle ne concernerait que l'engagement d'approvisionnement, laissant intacts les autres engagements.

Elle retient de la loi du 14 octobre 1943 que si les parties ne peuvent être liées par une convention d'exclusivité plus de dix ans, lorsqu'un deuxième accord d'exclusivité est conclu avant l'expiration du premier, la durée s'appréciant alors depuis l'origine, il en va différemment lorsque les contrats d'exclusivité ne sont pas consécutifs. Or la lettre du 22 avril 1968 ne prévoyait aucune durée. L'exclusivité ne pouvait excéder le 22 avril 1978. Il était donc possible aux parties de souscrire une convention d'exclusivité le 12 septembre 1984 sans enfreindre la loi. Elle estime enfin que, compte tenu du chiffre d'affaires réalisé et du fait que les produits ne représentent pas 5 % du marché, il ne peut être considéré que l'accord d'exclusivité produit un effet auto-concurrentiel entraînant l'application de l'article 85-1 du Traité de Rome.

La société DRT expose les éléments de son préjudice et la réparation qu'elle sollicite. Elle relève que la société Benckiser Saint-Marc a enfreint du début de 1987 au 12 septembre 1989, soit pendant 30 mois l'engagement de non-concurrence. Elle estime que la réparation de ce préjudice doit intervenir en nature, par l'interdiction faite à son adversaire de vendre le Saint-Marc Ménage et le Saint-Marc Crème pendant 30 mois à compter de l'arrêt, à peine d'astreinte. Pour le cas où la Cour estimerait devoir réparer par équivalent, elle sollicite l'organisation d'une expertise.

Au titre de la violation de l'engagement d'approvisionnement exclusif en E 121 pour la même période, la société DRT, sur la base du tonnage réalisé en 1986 et du prix alors pratiqué, fait état d'une perte de chiffre d'affaires de 26 389 000 F et d'un manque à gagner de 11 334 224 F par année. Elle fait observer que tant que les parties ont exécuté l'accord de bonne foi, les quantités vendues en E 121 ont toujours progressé d'année en année. D'ailleurs la société Benckiser Saint-Marc n'allègue pas une diminution des ventes de Saint-Marc Ménage de 1987 à 1989. Elle sollicite à ce titre, pour l'ensemble de la période 29 669 640 F.

En ce qui concerne la violation du pacte de préférence relatif aux matières entrant dans la fabrication du E 121, pour la période du 12 septembre 1994, elle évalue son préjudice à partir des quantités consommées en 1986, sur la base des prix pratiqués sur le marché européen, à la somme de 23 025 235 F pour une perte de chiffre d'affaires de 60 691 500 F. Elle évalue, sur la base du tonnage de 1986, à 9 321 260 F les redevances que son adversaire s'était engagée à payer du 12 septembre 1989 au 12 septembre 1994.

Le 15 janvier 1991, la société DRT a déposé des conclusions dites " de synthèse " tendant aux mêmes fins que celle du 24 janvier 1990.

Elle relève notamment que la commercialisation du Saint-Marc Ménage a permis à la société Saint-Marc dont les ventes d'autres produits stagnaient, d'augmenter très sensiblement son chiffre d'affaires et son résultat d'exploitation, et en déduit que la société Saint-Marc doit sa prospérité à la diffusion du E 121 qu'elle revendait en multipliant le prix d'achat par 4,3.

Elle fait observer que le prix, fixé d'un commun accord en 1968, a été périodiquement révisé ensuite, sans la moindre difficulté pendant 17 ans, la première contestation ayant été élevée le 11 septembre 1986, en période contentieuse, et tendant à obtenir une baisse de 20 % avec effet rétroactif au 1er janvier 1986.

Elle fait état des tentatives de négociation entre 1981 et 1983 d'un nouveau cadre contractuel pour les relations des deux sociétés, projets qui prévoient tous un réexamen trimestriel du prix de vente du E 121, une exclusivité de distribution réservée à Saint-Marc et une interdiction de concurrence faite à Saint-Marc.

Elle expose les conditions de négociation du contrat qui a finalement été signé le 12 septembre 1984 et qui organise un processus de désengagement des parties, puis celles de la rupture le 3 février 1987, alors que le terme du contrat était au 12 septembre 1989, Benckiser Saint-Marc cessant de s'approvisionner en E 121 tout en commercialisant du Saint-Marc Ménage au Pin des Landes et en lançant concomitamment le Saint-Marc Crème au citron.

Elle reprend son argumentation fondée sur la violation des obligations contractées le 12 septembre 1984 en soulignant que, de convention expresse, ces engagements sont autonomes les uns par rapport aux autres.

Saint-Marc a conclu un engagement de non-concurrence, pour cinq ans, qui avait pour contrepartie l'exclusivité de la diffusion du produit E 121, sans minimum d'achat. Or depuis le début de 1987, Saint-Marc fabrique et vend des produits concurrents le " Saint-Marc Ménage Suractif " et le " Saint-Marc Ménage au Pin des Landes ".

Saint-Marc s'était obligée à s'approvisionner pour la totalité de ses besoins en E 121 auprès de DRT du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989 et a cessé de le faire depuis le début de 1987, alors que l'exécution de bonne foi de cette obligation supposait qu'elle mette en œuvre les moyens nécessaires pour diffuser ce produit dans les meilleures conditions.

A partir du moment où elle a fabriqué le E 121, Saint-Marc ne lui a pas accordé la préférence pour l'achat des matières premières entrant dans la fabrication de ce produit.

En publiant la formule du E 121 dans ses demandes de brevet d'invention, Saint-Marc a enfreint l'engagement de confidentialité.

Enfin, Saint-Marc n'a pas payé la redevance convenue pour la période du 12 septembre 1989 au 12 septembre 1994.

La société DRT invoque en outre contre son adversaire le fait de s'être approprié le produit qu'elle a inventé et d'avoir divulgué un secret de fabrication dont elle avait eu connaissance non par des procédés légaux, mais par l'exploitation d'informations privilégiées obtenues à la faveur de ses rapports avec l'inventeur. Cette appropriation s'est faite matériellement par la fabrication du " Saint-Marc Ménage Suractif " copie du E 121 et juridiquement par le dépôt des brevets.

Elle reproche en outre à Saint-Marc publicité mensongère et tromperie pour avoir abusivement employé la dénomination " au Pin des Landes " pour des produits dont les principes actifs ne sont plus issus du Pin des Landes. De tels actes sont constitutifs de concurrence déloyale. Mais une instance pénale étant en cours un sursis à statuer s'impose.

Elle reprend et développe les éléments caractérisant son préjudice.

Répondant à l'argumentation de la société Saint-Marc, elle fait valoir que la violence prétendue a seulement été invoquée pour les besoins de la cause, aucun document contemporain de la signature du contrat du 12 septembre 1984 n'en faisant état. Elle estime au surplus que sa réaction était légitime compte tenu des liens existant depuis 16 ans entre les deux associés et des négociations alors en cours, en présence de la vente des actions de la société Saint-Marc à la société Benckiser et de l'indication que cette société s'apprêtait à fabriquer elle-même le E 121. Elle affirme en outre que les livraisons de E 121 n'ont pas été interrompues, toutes les commandes faites pendant les mois d'août et septembre 1984 ayant été honorées et aucun refus de vente n'ayant été opposé. D'ailleurs, la société Saint-Marc a finalement obtenu la possibilité de fabriquer elle-même le E 121, ce qu'elle cherchait à obtenir, même si le contrat du 12 septembre 1989 maintient la situation antérieure pendant cinq ans, ce qui est un délai bref compte tenu des investissements nécessités par la fabrication de ce produit et des problèmes de personnel posés par l'arrêt de cette activité.

