CA Dijon, 1re ch. sect. 2, 15 juin 1993, n° 426-93
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Massey-Ferguson (SA)
Défendeur :
Aubert (ès qual.), Sapin (ès qual.), Mâconnaise de Matériel agricole Industriel (Sté), Giard International (SA), Giard (Époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Chazal de Mauriac
Conseillers :
MM. Veille, Jacquin
Avoué :
SCP Fontaine Tranchand
Avocats :
Mes Lecasble, Badre.
Suivant contrat signé le 1er février 1989, la société anonyme Massey-Ferguson, fabricant de matériel agricole, a confié à la société anonyme Mâconnaise de Matériel Agricole Industriel (Somag) la distribution de matériel neuf et de pièces détachées, le service après-vente et l'entretien des matériels dans une zone géographique délimitée.
Par actes des 21 et 22 novembre 1991 la société Somag, la société anonyme Giard International, gérante de la société Somag, Hubert Giard et Adrienne Grunfelder son épouse associés de la société Somag, ont fait assigner devant le Tribunal de commerce de Mâcon la société anonyme Massey-Ferguson, Maître Sapin, ès qualités d'administrateur de la société Somag et Maître Aubert ès qualités de représentant des créanciers de la société Somag aux fins :
de voir dire que les conditions financières excessives imposées par la société Massey-Ferguson à la société Somag constituent une faute d'une exceptionnelle gravité,
de voir juger abusive la résiliation par la société Massey-Ferguson du contrat de distribution signé le 1er février 1989,
de voir dire que les interventions directes de la société Massey-Ferguson auprès des clients de la société Somag, l'intervention d'autres concessionnaires avec l'accord de la société Massey-Ferguson sur le territoire concédé à la société Somag, les refus de livrer, les livraisons tardives, le défaut de confirmation de certaines commandes, la propagation de fausses informations constituent des fautes graves commises par la société Massey-Ferguson qui a ainsi mis en péril l'activité économique et l'équilibre de la société Somag et provoqué le dépôt de bilan,
de voir condamner la société Massey-Ferguson à verser à la société Somag, à titre de dommages et intérêts :
- la somme de 2,5 millions de francs en réparation du préjudice consécutif aux retards de livraison de tracteurs et pièces détachées à compter du mois de juin 1991,
- la somme de 2 millions de francs en réparation du préjudice causé par des livraisons dans la zone géographique concédée en violation des dispositions contractuelles liant les parties,
- la somme de 25 millions de francs à titre de dédommagement de la perte d'une partie de la valeur du fonds de commerce de la société Somag,
- la somme d'un million de francs en réparation du préjudice moral et financier subi par les dirigeants de la société Somag, la société Giard International, Hubert Giard et son épouse,
- la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 25 septembre 1992 par Me Aubert, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Somag, par la société Giard International et par les époux Hubert Giard, il a été demandé au tribunal de commerce :
de donner acte à Me Aubert "de ce qu'il intervient dans le présent litige aux lieu et place de la société Somag dont la liquidation judiciaire a été prononcée",
de dire que le Tribunal de commerce de Mâcon est compétent territorialement et en raison de la matière pour connaître du litige,
de condamner la société Massey-Ferguson au paiement des sommes suivantes :
- 1 195 623,44 F au titre des acomptes perçus après le 1er juin 1991 date de la cessation des paiements,
- 100 000 F au titre des avoirs non restitués pendant la période allant du mois d'octobre 1991 au mois d'avril 1992,
- 320 000 F au titre des avoirs dus à la société Somag pour la période antérieure au 30 octobre 1991,
- 234 459,74 F HT correspondant à la valeur des pièces saisies revendiquées abusivement par la société Massey-Ferguson le 15 octobre 1991,
de déclarer nulle l'inscription de nantissement judiciaire sur le fonds de commerce de la société Somag autorisée le 25 septembre 1991,
de condamner la société Massey-Ferguson au paiement de la somme de 12 000 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
La société Massey-Ferguson a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Mâcon en vertu d'une clause du contrat de distribution aux termes de laquelle tout litige auquel cette convention pourrait donner lieu serait "du ressort exclusif du Tribunal de commerce de Paris".
