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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 27 mai 1993, n° 4038-91

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gérard Soulaine Texas Incorporated (Sté)

Défendeur :

Beylerian (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belleau

Conseillers :

MM. Frank, Assie

Avoués :

SCP Jullien, Lecharny, SCP Lissarrague, Dupuis

Avocats :

Mes Gast, Martin.

T. com. Versailles, 1re ch., du 27 févr.…

27 février 1991

Faits et procédure :

La société Beylerian, fondée en 1928, a pour activité la vente d'articles d'habillement et d'accessoires s'y rapportant.

A partir de l'année 1978,la société Beylerian s'est développée sur le territoire français par le système de la franchise.

Par la suite, elle a décidé de s'implanter aux Etats-Unis et, à cette fin, elle a conclu le 25 novembre 1982 avec M. Gérard Soulaine, agissant pour le compte de la société de Droit Américain Gérard Soulaine Texas Incorporated, une franchise.

Aux termes de ce contrat, le franchisé devait ouvrir un point de vente Beylerian au Texas, puis développer un réseau de magasins aux Etats-Unis pour devenir " Master franchisé " dans ce pays, étant précisé que le franchiseur et le franchisé reconnaissaient que, les produits Beylerian n'ayant jamais été diffusés aux Etats-Unis, il ne pouvait être donné de garantie de part et d'autre.

Par un nouveau contrat en date du 10 septembre 1986, compte tenu du fait que le chiffre d'affaires de la société Gérard Soulaine Texas Incorporated augmentait régulièrement, le franchisé s'est vu confier la charge du développement du réseau Beylerian aux Etats-Unis.

Ultérieurement, les relations entre les parties se sont détériorées et, le 23 janvier 1989, la société Beylerian a notifié au franchisé la résiliation du contrat invoquant divers manquements à ses obligations contractuelles.

Aucun accord amiable n'ayant pu être trouvé, la société Beylerian a fait assigner la société Gérard Soulaine Texas Incorporated pour obtenir réparation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi du fait de la rupture du contrat.

La société Gérard Soulaine Texas Incorporated a invoqué reconventionnellement la nullité du contrat de franchise et, subsidiairement, a demandé que le contrat soit résilié aux torts et griefs exclusifs de son adversaire.

Par jugement en date du 27 février 1991, le Tribunal de commerce de Versailles a essentiellement retenu que M. Gérard Soulaine n'avait jamais adressé un quelconque reproche à la société Beylerian mais, qu'en revanche, il était établi que la société Gérard Soulaine n'avait pas payé les redevances mensuelles exigibles depuis 1985, ni fourni les états mensuels et annuels de chiffre d'affaires, manquements justifiant une résiliation du contrat à ses torts. En conséquence, le tribunal a condamné la société Gérard Soulaine Texas Incorporated à payer à la société Beylerian la somme de 219 323,48 Dollars US ou sa contre valeur en francs français au jour du jugement, outre une indemnité de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Gérard Soulaine a régulièrement relevé appel de cette décision.

Au soutien de son recours, elle fait valoir, comme elle l'avait fait en première instance, que le contrat de franchise, signé le 25 novembre 1982, serait nul au motif qu'il ne remplirait pas les conditions exigées en la matière, tant par le droit français que par les règles posées par la Commission des Communautés Européennes.

A cet égard, elle invoque notamment son absence de savoir-faire, prétendant que le franchiseur ne lui aurait dispensé qu'une formation insuffisante de 3 jours au lieu de celle d'un mois conventionnellement prévue, ainsi que le fait qu'aucun manuel opératoire, adapté au marché américain, ne lui aurait été fourni. Elle ajoute que, de surcroît, la société Beylerian a failli au devoir d'assistance auquel elle était tenue envers elle. Enfin, dans ses dernières écritures et pour la première fois devant la Cour, elle invoque, s'appuyant sur le rapport d'un jurisconsulte, un nouveau moyen de nullité du contrat de franchise, celui-ci étant, selon elle, contraire tant aux lois fédérales américaines qui ont un caractère d'ordre public qu'à la loi spécifique de l'Etat du Texas.

L'appelante demande en conséquence à la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et, statuant à nouveau de :

- prononcer la nullité du contrat de franchise du 25 novembre 1982,

- en tant que de besoin, surseoir à statuer sur ce point et d'interroger l'International Franchising Association (IFA) sur le caractère d'ordre public de la loi américaine et de celle de l'Etat du Texas en matière de franchise,

- subsidiairement, dire et juger que le contrat litigieux ne saurait être qualifié de contrat de franchise et condamner la société Beylerian à lui payer les sommes de 40 000 F au titre du droit d'entrée et 128 407 Dollars US au titre des redevances indûment réglées,

- plus subsidiairement, prononcer la résiliation du contrat aux torts de la société Beylerian pour inexécution par cette dernière de ses obligations, celle-ci étant condamnée à lui payer la somme de 302 642 Dollar US ou sa contre valeur à titre de dommages et intérêts,

- condamner en tout état de cause, la société Beylerian à lui payer une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Beylerian fait valoir en réplique qu'il est particulièrement surprenant de voir M. Gérard Soulaine, 8 ans après la conclusion du contrat, venir en demander la nullité alors que, aussi longtemps qu'a duré la collaboration entre les deux sociétés, aucun reproche ne lui a jamais été adressé par le franchisé.