La redevance imposée à Saint-Marc est une faible contrepartie au droit obtenu par celle-ci de fabriquer le E 121 et le pacte de préférence ne lui coûte rien. Par son économie, le contrat du 12 septembre 1984 est objectivement plus favorable à Saint-Marc. En outre, le contrat a été exécuté pendant 30 mois ce qui constitue une évidente approbation. L'argument tiré de ce que la violence était permanente en raison de la domination de DRT ne peut être retenu, la prétendue domination n'ayant pas empêché la société Benckiser Saint-Marc de rompre le contrat tout en continuant à vendre le " Saint-Marc Ménage au Pin des Landes ".

DRT conteste la notion de domination économique qui lui est appliquée par son adversaire en faisant état de l'évolution du prix de vente du produit E 121 qui de 1984 à 1987 n'a pas augmenté en moyenne de plus de 2 % par an et ne représentant même pas la hausse du prix de revient des produits le composant. Elle affirme que, pour elle, Saint-Marc était un client très important et qu'elle redoutait de perdre.

La société DRT conteste l'existence d'une position dominante sur le marché alors qu'il s'agit d'un seul produit destiné à une personne unique. Au surplus, elle affirme qu'elle était en situation de dépendance envers la société Saint-Marc ainsi qu'en témoignent les pourparlers de 1985 et 1986 au cours desquels cette société a essayé de l'évincer sans contrepartie.

Dès lors que le contrat ne comportait aucune obligation d'acheter une quantité minimale de produit, il n'était pas nécessaire qu'un prix soit stipulé.

En réalité, seul se posait un problème de révision du prix que les parties avaient, d'un commun accord fixé en juillet 1984, mais le fait que cette révision soit laissée à la libre négociation des parties ne peut entraîner la nullité du contrat. Le contrat a d'ailleurs été exécuté et le prix payé sans réserves. Un contrat exécuté ne peut être annulé sauf à remettre les parties en leur état d'origine. En cas de désaccord des parties sur une révision, l'ancien prix demeurerait valable et il aurait été loisible aux parties de solliciter la révision judiciaire de celui-ci sur la base des usages suivis entre parties lors des précédentes révisions.

Elle conteste que la rupture des relations ait été motivée par une difficulté de révision du prix, estimant que celle-ci a été suscitée pour servir de prétexte à la rupture, une demande de baisse de 20 % avec effet rétroactif au 1er janvier 1986 ayant été sollicitée le 11 septembre 1986.

Par conclusions du 21 septembre 1992, la société DRT ajoute à ses demandes une demande subsidiaire tendant, en cas d'annulation des ventes intervenues entre le 12 septembre 1984 et février 1987, à ce qu'il soit jugé qu'elle devra rembourser les sommes reçues à ces divers titres et que la société Benckiser Saint-Marc lui versera le prix auquel elle a vendu le produit et que soit ordonnée une expertise devant permettre d'apurer les comptes sur ces bases.

Elle observe qu'en limitant sa demande de restitution du prix aux ventes postérieures au 12 septembre 1984, la société Benckiser Saint-Marc admet que les prix antérieurement payés avaient un caractère contractuel et étaient valables. Or ils n'ont pas été modifiés avant la révision du 12 septembre 1985. Comme la société Benckiser Saint-Marc a vendu le produit acquis grâce aux ventes dont elle demande l'annulation, elle devait, en cas de succès de sa prétention, restituer le prix qu'elle a reçu en le vendant.

Elle conteste avoir refusé d'examiner les demandes de révision du prix, même lorsque celles-ci avaient un caractère excessif.

Sur l'appel du jugement du 9 décembre 1988 faisant pour l'essentiel interdiction à la société DRT de recourir à des procédés de dénigrement et de publicité comparative, la société Benckiser Saint-Marc a conclu au fond les 11 septembre 1989, 17 avril 1990 et 30 juin 1992.

Par ses conclusions du 11 septembre 1990, elle prie la Cour de juger que la société DRT a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre, de condamner cette société à lui payer une provision de dix millions de francs, d'ordonner une expertise, de prononcer diverses interdictions à l'encontre de DRT d'ordonner la publication du présent arrêt, par extraits et de lui allouer 200 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle indique que, depuis la cessation de leurs relations, la société DRT a fabriqué et commercialisé sous le nom de " Saniterpen Ménage " puis " Le Vrai Ménage " un produit directement concurrent du " Saint-Marc Ménage " qui constitue sa principale fabrication, diffusant auprès des grossistes et collectivités une lettre circulaire faisant état de la " main mise sur cette société par un groupe allemand ", dénonçant le " repreneur étranger ", pratiquant des prix notablement inférieurs avec des remises et avantages tarifaires, reprenant pour ses emballages la présentation de celui du Saint-Marc Ménage ", notamment en ce qui concerne la combinaison des couleurs utilisées et la disposition graphique de la marque.

Elle affirme que si ces ventes de Saint-Marc Ménage du premier trimestre 1987 traduisaient une augmentation par rapport à celle de la période correspondante de 1986, elles ont ensuite diminué pour atteindre 70,5 % de celles-ci pour la période de juillet à décembre 1986. Elle évalue à partir de là son manque à gagner annuel à 3 342 225 F.

Elle fait grief au tribunal de n'avoir pas retenu sa critique relative à la pratique du dumping suivie par son adversaire ni à l'adoption de récipients et d'étiquettes de nature à créer une confusion entre les produits, la règle étant de ne pas s'arrêter aux différences de détail mais à la ressemblance d'ensemble.

Elle conteste avoir écrit ou tenu les propos que lui prête le tribunal relatifs à une différence entre ses produits, affirmant qu'elle fabrique et commercialise le " Saint-Marc Ménage suractif " qui correspond à l'ancien Saint Marc Ménage au E 121 fourni par DRT, mais mis en œuvre selon le brevet déposé le 10 mai 1984 avec un PH de 10,5, et le " Saint-Marc Ménage au Pin des Landes " contenant du terpinéol et parfumé aux essences de pin des Landes.

Elle fait état des faits survenus postérieurement au jugement du 9 décembre 1988, les DRT, qui avaient déposé, le 7 octobre 1987, la marque " Le Vrai Ménage ", ayant diffusé dans la grande presse des affirmations aggravant l'entreprise de concurrence déloyale, en soutenant essentiellement que le " Saint-Marc Ménage " se réfère abusivement à la mention " au pin des Landes " alors qu'il n'en contiendrait plus et que l'ancien " Saint-Marc Ménage " se trouve désormais commercialisé sous le nom de " Vrai Ménage ". Elle estime que les manœuvres qu'elle dénonce ont permis à DRT de prendre ainsi une part de marché à ses dépens.

Les conclusions du 17 avril 1990 de la société Benckiser Saint-Marc ont été précédemment analysées, de même que ses conclusions du 30 juin 1992.

Sur l'appel de ce jugement du 9 décembre 1988, la société DRT a conclu le 24 janvier 1990 au débouté de la société Benckiser Saint-Marc et à l'allocation de 200 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Subsidiairement, elle sollicite qu'il soit sursis à statuer en raison de sa plainte avec constitution de partie civile du 22 novembre 1989.

