CA Paris, 15e ch. A, 29 septembre 1993, n° 91-023886
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Thermalium (SA)
Défendeur :
Devaud, Deschars, La Gestion Cardinale (SARL), Jeanne (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Peyrat
Conseillers :
M. Duclaud, Mme Favre
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Barrier-Monin
Avocats :
Me Menant, SCP Gorny & Associés.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Thermalium d'un jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 8 octobre 1991 qui l'a condamnée à payer à Mme Deschars, M. Devaud et la société La gestion cardinale la somme de 3 427 540 F (TTC) avec intérêts au taux légal sur ladite somme à compter du 2 juin 1990 ainsi que celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit.
M. Vilain agissant en sa qualité de président du conseil d'administration de la société Thermalium, "propriétaire d'un ensemble immobilier comprenant hôtels et résidences", a signé le 12 septembre 1989 un "bon de commission" en faveur de Mme Deschars et M. Devaud au terme duquel il reconnaît leur devoir la somme de 3 millions de francs "en cas de réalisation de l'affaire" et ce, "à titre de commission forfaitaire et irréductible pour rémunération de ses frais, soins, démarches, publicité et autres dans la vente (- ces trois derniers termes étant soulignés d'un trait tracé à la main-) de l'affaire au prix de 35 MF suivant la condition édictée susmentionnée, laquelle commission sera payable le jour de la signature de l'acte authentique".
Il convient de noter que s'il y a une troisième partie aux côtés de M. Devaud et de Mme Deschars, c'est que ceux-ci sont des agents commerciaux qui disent avoir traité cette affaire en collaboration avec la société "La gestion cardinale" qui est une agence immobilière.
Un protocole d'accord du 26 mars 1990, qui ne porte que la signature de M. Jean-Louis, "dans le but de fixer les modalités de rémunérations de Mme Deschars et de M. Devaud dans le cadre des accords du 12 septembre 1989" fait état de ce qu'une convention est sur le point d'être signée avec une société Medicus, laquelle stipule :
1- une prise de participation de 1% dans le capital de Thermalium SA,
2- un investissement de 10 millions de francs hors taxes à réaliser sur l'un des sites dont Thermalium SA est déjà propriétaire,
3- un investissement de 25 millions de francs hors taxes sur d'autres sites pour lesquels Thermalium SA a eu négociation mais dont la date de signature ne pourrait encore être fixée.
Ce protocole qui avait rappelé que Mme Deschars et M. Devaud s'étaient engagés à trouver un ou des investisseurs dans le cadre du développement de Thermalium sur la base de 354 millions hors taxes, avait pour objet de modifier la rémunération promise aux "négociateurs" : "une commission de 10 % sera versée après la signature du protocole entre Medicus SA et Thermalium SA à concurrence du montant souscrit par Medicus à M. Devaud et à Mme Deschars après production d'une facture d'honoraires en bonne et due forme. Il en sera de même pour les autres investissements après réalisation effective".
Par lettre recommandée du 16 mai 1990, adressée à M. Vilain, la société "Gestion cardinale" lui écrivait : "Un engagement de délais est un engagement de délais. Nous ne saurions admettre d'autres reports à nouveau non respectés. Nous vous mettrons en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception de nous verser nos honoraires globaux soit 3 500 000 F hors taxes avant le vendredi 25 mai 1990".
Le 23 mai 1990, Mme Deschars, M. Devaud et la société Gestion Cardinale faisaient sommation à la société Thermalium d'avoir à régler cette somme. Puis le 30 juillet suivant, une nouvelle sommation de payer lui était faite mais tendant à voir la société Thermalium lui payer la somme de 2 890 000 F majorée des intérêts de retard à compter du 2 juin 1990, étant observé que Mme Deschars, M. Devaud et la société Gestion Cardinale reconnaissaient avoir perçu le 7 juin 1989, la somme de 110 000 F hors taxes.
Par acte du 27 octobre 1990, Mme Deschars, M. Devaud et la société La gestion cardinale ont assigné la société Thermalium devant le Tribunal de commerce de Meaux afin d'obtenir la condamnation de celle-ci à leur régler la somme de 3 427 540 F à titre de commission augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 juin 1990, outre celle de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré lequel, il faut le rappeler, a accueilli la demande des agents commerciaux et de la société La gestion cardinale.
