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Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 18 mai 1993, n° 1247-89

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Praxis associés (SARL)

Défendeur :

Milleville (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tay

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Bureau

Avoués :

Me Bordier, SCP Michel, Olivier Laval

Avocats :

Mes Delignere, Descot.

T. com. Tours, du 4 avr. 1989

4 avril 1989

Par son arrêt du 12 février 1991 la cour a, entre autres dispositions, jugé que la société Milleville avait commis des actes de concurrence déloyale en autorisant sur le territoire qu'elle avait concédé à la société Praxis, sa franchisée, les arrondissements de Créteil et de L'Hay les Roses dans le département du Val de Marne, l'installation à Cachan de sa filiale, la société Transutil, contrainte de quitter les locaux qu'elle occupait précédemment à Montrouge (Hauts de Seine) et l'ouverture au marché d'intérêt national de Rungis d'une agence de la société Miguel Location.

La cour a, par cette même décision, confié à monsieur Chaumet, expert inscrit sur la liste établie par elle-même, une mesure d'instruction afin d'établir le manque à gagner de la société Praxis du fait de ces deux contraventions aux contrat de franchise, qui liait les parties.

Après que celui-ci ait procédé à ses opérations et déposé son rapport, dont il ressort que le manque à gagner de la société Praxis s'élèverait à la somme de 1.552.000 F, cette dernière en poursuivait l'entérinement, faisant remonter sa demande quant aux intérêts au 6 mai 1988, date de l'assignation, et demandait l'allocation de la somme de 40.000 F en couverture de ses frais irrépétibles.

La société Milleville critique la façon dont l'expert a raisonné. Elle lui reproche d'avoir retenu comme mesure du préjudice souffert par la société Praxis, non les contrats réalisés par la société Transutil avec des clients résidants dans le département du Val de Marne, du fait de sa nouvelle implantation, mais l'ensemble des bénéfices de cette société, au motif que n'ayant pu se réinstaller ailleurs que dans le département du Val de Marne, elle était appelée à disparaître et la société Praxis à recueillir sa clientèle.

Ayant fait procéder par un cabinet d'expertise comptable, le Cabinet KPMG, à la détermination du préjudice de la société Praxis, à partir des contrats conclus par la société Transutil avec les clients résidants sur le secteur commercial concédé à la société Praxis, préjudice établi par ce cabinet d'expert comptable à la somme de 205.000 F, la société Milleville demande à la cour de fixer à ce montant le préjudice de l'appelante et, eu égard aux provisions versées, ainsi qu'aux autres dispositions de l'arrêt du 12 février 1991, de juger que la société Praxis lui doit encore la somme de 5.697,18 F.

La société Praxis répondait à son adversaire :

- que l'analyse du cabinet KPMG est manifestement erronée puisqu'il n'y est fait nulle mention de l'activité illicite de l'agence Miguel Location à Rungis,

- que, pour la conservation de sa clientèle, la société Transutil, lorsqu'elle fut contrainte de déménager, a choisi délibérément de violer la clause d'exclusivité territoriale censée protéger la concluante, afin de conserver cette clientèle, qu'aussi, le siège des deux sociétés Praxis et Transutil, étant proches l'un de l'autre, c'est toute la clientèle de la société Transutil qui se serait adressée à l'appelante en cas de départ de sa concurrente,

- que les termes mêmes du contrat de franchise conduisent à la même solution puisqu'aucun autre que la société Praxis ne pouvait être autorisé à servir des clients depuis le territoire concédé à ladite société Praxis, ce que fit pourtant la société Transutil,

- qu'enfin le raisonnement du cabinet KPMG serait empreint de contrariété puisque fondé sur la résidence dans le Val de Marne ou non des clients, alors qu'il tiendrait compte, pour diminuer l'appréciation de l'importance du préjudice, pour les en retirer, des clients demeurant dans ce même département avec lesquels la société Transutil avait contracté, alors que son siège se trouvait à Montrouge,

En réponse à la consultation officieuse par la société Milleville du cabinet KPMG, la société Praxis s'adressait au cabinet Barbier et Associés, " membre de l'organisation international Arthur Andersen ", lequel critiquant à son tour non seulement le travail de son confrère le cabinet KPMG, mais encore celui de l'expert, monsieur Chaumet, fixait à une somme pouvant varier de 1.979.000 à 3.231.000 F le préjudice de la société Praxis, le nombre d'automobiles nécessaires n'étant pas proportionnel à l'accroissement du chiffre d'affaires, dans la mesure où le taux d'utilisation des véhicules s'améliore avec l'augmentation d'activité de l'entreprise, de même que certaines charges fixes.

