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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 23 septembre 1993, n° 91-15907

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fraisse

Défendeur :

Rover France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

Mme Regniez, M. Ancel

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarenne, SCP Regnier Sevestre Regnier

Avocats :

Mes Bourgeon, François.

T. com. Paris, 17e ch., du 17 avr. 1991

17 avril 1991

Dans des circonstances de fait relatées par les premiers juges, M. Fraisse avait attrait la société Rover France (RF) devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir une indemnisation à la suite de la rupture abusive, selon ses dires, du contrat de concession exclusive qui les liait et voir déclarer injustifié le refus de vente qui lui est opposé.

Par son jugement du 17 avril 1991 le tribunal a débouté M. Fraisse de ses demandes, au motif d'une part que RF a notifié à M. Fraisse son intention de mettre fin au contrat à durée indéterminée en respectant le délai de préavis contractuel de douze mois, d'autre part que M. Fraisse ne saurait reprocher à RF un refus de vente, l'existence d'un contrat de concession exclusive licite au regard de l'article 85-3 du Traité de Rome rendant licite le refus de vendre à un membre extérieur du réseau.

M. Fraisse a relevé appel.

Il conclut qu'il plaise à la Cour de :

- juger abusive son exclusion du réseau de distribution Rover à compter du 23 décembre 1989, date d'expiration du délai de préavis,

- juger que RF ne justifie pas que M. Fraisse aurait cessé à compter de cette date de répondre aux critères objectifs requis pour la distribution des produits de la marque,

- juger que RF ne justifie pas d'un réseau de concession exclusive licite bénéficiant de l'article 85-3 du Traité de Rome et qu'elle a donc engagé sa responsabilité à l'égard de M. Fraisse en lui refusant la vente de ses produits à compter du 23 décembre 1989 dans des conditions contraires à l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

M. Fraisse sollicite en conséquence la condamnation de RF à lui payer la somme principale de 900.000 F à titre de dommages-intérêts, avec intérêts légaux depuis le 10 avril 1990, date de l'assignation introductive d'instance, en tant que de besoin à titre de complément de dommages-intérêts, outre celle de 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

RF, qui conclut au débouté de M. Fraisse de son appel, soutient qu'elle a rempli ses obligations contractuelles en respectant le préavis d'un an, qu'elle n'a pas à justifier d'un quelconque motif de résiliation ; qu'en particulier, les relations contractuelles étaient établies dans le cadre du régime applicable à la distribution exclusive et non à la distribution sélective, ce qui conduit à confirmer l'appréciation faite par le tribunal qui a écarté la référence que M. Fraisse avait cru pouvoir faire à la décision de la Commission CEE du 21 décembre 1983 relative au réseau de distribution sélective SABA, laquelle fait découler de l'impératif d'égalité de traitement non discriminatoire entre revendeurs agréés d'un réseau, le principe de l'interdiction d'une résiliation normale non motivée, alors qu'au contraire le règlement CEE 123-85 du 12 décembre 1984 relatif à l'exemption par catégorie dans le domaine de la distribution automobile, admet pour les contrats à durée indéterminée une résiliation non motivée dès lors qu'elle s'accompagne d'une durée de préavis de douze mois ; que M. Fraisse ne prouve ni n'articule aucune faute de RF de nature à justifier sa demande de dommages-intérêts ; que le contrat de concession conclu avec M. Fraisse est conforme au règlement 123-85 ; que l'éventuelle nullité de certaines clauses du contrat au regard du droit de la concurrence n'affecterait nullement la validité de la clause de durée, ce qui rendrait ainsi inopérant les moyens supplémentaires développés en appel par M. Fraisse touchant à la licéité, non contestée en première instance, du réseau de distribution exclusive ;

Par voie d'appel incident, RF demande la condamnation de M. Fraisse à lui payer 25.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 25.000 F pour frais irrépétibles.

Sur ce, LA COUR, qui se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que M. Fraisse soutient que la décision de résiliation à lui notifiée le 28 décembre 1988, reposerait sur des motifs fallacieux et contraires à la bonne foi, qui confèrent à cette décision un caractère abusif, nonobstant le respect du préavis ordinaire d'un an dont elle s'est accompagnée ; que l'appelant s'attache dès lors à démontrer que les reproches que lui a adressés RF et qui tiennent aux conditions d'exécution du contrat seraient dénués de fondement.

