CA Toulouse, 4e ch., 19 novembre 1999, n° 98-03835
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hopi (SA)
Défendeur :
Van Gaver
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roger
Conseillers :
MM. Saint Ramon, Perrin
Avocats :
Mes Dumas, Decker.
Faits et procédure
Monsieur Alain Van Gaver a été engagé en qualité de VRP à compter du 1er janvier 1983 par la SARL André Piguet, agence de renseignements commerciaux, devenue ultérieurement la SA Hopi.
Le 4 décembre 1990 il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 10 décembre 1990.
Son licenciement lui a été notifié le 14 septembre1990 au motif suivant :
- " grave insuffisance répétée de résultats aussi bien en prospection qu'en renouvellement des commandes clients. "
Monsieur Van Gaver a saisi le Conseil de prud'hommes de Toulouse le 21 avril 1997.
Par jugement du 22 juin 1998, cette juridiction a :
- dit le licenciement de Monsieur Van Gaver dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamné la SA Hopi à payer à Monsieur Van Gaver les sommes de :
- 36 000 F à titre de dommages et intérêts, - 8 984, 94 F à titre d'indemnité légale de licenciement ; - 51 390, 66 F en application de la clause de non-concurrence ; - débouté Monsieur Van Gaver du surplus de ses demandes.
La SA Hopi a régulièrement interjeté appel de cette décision le 20 juillet 1998.
Prétentions et moyens des parties
La SA Hopi fait valoir :
Que les demandes principales de Monsieur Van Gaver sont prescrites, l'intéressé ayant saisi la juridiction prud'hommale en avril 1997 de réclamations salariales remontant à 1990 ; que sont ainsi irrecevables en application de l'article 2277 du Code civil les demandes de complément de préavis et de contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
Que Monsieur Van Gaver ne rapporte pas la preuve de la créance à titre de frais professionnels qu'il allègue, et a été à juste titre débouté de ce chef par les premiers juges ; que sa demande est au surplus irrecevable car le VRP devait présenter mensuellement ses notes de frais ; que l'article 2277 du Code civil lui est également opposable.
Que Monsieur Van Gaver, qui n'a pas renoncé à l'indemnité de clientèle, ne peut prétendre à l'indemnité conventionnelle de rupture mais tout au plus à l'indemnité légale de licenciement.
Que le licenciement de Monsieur Van Gaver est intervenu fin 1990 après une baisse très sensible des ventes de bulletins (unité de comptes des prestations de la société André Piguet) ; qu'il n'est pas contesté que Monsieur Van Gaver n'avait pas reçu d'objectif déterminé, mais que son inactivité justifie le licenciement prononcé.
Qu'en toute hypothèse la créance indemnitaire de Monsieur Van Gaver doit être limitée à six mois de salaire.
La société Hopi demande en conséquence à la cour de :
- dire et juger que Monsieur Van Gaver a été licencié pour une cause réelle et sérieuse et de le débouter de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté comme prescrite la demande de Monsieur Van Gaver au titre de frais professionnels,
- déclarer également prescrite les demandes de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence et d'indemnité de préavis,
- condamner Monsieur Van Gaver à lui payer une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens.
Monsieur Van Gaver répond :
Que son licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ; qu'il ne pouvait lui être reproché des insuffisances de résultat répétées alors qu'aucun objectif ne lui avait été assigné par la société Piguet, qui était en perte de vitesse, ayant mis en place des produits et matériels nouveaux nécessitant une entière restructuration du service commercial.
Qu'à la suite de son licenciement il a subi une grave dépression ; qu'il n'a pu retrouver d'emploi ; que les dommages-intérêts lui revenant doivent être portés à la somme de 128 476 F correspondant à 12 mois de salaire ;
Qu'il renonce à réclamer une indemnité de clientèle au profit d'une indemnité conventionnelle de licenciement conforme à l'article 13 de la convention collective des VRP, soit la somme de 18 629, 08 F ; que de façon erronée le conseil lui a alloué une somme de 8 984, 94 F au titre de l'indemnité légale de licenciement.
Que le conseil a justement condamné l'employeur à lui verser une somme de 51 390, 66 F en application de la clause de non-concurrence, cette contrepartie étant prévue par l'article 17 de la convention collective.
Qu'il démontre la réalité des frais professionnels dont il sollicite le remboursement ; que le conseil l'a, à tort, débouté de ce chef.
Monsieur Van Gaver demande par suite à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a estimé son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- lui a alloué une somme de 51 390, 66 F en application de la clause de non-concurrence,
- constater que cette contrepartie financière à la clause de non-concurrence ne lui a pas été réglée et dire qu'elle a un caractère indemnitaire,
- réformer partiellement le jugement déféré en portant :
- les dommages et intérêts à la somme de 128 476 F,
- l'indemnité de licenciement à la somme de 18 629, 06 F conformément à la convention collective,
- constater qu'il renonce à l'indemnité de clientèle au profit de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- condamner l'employeur à lui payer la somme de 29 748 F à titre de frais professionnels non remboursés,
- condamner la société Hopi au paiement d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure et aux entiers dépens.
