Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch., 10 février 1993, n° 502-88

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Doare

Défendeur :

Colaert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

MM. Roy, Froment

Avoués :

Mes D'Aboville, Brebion

Avocats :

Me Hug, SCP Wedrychowski, associés.

T. com. Quimper, du 8 juill. 1988

8 juillet 1988

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé intitulé " bail commercial " en date du 12 mars 1981, M. Colaert a loué à MM. Le Bras et Le Doare agissant solidairement un fonds de commerce de restaurant-bar-discothèque sis à Cercottes (Loiret), moyennant un loyer annuel HT de 300.000 F, la prise de possession étant fixée au 1er avril 1981 et étant précisé que les deux premiers mois étaient gratuits.

Il est constant en fait qu'au bout de quelques semaines, M. Le Doare a quitté les lieux de son propre chef et sans entreprendre aucune démarche près du propriétaire, alors que M. Le Bras poursuivait seul l'exploitation jusqu'en décembre 1981, époque à laquelle il a abandonné à son tour le fonds à l'insu de M. Colaert qui en a repris possession le 2 mars 1982, la liquidation des biens de M. Le Bras ayant été prononcée par jugement du Tribunal de Commerce d'Orléans du 28 avril 1982 tandis que M. Le Doare, qui avait fait l'objet de la même mesure, a ensuite obtenu son infirmation par arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 16 décembre 1983.

Par acte d'huissier du 2 avril 1984, M. Colaert a assigné M. Le Doare en paiement de la somme de 264.000 F représentant l'arriéré des loyers dûs jusqu'au 2 mars 1982 au titre du bail du 12 mars 1981.

Par jugement du 18 septembre 1986, le Tribunal d'Instance de Châteaulin, dont dépend le domicile du défendeur, a requalifié le contrat en location-gérance et s'est en conséquence déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Quimper.

Le Greffe d'instance n'ayant apparemment pas transmis le dossier à cette dernière juridiction, M. Colaert l'a saisie par voie de nouvelle assignation délivrée à M. Le Doare le 28 janvier 1988 et dans laquelle il a repris, outre sa demande précitée de loyers, une demande en paiement des marchandises livrées lors de la prise de possession et du matériel manquant au moment de la reprise des lieux, déjà formulée devant cette même juridiction par acte d'huissier du 2 avril 1984 mais atteinte par la péremption, soit un total réclamé de 354.294,62 F.

Par jugement du 8 juillet 1988, le Tribunal de Commerce de Quimper, rejetant les divers moyens de procédure opposés par le défendeur et écartant aussi la demande au titre des matériels manquants, a condamné M. Le Doare à payer à M. Colaert la somme de 274.771,92 F avec intérêts, outre 3.000 F pour frais non taxables.

Selon déclaration du 8 septembre 1988, M. Le Doare a régulièrement interjeté appel de ce jugement, non encore signifié à cette date.

PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions du 24 février 1989, M. Le Doare fait de nouveau valoir, d'une part que la demande en paiement de loyers du 2 avril 1984 est atteinte par la péremption et qu'en conséquence celle que M. Colaert a réintroduite le 28 janvier 1988 est prescrite, d'autre part sur le fond que M. Colaert n'a pu délivrer la licence IV de débit de boissons constituant un élément essentiel du fonds de commerce de sorte que lui même est en droit de solliciter la résiliation du contrat pour défaut d'exécution et que, de toute manière, il est établi par une procédure pénale que c'est M. Le Bras seul qui a enlevé le matériel dont l'absence a été constatée le 2 mars 1982, d'où il suit qu'il ne doit rien et que M. Colaert est en revanche tenu de lui restituer l'avance de 100.000 F versée lors de la signature du bail et de lui payer 50.000 F pour procédure abusive et 15.000 F pour frais non taxables.

