Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 10 mai 1993, n° 4763-91

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tuileries Briqueteries du Lauragais Guiraud Frères (SA), SEAC (SA)

Défendeur :

Bonnin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Lebreuil, Milhet

Avocats :

Mes Dublanche, Faurie.

T. com. Toulouse, du 21 oct. 1991

21 octobre 1991

Statuant sur l'appel, dont la régularité n'est pas contestée, interjeté par la société Tuileries Briqueteries du Laurageais Guiraud Frères SA (STBL) et par la société d'Etudes et d'Application du Composant Guiraud Frères (SEAC) d'un jugement en date du 21 octobre 1991 par lequel le Tribunal de commerce de Toulouse les a condamnés à payer à M. Bonnin :

- La STBL : les sommes de 599 360 F et 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- La SEAC celles de 345 496 F et 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- La STBL et la SEAC la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Attendu que suivant actes sous seing privé des 6 avril et 26 mai 1981, la STBL et la SEAC ont passé avec M. Bernard Bonnin un contrat d'agent commercial soumis aux dispositions du décret du 23 décembre 1958 ;

Que ces contrats, prenant effet au 1er janvier 1981, ont été conclus pour une durée déterminée de deux ans, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives égales, étant précisé que chaque partie pourrait reprendre sa liberté à chaque terme, avec un préavis de six mois ;

Que par lettres recommandées en date du 20 juin 1990, les deux sociétés ont informé M. Bonnin de leur décision de ne pas reconduire les contrats, renouvelés par tacite reconduction, à leur échéance du 1er janvier 1991 ;

Que c'est dans ces conditions que le 6 février 1991, M. Bonnin les a faites assigner devant le Tribunal de commerce de Toulouse en paiement d'une indemnité compensatrice et de dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Attendu que les premiers juges ont fait droit à cette assignation en considérant pour l'essentiel qu'un contrat à durée déterminée, renouvelé plusieurs fois par tacite reconduction, devait être assimilé à un contrat à durée indéterminée dont la rupture ouvre droit, pour l'agent commercial qui en est victime, à une indemnité compensatrice ;

Attendu que les sociétés appelantes leur font grief de s'être ainsi prononcés alors pourtant :

- Que le non-renouvellement à son échéance d'un contrat à durée déterminée, même renouvelé par tacite reconduction, ne constituait pas une résiliation, et n'ouvrait droit à aucune indemnité ;

- Que ce non-renouvellement n'était pas en lui-même constitutif d'un abus de droit, et que la preuve de cet abus n'était pas rapportée, l'intention de nuire n'étant pas caractérisée ;

Attendu qu'elles concluent à la réformation de la décision déférée, et à la condamnation de M. Bonnin au paiement de la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que M. Bonnin, intimé, soutient au contraire

- Que la rupture du contrat, après une collaboration de plus de 10 ans, était constitutive d'un abus de droit.

- Que l'article 14 de la directive européenne du 16 décembre 1986 imposait la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée en cas de poursuite des relations contractuelles après l'arrivée du terme ;

Attendu qu'il conclut à la confirmation du jugement critique en ce qui concerne le montant des indemnités compensatrices qui lui ont été allouées, mais demande, par voie d'appel incident, que chacune des deux sociétés appelantes soit condamnée à lui payer la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il sollicite aussi l'octroi d'une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

I°/ Attendu que le contrat d'agent commercial conclu par M. Bonnin pour une période de deux ans s'est certes poursuivi pendant 10 ans par le jeu de la tacite reconduction, mais a néanmoins conservé le caractère d'un contrat à durée déterminée dont le non-renouvellement, à son terme, n'est pas constitutif d'une résiliation, et n'ouvre pas droit, par conséquent, à l'indemnité compensatrice prévue par l'article 3 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 ;

II°/ Attendu que M. Bonnin, pour conclure à l'application de la directive européenne du 18 décembre 1986 soutient qu'elle est d'effet direct, c'est-à-dire qu'elle crée au bénéfice des particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir en justice, qu'elle est applicable depuis le 1er janvier 1990, date à laquelle les états membres auraient dû opérer sa transposition en droit interne, et qu'il est en droit de s'en prévaloir puisque la rupture de son contrat n'est intervenue qu'en avril 1990 ;

Mais attendu que l'effet direct reconnu aux directives européennes se limite à la possibilité pour les individus de s'en prévaloir à l'encontre d'un état qui aurait omis de se conformer à leurs prescriptions, et ne peut pas être étendu aux relations entre les particuliers ; qu'en effet les directives ne peuvent créer par elles-mêmes d'obligations dans le chef des particuliers, et ne peuvent être invoquées contre eux devant une juridiction nationale ni par un état, ni par une autre personne privée ;

III°/ Attendu que l'exercice d'un droit, sans aucun motif et de manière intempestive est constitutif d'un abus et doit être sanctionné par l'allocation de dommages-intérêts ;

Que M. Bonnin prouve le caractère abusif du non-renouvellement de son mandat en démontrant qu'il n'était justifié par aucune circonstance particulière, que ses mandants ont poursuivi leurs activités, et qu'ils n'allèguent aucune difficulté d'ordre économique pouvant justifier la rupture des relations contractuelles ; que les "insuffisances" qui lui sont reprochées ne sont pas établies, et qu'elles ne sauraient résulter des gains, dont la preuve n'est pas rapportée, prétendument réalisés par les sociétés appelantes après qu'elles l'aient remplacé par un agent salarié ;

IV°/ Attendu que M. Bonnin du fait de la rupture abusive de son contrat d'agent commercial est en droit de prétendre, à titre de dommages-intérêts, d'une part à une indemnité justement calculée par les premiers juges, sur la base de deux années de commission, et d'autre part à l'octroi d'une somme de 50 000 F en réparation du préjudice matériel et moral qu'il a subi du fait notamment de l'impossibilité où il s'est trouvé de retrouver une situation ;

V°/ Attendu qu'il convient par conséquent de confirmer la décision déférée ;

Attendu que les sociétés appelantes qui succombent en toutes leurs prétentions doivent être condamnées aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. Bonnin la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier ; Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Condamne la STBL et SEAC aux dépens d'appel, et autorise la SCP d'avoués Boyer-Lescat à recouvrer directement contre elles ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ; Condamne en outre la STBL et la SEAC à payer à M. Bonnin la somme de 10 000 F (dix mille francs) par application de l'article 700 du NCPC ; Rejette toute autre demande contraire ou plus ample des parties.