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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 17 février 1993, n° 5373-91

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alesis (Sté)

Défendeur :

Numéra (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Briottet, Vigneron

Avoués :

SCP Faure Arnaudy, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Weil Heinz, Dubary.

T. com. Paris, 3e ch., du 24 oct. 1990

24 octobre 1990

Par jugement du 24 octobre 1990, le Tribunal de Commerce de Paris :

- a condamné la société de droit américain Alesis à payer à la SARL Numéra les sommes de 350.000 F et 250.000 F correspondant à la réparation du manque à gagner et du préjudice commercial, que cette dernière avait subi du fait de la rupture intempestive par la société Alesis du contrat de distribution exclusive liant les parties, lequel portait sur des instruments de production musicale ;

- a condamné la société Alesis à payer à la SARL Numéra 9.000 F au titre des frais irrépétibles.

La société Alesis a interjeté appel ;

- Elle dénie qu'il y ait contrat de concession, la SARL Numéra n'étant selon elle qu'un revendeur agréé ;

- Elle ajoute subsidiairement qu'un préavis suffisant avait été donné, caractérisé par trois mises en garde d'octobre 1988, janvier 1989 et mars 1989, alors que la rupture devait intervenir le 7 juillet 1989 ;

- Elle souligne à cet égard que des défaillances réitérées de la SARL Numéra en étaient la cause : défaut d'augmentation du chiffre d'affaires, inobservation des conditions de paiement ;

- Très subsidiairement, elle conteste qu'un manque à gagner soit prouvé, notamment quant à de prétendues commandes non honorées, et soutient que le calcul de la marge brute reposait sur des bases purement supposées, ce point, à tout le moins, nécessitant une mesure d'expertise ;

L'appelante estime donc injuste la procédure engagée et sollicite le paiement de ses frais irrépétibles évalués à 50.000 F.

La SARL Numéra conclut à la confirmation du jugement entrepris à l'exception du chef concernant le préjudice commercial dont elle entend voir élever le montant à la somme de 500.000 F ;

- Elle requiert également 60.000 F de frais irrépétibles ;

- Développant son argumentation, elle insiste sur la réalité d'une concession exclusive établie, non seulement par de nombreux témoignages émanant des employés de la société Elis, mais encore et surtout, par le fait qu'aucune autre société qu'elle même n'avait distribué en France les produits de la société Elis durant la période de leurs relations de 1986 à 1989 ;

- Elle relève l'absence d'intention claire de rompre le contrat et d'indication de date qui marquait les mises en garde invoquées, en déduisant qu'il y avait là une situation insusceptible de constituer un préavis valable ;

- Elle répond encore que les conditions de paiement pouvaient être aménagées sans porter atteinte à la société Alesis, et que l'augmentation contenue du volume d'affaires s'expliquait par des livraisons incomplètes et mal adaptées lesquelles traduisaient une volonté certaine d'écouler des surplus ;

- Par ailleurs, relativement aux dommages-intérêts, elle revendique leur évaluation sur la base d'une marge brute de 31,41 % calculée par l'expert-comptable de son entreprise, puisque ces frais généraux et dépenses avaient continué de courir, en particulier, le loyer du local servant à la réparation et au stockage, les salaires du personnel et des indemnités de licenciement consécutives ;

- Elle précise que c'était sa marge nette qui était de 9,22 % ;

- Elle ajoute que le chiffre d'affaires traité avec la société Alesis représentait 50 % du sien propre.

Cependant elle ne forme pas appel incident relativement au manque à gagner mais du chef du préjudice commercial, soutenant à cet effet que la rupture avait lourdement touché sa crédibilité commerciale ;

La société Alesis réplique que la SARL Numéra n'avait jamais protesté contre les livraisons incomplètes ou mal adaptées, et que, pas davantage elle ne justifiait maintenant que le local et le personnel soient affectés à ses seuls produits ; Elle souligne qu'en première instance la SARL Numéra avait avancé un taux de marge brute de 9,22 % et que ce chiffre avait été admis ; " compte tenu des usages de la profession " ;

Sur quoi

Considérant que le contrat de concession exclusive est de nature consensuelle, et se forme par simple échange de consentements ;

- Que s'agissant de relations commerciales, la preuve est libre ;

- Qu'il résulte des documents versés aux débats, notamment des courriers de mise en garde et de dénonciation, que la société Alesis tenait la SARL Numéra pour distributeur exclusif et non simple revendeur agréé ;

- Qu'elle écrivait :

" Le 10 octobre 1988 " : " J'espère recevoir mardi votre commande totalement révisée qui doit comprendre un doublement de la commande d'octobre et de la mise en commande des appareils non commandés... si vous regardez vos achats à Alesis au cours des douze derniers mois, vous remarquerez une nette chute des achats qui ne se retrouve dans aucun autre pays européen " ;

" Le 7 juin 1989 " : " Nous devons discuter de l'avenir de la distribution des produits Alesis en France au salon NAMM à Chicago " ;

" Le 7 juillet 1989 " : " Je dois vous informer que avec effet immédiat, vous cessez d'être distributeur en France ".