Considérant cependant qu'un tel moyen est inopérant, s'agissant d'une résiliation ordinaire qui permet au concédant de rompre le contrat à durée indéterminée en respectant le préavis contractuel lui-même conforme au règlement CEE 123-85, sans avoir à justifier d'un motif légitime, étant observé par ailleurs que les faits allégués, seraient-ils établis, ne révèlent cependant pas un usage abusif du droit de résilier le contrat, le concédant n'ayant pas eu un comportement malveillant ou désinvolte ;

Considérant que M. Fraisse soutient encore qu'à peine de conférer à son réseau le caractère d'une entente contraire aux dispositions des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, RF se doit de justifier de l'existence de critères nécessaires et objectifs, appliqués de manière non discriminatoire ; que pour justifier la rupture de ses relations avec M. Fraisse, elle devrait donc prouver que ce dernier ne répondait plus aux critères requis pour être habilité à distribuer ses produits, ce qu'elle ne ferait nullement en l'espèce ;

Considérant que si RF, au regard du droit de la concurrence, ne peut éluder l'obligation de procéder au choix de ses distributeurs en fonction de critères qualitatifs objectifs, elle demeure libre néanmoins de contracter avec quiconque répondrait à ces critères ; que M. Fraisse n'allègue nullement que le distributeur qui lui a succédé ne présentait pas les mêmes qualités professionnelles que lui ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Considérant en conséquence que la résiliation est intervenue régulièrement ;

Considérant que M. Fraisse fait valoir que si le contrat se réfère effectivement au règlement CEE 123-85 il n'a jamais été notifié à la Commission des Communautés et s'avérerait sur trois points au moins non conformes aux conditions requises par le règlement pour le bénéfice de l'exemption prévue par application de l'article 85-3 du Traité de Rome, et par suite, de celle résultant de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il ne peut par conséquent justifier le refus de satisfaire ses propres demandes de produits ;

Qu'il soutient à cette fin :

- que les articles 3 E b) et 11.A des "clauses complémentaires" qui constituent l'annexe IV au contrat de concession prévoient que, conformément aux conditions obligatoires de l'article 5.2.1) du règlement CEE 123-85, le concessionnaire pourra être libéré de ses obligations d'exclusivité de marque, ou que RF pourra nommer d'autres concessionnaires ou modifier le territoire concédé, sous réserve que soient démontrées des "justifications objectives" ; que cependant, contrairement aux exigences de l'article 5.3. du règlement précité, les justifications objectives ainsi évoquées n'ont pas été "précisées en détail lors de la conclusion de l'accord", ce qui serait de nature à accroître la dépendance économique du concessionnaire qui ne disposerait d'aucun critère précis à invoquer pour obtenir du concédant l'autorisation de diversifier son activité, ni à lui opposer pour l'empêcher de réduire son territoire ou de nommer des distributeurs supplémentaires sur le territoire concédé initialement en exclusivité ;

- que l'article 4 A c) exclut des ventes prises en considération pour déterminer si les objectifs annuels et quadrimestriels sont atteints "les véhicules vendus par le concessionnaire à d'autres concessionnaires de la société" ; que cependant, en vertu de l'article 3.9) du règlement, seuls sont exemptés les engagements du distributeur "de ne pas confier à des tiers la distribution des produits contractuels et des produits correspondants en dehors du territoire convenu" ; qu'en revanche, en vertu de l'article 3.10) du même règlement, ce distributeur agréé doit pouvoir "livrer à un revendeur des produits contractuels et des produits correspondant si ce revendeur est une entreprise du réseau de distribution" ; que RF limite donc une faculté de revente du distributeur dont le règlement a fait une condition d'exemption ;

- que l'article 8.A) du contrat stipule en son paragraphe d) que si par suite de l'insuffisance de ses efforts, le concessionnaire n'a pas atteint pour un des quadrimestres définis au contrat, 75 % des objectifs contractuels, le concédant pourra le mettre en demeure de rattraper son retard dans un délai de deux mois, c'est-à-dire d'atteindre au moins 75 % des objectifs du dernier quadrimestre, plus 37,5 % de ceux du quadrimestre en cours ; que par ailleurs l'article 8 B) sanctionne par la résiliation par simple notification "le fait de ne pas remédier à toute infraction dans le délai de l'article 8.A)" ; qu'ainsi, par le renvoi de l'article 8 B) à l'article 8 A) se trouverait introduite dans le contrat Rover l'obligation pour le distributeur d'obtenir sur une période déterminée un résultat déterminé alors que l'article 4.1.3.) du règlement CEE 123-85 prévoit que l'obligation d'objectifs doit se limiter à obtenir du distributeur de "s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels", soit une simple obligation de moyens ; qu'en accroissant le risque de résiliation du contrat sans préavis d'un an en cas de non-respect par le concessionnaire d'une obligation de résultat non exemptée par le règlement, les dispositions de l'article 8 B) du contrat Rover accroîtraient la dépendance économique du concessionnaire dans des proportions incompatibles avec les conditions minimales obligatoires posées par l'article 5.2.2) du règlement ;

Considérant que RF conteste que les clauses litigieuses soient contraires au règlement d'exemption ; qu'elle fait valoir que les parties ont la liberté d'adopter des clauses contractuelles différentes de celles exemptées et que de telles clauses ne sont nulles que si leur contrariété à l'article 85-1 du Traité de Rome est démontrée, preuve qui ne serait pas rapportée en l'espèce ;