La société Thermalium, appelante, conclut à l'infirmation du jugement déféré, au débouté de la demande de paiement dirigée contre elle, et à la condamnation solidaire de Mme Deschars, M. Devaud et la société La gestion cardinale à lui verser la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Mme Deschars et M. Devaud, intimés, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société Thermalium à leur verser la somme de 100 000 F (HT) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société La gestion cardinale, troisième intimée, qui a été déclarée en liquidation judiciaire, est représentée à la procédure par Me Bertrand Jeanne, son mandataire liquidateur. Elle sollicite elle aussi la confirmation de la décision déféré et l'allocation de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Ceci étant exposé, LA COUR,
Considérant que les intentions des parties ont évolué au cours du temps ; qu'au point de départ, le bon de commission du 12 septembre 1989 tel qu'il est rédigé, avec la précision que la société Thermalium était propriétaire d'un ensemble immobilier comprenant hôtels et résidences, montre que les parties ont eu en vue un mandat de vendre un ensemble immobilier pour la somme de 35 000 000 F ; que manifestement, l'opération initialement prévue qui aurait dû prendre la forme d'une cession de parts a évolué vers un apport d'investissements de la part de la société Medicus SA, dont à aucun moment, la société Thermalium n'a contesté que cet investissement lui ait été apporté par Mme Deschars et par M. Devaud, - seule la société La gestion cardinale se voyant contester une telle prestation, point qui sera examiné plus loin ;
Que cette modification du rôle des agents commerciaux que sont Mme Deschars et M. Devaud explique la lettre que la société Thermalium a adressée à Mme Deschars le 16 janvier 1990 qui indique qu'il lui "confirme son accord quant aux modalités de votre rémunération en fonction des investissements réalisés, et comme je m'y étais engagé à la signature du mandat que je vous ai remis" ;
Qu'il s'en est suivi très logiquement un protocole d'accord entre la société Thermalium d'une part, et Mme Deschars et M. Devaud, d'autre part, en date du 26 mars 1990, lequel, - après avoir exposé le détail de l'accord à venir entre la société Thermalium et la société Medicus, lequel prévoyait une prise de participation de celle-ci dans le capital de Thermalium dans un premier temps, un investissement de 10 millions dans un second temps et de 25 millions dans un troisième temps (indéterminé), stipule que "suite aux engagements souscrits par Thermalium sa par l'intermédiaire de son président , une commission de 10 % sera versée après la signature du protocole entre Medicus SA et Thermalium SA à hauteur du montant souscrit par Medicus et M. Devaud et Mme Deschars, après production d'une facture d'honoraires en bonne et due forme. Il en sera de même pour les autres investissements après réalisation effective" ;
Que ce protocole qui ne porte que la seule signature de M. Vilain, a été accepté par M. Devaud et Mme Deschars puisque jusqu'au 30 juillet 1990, et même après qu'ils eurent reçu communication de l'accord signé entre les sociétés Medicus et Thermalium le 24 avril 1990 qui ne portait que sur la prise de participation de
1 100 000 F et l'investissement de 10 millions de francs, ils n'ont jamais élevé la moindre contestation à ce sujet ; qu'il faudra attendre la sommation du 30 juillet 1990 pour apprendre "que si les requérants (Deschars, Devaud et Gestion Cardinale) ont bien voulu accepter que le versement soit repoussé jusqu'à la signature du protocole, en contrepartie d'une rémunération proportionnelle aux investissements prévus, ils n'ont jamais entendu accepter un paiement échelonné" ;
Considérant qu'il apparaît que le seul point de désaccord entre les parties quant à la portée de ce protocole du 26 mars 1990 est de savoir si la rémunération proportionnelle de 10 % est calculée sur les investissements prévus ou sur ceux réalisés ;
Qu'en réalité, le fait précédemment relevé du silence des agents commerciaux à la réception du protocole du 26 mars 1990 comme d'ailleurs après la lettre du 16 janvier 1990 précitée qui fait référence à une rémunération "en fonction des investissements réalisés", montre que l'accord des volontés est fait sur les bases de ce protocole ;
Que celui-ci précise qu'après la signature du protocole entre Medicus SA et Thermalium SA "à hauteur du montant souscrit par Medicus" une commission de 10 % a été versée à M. Devaud et Mme Deschars;
Qu'il n'y a eu là aucune ambiguïté de telle sorte qu'il convient donc de se reporter à l'accord conclu en définitive le 27 mars 1990 entre la société Medicus et la société Thermalium au terme duquel :