Elle affirme que les faits que lui reproche son adversaire ne sont qu'une riposte légitime aux agressions injustes de celle-ci, qui exclut la faute civile.

Elle impute cinq agressions à son adversaire : le vol de l'invention du produit E 121 en le faisant breveter à son nom, la rupture brutale début 1987 du contrat d'approvisionnement exclusif qui aurait dû se poursuivre jusqu'au 12 septembre 1989, la violation de l'engagement de non-concurrence, la fabrication et la vente d'un produit copiant servilement le E 121, la poursuite de la vente sous la dénomination " Saint-Marc Ménage au Pin des Landes " d'un produit dans lequel des extraits de pin n'interviennent plus comme principe actif mais comme parfum.

Elle affirme que ces agressions sont actuelles et continues et que, résultant de la violation d'obligations contractuelles, voire du délit de publicité mensongère, elles sont injustes.

La rupture brutale d'un marché d'approvisionnement en pleine expansion l'a obligée à s'adapter à cette situation nouvelle, compte tenu de la part de chiffre d'affaires représentée par le produit E 121, du nombre de personnes employées à sa production et des installations industrielles créées en vue de celle-ci. Elle a donc dû rechercher de nouveaux débouchés.

Estimant ne pouvoir être tenue que de ses propres écrits ou propos, et non des publications faites par voie de presse, la société DRT affirme n'avoir fait qu'exprimer la vérité et relève les inexactitudes énoncées par la société Benckiser Saint-Marc dans ses propres communiqués.

Elle fait observer que le préjudice allégué par son adversaire caractérisé par une baisse des ventes aux collectivités résulte d'une politique commerciale délibérée de celle-ci qui a d'ailleurs licencié ses vendeurs spécialisés dans ce secteur, orientant son effort vers le marché de grande distribution dont elle reconnaît elle-même occuper une part importante.

Elle estime que depuis la rupture de leurs relations, la société Benckiser Saint-Marc ne peut employer l'appellation " au pin des Landes " faute d'utiliser une substance tirée de celui-ci comme principe actif de son produit. Elle observe d'ailleurs que Saint-Marc ne produit aucune facture d'achat d'extraits naturels de pin des Landes, que les documents produits révèlent une diminution considérable des quantités de parfum au pin des Landes qu'elle achète et que ces documents ne prévoient pas la nature des produits parfumants. Elle relève en outre des invraisemblances dans les poids indiqués, desquelles elle déduit une confusion entre tonnes et kilogrammes.

Dans tel cas, Benckiser Saint-Marc ne pouvait employer que l'indication " Parfum Pin ", " Odeur Pin ", " Senteur Pin " ou " Fraîcheur Pin ".

Sur ce point, plainte a été déposée donnant lieu à instruction au Tribunal de grande instance de Dax. Elle sollicite qu'il soit sursis par application de l'article 4 du Code de procédure pénale.

Par conclusions du 21 septembre 1992, la société DRT ajoute à ses demandes antérieures celle tendant à obtenir, en cas d'annulation des ventes de produit intervenues entre le 12 septembre 1984 et février 1987, que Benckiser Saint-Marc lui verse le prix auquel elle a vendu le produit, elle-même devant lui restituer celui que cette société lui a payé.

Sur quoi :

I- Sur la jonction des instances :

Attendu que les trois jugements frappés d'appel concernent les mêmes parties et que les litiges qu'ils tranchent trouvent leur origine dans les relations économiques les ayant liées ;

Qu'il existe ainsi entre ces procédures un lien tel qu'il apparaît conforme à une bonne administration de la justice de les juger ensemble ;

II- Sur la rupture du contrat du 12 septembre 1984 et ses conséquences :

II- a) Les faits :

Attendu qu'ayant mis au point un produit nettoyant ménager - ultérieurement dénommé E 121 - la société DRT en a confié la distribution à la société Saint-Marc suivant lettre contrat du 22 avril 1968 stipulant pour l'essentiel, une exclusivité d'approvisionnement et de fourniture et une non-concurrence réciproques ; que cette convention, conclue sans limitation de durée, a été, en fait, respectée par les parties jusqu'en 1984, des pourparlers ayant, à compter de l'année 1981, et à l'initiative de la société Saint-Marc, été engagés pour mieux définir les rapports des deux sociétés ; qu'en effet, lancés à partir de 1969, les produits ménagers directement issus du nettoyant E 121 - Saint-Marc Ménage au Pin des Landes et Saint-Marc Crème - ont rapidement atteint une part importante du chiffre d'affaires de la société Saint-Marc - 46 % en 1984 - dont l'évolution, ainsi que celle du résultat d'exploitation de la société, apparaissent directement liées à la progression des ventes de ces produits, les ventes de Saint-Marc Ménage de l'ordre de 5 000 tonnes pour l'année 1979, soit dix ans après le lancement du produit, étant passées environ à 14 000 tonnes pour l'année 1984 ;

Que le prix du produit E 121, qui représentait environ 7 % du chiffre d'affaires de la société RDT a évolué de 1,98 (franco Bordeaux) en juillet 1984 à 2,10 F (franco Bordeaux) en août 1985 et est resté le même jusqu'à la rupture des relations contractuelles ;

Attendu que le 10 mai 1984, la société Saint-Marc déposait, à l'insu de la société DRT, deux demandes de brevet pour des produits dont l'agent actif était un produit de composition analogue au produit E 121, fait que la société DRT apprendra en avril 1986 ;

Attendu que les pourparlers en vue d'aboutir à la signature d'un contrat n'avaient pas abouti lorsqu'au mois d'août 1984, la société DRT écrivait à la société Saint-Marc qu'elle avait appris l'existence d'un projet de cession de parts de la société Saint-Marc à la société Benckiser, la consultation par la société Saint-Marc de fournisseurs de matières premières entrant dans la composition du produit E 121, ce dont elle déduisait que la société Saint-Marc envisageait de fabriquer elle-même ce produit, et informait cette société, qu'en cet état, elle avait décidé de ne pas reprendre la fabrication du produit E 121 tant que les relations des deux sociétés n'auraient pas été réglées par contrat ;

Attendu que c'est dans ces conditions, qu'était signé, le 12 septembre 1984, un contrat dont l'exposé préalable rappelle que la société DRT a mis au point et fabriqué le produit nettoyant E 121 et que la société Saint-Marc, qui exploite commercialement une dilution de ce produit envisage à terme de fabriquer ou faire fabriquer un produit similaire au E 121 ; que ce contrat comporte l'engagement de la société DRT de livrer en exclusivité les commandes passées par la société Saint-Marc, et l'engagement de cette dernière société de s'approvisionner pour tous ses besoins en produit E 121 auprès de DRT et de ne pas participer, pendant 5 ans, à la fabrication et à la diffusion d'un produit similaire susceptible de concurrencer le produit E 121 ou de se substituer à lui et, pendant les cinq années suivantes, de réserver à la société DRT 80 % des achats des produits nécessaires à la fabrication par elle-même du produit de remplacement du E 121 pour autant que la société DRT offre des conditions qui ne soient pas supérieures à celles du marché européen et de payer à la société DRT une redevance par kilogramme de produit commercialisé obtenu à partir du produit de substitution du produit E 121 ;

Que ce contrat prévoyait que le prix de vente du produit E 121 serait réexaminé et fixé tous les quatre mois ;

Que le contrat disposait également qu'en cas d'invalidation d'un de ses clauses, les autres garderaient leur force et portée ;