Motifs de la décision
Sur le licenciement
Attendu que l'insuffisance de résultat ne constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement qu'autant qu'elle apparaît dans des éléments quantifiables;
Qu'il est constant que Monsieur Van Gaver n'était pas contractuellement tenu à la réalisation d'un objectif défini;
Que s'il résulte des pièces versées aux débats que la SARL André Piguet a connu en 1990 des difficultés enregistrant pour l'exercice clos le 31 décembre 1990 une perte de 4 100 984 F, les éléments produits n'établissent pas les insuffisances de résultat reprochées à Monsieur Van Gaver, ni l'existence d'une quelconque corrélation entre les prestations de l'intéressé et les mauvais résultats de l'entreprise; que de plus le montant des commissions portées sur les bulletins de paye de Monsieur Van Gaver contredit les allégations de l'employeur quant à l'inactivité du VRP;
Que les premiers juges ont donc à bon droit déclaré le licenciement de Monsieur Van Gaver dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Attendu que Monsieur Van Gaver avait huit ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de onze salariés.
Que les dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail sont en conséquence applicables ;
Qu'à la suite de son licenciement Monsieur Van Gaver n'a pu retrouver un emploi ;
Que le préjudice subi justifie l'attribution d'une somme de 80 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Sur la contrepartie financière à la clause de non-concurrence :
Attendu que le contrat de travail signé par Monsieur Van Gaver comportait une clause de non-concurrence faisant interdiction au VRP pendant une durée d'un an après son départ de la société d'exercer le même travail pour son compte personnel ou pour le compte d'une autre agence de renseignements commerciaux dans le secteur qu'il visitait ;
Que l'article 17 de la convention collective prévoit le versement par l'employeur au représentant pendant l'exécution de l'interdiction contractuelle de concurrence d'une contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale égale à deux tiers de mois si la durée de l'interdiction est supérieure à un an et à un tiers de mois si elle est inférieure ou égale à un an ;
Que cette contrepartie financière constituant un dédommagement à l'interdiction faite au VRP pendant un an de pratiquer la même activité pour son compte ou pour une entreprise concurrente, est de nature indemnitaire;
Que la prescription quinquennale des salaires prévue par l'article 2277 du Code civil lui est donc inapplicable;
Que la décision des premiers juges faisant droit à la demande présentée par Monsieur Van Gaver mérite en conséquence confirmation ;
Sur l'indemnité conventionnelle de rupture
Attendu que l'indemnité conventionnelle de rupture prévue par l'article 13 de l'accord national des VRP du 3 octobre 1975, dont Monsieur Van Gaver revendique l'application, n'est cumulable ni avec l'indemnité légale de licenciement ni avec l'indemnité de clientèle ;
Qu'aux termes de l'article 14 de l'accord susvisé la renonciation du représentant à l'indemnité de clientèle doit intervenir dans les 30 jours de la lettre de rupture du contrat ;
Que n'ayant pas opté dans ce délai Monsieur Van Gaver ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité conventionnelle de rupture ;
Que le conseil lui a donc alloué à bon droit l'indemnité légale de licenciement ;
Sur l'indemnité de préavis
Attendu que Monsieur Van Gaver ne reprend pas devant la cour sa demande initiale, jugée à bon droit prescrite par le conseil en application des articles L. 143-14 du Code du travail et 2277 du Code civil ;
Sur les frais professionnels
Attendu que Monsieur Van Gaver sollicite le remboursement de frais professionnels sur la base d'une annexe de son contrat de travail prévoyant le remboursement par l'employeur des frais exposés par le représentant hors de son secteur géographique sur présentation mensuelle des notes de frais ;
Que la prescription quinquennale résultant des dispositions combinées des articles L. 143-14 du Code du travail et 2277 du Code civil est inapplicable lesdits frais ne constituant pas des éléments de salaire à la différence des frais engagés par le VRP dans son secteur, dont le remboursement est spécifié par la convention des parties compris dans la partie fixe forfaitaire de la rémunération ;
Attendu qu'il incombait à Monsieur Van Gaver en vertu des dispositions contractuelles ci-dessus rappelées de présenter mensuellement ses notes de frais à l'employeur ; qu'il ne justifie, ni d'ailleurs ne prétend, avoir satisfait à cette obligation, ni jamais réclamé de paiement de frais avant la saisine du conseil de prud'hommes sept ans plus tard ; qu'au contraire Monsieur Guy Manfredi, directeur commercial de la société André Piguet, atteste qu'à son départ de la société Monsieur Van Gaver ne s'est prévalu d'aucune créance relative à des frais professionnels ;
Qu'au surplus les pièces produites n'établissent pas le caractère professionnel des frais allégués ;
Qu'il ne peut donc dans ces conditions être fait droit à la demande de Monsieur Van Gaver ;
Que les premiers juges l'ont à juste titre débouté de sa réclamation.
Sur les frais irrépétibles
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Van Gaver les frais irrépétibles engagés en cause d'appel pour la défense de ses droits ; qu'il lui sera alloué une somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Qu'il n'y a pas lieu à application de ce texte en faveur de la SA Hopi.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort : Confirme le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Toulouse le 22 juin 1998 en ce qu'il a : Dit le licenciement de Monsieur Van Gaver sans cause réelle et sérieuse ; Condamné la SA Hopi à payer à Monsieur Alain Van Gaver la somme de 51 390, 66 F à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence ; Condamné la SA Hopi à payer à Monsieur Alain Van Gaver la somme de 8 984, 94 F à titre d'indemnité légale de licenciement ; Jugé prescrite la demande d'indemnité de préavis de Monsieur Alain Van Gaver ; Débouté Monsieur Alain Van Gaver de sa demande de remboursement de frais professionnels ; Réformant pour le surplus, condamne la SA Hopi à payer à Monsieur Alain Van Gaver la somme de 80 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Condamne la SA Hopi à payer à Monsieur Alain Van Gaver une somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de toute autre demande ; Condamne la SA Hopi aux dépens.