Elle ajoute que les conditions prévues, tant par la législation française qu'européenne, ont été respectées et que, notamment, contrairement à ce qu'il prétend, M. Soulaine a reçu une formation et un soutien suffisants ainsi que le démontre la progression constante de son chiffre d'affaires et le développement de sa société.

En ce qui concerne l'application de la législation américaine au cas d'espèce, elle prétend, s'appuyant sur le rapport d'un autre jurisconsulte et sur des décisions émanant de la Cour Suprême des Etats-Unis, que les parties peuvent convenir, pour l'exécution d'un contrat de franchise sur le territoire des Etats-Unis, de l'application d'un droit étranger et que, par ailleurs, contrairement encore à ce qui est prétendu, la loi américaine, en matière de franchise, n'est pas d'ordre public. Elle sollicite, dès lors, la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, sauf à se voir accorder le bénéfice de la capitalisation des intérêts, la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure injustifiée et une indemnité complémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Discussion :

Sur la prétendue nullité du contrat de franchise du 25 novembre 1982 :

Considérant que, comme en première instance, la société Gérard Soulaine Texas Incorporated (ci-après société Gérard Soulaine) demande à la Cour de constater la nullité du contrat de franchise du 25 novembre 1982 pour manquement par le franchiseur à ses obligations de formation de publicité, de fourniture immédiate d'un manuel opératoire, d'assistance, et, plus généralement, pour absence de cause ; qu'à cet égard, elle invoque la définition donnée par la Fédération Française de la Franchise en vigueur à la date de signature du contrat, diverses décisions rendues par des juridictions françaises et le règlement d'exemption n° 4087-88 de la Commission des Communautés Européennes.

Considérant que la Fédération Française de la Franchise précisait que la franchise " implique une collection de produits ...offerte d'une manière originale et spécifique, exploitée obligatoirement et totalement selon des techniques commerciales uniformes préalablement expérimentées et constamment mises au point et contrôlées " ; que la norme AFNOR de 1987 exigeait également, préalablement à toute franchise " une expérience pilote ".

Considérant que l'appelante se prévaut de son absence d'expérience au moment où elle a contracté, ainsi que de celle du franchiseur pour solliciter de ce premier chef la nullité du contrat.

Mais considérant tout d'abord que si le franchiseur n'avait pas d'expérience sur le territoire des Etats-Unis lors de la conclusion du contrat litigieux, il ne peut être contesté qu'il en avait déjà acquis une sur le territoire français; que, de surcroît, aux termes même du contrat, les parties ont entendu renoncer à tout recours de l'une envers l'autre ainsi qu'il a été dit précédemment et, par voie de conséquence, à se prévaloir des recommandations ou définitions ci-dessus rappelées qui n'ont aucun caractère d'ordre public ; qu'en outre, le règlement communautaire, qui constitue désormais le seul droit positif applicable en la matière, ne prévoit plus expressément la nécessité d'une expérience pilote préalable.

Considérant qu'il suit de là que le premier moyen de nullité du contrat invoqué ne peut prospérer.

Considérant par ailleurs que l'article 1-3 du règlement d'exemption des Communautés Européennes définit la notion de franchise comme " un ensemble de droits de propriété industrielle ou intellectuelle concernant des marques, des noms commerciaux, enseignes, dessins et modèles, droits d'auteur, savoir-faire ou brevets destinés à être exploités pour la revente de produits ou la prestation de services à des utilisateurs finaux " ; que ce même règlement précise que " le savoir-faire " résulte de " tout l'ensemble d'informations pratiques, non brevetées, résultant de l'expérience du franchiseur et testées par celui-ci, d'un secret substantiel et identifié ".

Considérant que M. Soulaine soutient que la société Beylerian n'a pas mis à sa disposition son " savoir-faire " dans la mesure où elle ne lui a donné qu'une formation de 3 jours alors que les dispositions contractuelles prévoyaient une formation du franchisé d'un mois au minimum.

Mais considérant qu'il suffit de se référer aux attestations régulièrement versées aux débats pour constater que M. Soulaine, qui, jusqu'en septembre 1982, travaillait dans le secteur des produits pétroliers et n'avait aucune compétence en matière de confection, a, du mois de septembre 1982 au mois d'avril 1983, été initié à sa nouvelle profession par la société Beylerian en ses magasins de la région parisienne.

Considérant que, de même, l'appelant fait grief au franchiseur de lui avoir transmis, avec retard, un manuel opératoire inadapté au marché américain.