Selon ses conclusions du 26 septembre 1991, M. Colaert, discutant l'ensemble des moyens et prétentions de M. Le Doare, demande la confirmation du jugement quant aux condamnations prononcées à son profit et, par voie d'appel incident, reprend sa demande en paiement de la valeur des matériels manquants pour 79.522,70 F en indiquant que son locataire n'établit aucun fait justificatif de nature à l'exonérer de la responsabilité qu'il doit contractuellement assumer à ce titre à son égard, soulignant par ailleurs que la demande de M. Le Doare tendant à la résiliation du bail pour inexécution constitue une prétention nouvelle irrecevable en appel et de toute manière mal fondée.

En outre et sur la demande expresse de la Cour, il est justifié de ce que la mesure de liquidation de biens prise par le Tribunal de Commerce d'Orléans à l'encontre de M. Colaert en même temps que de M. Le Bras a également été infirmée par la Cour d'Orléans selon arrêt du 9 novembre 1983, de sorte que cette partie dispose effectivement de sa capacité d'ester en justice.

DISCUSSION

Considérant, sur la procédure d'appel, qu'il y a lieu de constater que M. Colaert a continué de conclure postérieurement à l'ordonnance de clôture du 22 octobre 1992, alors que les écritures de M. Le Doare du 20 octobre 1992 ne contenaient aucune prétention nouvelle et ne faisaient que reprendre celles du 24 février 1989 évoquant déjà très clairement en leur quatrième page la demande de " réalisation " de la location pour défaut de délivrance de la licence IV et la restitution de l'avance sur loyers de 100.000 F, M. Colaert ayant eu tout loisir de répondre à ces premières conclusions de son adversaire et l'ayant d'ailleurs fait le 26 septembre 1991.

Que néanmoins, pour faire reste de droit à l'intimé, seront rejetées des débats tant les écritures de M. Le Doare du 20 octobre 1992, trop proches de l'ordonnance de clôture pour permettre une réplique utile, que celles postérieures de M. Colaert lui-même.

Considérant que la Cour observera par ailleurs que les demandes précitées de résiliation de contrat et de restitution d'avance, qu'elles fussent regardées comme des prétentions nouvelles destinées à faire écarter les demandes adverses en paiement ou opposer compensation, ou comme des demandes reconventionnelles, sont recevables pour la première fois en appel aux termes des articles 564 et 567 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant au fond, en ce qui concerne les loyers, que M. Le Doare ne peut raisonnablement méconnaître s'être engagé solidairement avec M. Le Bras à exécuter les obligations mises à sa charge par la convention synallagmatique du 12 mars 1981, requalifiée en contrat de location-gérance par le jugement sur la compétence du 18 septembre 1986 rendu dans la présente instance et ayant sur ce point autorité de chose jugée selon l'article 95 du nouveau Code de procédure civile.

Que sa décision unilatérale d'abandonner les lieux au bout de quelques semaines, sans même en aviser son cocontractant M. Colaert, est de toute manière inopposable à ce dernier et ne saurait le dispenser de ses obligations envers lui jusqu'à la reprise effectuée du fonds par ledit propriétaire, intervenue le 2 mars 1982 sous contrôle d'huissier ;

Considérant par ailleurs que les premiers juges ont exactement retenu que la demande en paiement des loyers n'était ni périmée, ni consécutivement prescrite, dès lors qu'il s'agissait d'une seule instance introduite le 2 avril 1984 soit avant l'acquisition de la prescription quinquennale, valablement poursuivie jusqu'au jugement sur la compétence du 18 septembre 1986, puis réintroduite devant la juridiction désignée par assignation du 28 janvier 1988, soit moins de deux ans plus tard, en raison de la carence du Greffe du premier tribunal à se conformer aux prescriptions de l'article 97 du nouveau Code de procédure civile, ce que le demandeur ne pouvait pallier autrement ;

Considérant en revanche que M. Le Doare est fondé à invoquer le défaut de délivrance par M. Colaert de la licence IV attachée au fonds de commerce expressément mentionnée au 2° de la description des biens loués figurant au contrat du 12 mars 1981, et qu'il est à cet égard inopérant que le propriétaire ait été ou non de bonne foi, en ignorant en particulier que son précédent locataire avait laissé périmer cet élément faute d'exploitation, cette péremption étant en fait acquise avant la date de la convention susvisée ;

Que cette non délivrance matériellement établie et d'ailleurs non contestée de l'un des éléments du fonds loué n'a certes pas été de nature à empêcher toute exploitation de ce fonds, de sorte que la résolution (et non la " résiliation ") pour inexécution totale n'est pas encourue, maisqu'elle a rendu ladite exploitation moins lucrative en prohibant la vente de boissons alcoolisées dans le bar-discothèque et qu'elle doit dès lors entraîner corrélativement une réduction du loyer dans une proportion que la Cour estime devoir fixer à 25 % eu égard en particulier à l'importance de cet élément.

