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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 6 septembre 1993, n° 91002542

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chambon (SA), Motoculture d'Aquitaine (Sté)

Défendeur :

Girondine d'Exploitation Commerciale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Julia, SCP Labory-Moussie-Andouard

Avocats :

Mes Bonneau-Laplagne, Maysounabe.

T. com. Bordeaux, du 22 mars 1991

22 mars 1991

Attendu que, par un acte du 16 mai 1991, la Société Chambon et la Société Motoculture d'Aquitaine ont conjointement relevé appel d'un jugement du 22 mars 1991, par lequel le Tribunal de Commerce de Bordeaux les a condamnés à payer à la Société Girondine d'Exploitation Commerciale une somme de 500.000 F en principal et une somme de 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Que cet appel est régulier en la forme et recevable.

Attendu que les appelantes ont conclu le 16 septembre 1991, le 1er février 1993 et le 22 avril 1993 à l'infirmation du jugement dont appel, au débouté de l'intimée et à la condamnation de celle-ci à payer aux appelantes 20.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que l'intimée a conclu le 9 janvier 1992, le 11 février 1993, le 22 avril 1993 et le 17 mai 1993.

Qu'en définitive elle sollicite la confirmation du jugement en son principe et la condamnation des appelantes à leur payer 10.000 F à titre de dommages intérêts pour appel abusif et 20.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile outre 4.400.000 F en principal.

Attendu que la Cour constate que les errements de la procédure ont conduit toutes les parties à communiquer des pièces et à faire signifier des conclusions après l'ordonnance de clôture.

Qu'elle ne sanctionnera pas cette façon de procéder qui lui semble légitime, vu son caractère réciproque.

Attendu que le Tribunal a constaté, en propres termes :

" Depuis 1962, la Société Sogec était concessionnaire des tracteurs de marque Fiat.

Le 3 octobre 1986, elle signait trois contrats de concessions exclusives concernant les tracteurs, machines agricoles et machines à vendanger avec la société Fiat-Geotech pour la commercialisation de la marque Fiatagri.

Cette dernière résiliait les trois contrats le 10 octobre 1989 avec un préavis d'un an.

Des accords étaient passés entre Fiat Geotech et la Société Chambon, acheteur des installations de la Société Motoculture d'Aquitaine, et ces sociétés exposaient du matériel de marque Fiatagri à la foire de Libourne des 11 et 12 novembre 1989.

En outre un certain nombre de personnes employées par la Société Sogec à titre de salariées, a été embauché par ces sociétés pendant l'année de préavis ".

Attendu que les appelantes ne contestent pas la matérialité de ces faits, et se contentent d'objecter d'une part qu'elles n'ont commercialisé du matériel Fiat neuf qu'après la fin du préavis, donc à une date où elles avaient le droit de le faire et que le matériel exposé à la foire de Libourne était du matériel d'occasion provenant de reprises - d'autre part qu'on ne peut leur reprocher d'avoir embauché du personnel de l'intimée, ce personnel étant en droit, pour diverses considérations, de s'adresser à elles - enfin que l'intimée ne démontre pas qu'elles lui ont causé un quelconque préjudice.

Attendu que ces objections avaient déjà été présentées au Tribunal qui les avait écartées en partie au moins.

Attendu qu'il avait constaté tout d'abord que les tracteurs présentés à la foire de Libourne n'étaient pas immatriculés et ne pouvaient donc être d'occasion.

Qu'en cause d'appel les appelantes ne répondent pas à cet argument et se bornent à soutenir que l'intimée ne conteste pas qu'il s'agissait de matériel d'occasion, ce qui est faux - et par ailleurs qu'en vendant du matériel neuf à cette date elles auraient lésé leur concédant de l'époque, ce qui est exact, mais ne prouve nullement qu'elles ne l'ont pas fait.

Attendu que par ailleurs le Tribunal ne relève aucun fait précis de démarchage de clientèle, mais juge illégitime l'emploi de personnes ayant appartenu au personnel de l'intimée.

Attendu qu'en cause d'appel l'intimée allègue l'existence d'un démarchage pendant la période du préavis.