Attendu que ce contrat a reçu application d'abord par la société Saint-Marc, puis avec la société Benckiser Saint-Marc - ci-après BSM -, de nouvelles propositions étant faites par cette dernière société, des correspondances étant échangées, la société BSM indiquant notamment, par lettre du 6 octobre 1986, qu'elle envisageait d'abandonner en 1987 l'emploi du E 121 comme base de ses produits ; que la rupture des relations était consommée au mois de février 1987 avec effet au 1er avril suivant ;

Attendu que la société BSM estime que sa responsabilité contractuelle ne peut être recherchée en raison de la nullité du contrat pour violence, défaut d'objet et de cause, absence de détermination du prix et des quantités, violation de la loi du 14 octobre 1943, abus de position dominante ; qu'elle invoque également l'existence d'une résiliation amiable du contrat ;

II- b) l'exception de nullité pour violence :

Attendu qu'ainsi qu'il a été indiqué, la société DRT a, le 25 août 1984, indiqué à la société Saint-Marc qu'elle avait décidé de ne pas reprendre la fabrication du produit E 121 tant que les relations des deux sociétés n'auraient pas été réglées par contrat ;

Attendu qu'une telle menace apparaît comme un moyen de pression d'autant plus efficace que la livraison du produit E 121 conditionnait - à environ hauteur de la moitié - le chiffre d'affaires de la société Saint-Marc ; que néanmoins la possibilité qu'avait la société DRT de l'appliquer n'était pas exempte de risques économiques pour elle dans la mesure où elle avait alors la société Saint-Marc pour seul et unique client et où le produit E 121 représentait près de 10 % de son propre chiffre d'affaires ;

Que s'il est établi que, pour la période du 24 août au 12 septembre 1984, le volume des livraisons a été moins important que pendant les périodes antérieures et postérieures, il n'est pas justifié que la société DRT aurait, pendant cette période, refusé de satisfaire une seule commande de la société Saint-Marc que, d'ailleurs, l'allégation non démentie de la société DRT selon laquelle elle conservait, pour satisfaire les besoins de la société Saint-Marc, un stock de 700 tonnes de produit fait présumer qu'elle aurait été en mesure de satisfaire à une commande habituelle de E 121 pendant cette période ; que le refus de vente allégué par la société BSM n'est pas établi ;

Attendu que l'émotion manifestée par les représentants du personnel au comité d'entreprise de la société Saint-Marc à l'occasion de réunions postérieures à la réception de la lettre du 25 août 1984 peut d'autant moins être considérée comme traduisant l'impression qu'a pu faire sur les dirigeants de la société Saint-Marc la violence alléguée que celle-ci n'a été dénoncée à la société DRT ni à ce moment là, ni pendant l'éxécution du contrat du 12 septembre 1984, ni même lors de la rupture des relations contractuelles au début de l'année 1987 ;

Attendu au surplus, qu'il résulte des termes mêmes de la lettre du 25 août 1984 que la menace a été formulée parce que son auteur avait appris que la société Saint-Marc, à son insu, tentait de s'approvisionner en matières premières propres à fabriquer le produit E 121 ou un produit similaire ; que ce fait, non contesté, caractérise un comportement déloyal dans le cadre de relations de confiance qui se poursuivaient alors depuis plus de quinze ans ;

Qu'en présence d'une telle déloyauté, la menace à supposer que, n'ayant pas été suivie d'effet, elle ait néanmoins pu impressionner les dirigeants de la société Saint-Marc, n'apparaît pas illégitime ; que l'exception de nullité pour violence ne sera pas accueillie ;

II- c) l'exception de nullité pour défaut d'objet et de cause :

Attendu que toute l'argumentation développée par la société BSM au soutien de son exception de nullité pour défaut d'objet ou de cause repose sur l'affirmation que le contrat litigieux emporte concession d'un secret de fabrique ; or, attendu qu'aucune disposition du contrat du 12 septembre 1984 ne comporte explicitement ou implicitement, concession par la société DRT à la société Saint-Marc, du secret de fabrication du produit E 121 mais seulement exclusivité d'approvisionnement de la société Saint-Marc en produit E 121 ; que le fait qu'à la faveur des relations entre techniciens des deux sociétés, ceux de la société Saint-Marc aient pu avoir connaissance de certains composants voire du procédé de fabrication de ce produit ne modifie en rien cette constatation ;

Que cette exception ne peut être accueillie ;

II- d) l'exception de nullité pour indétermination du prix et des quantités :

Attendu que, pendant la période de cinq ans suivant la date de sa signature, le contrat litigieux prévoit que la société DRT " s'engage à livrer en exclusivité ... les commandes en E 121 passées par la société Saint-Marc " et que cette dernière société " s'engage à s'approvisionner pour la totalité de ses besoins dudit produit auprès de DRT ;

Que ce contrat ne met pas à la charge de la Société DRT l'obligation de livrer une quantité déterminée de produit E 121 ni à la charge de la Société Saint-Marc celle d'acheter une quantité quelconque de ce produit ; qu'il ne constitue pas un contrat de vente mais un contrat imposant à chaque partie des obligations de fourniture et d'approvisionnement, la Société Saint-Marc ayant à cet égard pour seule obligation, dans le cadre du contrat, de dresser et communiquer trimestriellement un état prévisionnel de ses besoins mensuels ; que ce contrat servait en réalité de cadre à des contrats de vente réalisés à l'occasion de chaque commande ;

Attendu certes que le contrat litigieux prévoit que le prix de vente du produit E 121 par la Société DRT à la Société Saint-Marc sera réexaminé et fixé tous les quatre mois, cette périodicité pouvant être modifiée après accord entre les parties ; qu'il est à cet égard établi qu'à l'époque où le contrat a été souscrit, les parties étaient antérieurement convenues d'un prix de vente du produit ; qu'il est également établi qu'ultérieurement, elles ont négocié la modification de celui-ci, sans qu'il soit justifié que l'une des deux et notamment la société DRT, ait imposé à l'autre sa volonté ;

Qu'au surplus et dans la mesure où, par le contrat du 12 septembre 1984, la société Saint-Marc ne s'obligeait pas à acheter une quantité déterminée ou minimale de produit, le fait que ce contrat, qui n'est pas un contrat de vente, ne comporte aucune stipulation fixant le prix ou permettant de le déterminer à partir d'éléments extérieurs à la volonté de l'une ou l'autre des parties est sans incidence sur la validité de celui-ci ; qu'il résulte d'ailleurs implicitement mais nécessairement du contrat que tant que la révision du prix n'a pas fait l'objet d'un accord entre les parties, le prix antérieurement convenu demeurait applicable ; qu'à cet égard, il est symptomatique de relever que les seules discussions sur le prix se sont élevées à la fin de l'année 1986, à une époque où, ainsi que le révèlent les correspondances échangées, la société BSM avait manifestement pour objectif de s'assurer à bref délai la maîtrise de la fabrication d'un produit qui constituait le composant essentiel des marchandises dont la vente représentait alors près de la moitié de son chiffre d'affaires ;

Attendu que dès lors que le contrat litigieux ne constitue pas un contrat de vente, sa validité ne peut être affectée par le fait que ni le prix ni les quantités de la marchandise ne sont déterminés ;

Que l'exception de nullité fondée sur l'indétermination du prix et des quantités ne sera pas accueillie ;

II- e) l'exception de nullité tirée de la loi du 14 octobre 1943 :

