Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch., 28 avril 1993, n° 92000005

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Crouzet (ès qual.), Becker

Défendeur :

VAG France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biecher

Avocat général :

Mme Paris

Conseillers :

MM. Suquet, Roux

Avoués :

SCP Rodon, SCP Piault-Carraze

Avocat :

Me Mallasagne.

T. com. Dax, du 1er oct. 1991

1 octobre 1991

Par acte en date du 10 avril 1985, Maître Crouzet, agissant en qualité de syndic au règlement judiciaire de Mme Maud Becker née Drault et Mme Maud Becker ont assigné devant le tribunal de commerce de Dax la SA VAG France à l'effet de la voir déclarer responsable de la déconfiture du garage Drault et condamnée à assumer l'ensemble du passif en résultant.

Par ailleurs, la SA VAG France, qui n'avait été admise au rang des créanciers chirographaires que pour 1 franc à titre provisoire alors qu'elle avait produit le 3 août 1984 pour un montant de 3 822 230,21 F a sollicité son admission définitive pour le montant de la créance produite.

Par jugement en date du 25 juillet 1989 le tribunal de commerce de Dax a ordonné la jonction de ces deux procédures et ordonné, avant faire droit sur le tout, une mesure d'expertise confiée à M. Cazaux.

M. Cazaux ayant déposé son rapport en juin 1990, le tribunal de commerce de Dax a, par décision du 1er octobre 1991 :

- débouté Maître Crouzet, en qualité, et Mme Becker de leurs demandes à l'encontre de la SA VAG France,

- admis la SA VAG France au passif du règlement judiciaire de Mme Becker pour la somme de 3 822 230,21 F à titre chirographaire,

- condamné Maître Crouzet en qualité et Mme Becker au paiement à la SA VAG France de la somme de 6 000 F sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Mme Crouzet, en qualité, et Mme Becker ont, par acte du 22 novembre 1991 relevé appel de cette décision en sollicitant, au terme de leurs dernières conclusions :

- que la SA VAG France soit déclarée responsable de la faillite de Mme Becker et soit condamnée à payer à Me Crouzet en qualité, la somme de 12 435 093,22 F à titre légal à compter du jour de l'assignation et capitalisation des intérêts échus,

- que la SA VAG France soit également condamnée, outre à rembourser à Me Crouzet, en qualité, les frais de procédure déjà avancés, la somme de 60 000 F sur le fondement de l'art. 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour sa part, la SA VAG France, en concluant principalement à la confirmation du jugement dont appel et au débouté consécutif de Me Crouzet, en qualité, et de Mme Becker de l'ensemble de leurs prétentions, sollicite subsidiairement que soit ordonnée, en cas de condamnation, la compensation entre les dettes et créances connexes.

Enfin, la SA VAG France demande que lui soit allouée la somme de 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 octobre 1992 et le Ministère Public a visé la procédure le 19 janvier 1993.

Sur quoi LA COUR :

Attendu que des faits constants de la cause tels qu'ils ressortent de l'exposé qu'en ont fait les parties dans leurs écritures, des documents versés aux débats et de l'expertise réalisée par M. Cazaux, il résulte :

- que Mme Becker a pris en location-gérance à compter du 11 juillet 1979 un fonds de commerce de garage qui bénéficiait depuis 1966, sous la direction personnelle de M. Drault, de contrats successifs de concession automobile consentis par la SA VAG France,

- que la SA VAG France a consenti à Mme Becker, par contrats annuels successifs, en 1980, 1981, 1982, 1983, la concession de la vente de ses automobiles,

- que pour l'année 1984, seules ont été rédigées des lettres d'intention dans l'attente de la constitution d'une société se substituant, pour l'exploitation du garage Drault, à la location-gérance assurée par M. Becker,

- que par lettre du 2 mai 1984, la SA VAG France a indiqué à Mme Becker qu'elle mettait fin, à compter du 6 juin 1984, à leurs relations commerciales et que celle-ci s'est déclarée le même jour en état de cessation des paiements,

- que par jugement en date du 9 mai 1984, le tribunal de commerce de Dax a admis Mme Becker au bénéfice de la procédure du règlement judiciaire en fixant la date de cessation des paiements au 1er février 1983 ;

Attendu que Me Crouzet, en qualité et Mme Becker font valoir à l'appui de leur appel que la SA VAG France a gravement engagé sa responsabilité vis à vis de l'ensemble des créanciers de son concessionnaire :

- en agréant, en toute connaissance de cause, Mme Becker alors que celle-ci ne remplissait aucune des conditions préalables requises pour être concessionnaire,

- en soutenant artificiellement son concessionnaire, par l'octroi d'un crédit-fournisseur, alors que celui-ci était en état de cessation des paiements depuis l'origine et à tout le moins depuis septembre 1982 dans l'unique but d'écouler le plus grand nombre de sa force de vente, afin d'écouler le plus grand nombre de produits de sa marque jusqu'à l'épuisement patrimonial et moral de M. et Mme Becker,

- en n'usant pas de la clause résolutoire acquise au cours de chaque exercice contractuel,

- en ne dénonçant pas chaque contrat à son terme annuel, alors que cette faculté lui était réservée sans faute,

- en proposant, 4 années de suite, la signature d'un nouveau contrat alors que les conditions de son obtention n'étaient pas remplies et les conditions de sa rupture immédiate étaient déjà acquises avant même qu'il ne soit signé,

- en rompant brutalement le crédit-fournisseur sans lequel l'exploitation n'était pas viable et en posant des conditions qu'elle savait irréalistes et impossibles à tenir pour poursuivre ses relations commerciales,