- Que, sans doute, la société Alesis prétend qu'au cours du salon de Chicago, Monsieur Lecoq, animateur de la SARL Numéra, aurait avoué qu'aucun contrat de distribution exclusive n'existait entre les deux sociétés ;

- Qu'il reste que cette déclaration est incertaine ;

- Qu'elle n'a été consignée qu'aux termes d'attestations fournies en cours de procès, par les Président et Directeur de la société Alesis ;

- Qu'elle s'avère démentie par l'importance des travaux intensifs menés par la société Numéra pour la promotion du produit et la soumission de cette dernière aux exigences de la société Alesis, ce durant près de trois années ;

- Qu'il y a donc bien contrat de concession exclusive ;

Considérant que, par application du droit commun des obligations, le contrat de concession de vente, conclu sans détermination de durée, peut être librement résilié par l'une ou l'autre des parties, sauf à respecter un préavis suffisant;

- Qu'un délai de six à dix mois est estimé raisonnable;

- Que des avertissements adressés au concessionnaire sur ses mauvais résultats, même conjugués à des difficultés dans les paiements ne sauraient dispenser le concédant de respecter ce délai, en l'absence de faute particulièrement grave et patente au concessionnaire;

- Qu'en l'espèce la dénonciation a été faite avec effet immédiat;

- Que s'il est vrai qu'elle a été précédée d'avertissements, ceux-ci n'évoquaient aucune intention de rupture définitive et n'impartissaient aucun délai;

- Que la longue réflexion de la société Alesis montre, en tant que de besoin, que les défaillances reprochées à la SARL Numéra ne revêtait aucune gravité dirimante ;

- Qu'au jour de la dénonciation le compte de la SARL Numéra était exempt de toute dette à l'égard de la société Alesis ;

- Que la progression du chiffre d'affaires était constante ;

- Que c'est seulement par rapport aux autres pays européens que la société Alesis la trouvait insuffisante ;

- Qu'il suit que la rupture a été intempestive de la part de la société Alesis;

Considérant, pour ce qui est de l'indemnisation du distributeur que l'usage est de l'établir sur le manque à gagner direct, en termes de marge ;

- Que la marge brute comprend le bénéfice du concessionnaire et la couverture de ses frais généraux ;

- Que le cas échéant peut s'adjoindre à cette marge l'indemnisation de l'atteinte portée au travers de la clientèle dont le concessionnaire n'a pu satisfaire la demande, cette indemnisation compensant le préjudice dit " commercial " ;

- Qu'en l'espèce le principe d'application d'une marge brute n'est pas contesté, mais seulement les bases de son calcul ;

- Que le jugement entrepris a estimé que la SARL Numéra a été privé d'une marge brute légitimement escomptée de neuf mois environ et l'a calculée sur l'activité de l'exercice 1988, (compte tenu d'une croissance constante) qu'il affectait d'un taux de 9,22 % ;

- Que la société Alesis n'a pas dénié que cette activité de la SARL Numéra se chiffrait à 4.966.000 F ;

- Que, pas davantage elle n'oppose d'objection sérieuse de la réalité des frais généraux allégués et justifiés ;

- Que de son côté, la SARL Numéra n'a pas formulé d'appel incident sur la marge brute dégagée par les premiers juges ;

Considérant que la marge brute adoptée au taux de 9,22 % correspond à sa définition et aux éléments du dossier ;

- Que la durée de neuf mois qui tient compte de la circonstance particulière que des commandes avaient été annulées par la société Alesis antérieurement à la lettre de dénonciation a toutefois été appréciée de façon trop large ;

- Que l'annulation des commandes n'est manifeste qu'à compter du 7 juin 1989 ;

- Que cette durée sera donc ramenée à sept mois ;

- Que l'indemnisation de marge brute sera en conséquence réduite à la somme de 270.000 F ;

Considérant que le préjudice commercial est certain ;

- Que le volume important des ventes fait avec les produits de la société Alesis justifie l'évaluation des premiers juges à la somme de 250.000 F ;

- Qu'aucun élément nouveau ne permet de réduire ce montant ;

Considérant que la société Alesis qui succombe pour l'essentiel supportera les dépens et les frais irrépétibles d'appel exposés par la SARL Numéra évalués à 15.000 F.

Par ces motifs : Statuant contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris, sauf à ramener le montant du préjudice concernant le manque à gagner à la somme de 270.000 F.