CA Versailles, 12e ch., 6 mai 1993, n° 4628-91
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commercial Igena (SA)
Défendeur :
Proengin (SA), Industrial Velera Marsal (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Belleau
Conseillers :
MM. Franck, Assie
Avoués :
Me Jupin, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Mes Escaravage, Bernard.
1-1 Par lettre en date du 3 février 1984, la Société Proengin avait consenti à la Société Commercial Igena, ayant son siège social à Barcelone, la qualité d'importateur exclusif pour l'Espagne des produits qu'elle fabrique et notamment des dispositifs de réduction de voitures appelés enrouleurs. Cette exclusivité était consentie pour une durée de un an renouvelable. Il était enfin précisé : " cette position pourra être revue à l'issue de chaque année par Igena ou Proengin si l'une des parties n'était pas satisfaite ".
1-2 Les relations se déroulèrent de façon satisfaisante jusqu'au début de l'année 1989 ; la société Proengin estimant alors que l'activité de son distributeur était insuffisante, lui adressa par télécopie du 2 mai 1989, un avis de résiliation du contrat à compter du 30 janvier 1990 ainsi rédigé : " nous sommes au regret de vous informer que l'exclusivité de distribution des enrouleurs Profurl et tous produits fabriqués par Proengin cessera donc à compter du 31 janvier 1990, en vertu de notre lettre d'agrément du 3 février 1984 ". Un nouveau contrat d'exclusivité fut signé le 4 février 1990 avec un nouveau distributeur, la Société Industrial Velera Marsal.
Cette société devait dès septembre 1989 prospecter le marché Espagnol, et présenter des enrouleurs dans deux foires expositions, sans attendre l'expiration du contrat d'exclusivité consenti à la Société Commercial Igena.
1-3 Ensuite d'une assignation délivrée à la requête de la Société Commercial Igena à l'encontre de la Société Proengin et de la Société Industrial Velera Marsal pour voir constater que la première avait commis une faute contractuelle et que la seconde avait commis des actes de concurrence déloyale, et voir les deux condamnées solidairement à lui payer une somme de 706 000 F à titre de dommages-intérêts, le Tribunal de Commerce de Versailles a, par un jugement du 27 février 1991, présentement soumis à l'appréciation de la Cour, débouté la Société Commercial Igena de sa demande à l'encontre de la Société Proengin, et s'est déclaré incompétent pour connaître de sa demande formée à l'encontre de la Société Industrial Velera Marsal, la Société demanderesse étant condamnée à payer à Proengin une somme de 4 000 F en application de l'article 700 du NCPC
Le Tribunal rappelait qu'aucune condition formelle n'était imposée pour l'exercice du droit de résiliation de telle sorte que la télécopie du 2 mai 1989 valait bien résiliation et notification du non renouvellement du contrat ; il estimait qu'il ne pouvait être fait reproche à Proengin d'avoir brutalement résilié le contrat, alors encore que cette société ne pouvait être tenue pour responsable des agissements de son nouveau distributeur ; en ce qui concerne la demande à l'encontre de Industrial Velera Marsal, il rappelait que les actes de concurrence déloyale invoqués s'étaient passés en Espagne et qu'il y avait lieu en l'absence de comparution de la défenderesse, d'appliquer les dispositions de l'article 93 du NCPC et de relever d'office l'incompétence territoriale.
2-1 La Société Commercial Igena a relevé appel de cette décision et sollicite son information ; elle reprend l'intégralité de ses demandes et réclame en outre 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Sur la demande formée à l'encontre de Velera Marsal, elle rappelle que le Tribunal avait relevé d'office son incompétence en violant le principe du contradictoire, dès lors qu'il n'avait pas invité les parties à présenter leurs observations, ainsi que l'article 42 du NCPC, dès lors qu'en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur avait le choix de saisir la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux, ce qui fait que le Tribunal de Commerce saisi était compétent.
Au fond, elle soutient que Proengin approvisionnait la Société Velera Marsal alors que le contrat de distribution exclusive avec Commercial Igena n'était pas encore résilié ; elle ajoute que Velera Marsal démarchait ses agents et clients en proposant des tarifs sacrifiés.
A l'égard de Proengin, elle expose que le concédant devait prévenir toute concurrence à son détriment et avait rompu sans raison le contrat, alors que le chiffre d'affaires n'avait cessé de progresser ; elle soutient que même si le concédant pouvait exercer son droit de mettre fin au contrat, il avait engagé sa responsabilité en abusant de ce droit, le motif réel de la rupture étant le changement de concessionnaire, les manquements reprochés étant de purs prétextes.
Elle soutient qu'elle n'avait connu qu'en décembre 1989, soit un mois avant la cessation des relations, la résiliation, le courrier du 2 mai 1989 ne pouvant être considéré comme une lettre de résiliation ; elle sollicite dès lors la réparation de son préjudice constitué par la marge bénéficiaire brute qu'elle aurait dû réaliser en 1990 si le contrat n'avait pas été rompu et par les ventes perdues du fait des agissements des deux sociétés, ainsi que par un préjudice moral constitué par l'atteinte à sa réputation commerciale.
