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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 20 septembre 1993, n° 92-24811

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VAG France (SA)

Défendeur :

Société Cadurcienne de Diffusion Automobile (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Faucher, Albertini

Avoués :

SCP Barrier, Monin, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Vogel, Bourgeon

T. com. Cahors, du 19 févr. 1991

19 février 1991

Saisie sur renvoi de la Cour d'appel d'Agen, la Cour statue sur l'appel formé par la Société VAG France à l'encontre du jugement rendu le 19 février 1991 par le Tribunal de Commerce de Cahors dans le litige l'opposant à la Société Cadurcienne de Diffusion Automobile dite Socadia.

Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées entre les parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient de rappeler les éléments suivants.

Depuis 1966, les Établissements Navarre, exploités initialement à titre personnel par M. Georges Navarre, puis sous la forme d'une société dont la dénomination est devenue Socadia, ont été chargées par la Société Volkswagen France, aux droits de laquelle se trouve la Société VAG, de représenter les marques Volkswagen et Audi dans le département du Lot, tout en étant autorisés à représenter simultanément la marque Mercedes.

le 26 février 1986, la Société VAG a conclu avec Socadia un nouveau contrat de concession pour une durée déterminée de quatre ans, qui comportait en son article IV-3 une adjonction manuscrite l'autorisant à poursuivre la représentation de la marque Mercedes conjointement aux marques Volkswagen et Audi.

Après avoir demandé à Socadia, notamment par télex du 9 septembre 1986, d'abandonner la représentation de la marque Mercedes au plus tard le 31 décembre 1987, la Société VAG lui a proposé le 2 juin 1988 de lui présenter " un montage juridique et financier permettant la séparation de ses marques avec Mercedes " pour le 31 décembre 1988.

Le 16 décembre 1988, elle a demandé à Socadia de lui consacrer " l'ensemble de ses moyens matériels et humains " pour le 31 décembre 1989.

Enfin, après avoir réitéré ces exigences le 5 juin 1989, la Société VAG a accepté de rencontrer les responsables de Socadia le 6 novembre pour une réunion, au cours de laquelle il était convenu de procéder à la création de deux sociétés distinctes et d'aménager les locaux de manière à avoir des signalisations et entrées distinctes pour les marques concurrentes.

Socadia lui ayant soumis au cours du mois de décembre suivant une étude architecturale réalisée à cet effet, la Société VAG lui a écrit le 29 décembre 1989 que les structures mises à sa disposition étaient insuffisantes et lui a notifié le non renouvellement de son contrat.

Exposant que la Société VAG avait cessé de la livrer à partir du 1er janvier 1990, Socadia l'a assignée le 30 avril suivant en réparation du préjudice commercial qui lui était ainsi causé.

Tout en relevant que la Société VAG pouvait refuser à Socadia la conclusion d'un nouveau contrat de concession et que le grief de refus de vente ne saurait être maintenu pour la période post-contractuelle, le jugement déféré a en revanche estimé que l'interruption totale de fournitures tant en véhicules neufs commandés qu'en pièces détachées dénotait une volonté de nuire à son ancien concessionnaire et l'a condamnée à lui payer la somme de 710.500 F pour la perte financière subie en 1990 ainsi que celle de 100.000 F pour la perte de clientèle, en ordonnant l'exécution provisoire de cette décision à hauteur de 700.000 F.

Après avoir interjeté appel, la Société VAG a soulevé l'incompétence de la Cour d'Agen au profit de celle de Paris, en relevant que l'article 21-6° du contrat de concession comportait une clause attributive de compétence aux juridictions parisiennes pour toutes contestations survenues à l'occasion du contrat ou de ses suites, et, par arrêt du 16 novembre 1992, il a été fait droit à cette exception.

Tout en demandant de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a reconnu le droit de ne pas renouveler un contrat de concession arrivé à échéance ainsi que celui de refuser de conclure un nouveau contrat avec son ancien concessionnaire et en ce qu'il a écarté le grief de refus de vente, la Société VAG poursuit sa réformation en ce qu'il l'a néanmoins condamnée au paiement d'indemnités, alors que Socadia n'avait plus aucun droit à être livrée après l'expiration du contrat de concession et que l'indemnité de clientèle se trouve en contradiction avec le droit de ne pas renouveler ce contrat. Elle sollicite en conséquence le remboursement de la somme de 700.000 F payée au titre de l'exécution provisoire et une indemnité de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Formant appel incident, la Société Socadia demande pour sa part de dire :

- que la Société VAG France a abusé de son droit de ne pas renouveler de contrat de concession qui les liait en rompant brutalement les pourparlers qu'elle avait poursuivis jusqu'à fin 1989 en vue de la conclusion d'un nouveau contrat à effet du 1er janvier 1990,

- qu'elle a subordonné la conclusion de ce nouveau contrat à des exigences discriminatoires et a ainsi engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- qu'enfin, elle lui a refusé sans justification la vente de ses produits de janvier 1990 à septembre 1991, date de l'installation du nouveau concessionnaire, contrairement aux prescriptions des articles 33 et 36 de la même ordonnance.