Que l'illicéité éventuelle de certaines clauses du contrat au regard du droit de la concurrence n'affecterait pas pour autant la validité des autres clauses, et notamment de celle de la clause de durée, seul objet du litige selon elle ; qu'il en serait ainsi, eu égard à l'article 13 B ii de l'annexe IV du contrat aux termes duquel "l'illégalité ou l'inopposabilité de tout ou partie d'une clause du présent contrat n'affectera en aucune manière la validité des autres clauses du présent contrat ou la possibilité de les exécuter ou de s'en prévaloir" ;

Considérant, cela exposé, qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés (CJCE VAG C/ MAGNE du 18 décembre 1986) que le règlement n° 123-85 n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles en obligeant des parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat mais se limite à établir les conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85 § 1 et 2 du Traité ; qu'il s'ensuit que les parties peuvent convenir de clauses contractuelles différentes et qu'une clause non exemptée n'est pas a priori illicite ; qu'il appartient donc à la partie qui l'invoque de démontrer en quoi cette clause serait contraire à l'article 85 § 1 ;

Considérant, s'agissant des articles 3 E b) et 11.A de l'annexe IV du contrat, que la latitude, reprochée par M. Fraisse, laissée à RF, de prendre en considération des justifications objectives qui n'auraient pas été précisées dans le détail lors de la conclusion du contrat, a pour corollaire la liberté correspondante dont bénéficie le concessionnaire ; qu'une telle latitude ne confine pas à conférer aux parties un pouvoir discrétionnaire dès lors que le contrôle du caractère objectif des justifications retenues peut être exercé par le juge ;

Que dans ces conditions, la stipulation critiquée ne saurait être considérée comme constitutive d'une entente prohibée par l'article 85 § 1 du Traité.

Considérant que la seconde clause critiquée à savoir l'article 4 A c) de l'annexe IV, qui exclut des ventes prises en considération pour déterminer si les objectifs de vente sont atteints, les véhicules vendus par le concessionnaire à d'autres concessionnaires, ne remet nullement en cause les ventes entre concessionnaires, formellement autorisées par le contrat de concession (article 3 A e) de l'annexe IV) ; qu'elle tend légitimement à ce que l'allocation de primes d'objectifs soit réservée aux ventes effectuées à des clients finals situés à l'intérieur du territoire exclusif de vente de chaque concessionnaire, seul élément de mesure des performances retenu par l'article 4-1-3° du règlement n° 123-85 et à déjouer ainsi les opérations artificielles de ventes croisées auxquelles les concessionnaires pourraient être tentés de se livrer dans le seul but de voir majorer leurs primes d'objectifs ; que la clause litigieuse est parfaitement compatible avec le règlement d'exemption et n'encourt aucune critique au regard de l'article 85 § 1 du Traité.

Considérant, sur la troisième clause critiquée, que l'article 4-1-3° du règlement n° 123-85 qui exempte les clauses par lesquelles le concessionnaire doit s'efforcer de satisfaire certains objectifs ne peut être interprété comme une condamnation de principe de celles qui imposent un tel objectif et confèrent ainsi à l'obligation du concessionnaire le caractère d'une obligation de résultat; que la résiliation unilatérale ouverte à RF par l'article 8.A.d) de l'annexe IV du contrat, dans le cas où le concessionnaire n'atteint pas 75 % de ses objectifs de vente, après mise en demeure d'avoir à rattraper ses retards dans un délai de deux mois, s'exerce conformément à l'article 5-4 du règlement, lequel n'a pas pour effet de restreindre à l'inexécution des seules clauses exemptées la sanction de la résiliation extraordinaire; qu'ainsi que le relève à juste titre RF, les rapports établis entre un concessionnaire et un concédant sont économiques et visent à atteindre un résultat minimum, faute de quoi l'équilibre du contrat serait bouleversé ; que de ce fait l'accroissement de la dépendance du concessionnaire, qui résulterait de la clause litigieuse et qu'allègue M. Fraisse, ne suffit pas par elle-même à caractériser l'existence d'une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article 85-1 du Traité.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le contrat litigieux satisfait aux conditions énoncées par l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il n'est ainsi soumis, ni à l'application de l'article 85-1 du Traité, ni aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance et qu'il est de nature à justifier le refus de livraison des produits concernés par l'exclusivité à des distributeurs étrangers au réseau ; que le refus opposé à M. Fraisse qui a perdu la qualité de concessionnaire de la marque ne peut engager la responsabilité de RF par application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que M. Fraisse sera donc débouté de son appel ;

Considérant que ce dernier a pu cependant se méprendre légitimement sur l'étendue de ses droits et qu'ainsi RF n'est pas fondée en son appel incident, lequel sera rejeté ;

Considérant qu'il sera inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les frais non compris dans les dépens par elle exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, Déboute M. Fraisse de ses demandes et RF de son appel incident, Condamne M. Fraisse à payer la somme de 10.000 F à Rover France par application de l'article 700 du NCPC. Le condamne aux dépens et admet la SCP d'avoués Régnier Sevestre Regnier au bénéfice de l'article 699 du NCPC.