Attendu que selon la loi du 14 octobre 1943, la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur de biens meubles s'engage à l'égard de son vendeur à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur est limitée à 10 ans, même lorsque le contrat dans lequel cette clause est insérée est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d'autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d'exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prenant fin à la même date que celle figurant au premier contrat;

Attendu qu'il en résulte que la validité de la clause par laquelle les sociétés DRT et Saint-Marc, vendeur et acheteur du produit E 121 s'étaient liées le 22 avril 1968, a été, de plein droit, limitée à dix ans ; que si, postérieurement au 22 avril 1978, ces deux sociétés ont poursuivi des relations qui respectaient en fait l'exclusivité antérieurement stipulée, elles n'y étaient alors point obligées, en sorte que, redevenues libres depuis cette date, il leur était loisible, de convenir à nouveau en 1984 d'une exclusivité de fourniture et d'achat ; que la clause d'exclusivité contenue dans la convention du 12 septembre 1984 dont la durée n'excède pas dix ans est valable;

Que l'exception sera rejetée ;

II- f) l'exception de nullité tirée de la violation de l'article 85-1 du Traité de Rome :

Attendu que pour la convention d'exclusivité contenue dans le contrat du 12 septembre 1984 soit considérée comme incompatible avec le Marché Commun et interdite, il conviendrait qu'il soit établi que l'application de cette clause a pour objet, ou pour effet, d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l'intérieur du Marché Commun, ce que non seulement la société BSM ne prouve pas, mais même qu'elle contredit lorsque, pour établir l'inexistence du secret de fabrique invoqué par son adversaire, elle fait valoir que plusieurs milliers de demandes de brevets ont été déposés, par les principaux fabricants, pour des produits nettoyants ménagers ;

Que l'exception ne saurait dès lors être accueillie ;

II- g) l'exception tirée de l'existence d'une résiliation amiable :

Attendu que, sans s'arrêter à la contradiction existant entre les demandes d'annulation du contrat du 12 septembre 1985 et l'affirmation de ce que ce contrat a été amiablement résilié, il y a lieu d'observer que les télex des 4 et 9 février 1987, s'ils prévoient que la société BSM autorise la société DRT à " distribuer par ailleurs le E 121 ", ne comportant aucun accord de rupture amiable de la convention, la société DRT maintenant contre son adversaire le grief de brusque rupture, ce que la société BSM conteste, et ne renonçant à aucun des droits que lui conférait ce contrat à l'encontre de la société BSM ;

Qu'ainsi rien ne caractérise une résiliation amiable du contrat du 12 septembre 1984 ;

II- h) les fautes contractuelles reprochées à la société BSM :

Attendu que le contrat litigieux oblige la société BSM à s'approvisionner auprès de DRT pour la totalité de ses besoins en produit E 121, pour la période du 12 septembre 1984 au 12 septembre 1989 ; qu'il oblige également cette société à ne pas participer directement ou indirectement à la diffusion de produits similaires - définis comme toute formulation comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras du " tall-oil " - susceptible de concurrencer le E 121 ou de s'y substituer ;

Attendu qu'il résulte des productions que la Société BSM a, à partir du 1er avril 1987, cessé de s'approvisionner auprès de la société DRT, alors qu'elle poursuivait la production et la vente de produits issus d'une formulation comportant des dérivés terpéniques et des tensioactifs dérivés d'acides gras du " tall-oil " ; qu'elle a donc enfreint les deux obligations contractuelles précédemment rappelées ;

Attendu que le contrat litigieux obligeait la Société BSM, pendant la période allant du 12 septembre 1989 au 12 septembre 1994 à réserver à DRT 80 % des achats en produits qui seront nécessaires à la fabrication par elle-même du produit similaire au E 121 pour autant que les conditions offertes par DRT ne soient pas supérieures aux prix pratiqués sur le marché européen pour les quantités identiques et que ces produits figurent à la gamme des produits de la Société DRT ;

Attendu qu'il résulte des productions que postérieurement au 12 septembre 1989, la Société BSM a fabriqué et distribué des produits à base de dérivés terpéniques et de tensioactifs dérivés d'acides gras du tall-oil sans réserver à DRT 80 % des achats en produits nécessaires à la fabrication du produit substitué au produit E 121, alors qu'il n'est pas justifié que les conditions offertes par DRT auraient été supérieures à celles du marché européen ; que la Société BSM a donc enfreint cette obligation par elle souscrite ;

Attendu que la Société DRT fait grief à son adversaire d'avoir enfreint l'engagement de confidentialité contenu à l'article 4 du contrat ; mais attendu que cette obligation est insérée dans un article qui, sous l'intitulé " assistance technique " oblige la société DRT à fournir à la société BSM l'assistance technique nécessaire à la mise au point de sa production ainsi que, sous réserve de l'établissement d'un avenant en réglant les conditions, à fournir à la société BSM l'assistance technique nécessaire à l'adaptation du E 121 à l'évolution du marché ; que la confidentialité stipulée par cet article s'impose uniquement aux informations données et reçues à l'occasion de l'une ou l'autre de ces missions d'assistance ;

Attendu que la société DRT, qui n'établit pas qu'elle a fourni l'assistance technique en cause et, à cette occasion, communiqué des informations confidentielles, n'est pas fondée à prétendre que l'obligation de confidentialité souscrite par son adversaire n'a pas été respectée ;

II- i) le préjudice résultant de la rupture des relations contractuelles :

Attendu qu'il est constant que, du 1er avril 1987 au 12 septembre 1989, la société BSM a enfreint l'obligation de non-concurrence qu'elle avait souscrite en fabriquant et diffusant du " Saint-Marc Ménage " à base d'un produit similaire au produit E 121 qu'elle ne s'était pas procuré auprès de la Société DRT ;

Que la Société BSM était astreinte à une obligation de ne pas faire ; qu'en cette espèce, les dispositions de l'article 1143 du Code civil qui permettent au créancier de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement soit détruit ne peuvent utilement recevoir application, compte tenu de la large diffusion dans le public des ventes opérées par la Société BSM et qui constituent autant d'infractions à son engagement contractuel ; que, pas davantage, les dispositions de l'article 1144 du même code qui permettent d'autoriser le créancier à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur, ne peuvent être appliquées, alors au surplus que la période pendant laquelle l'obligation de non-concurrence a été convenue est maintenant expirée depuis plusieurs années ;

Qu'il apparaît donc que doivent être appliquées les dispositions des articles 1142 et 1145 du même code qui prévoient que celui qui contrevient à une obligation de ne pas faire doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ;

Qu'ainsi, de ce chef, il y a lieu d'ordonner l'expertise sollicitée ;

Attendu que, pour la même période du 1er avril 1987 au 12 septembre 1989, la société BSM était obligée à s'approvisionner exclusivement en produit E 121 auprès de la société DRT ; que la société BSM admet avoir continué la commercialisation de " Saint-Marc Ménage " selon une formule similaire à celle du E 121 sans s'être approvisionnée auprès de la société DRT ; que l'infraction à cette obligation de faire se résout en dommages et intérêts dont le montant ne peut qu'être déterminé par expertise, l'extrapolation faite sur ce point par la société DRT, à partir du tonnage de produit E 121 vendu à la société BSM en 1986 pouvant d'autant moins être retenue que, la période d'application de la clause enfreinte étant expirée, des investigations comptables peuvent être conduites de nature à permettre une évaluation précise de ce chef de préjudice ; que sur ce point, il y a lieu à expertise ;

