CA Poitiers, ch. soc., 17 mai 1989, n° 958-89
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Raison
Défendeur :
Etablissements Borgel (SA), Société Aquitaine de Distribution
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lescuyer
Conseillers :
M. Calvet, Mme Saunier
Avocats :
Mes Pelissier, Ducasse.
Ce jour a été rendu réputé contradictoire et en dernier ressort l'arrêt dont la teneur suit :
Engagé en janvier 1982 par la société Borgel en qualité de " représentant alimentaire " et devenu animateur commercial en octobre 1987, Raison Jean-Pierre a donné sa démission le 15 novembre 1987 et a quitté l'entreprise le 22 janvier suivant.
Nonobstant l'existence d'une clause de non-concurrence il a, dès le début de février 1987, travaillé pour une société concurrente, la société Aquitaine de Distribution.
La société Borgel l'a assigné devant le Conseil de prud'hommes de La Rochelle et lui demandait dans le dernier état de ses écritures, sa condamnation à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et à cesser sous astreinte son activité concurrentielle.
Raison a conclu, dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation de la société à lui payer la somme de 127 380 F, pour licenciement sans motif réel et sérieux, celle de 14 861 F au titre de l'indemnité de licenciement avec provision de 100 000 F à valoir sur l'indemnité de clientèle pour la fixation de laquelle il sollicitait une expertise et celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Aquitaine de Distribution a sollicité sa mise hors de cause et la condamnation de la société Borgel à lui payer la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Par jugement du 14 mars 1989, après comparution des parties, Raison a été condamné à payer la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts à la société Borgel et à cesser tout acte de concurrence, sous astreinte de 500 F par jour à compter du jugement. Le reste des demandes a été rejeté.
Raison a relevé appel par lettre postée le 23 mars 1989.
Il sollicite le débouté de la société et reprend les demandes formulées devant les premiers juges. Subsidiairement, il demande de constater le remboursement des sommes versées au titre de l'indemnité due à sa démission, soit 67 245 F et sollicite la compensation entre cette somme et celle qui pourrait être allouée à la société Borgel.
Il demande enfin la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Borgel sollicite la confirmation du jugement et demande la condamnation de Raison à lui payer la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La société Aquitaine Distribution n'a pas comparu.
Sur ce,
Attendu que l'appel principal et l'appel incident élevés dans les formes et délais de droit sont recevables ;
Attendu que la société Aquitaine Distribution ne comparait pas, bien qu'assignée régulièrement à personne par une convocation valant citation conformément aux dispositions de l'article 937 du NCPC ; qu'il convient de statuer à son égard par arrêt réputé contradictoire ;
Attendu que le 28 octobre 1987, la société Borgel rappelant les termes d'un entretien, faisait deux propositions à Raison, l'une concernant le maintien de son secteur et le règlement outre frais d'un fixe mensuel brut de 10 000 F outre une partie variable de 5 000 F, sur 13 mois, l'autre concernant une modification de ses attributions avec maintien d'une partie de son secteur (20 %) et règlement outre frais d'un salaire mensuel brut de 11 000 F outre une partie variable de 5 500 F scindée en deux, le tout sur 13 mois ;
Que ni l'une, ni l'autre de ces propositions n'était agréée par Raison, lequel note dans ses écritures qu'il a perçu, d'octobre à décembre 1987, les sommes (brutes) de 34 396 F, 15 728 F et 17 131 F, alors que ces chiffres résultent de l'addition de chiffres erronés, les salaires bruts acquis ayant été pour ces mois de 21 362 F, 12 163 F et 12 163 F (outre en décembre une prime annuelle de 13 566 F) le salaire moyen mensuel brut ayant été en 1987 de 13 400 F environ, outre la prime annuelle susvisée ;
Attendu que le 15 novembre 1987, Raison demandait à l'employeur de prendre sa démission en considération, désirant partir le 31 décembre et ajoutait : " je m'engage pendant cette période de préavis à assumer mes responsabilités commerciales envers vous et la clientèle de mon secteur, dans le cas d'un accord amiable, bien entendu " ;
Que l'employeur répondait par lettre du 24 novembre qu'il avait enregistré la démission et rappelait l'existence de la clause de concurrence d'une durée de deux ans, et recevait Raison le 27 novembre et que, finalement il était convenu (lettre de la société du 22 janvier 1988) que le préavis cesserait le 22 janvier 1988 ;
Attendu que l'employeur réglait chaque mois une somme de 4 483 F en contrepartie de la clause de non-concurrence (1 207,01 F pour la dernière semaine de janvier 1988) ; que Raison protestait par lettre du 3 mars 1988, en " manifestant son indignation à raison du caractère dérisoire du chèque " (il s'agissait du chèque [sic] lesquelles nous nous sommes séparés et la démission à laquelle vous m'avez finalement acculé. C'est seulement en raison de vos multiples promesses de paiement d'indemnités qui seraient calculées sur la base d'un licenciement que j'ai accepté de ne pas saisir le conseil de prud'hommes pour faire valoir mes droits ;