Aux termes de ses écritures, la société Praxis portait à 3.196.000 F le montant de sa réclamation, subsidiairement à 1.552.000 F et élevait à 180.000 F le quantum de l'indemnité pour frais irrépétibles requise.

Les parties ont à nouveau conclu. La société Milleville pour s'élever derechef contre les postulats de son adversaire et de l'expert, monsieur Chaumet, rappelant que si la société Transutil, au moment de déménager, s'était installée de l'autre côté de la rue, il n'y aurait eu nul litige, car elle se serait alors trouvée dans le département des Hauts de Seine, que la seule façon d'appréhender l'importance du préjudice de la société Praxis est bien celle qu'a suivi son expert comptable, déterminer le nombre de clients qu'a pu détourner de la société Praxis la société Transutil du fait de sa nouvelle implantation, que les conclusions du Cabinet Barbier et Associés, une fourchette allant de 1.979.000 à 3.231.000 F suffisent à elles seules pour discréditer son travail.

A titre subsidiaire, la société Milleville poursuit l'organisation d'une nouvelle expertise.

La société Praxis, qui se plaint des manœuvres dilatoires de son adversaire, s'oppose à pareille mesure.

Sur ce,

Attendu que la question qu'a à résoudre la cour est celle de l'appréhension de l'importance du préjudice souffert par la société Praxis du fait de l'installation à Cachan, dans la zone d'activité que lui avait concédée la société Milleville, de la société Transutil, précédemment installée à Montrouge, dans le département des Hauts de Seine, soit à peu de distance, ces localités de la banlieue parisienne étant proches les unes des autres, et de l'ouverture au Marché d'intérêt national de Rungis, soit toujours dans la zone d'activité de la société Praxis, de l'établissement de la société Miguel Location;

Attendu que, pour apprécier l'importance de ce préjudice, monsieur Chaumet, l'expert commis par la cour, a fondé son travail sur le postulat que les bénéfices auxquels pouvait donner lieu l'ensemble de l'activité de ces deux sociétés Transutil et Miguel Location, pendant la période d'exercice illicite de leurs activités, s'il avait été réalisé par la société Praxis, la société Miguel Location étant présentée comme participant de la société Transutil, constituaient la mesure du préjudice subi par la société Praxis ;

Attendu qu'au soutien de cette façon de raisonner, inspirée par l'appelante, ainsi qu'il ressort du travail de monsieur Chaumet, qui, à la page 12 de son rapport, précisait que la société Praxis estimait que son préjudice ne pouvait être déterminé qu'à partir du chiffre d'affaires global réalisé par l'agence de Cachan, l'expert avançait, en réponse aux réclamations de l'intimée, qui s'est toujours élevée contre pareil raisonnement, premièrement " que... l'acte sous seing privés, ... du 11 août 1986, garantissait à la société Praxis Associés l'exclusivité sur le territoire " département du Val de Marne, arrondissements de Créteil et de L'Hay les Roses ", et secondement qu'il était impossible " pour l'agence de Montrouge de la société Transutil de s'installer dans un secteur avoisinant autre que dans le département du Val de Marne ", ladite impossibilité ne pouvant qu'entraîner la fermeture de cette agence et " un report quasi total de la clientèle (de celle-ci) sur la société Praxis Associés " ;

Attendu, sur ce second argument, repris par l'appelante, qu'il paraît pour le moins stupéfiant, puisqu'il supposerait, pour pouvoir, être retenu la démonstration premièrement que la société Transutil ne pouvait déménager son agence de Montrouge que dans le département voisin du Val de Marne, en d'autres termes qu'il n'existerait aucune possibilité de louer des locaux commerciaux dans cette partie de la banlieue sud de Paris, hormis dans les arrondissements de Créteil ou de L'Hay les Roses, et secondement que la société Transutil était le seul loueur de véhicules dans le secteur de Montrouge, qu'il en était de même de la société Praxis pour les deux arrondissements de Créteil et de L'Hay les Roses, étant encore supposé que les clients de l'agence de Montrouge de la société Transutil, alors disparue, ne pouvait trouver des loueurs de véhicules concurrents dans les communes avoisinantes, Malakoff, Chatillon, Bagneux, situées dans le département des Hauts de Seine ou tout simplement, Paris ;

Attendu, sur le premier argument, que si au contrat de franchise, passé le 11 août 1986, entre la société Milleville et la société Praxis, il était stipulé, à l'article 1.03, après détermination de la zone d'activité commerciale, savoir les deux arrondissements de Créteil et de L'Hay les Roses, que le concédant, la société Milleville, ne pouvait accorder une autre concession sur le même territoire, sans l'accord du concédé, qui lui s'engageait à n'exploiter son affaire que dans un lieu situé dans le territoire concédé, la sanction de la contravention commise par la société Milleville, qui a laissé la société Transutil installer son agence à Cachan, dans le territoire concédé à la société Praxis, sans l'accord de cette dernière, a été la reconnaissance par la cour du droit de celle-ci à indemnité ; que cette clause ne régit pas la détermination de l'importance du préjudice subi par la société Praxis, à laquelle il appartient d'en démontrer l'étendue ;