Considérant cependant qu'il sera rappelé que l'intention des parties, telle qu'elle ressort des documents contractuels, était d'introduire pour la première fois sur le marché américain du vêtement " un style français " ; qu'à cette fin, M. Soulaine avait été formé aux techniques de vente en France de la société Beylerian ; que chacune des parties a accepté, en toute connaissance de cause, de prendre le risque de l'opération ; qu'en raison de ces caractéristiques particulières du contrat, le franchisé ne pouvait exiger, dès l'entrée en vigueur dudit contrat, un manuel opératoire adapté au marché américain qui ne pouvait, par définition, exister.

Considérant qu'il ne peut être davantage contesté que les dirigeants de la société Beylerian se rendaient régulièrement, plusieurs fois par an, aux Etats-Unis pour apporter leur assistance à la société Gérard Soulaine et que celle-ci a profité d'opérations publicitaires sur le marché américain au titre de la marque Beylerian, ainsi que de l'enseigne du franchiseur.

Considérant qu'il en résulte que la société Gérard Soulaine a, contrairement à ce qu'elle prétend, bénéficié de méthodes et de services présentant une spécificité certaine et que le contrat avait donc une cause certaine ; que, si besoin était, l'importante progression du chiffre d'affaires du franchisé de 1982 à 1986 et le nouvel accord conclu à cette époque entre les parties, démontrent que le franchiseur a parfaitement rempli les obligations qui étaient les siennes.

Considérant que l'appelante n'est pas davantage fondée à invoquer, pour la première fois devant la Cour, les règles fédérales américaines et le droit spécifique de l'Etat du Texas.

Considérant en effet qu'il a été expressément prévu que le contrat de franchise du 25 novembre 1982 relèverait exclusivement, pour son application, du droit français.

Considérant que ce choix, conforme aux principes généraux du droit international et à la loi américaine, doit d'imposer aux parties ; qu'à cet égard, il ressort des pièces des débats et notamment de la consultation produite par la société Beylerian, que la Cour Suprême des Etats-Unis a érigé en principe constitutionnel le choix de la loi applicable comme celui du choix de la juridiction ou du lieu d'arbitrage pour autant qu'il y ait une " relation d'affaires raisonnable avec le forum choisi et que le choix de la loi applicable ne soit ni arbitraire ni injustifié " (cf. : Phillips Petroleum CCO. V Shutto, 472US797, 818-819-1985 ; Alstate Insurance V Hague, 449US302, 312-313-1981).

Considérant dès lors que c'est vainement que la société Gérard Soulaine soutient que le contrat serait nul pour violation de l'ordre public américain ou qu'il y a lieu, pour le moins, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'IFA ait rendu un avis ; qu'il appartiendra en tant que de besoin, aux seules autorités judiciaires américaines de se prononcer sur ce point si l'arrêt à intervenir leur est soumis pour recevoir l'exequatur.

Sur la résiliation du contrat aux torts du franchisé :

Considérant qu'il est suffisamment établi que la société Gérard Soulaine n'a pas respecté les termes du contrat alors qu'elle a bénéficié de tous les avantages procurés par la marque et le soutien de la société Beylerian ; que, notamment, elle s'est abstenue de payer les redevances telles que prévues par l'article VI-2 du contrat ; que, de même, elle s'est abstenue de fournir les différents états comptables permettant de calculer lesdites redevances.

Considérant qu'en conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré le contrat résilié aux torts et griefs exclusifs du franchisé.

Considérant que, par ailleurs, les premiers juges ont fait, par des motifs que la Cour s'approprie, une juste appréciation du préjudice subi par la société Beylerian ; que le jugement déféré sera également confirmé sur ce point, sauf à ajouter que la société intimée pourra capitaliser les intérêts moratoires qui lui sont dus à ce jour, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil et ce, à compter du 27 juillet 1992, date de la première demande formée par voie de conclusions.

Sur la demande de dommages et intérêts complémentaires pour procédure abusive :

Considérant que la société Beylerian ne justifie pas du caractère abusif du recours exercé à son encontre ; qu'elle sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts formée de ce chef.

Sur la demande formée au titre de l'article 700 du NCPC :

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Beylerian les sommes qu'elle a été amenée à exposer non comprises dans les dépens ; qu'il sera fait droit intégralement à sa demande fondée sur l'article 700 du NCPC.

Sur les dépens :

Considérant que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société Gérard Soulaine Texas Incorporated en son appel. Le dit mal fondé et l'en débouté, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Autorise la société Beylerian à capitaliser les intérêts qui lui sont dus sur la condamnation en principal à compter du 27 juillet 1992, date de sa première demande, Déboute la société Beylerian de sa demande en dommages et intérêts complémentaires, Condamne en revanche l'appelante à lui payer une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC en sus de celle accordée sur le même fondement en première instance, Condamne également l'appelante aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par la SCP d'avoués Lissarrague et Dupuis, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.