- en abusant de son droit en exigeant brutalement l'application de clauses contractuelles alors qu'avant de signer le contrat, elle savait que Mme Becker ne pouvait pas répondre aux exigences de ce contrat,

- en privant brutalement l'entreprise de toutes ressources commerciales et financières et en exigeant des organismes bancaires qu'ils respectent leurs engagements de caution à son profit ;

Attendu que la SA VAG France fait plaider pour sa part :

- qu'elle ne s'est nullement immiscée de manière importante et habituelle dans la gestion quotidienne du garage Drault,

- qu'il n'y a jamais eu société de fait entre elle-même et ce concessionnaire ni non plus novation de ce contrat de concession,

- qu'elle n'a jamais commis aucune faute ou fait fautif aux fins notamment de tirer profit de la situation de son cocontractant pour avantager ses propres intérêts au détriment des autres créanciers,

- que les causes de la déconfiture du garage Drault résident principalement dans la mauvaise gestion de Mme Becker mise en évidence par la comptabilité de son entreprise ;

Attendu cependant que s'il ressort des documents produits aux débats et du rapport d'expertise de M. Cazaux, qu'il est constant que les moyens des appelantes relatifs au non-respect par la SA VAG France des dispositions contractuelles résultant des quatre contrats de concession successifs accordés en 1980, 1982, 1982 et 1983 et concernant notamment les conditions d'obtention de ces concessions et leur renouvellement de même que les moyens relatifs à la création d'une société de fait à la novation du contrat de concession ou à l'immixtion de la SA VAG France dans la gestion de l'entreprise de Mme Becker s'avèrent inopérants en la cause comme n'étant justifiés par aucun élément probant de nature à justifier leur bien fondé, il apparaît non moins constant que la SA VAG France a bien, contrairement à ce qu'elle soutient, accordé à Mme Becker un crédit-fournisseur qui, par l'ampleur qu'il a pris notamment en 1983, a causé à l'ensemble des autres créanciers un préjudice certain en favorisant l'accroissement du passif de la concession;

Attendu en effet que si la SA VAG France soutient qu'elle n'a jamais consenti au garage Drault de délais de règlement supérieurs à ceux des autres concessionnaires et qu'elle a admis certains retards de paiement dans la mesure où les règlements intervenaient quand même dans un délai raisonnable, il apparaît toutefois que cette société, qui avait une connaissance parfaite, ainsi que l'a relevé l'expert, de la situation économique et financière de l'entreprise de Mme Becker depuis son origine, et notamment de ses difficultés chroniques de trésorerie, a non seulement laissé les retards de paiement se multiplier au point que dès 1982 les impayés étaient supérieurs aux concours bancaires ce qui permet à l'expert de constater que, en 1982 " ... comme l'année précédente, ce sont les fournisseurs et surtout la société VAG qui financent l'entreprise... ", mais a surtout continué à fournir en dépôt des véhicules automobiles au point qu'au mois de septembre 1983, ce concessionnaire avait, malgré un dépôt normalement limité à 30 véhicules, 84 véhicules en dépôt dont 52 avaient été vendus sans qu'il en ait reversé le prix à la société concédante;

Attendu qu'il apparaît dès lors que la SA VAG France, en fournissant à Mme Becker par ce crédit les moyens, et notamment une trésorerie totalement fictive, de poursuivre une activité déjà précaire dès 1979 et en tout cas irrémédiablement compromise depuis le 1er février 1983, dans le seul but de profiter de la " force de vente " de ce concessionnaire dont les performances sont reconnues par l'expert et résultent des chiffres recueillis par lui, a commis une faute en relation directe avec la création du passif de Mme Becker, le soutien artificiel ainsi accordé ayant créé une apparence trompeuse pour les créanciers;

Attendu qu'il sera en conséquence fait droit aux demandes des appelantes en condamnation de la SA VAG France au paiement de l'insuffisance d'actif qui correspond à l'exacte réparation du préjudice subi par la masse des créanciers par la faute de la SA VAG France, celle-ci étant par ailleurs déboutée de sa demande de compensation de sa créance à l'encontre de Mme Becker avec celle de la masse à son encontre pour défaut d'identité des créanciers et des débiteurs ;

Attendu qu'il sera enfin fait droit, en équité, à la demande de Me Crouzet, en qualité, en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'art. 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort, Reçoit Me Crouzet agissant en qualité de syndic à la liquidation des biens de Mme Becker, et Mme Becker en leur appel du jugement rendu le 1er octobre 1991, Réformant partiellement cette décision, Condamne avec intérêts de droit à compter du 10 avril 1985, la SA VAG France à payer à Me Crouzet, en qualité, à titre de dommages-intérêts, l'insuffisance d'actif de la liquidation des biens de Mme Becker, Confirme cette décision en ce qu'elle a par ailleurs prononcé l'admission de la SA VAG France au passif du règlement judiciaire de Mme Becker pour une somme de 3 822 230,21 F, Y ajoutant, Condamne la SA VAG France à payer à Me Crouzet, en qualité, la somme de 60 000 F sur le fondement de l'art. 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette comme inutiles ou mal fondées toutes demandes plus amples ou contraires des parties, Condamne la SA VAG France aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise. Autorise, conformément aux dispositions de l'art. 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP Rodon, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision. Le présent arrêt a été prononcé suivant les dispositions de l'art. 452 du nouveau Code de procédure civile et signé par M. Suquet, Conseiller, par suite de l'empêchement de M. Biecher, Président et par M. Larrayadieu, Greffier, suivant les dispositions de l'art. 456 du nouveau Code de procédure civile.