Attendu également que, depuis le 12 septembre 1989, la société BSM qui a continué de fabriquer et diffuser des produits nettoyants à base d'un produit similaire au E 121, n'a pas fait bénéficier la société DRT de la préférence convenue ; qu'en l'absence d'obligation minimale d'achat ou de fabrication et diffusion d'un produit nettoyant issu d'un produit similaire au E 121, le préjudice ne peut, comme le demande la société DRT, être évalué par extrapolation des quantités de E 121 vendues au cours de l'année 1986 mais devra être calculé sur la base des produits nettoyants issus d'un produit similaire et commercialisés par la société BSM entre le 12 septembre 1989 et le 12 septembre 1994, rien n'établissant en l'état que la société BSM ait vendu après 1989 des quantités homologues à celles vendues en 1986 et qu'elle ait poursuivi après cette date la vente de produits à base de E 121 ou de toute formulation comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras du tall-oil ; que sur ce point, il y a lieu à expertise ;

Attendu enfin que, pour la même période du 12 septembre 1989 au 12 septembre 1994, la société Saint-Marc s'était engagée à verser à la société DRT une redevance de 0,10 F par kilogramme de produit commercialisé et obtenu à partir du produit E 121 ou d'un produit similaire, ladite redevance étant revalorisée au 1er janvier de chaque année civile, sur la base de l'évolution du prix de vente moyen hors taxes au kilo du produit commercialisé, appliqué par la société Saint-Marc durant l'année civile précédente ; que sur ce point, la société DRT évalue sa demande sur la base du tonnage du produit E 121 pour l'année 1986 ; qu'une telle demande ne peut être retenue alors qu'une mesure d'expertise doit permettre d'obtenir, à partir des quantités commercialisées par la société BSM et des prix qu'elle a pratiqués, une évaluation conforme à la convention des parties ;

III- Sur la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité délictuelle :

Attendu que la demande principale de la société DRT fondée sur la responsabilité contractuelle étant accueillie, il n'y a lieu d'examiner ni la recevabilité de la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité délictuelle ni la demande de sursis à statuer, fondée sur l'article 4 du Code de procédure civile, sur l'examen, du moyen tiré du délit de publicité mensongère imputé par la société DRT à la société BSM ;

IV- Sur les demandes relatives aux brevets :

Attendu que le 10 mai 1984, la société des Lessives Saint-Marc a déposé deux demandes de brevet d'invention concernant d'une part une crème à récurer et le procédé pour sa préparation, d'autre part des compositions détergentes et le procédé pour leur préparation ; que la mise à disposition au public de ces demandes est intervenue le 15 novembre 1985 ;

Attendu que selon les revendications du brevet relatif à la composition détergente, celle-ci est caractérisée en ce qu'elle comprend au moins un acide gras du tall-oil, un agent de surface non ionique, un alcool, au moins un dérivé terpénique, du Terpinéol, un mélange de sels minéraux tels que du tripolyphosphate de métal alcalin, du silicate de métal alcalin, de l'hydroxyde de métal alcalin, un autre oxydant, un colorant et/ou un parfum ou renforçateur de parfum, et de l'eau, en ce qu'elle présente un PH d'environ 10,5 et une viscosité d'environ 85 + ou - 15 centistokes ;

Que la revendication précise les constituants de la composition détergente et leurs proportions respectives exprimées en poids par rapport au poids de la composition totale ainsi que sa présentation en une " formulation bi-composants " sous forme d'une part d'un mélange organique d'autre part d'un mélange aqueux, la composition prête à l'emploi étant constituée par la combinaison de ces deux mélanges entre eux avec addition d'un agent antioxydant et de chlorure de sodium ; que, selon la revendication n° 5, le mélange aqueux est concentré en sels minéraux ;

Que, selon la revendication n° 6, le procédé de préparation est caractérisé en ce qu'on réalise séparément le mélange aqueux et le mélange organique et on les combine l'un à l'autre, avec un antioxydant et du chlorure de sodium, on laisse la réaction de saponification se développer à température ambiante et on règle le PH à une valeur d'environ 10,5 par adjonction d'une quantité appropriée d'hydroxyde de sodium et on ajuste la viscosité du produit obtenir en ajoutant si nécessaire du chlorure de sodium de manière à amener la viscosité de la composition à environ 85 + ou - 15 centistokes ;

Que la revendication n° 7 prévoit que l'on utilise un mélange aqueux concentré en sels minéraux et on ajoute simultanément dans la quantité appropriée l'eau de complément, le mélange organique et le mélange aqueux ainsi que l'agent antioxydant et le chlorure de sodium ;

Attendu que selon les revendications du brevet relatif à la crème à récurer et au procédé pour sa préparation, celle-ci contient, en sus des éléments constituant la composition détergente, des quantités déterminées d'eau, d'hydroxyde de sodium, d'acide alkylbenzene sulfonique, de dérivés terpéniques d'agent antibactérien, de polysiloxane, de carbonate de calcium, et de colorant ; que la demande décrit le procédé de préparation de la crème, par incorporation de la charge abrasive et par adjonction de polysiloxane de manière à assurer le dégazage de la préparation ainsi que l'homogénéité et la stabilité de la densité apparente de celle-ci ; que la demande de brevet revendique également l'ajustement du PH à une valeur de 7,95 + ou - 0,05 au moyen d'acide alkylbenzene sulfonique ;

Attendu qu'il résulte des pièces et notamment de l'expertise produite aux débats que la formule de la composition détergente énoncée à la demande de brevet n° 84 07 384 et reprise dans la demande de brevet relative à la crème à récurer correspond à celle du produit E 121 dont la société BSM reconnaît dans ses propres écritures qu'il a été mis au point par la société DRT en 1985 ;

Attendu qu'il est constant que le produit E 121 a fait l'objet, depuis 1968, d'une fabrication industrielle de la part de la société DRT ; qu'il n'est pas établi pour autant que la composition du E 121 et son procédé de fabrication étaient publiés ou accessibles au public ; que les ouvrages cités par la société BSM " Oils, detergents and maintenance specialities " de Benjamin Levitt et " Household and Automotive chemical specialities " d'Ernest Flick respectivement publiés en 1967 et 1979 n'apparaissent pas comme mettant à la disposition du public la formule et le procédé mis au point par DRT, la Cour ne trouvant pas, dans les extraits de ces ouvrages tels qu'ils sont versés aux débats des éléments susceptibles de caractériser une identité ou une similitude suffisante entre les divers produits décrits et le E 121 ;

Qu'au surplus, en réservant à un client unique sa production de ce produit, d'abord dans le cadre d'une convention d'approvisionnement exclusif, puis par le maintien, en fait, d'une relation de partenariat, la société DRT a pris des précautions suffisantes pour assurer la protection d'un produit dont l'analyse apparaît d'autant moins accessible que l'expert judiciaire n'a pu lui-même la mener à bien et que le laboratoire spécialisé auquel il a recouru a dû, pour aboutir dans ses opérations d'examen par chromatographie en phase gazeuse, employer des échantillons d'étalonnage fournis par la société DRT elle-même ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient la société BSM, la composition et le procédé de fabrication du produit 121 E constituaient un secret de fabrique de la société DRT, secret que celle-ci n'avait pas divulgué et qui n'avait pas été découvert par des procédés loyaux de recherche et d'investigation ;

Que, par ailleurs, il est justifié par la société DRT qu'au cours de ses relations commerciales avec la société Saint-Marc, elle avait été amenée à modifier le PH et la viscosité de ce produit en vue de son exportation et pour satisfaire à des conditions réglementaires locales ;