Qu'il indiquait ensuite qu'il avait été convenu que la contrepartie de la clause de non-concurrence devait être calculée comme en matière de licenciement et non pas de démission ;
Attendu que Raison n'apporte pas le moindre élément de nature à justifier les promesses qu'il prétend lui avoir été faites lors de son départ ;
Que, lors de la comparution des parties ordonnée par le conseil de prud'hommes, il a indiqué que c'était au cours d'un entretien de fin décembre 1987 que Borgel lui avait dit qu'il percevrait une indemnité de licenciement et une indemnité de clientèle (NB les deux font double emploi, l'indemnité de clientèle s'analysant en une indemnité de licenciement) dont le montant n'avait pas été précisé ;
Que l'employeur conteste formellement avoir fait quelque promesse que ce soit tant en vue d'une indemnité de licenciement que pour une indemnité de clientèle ;
Que cette position se conçoit d'autant plus aisément qu'on ne voit pas pourquoi l'employeur se serait engagé à verser une indemnité de clientèle ou une indemnité de licenciement qui ne sont pas dues en cas de démission, celle-ci étant antérieure de plus d'un mois;
Que, par ailleurs, Raison n'a nullement repris lors de sa comparution personnelle qu'il lui avait été promis une contrepartie de la clause de non-concurrence sur la base réglée au salarié en cas de licenciement ;
Attendu que Raison est mal venu à soutenir que sa démission doit s'analyser en un licenciement auquel il aurait été pratiquement contraint;
Attendu, outre qu'il n'apparaît pas que les propositions qui lui avaient été faites par lettres du 28 octobre 1987 fussent désavantageuses par rapport au salaire qu'il percevait, qu'il lui appartenait de les refuser et de demander le maintien du statu quo en laissant éventuellement à l'employeur le soin de prendre l'initiative d'un licenciement, en cas de refus ;
Que c'est en connaissance de cause qu'il a démissionnéet que, dès lors que la lettre du 28 octobre 1987 n'était nullement coercitive, ses demandes de dommages et intérêts, d'indemnité de licenciement et d'indemnité de clientèle seront rejetées;
Attendu que Raison était tenu par une clause de non-concurrence pendant deux ans dans son secteur d'affectation ;
Qu'il ne conteste plus la validité de cette clause, mais se prévaut seulement, pour y obvier, du fait que l'employeur n'a pas lui-même respecté ses promesses en matière de licenciement ;
Qu'il a été examiné ci avant qu'aucune promesse n'avait été faite à Raison et que, dans ces conditions, celui-ci ne pouvait s'affranchir du respect de la clause de non-concurrence ;
Attendu que Raison expose que la société Borgel fournissait des collectivités, et ne peut lui interdire son activité dans la restauration commerciale, et que, par ailleurs, les produits qu'il vend maintenant ne concurrencent pas ceux de la société Borgel ;
Attendu qu'il est établi, ne serait-ce que par l'interpellation du restaurateur de l'Etablissement La Marée, que ce dernier qui se fournissait auprès de la société Borgel a reçu la visite de Raison pour la société Aquitaine Distribution et a travaillé avec ces deux fournisseurs;
Que, par ailleurs, la clause de non-concurrence concerne tous les produits " similaires " à ceux de la société Borgel, les fournitures aux collectivités étant évidemment très variées ainsi qu'il résulte des catalogues de la société, et qu'ainsi en vendant des produits de restauration, Raison a violé la clause de non-concurrence, la société Aquitaine Distribution s'intitulant elle-même " spécialité de la restauration collective ";
Attendu que la société justifie par les documents qu'elle produit d'une chute de son chiffre d'affaires dans le secteur de Raison, alors qu'il y a eu progression dans les autres secteurs ;
Que ce dernier qui a eu connaissance des éléments chiffrés n'a apporté aucune contradiction sur ces points ;
Attendu qu'au regard de ces faits et alors que, si la marge est passée de 808 000 F à 593 000 F dans ce secteur, il n'est pas établi pour autant que cette baisse soit imputable à la seule concurrence illicite de Raison dès lors qu'elle peut également l'être aux inconvénients tenant à la qualité du représentant qui l'a remplacé, il convient de limiter à 120 000 F le montant des dommages et intérêts, en ce compris l'indemnité au titre de l'article 700 du NCPC ;
Que cette indemnité ne saurait bien entendu se compenser avec les sommes versées par la société au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence et qui ont été restituées, cette restitution étant la conséquence nécessaire de la violation de la clause qui enlevait tout fondement à ces règlements ;
Que, pour le surplus il convient de confirmer le jugement entrepris notamment en ce qu'il a enjoint à Raison de cesser son activité illicite sous astreinte ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels ; Confirme le jugement entrepris mais limite à 120 000 F le montant des dommages et intérêts et dit que l'astreinte provisoire de 500 F par jour courra pendant un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, après quoi il sera à nouveau fait droit ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne Raison Jean-Pierre aux dépens.