Que les attestations qu'elle produit pour le démontrer sont manifestement sincères, mais qu'elles n'établissent pas que pendant la période de préavis les appelantes ont proposé à la clientèle du matériel Fiat, mais seulement que les représentants ont fait valoir auprès des personnes démarchées que l'intimée allait perdre la concession Fiat.

Que cette allégation, conforme à la réalité, ne peut être tenue pour un dénigrement et que le Tribunal a eu raison de ne pas en tenir compte.

Attendu que le litige porte pour l'essentiel sur l'embauche par les appelantes d'une partie du personnel de l'intimée.

Attendu que, pour légitimer leur attitude, les appelantes soutiennent, en substance :

1°) que la rupture du contrat dont bénéficiait l'intimée et l'annonce de licenciements économiques ont fait craindre au personnel la faillite de la société et que de nombreuses personnes ont cherché un autre emploi, sans attendre ;

2°) qu'un sieur Ricard a ainsi démissionné dès le 27 novembre 1989 et a été embauché par les appelantes, en l'absence de toute clause de non-concurrence le liant à l'intimée ;

3°) que Rodriguez et Latrille furent embauchés en même temps que Ricard (sans que les appelantes s'expliquent sur l'existence ou la non existence d'une telle clause) ;

4°) que Beau, Paqui, Grelaud et Gimel furent embauchés plus tard, alors que l'année du préavis n'était pas terminée, mais que le préavis avait été dénoncé.

Mais attendu que les appelantes lient à tort ce problème avec celui du préavis.

Qu'en réalité les droits et obligations des appelantes étaient les mêmes en la matière, avant, pendant et après le préavis.

Attendu qu'elles ne devaient pas engager des salariés de l'intimée si elles savaient que ceux-ci ne devaient pas être repris par un concurrent.

Attendu que les parties en la cause étaient bien des concurrentes, puisqu'elles vendaient des appareils de marques différentes, mais de même nature, et dans le même secteur.

Attendu qu'il n'est pas allégué qu'aucune des personnes embauchées par les appelantes était liée par une clause lui interdisant de se réinstaller chez un concurrent.

Mais attendu que la plupart d'entre elles occupaient des fonctions qui entraînaient en elles-mêmes une telle interdiction, d'après une jurisprudence constante.

Attendu que par ailleurs les attestations produites par l'intimée démontrent que les démissions et les réembauches n'ont pas été spontanées, et ont été provoquées par les démarches des appelantes qui ont organisé un débauchage massif du personnel de l'intimée.

Attendu que l'attitude des appelantes est donc gravement abusive et que le principe de la décision attaquée doit être approuvé.

Que par contre la Cour, comme les premiers juges, ne disposent pas d'éléments permettant de préciser l'importance, et même l'existence du préjudice allégué par l'intimée (qui d'ailleurs forme un appel incident à ce sujet).

Attendu qu'une mesure d'instruction est nécessaire et qu'il ne peut s'agir que d'une expertise, vu les aspects techniques du litige.

Par ces motifs, LA COUR, déclare les Sociétés Chambon et Motoculture Aquitaine recevables en leur appel, la Société Sogec recevable en son appel incident, ordonne une expertise et commet pour y procéder Monsieur Jean-Pierre Garde, 56 rue Peyronnet à Bordeaux, avec mission de prendre connaissance des dossiers de la procédure et de tous documents qui lui seront communiqués par les parties, soit à sa demande, soit spontanément, d'entendre les parties en leurs explications et de réunir les éléments de l'évaluation du préjudice ayant résulté pour la Société Sogec ; a) éventuellement de la vente par la Société Chambon et la Société Motoculture Aquitaine, entre le 10 octobre 1989 et le 10 octobre 1990, de matériels de marque Fiatagri ; b) de l'embauche par ces deux sociétés de personnels ayant appartenu à la Société Sogec ; dit que l'expert déposera au Greffe de la Cour, dans les quatre mois de la consignation qui va être ordonnée, le rapport écrit et motivé de ses opérations et constatations, dit que la Société Sogec y consignera, dans les deux mois du présent arrêt, une somme de 6.000 F à titre d'avance sur le coût de l'expertise, réserve les dépens.