Attendu que la société BSM affirme qu'elle n'a jamais eu communication par DRT de la formule exacte du E 121 que ne donnait pas la lettre du 25 juin 1973 destinée à permettre que soient prodigués des soins adaptés à un enfant qui avait absorbé du détergent ménager par elle vendu ;

Qu'ainsi, il apparaît que ce ne peut être qu'à la faveur des relations étroites entretenues par les deux sociétés que les préposés de la société Saint-Marc MM. Boutineau et Brun, déclarés comme inventeurs, ont pu avoir connaissance de la formule chimique précise du produit E 121 dont la société Saint-Marc a demandé la protection par brevet ;

Attendu qu'en l'absence de preuve d'une divulgation et de la justification qu'un tel produit était compris dans l'état de la technique la composition détergente ayant fait l'objet de la demande de brevet du 10 mai 1984 était nouvelle à cette époque et donc brevetable ;

Que l'invention du produit ayant été faite par les chercheurs de la société DRT, il y a lieu, par application de l'article 2 de la loi du 2 janvier 1968 modifiée, de transférer à la société DRT la propriété du brevet n° 84 07 385 ;

Attendu en ce qui concerne le brevet n° 84 07 384, qu'il apparaît que l'adjonction au détergent liquide d'une poudre abrasive constituée de carbonate de calcium est un procédé banal notoirement compris dans l'état de la technique à l'époque du dépôt de la demande ; qu'il apparaît également que l'ajustement du PH comme celui de la viscosité ainsi que la stabilisation de la densité par dégazage étaient des procédés alors compris dans l'état de la technique ;

Qu'ainsi, le brevet n° 84 07 384 sera annulé ;

Attendu ainsi qu'il a été indiqué qu'au cours de la procédure d'instruction des brevets, ceux-ci ont été publiés le 15 novembre 1985, divulguant ainsi la formule du produit E 121 ;

Que cette publication a eu lieu à une époque où la société BSM était engagée envers la société DRT à une obligation d'approvisionnement exclusif en produit E 121, ce qui implique, les conventions devant être exécutées de bonne foi et obligeant non seulement à ce qui y est exprimé mais aussi à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, que la société BSM devait, dans son propre intérêt comme dans celui de sa cocontractante, considérer comme confidentielles les informations dont elle pouvait avoir connaissance et prévenir par conséquent la publication du secret ;

Attendu toutefois que si la faute de la société BSM est établie, il n'est pas justifiée que la substitution de la protection résultant du brevet à la simple possession d'un secret de fabrique ayant donné lieu à la diffusion industrielle d'un produit nettoyant de grande consommation depuis près de 25 ans soit génératrice d'un dommage pour la société DRT ; qu'aucune indemnité ne saurait lui être allouée à ce titre ;

Que toutefois, si la société DRT est dans le principe fondée à obtenir le versement des revenus procurés par l'exploitation de ce brevet, ce qui justifie la demande d'expertise qu'elle présente, elle n'y a d'intérêt que pour les sommes qui excéderaient celles auxquelles elle sera jugée fondée à prétendre en raison de la violation, par la société BSM, de ses obligations contractuelles ;

V- Sur la concurrence déloyale imputée à la société DRT par la société BSM :

V- a) La faute :

Attendu qu'il est constant qu'après la rupture des relations contractuelles des deux sociétés, la société DRT a entrepris de commercialiser successivement sous les dénominations de " Saniterpen Ménage " puis " Le Vrai Ménage ", un produit issu du 121 E, directement concurrent du " Saint-Marc Ménage " alors produit et commercialisé par la société BSM ;

Que la société BSM, dans le principe d'autant moins fondée à imputer à faute à la société DRT la distribution d'un tel produit qu'elle l'a explicitement autorisée par son télex du 9 février 1987 indiquant " nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que vous distribuiez par ailleurs le 121 E ", et qu'au surplus elle-même n'a pu poursuivre la distribution de produits issus du 121 E ou de toute formulation comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras de tall-oil qu'au prix d'une violation délibérée de ses obligations contractuelles laquelle violation ne peut faire naître de droit à son bénéfice ;

Attendu toutefois qu'il est constant que la société DRT a accompagné l'effort de commercialisation de son produit de la dénonciation de " la mainmise sur cette société par un groupe allemand " et du " repreneur étranger " de la société Lessives Saint-Marc, mettant ainsi en cause, selon une acception péjorative, la nationalité et le comportement de la société BSM, le terme de mainmise évoquant un accaparement réalisé selon les procédés irréguliers;

Qu'au surplus, la société BSM a été comparée à Goliath, personnage fort et antipathique, luttant contre un David plus faible, mais défendant une cause juste auquel est identifiée la société DRT; que si certaines de ces imputations ont été faites par voie de presse, l'absence de tout démenti de la société DRT à celles-ci fait présumer qu'elles ont été formulées suivant ses propres suggestions ;

Qu'enfin, la société DRT a fait savoir que le produit qu'elle commercialisait était le seul à contenir la véritable formule de l'ancien Saint-Marc Ménage, dont il était l'héritier, la société BSM ne commercialisant plus qu'un " ersatz " ; que ces imputations, renforcées par l'emploi du vocable allemand aux lieu et place du mot français succédané, faisant écho à l'imputation de mainmise d'un repreneur allemand sur une société française et rappelant de surcroît aux personnes qui l'ont vécue les souvenirs de la période d'occupation de la France par l'armée du IIIe Reich pendant la Deuxième Guerre Mondiale, sont constitutives de dénigrement;

Que sur ces différentes imputations, la faute de la société DRT est caractérisée ;

Que, quelle qu'ait pu être la faute de la société BSM dans la rupture du contrat du 12 septembre 1984, la société DRT qui avait, dès ce moment, la faculté de distribuer elle-même un produit issu du E 121, n'était pas, pour ce faire, fondée à dénigrer son adversaire, la légitime défense invoquée, si elle pouvait excuser une réplique immédiate et proportionnée, ne pouvant exonérer de sa responsabilité l'auteur d'un comportement fautif répété pendant une longue période de temps;

Attendu, par ailleurs, que s'il n'est pas contesté que la société DRT a commercialisé son produit à un prix et à des conditions plus avantageux que ceux auxquels la société BSM distribuait ses propres produits, rien n'établit le caractère fautif d'une telle pratique, la disparité des prix et des conditions de ventes proposés par des concurrents n'étant pas, en elle-même, révélatrice d'une faute;

Attendu qu'il est prétendu et non contesté que la société DRT commercialise son produit dans un emballage d'une forme très voisine de celle du bidon de " Saint-Marc Ménage ", avec un emballage très proche et une notice quasiment identique;

Attendu qu'il apparaît que le conditionnement en flacons de deux produits nettoyants impose par ses contraintes techniques et d'utilisation, des similitudes d'emballage qui ne peuvent être tenues pour des imitations fautives, dès lors qu'il n'apparaît pas que l'un des emballages reprend un élément caractéristique de l'autre qui ne soit commandé par cet usage spécifique;