Elle a demandé au Tribunal de commerce de Mâcon :
de dire que le litige se rattache à des faits antérieurs à l'ouverture de la procédure collective et ne met pas en jeu les dispositions relatives à l'organisation de la liquidation de biens,
de constater que la société Giard International et les époux Hubert Giard n'ont pas avec elle de liens contractuels et ne peuvent invoquer cumulativement la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle,
de déclarer leurs demandes irrecevables,
de dire que la demande additionnelle formée par Me Aubert ès qualités et tendant à voir annuler des actes passés au cours de la période suspecte n'est pas recevable, une demande reconventionnelle ou additionnelle devant se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Par jugement rendu le 8 janvier 1993 le Tribunal de commerce de Mâcon s'est déclaré compétent estimant qu'en application de l'article 174 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 le tribunal saisi d'une procédure collective connaît de tout ce qui concerne le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire,
que l'action en responsabilité engagée contre des tiers qui par leurs agissements fautifs ont contribué à l'aggravation du passif ou à la diminution de l'actif est de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure civile, et que l'action de Me Aubert ès qualités a pour fondement l'article 46 de la loi du 25 janvier 1985 et entre en conséquence dans la catégorie des actions concernant le redressement ou la liquidation judiciaire.
La société Massey-Ferguson a formé un contredit contre cette décision.
Elle fait valoir
que le litige porté devant le Tribunal de commerce de Mâcon est indépendant de la procédure collective puisqu'il trouve sa cause dans des faits antérieurs à l'ouverture du redressement judiciaire.
que les demandeurs ont invoqué des faits qui se sont produits au cours du dernier trimestre 1990, au mois de mars 1991, au mois de juin 1991 et au mois de septembre 1991.
que la procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 25 octobre 1991.
que le litige ne met pas en jeu les dispositions relatives à l'organisation et à l'administration du redressement judiciaire.
que Me Aubert soutient qu'elle serait responsable du dépôt de bilan de la société Somag.
qu'une telle argumentation "constitue un pré-jugement du fond".
que l'article 12 du contrat de distributeur agréé signé le 1er février 1989 entre la société Somag et elle-même contient une clause attributive de compétence territoriale au profit du Tribunal de commerce de Paris.
que cette clause est opposable à la société Somag.
Elle demande à la Cour
de déclarer le Tribunal de commerce de Mâcon incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris,
de condamner Me Aubert ès qualités au paiement de la somme de 10 000 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Me Aubert ès qualités répond
que le contredit n'est pas dirigé à l'encontre de la société Giard International et des époux Hubert Giard.
que sa demande est incidente aux demandes principales de ces parties qui ne sont pas visées par le contredit.
que la clause attributive de compétence dont se prévaut la société Massey-Ferguson n'est pas opposable à la société Giard International et aux époux Giard.
qu'en tout état de cause des demandes tendant à voir déclarer inopposables des actes passés pendant la période suspecte relèvent incontestablement de la compétence du Tribunal de commerce de Mâcon en application de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985.
Il conclut
au rejet du contredit,
à la condamnation de la société Massey-Ferguson au paiement de la somme de 10 000 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Dans ses dernières écritures la société Massey-Ferguson soutient
que l'exception d'incompétence qu'elle a soulevée concerne seulement la demande formée initialement par la société Somag et reprise ensuite par Me Aubert ès qualités.
qu'elle n'a pas invoqué l'incompétence du Tribunal de commerce pour ce qui est des demandes formulées par la société Giard International et par les époux Giard.
que l'action en nullité des actes passés au cours de la période suspecte aurait dû être engagée par Me Aubert à titre principal et non par voie de conclusions additionnelles.
que la demande principale de la société Somag portait sur l'indemnisation d'un préjudice consécutif à des fautes contractuelles qui auraient été commises à l'occasion de l'exécution du contrat de distribution.
que la demande additionnelle ne se rattache pas à ces prétentions originaires par un lien suffisant.
que cette demande additionnelle est donc irrecevable et ne "concerne pas le présent litige".