2-2 La Société Proengin conclut à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de l'appelante à lui verser une somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Elle rappelle que la rupture du contrat datait bien du 2 mai 1989, confirmée par courrier du 26 juillet 1989, dès lors que la télécopie avait été annotée de mentions manuscrites ; elle en déduit que le préavis de 9 mois était largement suffisant eu égard aux usages et soutient qu'elle n'avait commis aucune faute ; elle ajoute qu'elle n'avait fait aucune vente avant le 4 février 1990 en direction de Velera Marsal, cette Société s'étant approvisionnée auprès de divers revendeurs sur le marché français.
2-3 La Société Industrial Velera Marsal n'a pas constitué Avoué, bien que régulièrement assignée et réassignée à parquet étranger.
Sur ce
3-1 Considérant en premier lieu, sur la compétence du Tribunal de Commerce pour connaître de l'action intentée par Igena à l'encontre de Velera Marsal, qu'il apparaît d'une part que le Tribunal ne pouvait relever d'office un moyen de droit sans inviter les parties à présenter leurs observations, sauf à violer le principe du contradictoire ; que, d'autre part, la compétence du Tribunal de Commerce de Nanterre était justifiée par l'application de l'article 42 du NCPC qui prévoit qu'en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit à son choix la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux, dès lors où, comme en l'espèce, il existait un lien entre les demandes dirigées contre les codéfendeurs ;
Que l'appel de la décision à l'encontre de Velera Marsal est ensuite recevable, la demande formée par Igena tendant à une condamnation solidaire des défendeurs ;
3-2 Considérant en second lieu, sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la Société Industrial Velera Marsal, qu'il apparaît qu'alors qu'Igena était titulaire d'un contrat de concession exclusive aux termes du courrier précité du 3 février 1984, Velera Marsal n'avait pas hésité à démarcher ses agents en proposant des prix sacrifiés, ces faits ressortissant d'une attestation d'un agent d'Igena, et à reproduire ses propres publicités, en se présentant de surcroît comme le distributeur exclusif des produits Profurl ; que l'examen de photographies prises lors du salon nautique de Barcelone permet de constater enfin que Velera Marsal exposait sur son stand plusieurs enrouleurs de marque Profurl ; que la Société Igena est donc en droit d'agir à l'encontre du tiers perturbateur, à savoir Velera Marsal dans le cadre d'une action en concurrence déloyale qui est parfaitement justifiée ;
3-3 Considérant en troisième lieu, sur les fautes reprochées à Proengin qu'il apparaît d'abord que cette Société s'est bien rendue complice des actes de concurrence déloyale commis par Velera Marsal dans la mesure où les publicités et les documentations utilisées par cette Société avaient été fournies par Proengin, qui avait à tout le moins commis sur ce plan une imprudence fautive, en agissant ainsi à une époque où elle était encore liée à Igena par le contrat de concession exclusive; qu'en outre, il n'apparaît pas qu'elle ait tenté de faire respecter ce contrat alors qu'elle ne pouvait ignorer que Velera Marsal présentait ses productions lors du salon précité; qu'il appartenait en effet au concédant de prévenir toute concurrence au détriment du concessionnaire;
3-4 Considérant en quatrième lieu, sur l'abus de droit reproché par Igena à Proengin dans le cadre de la résiliation du contrat, qu'il apparaît d'abord que les termes de la télécopie du 2 mai 1989 étaient ambigus, dans la mesure où si, Proengin indique qu'elle entend reconsidérer l'exclusivité consentie, elle ne prend pas position sur le contrat de distribution lui-même; que cela est si vrai que ce dernier point restait encore en discussion au mois de juillet 1989 ; que ce n'est que par un télex du 18 décembre 1989 adressé à Igena, que Proengin indique qu'après avoir mûrement réfléchi, elle avait décidé de confier la distribution exclusive Profurl à Velera Marsal;
Qu'alors même que le concédant exerce son droit de mettre fin au contrat dans le respect des obligations légales ou contractuelles, il peut engager sa responsabilité en abusant de ce droit; que tel est le cas en l'espèce où Igena n'a bénéficié que d'un délai de prévenance d'un mois avant la cessation des relations commerciales;
3-5 Considérant que les fautes commises, tant par Proengin que par Velera Marsal, ont entraîné pour Commercial Igena un préjudice qui, compte tenu du chiffre d'affaires réalisé par celle-ci en 1989 de 507 721 F, doit être fixé, toutes causes confondues, à 200 000 F ;
Qu'il convient, en infirmant la décision entreprise en toutes ses dispositions, d'accorder enfin à l'appelante une somme de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC au titre de frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau : Condamne in solidum les Sociétés Proengin et Industrial Velera Marsal à payer à la société Commercial Igena une somme de 200 000 F en réparation de son préjudice et celle de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne ces Sociétés in solidum en tous les dépens, autorisation étant accordée à Me Jupin de les recouvrer en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.