Elle demande en conséquence de condamner cette société à lui payer :

- la somme de 2.852.450 F, après déduction de la somme de 700.000 F déjà versée de celle de 3.552.450 F représentant la marge brute minorée des frais de commercialisation dont elle a été privée au cours d'une année, soit pendant la durée de préavis des contrats à durée indéterminée,

- la somme de 500.000 F en réparation de l'atteinte portée à l'image de marque de son entreprise,

- et celle de 60.000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Puis, par conclusions ultérieures, elle a demandé en outre de condamner la Société VAG à reprendre, contre paiement de la somme de 715.818.68 F correspondant à leur valeur d'achat, le stock de pièces de rechange qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'écouler compte tenu de la rupture des relations commerciales.

La Société VAG a conclu au rejet de cette dernière demande, en exposant qu'elle a déjà déduit la somme de 175.840,95 F correspondant à une évaluation du stock conformément aux dispositions contractuelles, du montant dû en remboursement d'un crédit de trésorerie.

Sur ce, LA COUR

Considérant que Socadia reproche en premier lieu à la Société VAG d'avoir de manière fautive rompu les relations contractuelles qu'elles entretenaient depuis 24 ans ;

Mais considérant qu'il était expressément précisé à l'article 11 du dernier contrat qui les liait lors de cette rupture qu'il était " conclu pour une durée déterminée de quatre années ayant commencé à courir le 1er janvier 1986 pour se terminer le 31 décembre 1989 sans possibilité de tacite reconduction " ;

Considérant que si la Société VAG a, dès le 9 septembre 1986 et à plusieurs reprises, manifesté son intention de revenir sur l'une des dispositions du contrat qui prévoyait en son article IV-3 la possibilité de représenter la marque Mercédès en plus de marques du concédant, elle a laissé ce contrat se poursuivre jusqu'à son terme ;

Considérant par ailleurs que Socadia ne peut lui reprocher de ne pas avoir respecté le préavis de six mois prévu à l'article 11-3, dès lors que par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 16 décembre 1988 et 5 juin 1989, la Société VAG lui a clairement rappelé que son contrat arrivait à échéance le 31 décembre 1989 et que faute par elle de s'engager à respecter l'exclusivité de ses marques, elle n'envisageait pas de lui proposer un nouveau contrat de concession le 1er janvier 1990;

Considérant que Socadia ne peut davantage reprocher à la Société VAG d'avoir rompu de manière abusive les pourparlers s'étant instaurés entre elles en vue de la conclusion éventuelle d'un nouveau contrat, dès lors que, loin de souscrire à l'engagement d'exclusivité qui lui était demandé, elle a constamment manifesté son intention de continuer à exploiter sur le même emplacement simultanément les deux marques concurrentes, et que si elle a soumis à son contractant des plans tendant à assurer la séparation matérielle de leurs halls d'exposition, elle n'a proposé aucun projet permettant d'assurer leur " séparation juridique et financière " comme cela lui avait été demandé ;

Considérant enfin qu'elle ne saurait prétendre que les documents qui lui ont été transmis par les services commerciaux de la société VAG impliquaient un engagement de renouveler son contrat, alors que toutes les demandes qu'elle a présentées à ce sujet ont donné lieu à des réponses négatives ;

Qu'il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la Société VAG pour avoir mis fin à ses relations avec Socadia à l'expiration de son contrat;

Considérant que Socadia reproche en second lieu à la Société VAG d'avoir refusé de lui consentir un nouveau contrat de concession en contestant la licéité de son refus d'agrément au regard des règles communautaires et internes du droit de la concurrence ;

Mais considérant que l'article 3 du Règlement CEE 123-85 autorise un concédant à imposer à un distributeur l'engagement de ne pas vendre de véhicules automobiles neufs concurrents et que la mise en place d'un réseau de concessionnaires exclusifs n'est pas davantage contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dès lors que leur choix n'est pas effectué de manière discrétionnaire ;