1) la première s'engageait à prendre une participation de 1 100 000 F dans l'augmentation du capital de la seconde qui devait intervenir le 20 mars 1990 au plus tard,
2) une seconde augmentation du capital devant intervenir au plus tard le 30 juin 1992 serait "réservée à la société Medicus afin de porter sa participation finale à 34 % du capital",
3) préalablement à cette seconde augmentation, la société Medicus s'engageait à faire un investissement de 10 000 000 F à Santenay ;
Que pour la société Thermalium, seule la participation à l'augmentation du capital pour un montant de 1 100 000 F a été réalisée ; qu'elle verse à l'appui de ses dires une attestation du docteur Haouzi, président du conseil d'administration de la société Medicus ; que, dès lors, pour elle, en réglant la facture de 110 000 F (plus la TVA), elle est quitte de toute somme envers les intimés ;
Qu'en revanche, M. Devaud et Mme Deschars soutiennent que l'investissement de 10 000 000F que la société Medicus devait faire avant la seconde augmentation, a été fait mais de manière "camouflée" ; que divers indices, selon ces parties, font présumer ceci ; que d'une part, une projet de "protocole d'accord" ainsi rédigé aurait été adressé à la société "La gestion cardinale" : "La société...a mis en relation la société GTMBTP et la société Thermalium. Dans le cas où le marché de construction de cet hôtel serait confié à GTMBTP par Thermalium, GTMBTP s'engage à payer à la société...des honoraires de 8 % hors taxes sur le montant hors taxes du marché. Toutefois, ces honoraires seront plafonnés à la somme de 1 000 000 F HT" ; que ce protocole n'a jamais été signé par la société La gestion cardinale ; que, second indice, les intimés constatent que le compte de résultat de la société Thermalium arrêté au 31 mars 1990 fait apparaître un emprunt hors établissement de crédit de 11 406 000 F, - cette somme correspondait sans doute à "l'apport" de 10 000 000 F promis par la société Medicus ; qu'à moins que cette société n'ait fait son "apport" à la société des Eaux du Luxeuil puisqu'un produit exceptionnel sur opération en capital de 11 577 000 F apparaît à son bilan arrêté au 31 décembre 1989 ;
Que si la date à laquelle a pu intervenir cette dernière opération rend peu vraisemblable un "apport" de la société Medicus, en revanche, la Cour ne peut qu'inviter la société Thermalium à s'expliquer sur les indices avancés par les intimés tendant à prouver que "l'apport" de 10 000 000 F a bien eu lieu et qu'en conséquence, ceux-ci seraient fondés à obtenir 10 % du montant de cette opération ;
Que la Cour ne peut qu'ordonner la réouverture des débats sur ce point ;
Considérant qu'il résulte du présent arrêt que la Cour retient que dans son dernier état, l'accord des parties sur la rémunération de M. Devaud et de Mme Deschars a été fixée par le "protocole" du 26 mars 1990 ;
Qu'en l'état, seule la prise de participation de la société Medicus à l'augmentation du capital de la société Thermalium est acquise de sorte que la somme de 110 000 F, soit 10 % de celle-ci, est due ; que cette somme a été versée à Mme Deschars et à M. Devaud, à ceux-ci et non à la société La gestion cardinale ainsi qu'il ressort de la lettre d'accompagnement du chèque réglant cette somme (en réalité 130 460 F à ceux de la TVA) en date du 7 juin 1990 ;
Qu'en effet, il convient de retenir qu'aucun des documents contractuels produits ne fait apparaître que la société La gestion cardinale ait été cocontractante de la société Thermalium ; que cette société sera déclarée irrecevable à agir, - cette fin de non recevoir pouvant être proposée en tout état de cause ;
Par ces motifs : Infirme le jugement déféré, la Cour réservant toutefois sa décision quant à la condamnation de la société Thermalium au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Statuant à nouveau : Accueille la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'agir de la société La gestion cardinale ; Constate qu'en l'état, la société Thermalium ne peut être déclarée redevable envers Mme Deschars et M. Devaud que d'une rémunération égale à 110 000 F hors taxes et qu'elle a régulièrement versé celle-ci à ceux-là le 7 juin 1990 ; Pour le surplus, ordonne la réouverture des débats à l'audience du 28 mars 1994 à 147 heures aux fins de voir notamment la société Thermalium conclure, justificatifs à l'appui, au vu des indices avancés par M. Devaud et Mme Deschars, ci-dessus exposés en détail, tendant à prouver que la société Medicus a conformément au protocole signé par elle avec la société Thermalium bien fait à celle-ci "un apport de 10 000 000 F ; Dit que l'ordonnance de clôture interviendra le 16 février 1994 ; Réserve les dépens.