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Décisions

Cass. com., 4 mai 1993, n° 91-17.321

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Marquais (Époux)

Défendeur :

Sarrazin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Boré, Xavier, SCP Waquet, Farge, Hazan

T. com. Bordeaux, du 20 déc. 1990

20 décembre 1990

LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 7 mai 1991) que, par acte sous seing privé du 20 avril 1989, les époux Marquais ont vendu à Mme Sarrazin un fonds de commerce de vente de produits de parfumerie à Bègles (Gironde) ; que cet acte comportait notamment les mentions selon lesquelles " le vendeur déclare qu'il bénéficie de contrats de distributeur agréé avec les maisons suivantes : Loris Azzaro, Christian Dior, Givenchy, Yves Saint Laurent, Lancôme, Guy Laroche " ; qu'à la suite du refus d'Yves Saint Laurent, le 6 juillet 1989, de reconduire le contrat de distribution agréée, Dior et Lancôme ont également fait connaître leur intention de cesser les relations commerciales pour non-conformité à la clause contractuelle concernant " l'environnement de marques " ; que Mme Sarrazin a alors demandé l'annulation de la vente du fonds de commerce ;

Attendu que les époux Marquais font grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé l'annulation de la vente du fonds et de les avoir condamnés à payer à Mme Sarrazin diverses sommes de ce fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt attaqué constate dans l'acte sous seing privé portant vente du fonds de commerce que le vendeur avait expressément indiqué parmi les éléments incorporels du fonds l'existence de contrats de " distribution agréée " avec notamment la maison Yves Saint Laurent ; qu'en déclarant le contrat de cession du fonds de commerce nul, motif pris de ce que le vendeur aurait commis un dol lequel aurait empêché l'acquéreur de se rendre compte de la " fragilité " c'est-à-dire du risque d'incessibilité du contrat de distributeur agréé, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une violation des articles 12 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil ; d'autre part, que le dol suppose une erreur provoquée ; qu'il résulte de l'arrêt que l'acquéreur était informé de la nécessité d'un agrément pour tout successeur dans le commerce considéré ; qu'en déclarant que l'acquéreur avait pu subir une tromperie sur l'incessibilité du contrat, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que les manœuvres dolosives s'entendent de toute espèce d'agissements tendant à tromper ou à créer une fausse apparence ; que tel n'est pas le cas lorsque l'on a trompé autrui en se leurrant soi-même ; qu'en l'espèce la société Yves Saint Laurent, dont la défection a entraîné celle des autres parfumeurs, avait exigé de Mme Marquais la réalisation de certains travaux " sous peine de ne pas engager de relations commerciales avec le nouveau propriétaire " ; que Mme Marquais avait réalisé ces travaux, ce dont la société Yves Saint Laurent lui avait donné acte ; qu'ainsi Mme Marquais ne pouvait douter de la continuation du contrat " Yves Saint Laurent " avec son successeur ; qu'en décidant cependant que Mme Marquais avait usé de manœuvres dolosives envers Mme Sarrazin en lui cachant délibérément la fragilité des contrats de distributeur agréé, notamment celui de la société Yves Saint Laurent qui pouvait être rompu en cas de cession du fonds de commerce, la cour a violé l'article 1116 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu que, pour conclure valablement le contrat de cession du fonds, l'acquéreur devait avoir connaissance du contenu des contrats de distribution, éléments jugés essentiels par les parties; que Mme Sarrazin, le 30 avril 1989, a assigné en référé les époux Marquais en communication, sous peine d'astreinte, de certaines pièces dont les contrats de distribution, qui ne lui avaient donc toujours pas été remis plus d'un mois après la signature de l'acte sous seing privé ; que le 4 juillet 1989, à la suite d'un appel téléphonique de Mme Sarrazin, Dior lui envoyait le contrat qu'il avait primitivement conclu avec les époux Marquais, lui rappelant qu'aux termes de ses conditions générales, elle devait être dépositaire de trois marques figurant parmi les neuf premières du classement établi par European Forecast, l'une de ces trois marques devant être l'une des trois premières (Yves Saint Laurent, Chanel, Guerlain, Nina Ricci, Cacharel, Rochas, Lancôme, Givenchy, Hermès) ; que, le 6 juillet 1989, à la suite également d'un appel téléphonique de Mme Sarrazin, Yves Saint Laurent lui envoyait une copie du contrat de distribution, l'informant par ailleurs qu'après la " visualisation du point de vente " effectuée par l'un de ses attachés commerciaux le 28 juin 1989, la décision avait été prise de ne pas reconduire le contrat, " les critères qualitatifs " du fonds étant jugés " insuffisants " ; que cette décision de retrait d'Yves Saint Laurent a eu pour conséquence, en application de la clause concernant " l'environnement de marques ", de provoquer le départ des autres grandes marques, notamment de Dior et de Lancôme ; d'où il suit que la cour d'appel a retenu des motifs propres à établir que le vendeur avait, par une réticence dolosive, omis de révéler à l'acquéreur l'interdépendance des contrats de distributeur agréé dont il avait le bénéfice et les conditions contractuelles qui subordonnaient leur reconduction, et, sans se contredire et en donnant aux faits leur exacte qualification, a légalement justifié sa décision; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.