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Décisions

Cass. com., 4 mai 1993, n° 91-10.499

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Les Parfums Cacharel et Compagnie (SNC)

Défendeur :

Geparo Im en export (BV)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

Me Ryziger, SCP Tiffreau, Thouin-Palat.

T. com. Paris, 3e ch., du 12 sept. 1984

12 septembre 1984

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Lyon, 5 novembre 1990), rendu sur renvoi après cassation, que la société Les Parfums Cacharel et Compagnie (société Cacharel), distributeur de parfums de luxe, faisant valoir qu'elle les commercialisait par un réseau de distribution sélective, a demandé que soit condamnée la société Geparo Im en export (société Geparo), intermédiaire non agréé, pour avoir sollicité des distributeurs agréés de lui céder, en violation de leur contrat, des produits en cause, en précisant qu'elle procéderait en outre à la suppression d'un code apposé sur ces parfums par la société Cacharel ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la société Cacharel au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un accord ne tombe sous le coup de la prohibition de l'article 85, paragraphe 1, du traité de Rome que lorsqu'il affecte le commerce intra-communautaire d'une manière sensible ; qu'en l'espèce actuelle, l'arrêt n'établit pas que la clause qu'elle retient comme susceptible d'avoir un effet restrictif sur les échanges entre les Etats membres de la CEE ait, à supposer que ce soit le cas, été susceptible d'affecter le commerce intra-communautaire de façon sensible ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 85 du Traité ; alors, d'autre part, que pour apprécier si un accord est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, le juge national doit se fonder sur un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait pour déterminer " in concreto ", avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence sur les courants d'échange entre Etats membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre eux ; qu'en l'espèce actuelle, en se contentant d'affirmer que la clause relative à la rotation des stocks a un effet sur les échanges entre Etats membres, car la valeur des commandes passées par un distributeur agréé auprès d'un autre distributeur agréé se trouve dissuadé de recourir à une forme d'approvisionnement qui, dans certains cas, serait plus avantageuse pour lui, compte-tenu des différences de prix maintenues par la société Cacharel entre les divers pays de la Communauté, la cour d'appel qui s'est contentée d'une simple affirmation, se fondant sur une appréciation subjective du comportement qui pourrait être celui des distributeurs agréés, et non pas sur des éléments objectifs établissant quel était le comportement réel des distributeurs, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 85 du traité de Rome ; alors, enfin, que ne sont incompatibles avec le marché commun que les accords entre entreprises, décisions d'associations d'entreprises et pratiques concertées qui sont à la fois susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et d'avoir un effet restrictif de concurrence ; que le juge ne peut, pour apprécier les effets de tels accords ou pratiques sur les prix, tenir compte que des conditions normales de formation des prix, résultant des rapports contractuels entre entreprises ; qu'il ne peut considérer comme anormale une clause qui, conformément aux règles du marché, ne tient compte, pour la formation des prix et les remises consenties par un fabricant à un distributeur agréé, que les affaires réalisées entre ce fabricant et le distributeur agréé, à l'exclusion des importations parallèles, réalisées par ce distributeur agréé, en achetant à un ou plusieurs autres distributeurs agréés établis dans d'autres pays de la Communauté, lesquels sont des tiers ; qu'en effet, si de telles importations sont licites, elles ne sauraient constituer des affaires réalisées avec le fabricant, de telle sorte qu'on ne saurait considérer que ledit fabricant, en ne tenant pas compte, dans l'établissement de prix ou de remises effectuées en fonction des quantités de marchandises qui lui sont achetées directement par chaque distributeur agréé, que des marchandises qui lui sont achetées directement, se livre à une quelconque pratique restrictive de concurrence au sens de l'article 85 du traité de Rome ; que, dès lors, en considérant que la société Cacharel ne justifiait pas de la licéité de son réseau par le motif qu'elle ne justifie pas pourquoi ses distributeurs agréés ne doivent pas cumuler l'avantage résultant d'un prix moins élevé obtenu auprès d'un autre distributeur agréé avec celui résultant de l'application des conditions générales de vente, la cour d'appel a violé l'article 85 du traité de Rome ;

Mais attendu que l'arrêt a relevé que la différence de prix existant pour les mêmes produits dans les différents Etats membres de la Communauté présentait pour les distributeurs agréés un intérêt à s'y approvisionner, mais que le contrat liant ces derniers à la société Cacharel, tout en imposant une rotation du stock, prévoyait que la valeur des commandes passées par un distributeur agréé auprès d'un autre distributeur agréé n'était pas comprise dans le montant annuel des achats, donc du chiffre d'affaires minimum annuel; que la cour d'appel, qui a déduit de ces constatations et appréciations que la clause litigieuse avait pour effet de dissuader un distributeur de s'adresser à d'autres, a retenu que cette clause entravait la libre circulation des produits entre revendeurs agréés et sans avoir à procéder à d'autres recherches, a, ainsi, légalement justifié sa décision; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur le second moyen, pris en ses trois branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la société Cacharel au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective alors, selon le pourvoi, d'une part, que les actions concertées, conventions, ententes expresses tacites, sous quelque forme ou pour quelque cause que ce soit, ne sont illicites que quand elles ont pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, notamment en ayant une action sur les prix, en entravant le progrès technique, en limitant l'exercice de la libre concurrence par d'autres entreprises ; qu'un contrat de distribution sélective n'est illicite que s'il a pour objet ou pour effet, même indirect, de limiter la liberté du revendeur de fixer lui-même le prix de vente du produit, et est au contraire licite lorsque par les obligations réciproques que s'imposent les cocontractants, notamment dans le commerce des produits de luxe, pour assurer un meilleur service aux consommateurs ; que la décision, qui affirme l'illicéité du réseau, en raison de l'interdiction faite à un distributeur agréé de revendre les produits Cacharel aux autres distributeurs agréés, sans établir en quoi il serait restrictif de concurrence et en quoi il pourrait, notamment, avoir une influence sur les prix, est dépourvue de base légale au regard tant de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 que de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'à supposer que la clause interdisant aux distributeurs agréés de vendre les produits Cacharel aux autres distributeurs agréés, soit nulle, la cour d'appel devait indiquer pourquoi la nullité de cette clause entraînait la nullité de l'ensemble du réseau de distribution sélective ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce point, la cour d'appel a omis de justifier légalement sa décision au regard des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des articles 1128 et 1131 du Code civil ; alors, enfin, que seuls ceux qui ont un intérêt à le soulever peuvent invoquer un moyen ; que la société Geparo, qui n'est pas distributeur agréé de la marque Cacharel, n'a aucun intérêt à se prévaloir de l'interdiction faite aux distributeurs agréés de revendre à un autre distributeur agréé ; que la décision est donc entachée de violation du principe pas d'intérêt pas d'action et de l'article 3 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le contrat interdisait au distributeur agréé de vendre les produits de la société Cacharel à d'autres distributeurs agréés de la marque sur le territoire national sans que cette interdiction suscite un bénéfice pour le consommateur ou soit imposée par la promotion des produits porteurs de la marque; qu'elle en a déduit, sans méconnaître les textes invoqués, que les clauses relatives aux approvisionnements et ventes contenues dans le contrat avaient un effet restrictif de concurrence ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que la société Geparo sollicite sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 10 000 F ;

Mais attendu qu'il serait inéquitable d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.