Qu'à cet égard, ne peut être considérée comme une imitation fautive l'utilisation d'un flacon oblong, forme très répandue parmi les produits nettoyants, à la partie supérieure duquel se trouve l'orifice de celui-ci et sur le côté duquel a été ménagée une poignée en permettant une prise aisée; que d'ailleurs, exception faite de son bouchon, le flacon de " Saint-Marc au Pin des Landes " s'inscrit dans un trapèze alors que le flacon de Saniterpen dont les côtés ne sont ni rectilignes ni symétriques s'inscrit dans une forme géométrique différente ; que si les étiquettes des deux flacons représentent chacune un carrelage étincelant, de couleur verte, ainsi qu'une pigne et quelque aiguilles de pin, et une combinaison de couleurs verte, rouge, jaune, bleue et blanche, et si elles ont une forme irrégulière pour ménager l'espace de la poignée, l'aspect d'ensemble est différent, le regard étant pour l'essentiel attiré dans un cas par la pigne et les aiguilles de pin ainsi que le mot " Saniterpen " en lettres blanches ourlées de vert sur fond rouge et, dans l'autre cas, par une figure d'angelot rieur maniant une éponge et par la marque " Saint-Marc " en lettres rouges sur fond blanc ;

Qu'ainsi, en dépit de similitudes de détail, l'aspect d'ensemble des flacons en cause ne présente aucune véritable ressemblance et n'apparaît pas susceptible de créer un risque de confusion pour un acheteur normalement attentif;

Que la comparaison des flacons du produit " Le Vrai " distribué par la société DRT avec le " Saint-Marc Ménage au pin des Landes " si elle conduit à constater les similitudes de détail dans la forme oblongue du flacon, la présence d'une poignée, l'utilisation combinée des couleurs rouge, verte, bleue, jaune-orangée et blanche, l'utilisation de la couleur rouge pour la marque, révèle néanmoins une absence de ressemblance d'ensemble, le regard étant attiré par la représentation de la pigne, des aiguilles de pin et des mots " Le Vrai Ménage " sur fond de carrelage vert dans un cas et par celle d'un angelot rieur maniant une éponge et des mots " St Marc Ménage " dans l'autre, en sorte qu'il n'apparaît pas qu'il existe, entre ces emballages, un risque de confusion pour un acheteur normalement attentif;

Qu'en cet état, il importe peu que les notices d'utilisation des produits soient identiques, rien n'établissant que le choix d'un produit par le consommateur s'effectue davantage au vu de sa notice d'utilisation qu'en fonction de son emballage et de sa marque ;

V- b) Le préjudice :

Attendu que la société BSM soutient que les fautes qu'elle impute à la société DRT ont entraîné pour elle une diminution de 30 % de ses ventes de " Saint-Marc Ménage " pour la période de juillet à décembre 1987 par rapport à la période correspondante de 1986 ; que la Cour a vainement recherché la justification d'une telle affirmation que ne peut accréditer ni le document manuscrit intitulé " Evaluation des dommages et intérêts Benckiser " daté du 20 juin 1989, ni les photocopies mal lisibles paraissant intitulées " collectivités Saint-Marc Ménage " et " food nettoyant ménager pin " ;

Qu'ainsi, à défaut de preuve du principe sinon de l'étendue du préjudice financier allégué qui fait obstacle à l'organisation de l'expertise sollicitée, seule apparaît fondée la demande présentée par la société BSM tendant à obtenir que soit interdit, sous astreinte, à son adversaire, d'user de tout procédé de dénigrement ;

VI- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que la présente décision ne vidant pas l'ensemble du litige, il sera sursis sur l'imputation de la charge des dépens et, par conséquent, sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Joignant les appels, Déclare pour l'essentiel mal fondés les appels de la société Benckiser Saint-Marc contre les jugements rendus le 29 novembre 1988 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux et le 9 décembre 1988 par le Tribunal de commerce de Bordeaux, Confirme ces jugements en ce qu'ils ont : - constaté que Lessives Saint-Marc Groupe Benckiser en réalité la société Benckiser Saint-Marc a rompu unilatéralement les relations contractuelles existant entre elles et la société Dérivés Résiniques et Terpéniques, - annulé le brevet n° 84 07 384 déposé le 10 mai 1984 à l'institut national de la propriété industrielle pour une crème à récurer, - fait interdiction à la société Dérivés Résiniques et Terpéniques de recourir à des procédés de dénigrement de la société Benckiser Saint-Marc et de publicité comparative, Les réformant pour le surplus et y ajoutant, - dit que le brevet n° 84-07 381 déposé le 10 mai 1984 à l'institut national de la propriété industrielle appartient à la société Dérivés Résiniques et Terpéniques, - dit que l'interdiction de recourir à des procédés de dénigrement envers la société Benckiser Saint-Marc et de publicité comparative est faite à peine d'une astreinte de 10 000 F par infraction constatée, - déboute la société Benckiser Saint-Marc de sa demande d'indemnité pour concurrence déloyale, Avant dire droit sur les demandes indemnitaires de la société Dérivés Résiniques et Terpéniques, Ordonne une expertise, Commet pour y procéder M. Jean-Jacques Paquier, 4, place Léon Duguit, 33031 Bordeaux lequel aura pour mission, les parties dûment convoquées ayant été entendues, et après s'être fait remettre tous documents par lui estimés utiles à l'accomplissement de sa mission, en quelques mains qu'ils se trouvent, 1) de fournir à la Cour tous éléments de nature à permettre d'évaluer le préjudice subi par la société DRT du fait de l'infraction par la société BSM à la clause lui interdisant de participer directement ou indirectement à la fabrication et à la diffusion tant en France qu'à l'étranger de produits comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras du tall-oil, De déterminer, pour la période du 1er avril 1987 au 12 septembre 1989, ce qu'ont été les besoins de la société BSM en produit E 121 ou en produit similaire, savoir toute formulation comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras du tall-oil pour assurer la fabrication et la vente de ses différents produits nettoyants et rechercher, à partir de ces indications, le manque à gagner qui, pour cette période, en est résulté pour la société DRT, 2) de déterminer, pour la période du 12 septembre 1994, l'importance des achats de la société BSM en produit E 121 ou similaire et rechercher, à partir de la comparaison entre les prix pratiqués par la société DRT et ceux pratiqués sur le marché européen pour des quantités identiques, le manque à gagner de la société DRT eu égard au pacte de préférence dont elle bénéficiait à hauteur de 80 % des achats faits par la société BSM, 3) de déterminer, pour la période du 12 septembre 1989 au jour de l'expertise et, au plus tard, le 12 septembre 1994, les quantités de produits commercialisés par la société BSM et obtenus à partir du produit E 121 ou de toute formulation comportant des dérivés terpéniques et/ou des tensioactifs dérivés d'acides gras du tall-oil et calculer pour la même période la redevance due à la société DRT à raison de 0,10 F par kilogramme de produit commercialisé, le montant de 0,10 F étant revalorisé au 1er janvier de chaque année suivant l'évolution du prix moyen hors taxes au kilogramme de produit commercialisé appliqué par la société BSM durant l'année civile précédente, 4) de déterminer pour la période du 10 mai 1984 au jour du présent arrêt le montant des revenus procurés à la société BSM par l'exploitation du brevet n° 84 07 384, Dit que la société Dérivés Résiniques et Terpéniques consignera à la régie d'avances et de recettes de la Cour d'appel la somme de 100 000 F à titre de provision à valoir sur les frais d'expertise dans les deux mois du prononcé du présent arrêt, Dit que l'expert, qui pourra de faire assister de tout technicien d'une spécialité distincte de la sienne, dressera rapport de ses opérations et le déposera au greffe de la Cour d'appel dans le délai d'une année après sa saisine, Réserve les dépens.