MOTIFS
La décision entreprise a été rendue à l'égard de toutes les parties à l'instance soit la société Somag, la société Giard International et les époux Hubert Giard demandeurs comparants, la société Massey-Ferguson défenderesse comparante, Me Aubert ès qualités demandeur comparant et Me Sapin ès qualités défendeur non comparant ni représenté.
Toutes les parties ont été régulièrement informées, par lettre recommandée avec accusé de réception, de la date des débats devant la cour d'appel sur le contredit formé par la société Massey-Ferguson.
La société Giard International, Hubert Giard et son épouse et Me Sapin ès qualités ont signé l'accusé de réception du pli recommandé contenant l'ordonnance de fixation de l'affaire à l'audience du 18 mai 1993. La notification ayant été faite à personne et les défendeurs n'ayant pas comparu, la présente décision sera réputée contradictoire.
Aux termes des dispositions de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 le Tribunal saisi d'une procédure de redressement judiciaire connaît de tout ce qui concerne le redressement et la liquidation judiciaire, la faillite personnelle ou autres sanctions prévues par la loi du 25 janvier 1985.
L'article 46 de la loi du 25 janvier 1985 donne qualité au mandataire liquidateur pour engager, dans l'intérêt des créanciers, une action collective tendant à reconstituer l'actif du débiteur, à obtenir réparation du préjudice qui lui a été causé.
Une telle action est de la compétence du Tribunal qui a ouvert le redressement judiciaire en application de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985.
Une demande d'annulation de certains actes en vertu de l'article 108 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 est aussi de la compétence exclusive du tribunal saisi de la procédure collective.
Le redressement judiciaire de la société Somag a été ouvert par le Tribunal de commerce de Mâcon le 25 octobre 1991. La date de la cessation des paiements a été fixée au 1er juin 1991.
Me Aubert se substituant à la société Somag en liquidation judiciaire, a présenté une demande additionnelle tendant à voir dire que différentes opérations postérieures au 1er juin 1991 sont inopposables à la liquidation et à voir annuler un nantissement inscrit pendant la période suspecte (à la suite d'une autorisation donnée le 25 septembre 1991).
Il convient en conséquence de rechercher si cette demande additionnelle, qui relève incontestablement du tribunal de commerce ayant ouvert la procédure de redressement judiciaire, est recevable afin de déterminer si le tribunal de commerce de Mâcon a retenu, à bon droit, sa compétence.
L'article 700 du nouveau Code de procédure civile dispose qu'une demande additionnelle n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Or, la demande additionnelle de Me Aubert consiste à solliciter l'annulation de différents actes effectués par la société Massey-Ferguson qui trouvent leur origine dans les relations contractuelles établies à la suite de la signature du contrat de distribution.
Il existe un lien incontestable entre la demande principale tendant à voir reconnaître les fautes commises par la société Massey-Ferguson à l'occasion de l'exécution de cette convention et la demande additionnelle de Me Aubert.
Cette dernière est donc recevable.
La recevabilité de la demande additionnelle qui relève de la seule compétence du Tribunal de commerce de Mâcon a pour effet de donner compétence à cette juridiction pour connaître de l'ensemble des demandes nonobstant la clause du contrat de distribution aux termes de laquelle tout litige doit être soumis au Tribunal de commerce de Paris.
Il sera relevé que la compétence d'attribution et la compétence territoriale du Tribunal de commerce de Mâcon pour connaître de la demande principale formulée dans l'acte introductif d'instance ne sont pas contestées.
La décision des premiers juges sera en conséquence confirmée et l'affaire renvoyée devant eux afin qu'il soit statué au fond.
Au regard des circonstances de l'espèce il serait inéquitable de laisser à la charge de Me Aubert ès qualités les frais exposés par lui et non compris dans les dépens. La somme de 5 000 F lui sera donc allouée à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Décision
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire. Confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Mâcon le 8 janvier 1993. Renvoie l'affaire devant cette juridiction compétente pour en connaître en application des textes régissant la compétence d'attribution et la compétence territoriale. Condamne la société Massey-Ferguson à verser à Me Aubert ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Somag la somme de 5 000 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles. Condamne la société Massey-Ferguson aux dépens.