Attendu d'ailleurs, que contrairement à ce qu'ont pu penser la société Praxis et l'expert, ce point ne souffrait aucune difficulté, ou si difficulté il y avait, elle aurait dû être levée très facilement par simple recours au magistrat qui avait été désigné afin de suivre ces opérations d'expertise, puisque, par son précédent arrêt, la cour avait précisé au dernier paragraphe de la page 5 de sa décision, dans sa motivation, que " ...le transfert de Montrouge à Cachan de l'établissement Transutil n'a pu que conduire à un détournement de partie de la clientèle que la société Praxis avait vocation à servir " ;

Attendu, sous réserve des actes de concurrence déloyale commis à Rungis, que l'étendue du préjudice de la société Praxis ne consiste que dans la perte de clientèle qui fut la sienne du fait de l'installation dans sa concession de la société Transutil, ladite clientèle étant celle qu'elle avait " vocation à servir ", soit celle demeurant dans le Val de Marne ;

Attendu en conséquence qu'il convient de rejeter les conclusions de l'expert et d'écarter, sans même l'examiner, puisque fondé sur les mêmes prémisses, le travail du cabinet d'expertise-comptable Guy Barbier et Associés ;

Attendu que la détermination de l'étendue du préjudice de la société Praxis suppose d'une part la recherche de l'accroissement de clientèle de la société Transutil résidant dans le Val de Marne, consécutive à sa nouvelle implantation, d'autre part celle des possibilités qu'avait la société Praxis de satisfaire cette clientèle et de son coût ;

Attendu que, pour son travail, monsieur Chaumet s'est attaché à déterminer ces deux derniers éléments ; que le premier ne l'a été, par définition de façon non contradictoire, que par le cabinet d'experts-comptables consulté par l'intimée ;

Attendu que le conseil de la société Milleville, la société KPMG, ne s'est attaché qu'à la recherche du préjudice de son ancienne franchisée du fait de l'installation à Cachan de la société Transutil, puisque suivant l'intimée, l'ouverture de l'agence Miguel Location au M.I.N. de Rungis, n'aurait été qu'une source de profit, cette société ayant quitté un réseau de loueurs de véhicules concurrent pour se mettre sous la bannière de Milleville ;

Mais attendu que, si une telle opération est tout gain pour la société Milleville, il n'en est pas de même pour la société Praxis ;

Attendu que cette dernière s'oppose à l'organisation d'une nouvelle mesure d'instruction ; qu'il n'appartient pas à la cour de suppléer le caractère imparfait de la démonstration de l'appelante quant à l'étendue de son préjudice ; qu'aussi, au vu des documents communiqués, des éléments d'information contenus dans le rapport de monsieur Chaumet et dans le travail de la société KPMG, il convient de fixer à 350.000 F l'importance du préjudice causé à la société Praxis du fait des contraventions au contrat de franchise commises par la société Milleville ;

Attendu, par application des dispositions de l'article 1153-1 du Code Civil, qu'il convient de faire courir les intérêts de cette créance d'indemnité depuis la date de l'assignation soit, le 6 mai 1988 ;

Attendu que, par son précédent arrêt, la cour avait alloué à la société Praxis une indemnité pour les frais irrépétibles, qu'elle avait déjà engagés en cause d'appel

Attendu qu'eu égard à la façon dont a été mené la procédure depuis l'arrêt avant dire droit, au peu de cas qu'il fut fait de la motivation de cet arrêt, et à la mauvaise foi de la société Praxis qui, même si ils ont été pris pour argent comptant par l'expert, soutient des arguments d'une particulière invraisemblance, il n'est pas inéquitable de lui laisser la charge des frais non taxables par elle engagés depuis la précédente décision de la cour ;

Par ces motifs, LA COUR, publiquement, en dernier ressort, contradictoirement, Fixe à trois cent cinquante mille francs (350.000 F.) le montant du préjudice qu'a causé à la société Praxis la société Milleville du fait des contraventions par elle commises au contrat de franchise passé entre elles deux ; Condamne la société Milleville à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Praxis la somme de trois cent cinquante mille francs (350.000 F.), avec intérêts au taux légal depuis le 6 mai 1988 ; Déboute la société Praxis de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles ; Condamne la société Milleville aux dépens ; Accorde à Maître Bordier, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.