Considérant que Socadia soutient à ce sujet que l'exigence de l'exclusivité lui a été imposée de manière discriminatoire, dans la mesure où elle bénéficiait antérieurement de l'autorisation de représenter simultanément la marque Mercédès, et où la Société VAG continue à autoriser certains de ses concessionnaires à représenter d'autres marques concurrentes, ainsi qu'il ressort de constats d'huissiers dressés à Aurillac, Mulhouse et Nice ;

Mais considérant que si la Société VAG a initialement autorisé Socadia à assurer la représentation de la marque Mercédès à une époque où ses propres marques n'étaient encore que faiblement implantées dans le département du Lot, elle a pu légitimement, après l'expiration du dernier contrat comportant cette dérogation, exiger de son concessionnaire un engagement d'exclusivité, compte tenu du développement des activités de ventes et de services les concernant ;

Considérant, par ailleurs, que si l'article 5-2 du Règlement 123-85 autorise un concessionnaire à contester cette obligation en rapportant la preuve que l'exploitation d'une seule marque ne serait pas viable, Socadia n'établit nullement qu'elle puisse bénéficier de ces dispositions ;

Considérant que l'autorisation de représenter la marque Mercédès, ayant été rajoutée sous forme manuscrite sur le dernier contrat de concession consenti par la Société VAG, revêtait un caractère exceptionnel et que le fait que trois autres concessionnaires bénéficient encore de la dérogation qui lui avait été accordée jusqu'alors ne saurait suffire à établir le caractère discriminatoire de la nouvelle exigence qui lui était ainsi imposée, alors qu'elle constitue la règle pour l'ensemble du réseau et que son propre successeur s'y trouve soumis ;

Considérant de même que c'est en vain que l'intimée relève que la Société VAG a installé sa nouvelle concession dans des locaux d'une superficie de 1 221 m2 alors qu'elle lui demandait 1 428 m2, dans la mesure où son refus d'agrémenter se trouve motivé par son propre refus de souscrire l'engagement d'exclusivité qui lui était demandé ;

Qu'il s'ensuit que l'opposition de la Société VAG à lui consentir un nouveau contrat, étant ainsi justifiée par un motif non discriminatoire, ne présente aucun caractère fautif ;

Considérant que Socadia reproche en outre à la Société VAG d'avoir interrompu ses livraisons dès l'expiration de son contrat, alors que le nouveau concessionnaire appelé à lui succéder n'a été choisi que le 18 juin 1990 et qu'il n'a débuté son activité qu'en septembre 1991 ;

Mais considérant que le refus par le concédant de continuer à fournir un concessionnaire postérieurement à la résiliation de son contrat ne peut être assimilé à un refus de vente au sens de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que les commandes effectuées après cette date ne peuvent avoir été faites de bonne foi ;

Considérant qu'il s'ensuit que les divers griefs formulés par Socadia ne sont pas fondés et qu'en l'absence de faute retenue à l'encontre de la Société VAG, son action en indemnisation ne saurait prospérer, étant observé au surplus qu'elle ne justifie d'aucune baisse de son chiffre d'affaires postérieurement à la résiliation du contrat litigieux ;

Considérant enfin que si, par conclusions signifiées le 7 juin 1993, soit plus de trois ans après le début de l'instance, Socadia a sollicité la somme de 715 818,68 F correspondant à la valeur de son stock de pièces de rechange, la Société VAG fait à juste titre observer que l'article XIX de son contrat lui imposait, sous peine de forclusion, de présenter cette demande trois mois après sa résiliation et qu'elle n'a procédé à la remise de son stock que le 16 novembre 1990 ;

Qu'il ressort en outre des documents versés aux débats que la reprise de ces pièces a néanmoins été effectuée pour un montant évalué à 175 840,95 F suivant un décompte transmis à Socadia le 13 février 1991 qui n'a fait l'objet d'aucune contestation et que cette somme est venue en déduction d'une de ses dettes ;

Considérant qu'il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris, de déclarer Socadia mal fondée en son action et de la débouter de toutes ses prétentions en la condamnant à rembourser la somme de 700 000 F qui lui avait été versée au titre de l'exécution provisoire ;

Qu'il y a lieu en outre de la condamner à payer à la Société VAG une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Réformant le jugement déféré ; Déclare la Société Socadia mal fondée en son action ; la déboute de toutes ses demandes ; La condamne à rembourser à la Société VAG France la somme de 700.000 F qui lui a été versée dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement réformé ; La condamne en outre à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel, dont le montant pourra être recouvré directement par la SCP Barrier & Monin, titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.