Qu'en conséquence, le décompte de loyer réclamé par M. Colaert pour un montant de 264.600 F n'étant pas autrement discuté, la somme due par M. Le Doare s'élève ainsi à 198.450 F ;

Considérant en outre que M. Le Doare souligne avec raison qu'ainsi que le mentionne le contrat, une somme de 100.000 F a été versée lors de sa conclusion à M. Colaert à titre de dépôt de garantie pour sûreté de l'exécution de ses obligations et qu'il est donc fondé à la déduire de sa dette précitée, soit un solde de 98.450 F ;

Considérant, en ce qui concerne les marchandises reprises par les locataires lors de la prise de possession des lieux, que M. Le Doare, qui était alors présent et les a donc effectivement reçues, ne formule aucune critique utile quant à leur consistance ou à leur valeur et qu'il doit donc à M. Colaert la somme arrondie de 10.172 F par lui réclamée à ce titre ;

Qu'il sera néanmoins observé que les intérêts n'en sont dus qu'à compter de la seconde assignation du 28 janvier 1988, la première assignation introduite de ce chef devant le Tribunal de Commerce en 1984 étant atteinte par la péremption ainsi que l'avait constaté cette juridiction sur la demande de M. Le Doare.

Considérant, sur les matériels manquants au 2 mars 1982, jour de la reprise de possession des lieux par M. Colaert, qu'il ressort à suffire de l'information pénale diligentée sur plainte de ce dernier que lesdits matériels ont été volontairement et subrepticement emportés par M. Le Bras, qui a loué à cet effet un petit camion, lorsqu'il a lui-même abandonné l'exploitation du fonds et qu'il en a revendu à son profit une notable partie en Bretagne ainsi que l'ont établi les multiples investigations de la police judiciaire et de la gendarmerie, desquelles il résulte en revanche que M. Le Doare est totalement étranger à ces faits ;

Que la solidarité civile contractée par ce dernier ne saurait le rendre personnellement responsable des agissements délictueux d'une personne dont il n'est ni coauteur, ni complice, ni receleur, ni commettant et qu'il y a donc lieu d'admettre en la circonstance, ainsi que l'on fait les premiers juges, que M. Le Doare établit à suffire que les pertes ont eu lieu sans sa faute et qu'il est dispensé d'en répondre en application de l'article 1732 du Code civil ;

Qu'en conséquence le jugement sera confirmé sur ce point ;

Considérant qu'eu égard à la succombance respective des parties sur les divers points du litige, aucune d'elles n'est fondée à reprocher à l'autre un abus de procédure ou de résistance ;

Que de même, l'équité ne commande pas dans ces circonstances d'accorder à l'une ou à l'autre le remboursement de frais non taxables ;

Qu'il y a lieu enfin de partager par moitié entre elles l'ensemble des dépens du procès ;

Par ces motifs : Prononce d'office l'irrecevabilité des conclusions déposées par les parties les 20, 27 octobre et 4 novembre 1992. Au fond, faisant partiellement droit à l'appel et réformant le jugement déféré, condamne M. Lucien Le Doare à payer à M. François Colaert pour les causes sus énoncées la somme de 108.622 F, avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 1984 sur 98.450 F et à compter du 28 janvier 1988 sur la totalité de la somme due. Déboute les parties de toutes autres demandes. Faisant masse des dépens de première instance et d'appel, condamne chacune des parties à en payer la moitié et autorise Me D'Aboville de Moncuit et Mes Chaudet-Brebion, avoués, à recouvrer dans cette mesure ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.