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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 16 juillet 2002, n° ECOC0200270X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharmajet (SA)

Défendeur :

Laboratoire Glaxosmithkline (SAS), Pfizer (SCA), Lilly France (SAS), Laboratoires Merck Sharp Dohme Chibret (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Lacabarats, Mme Pezard

Conseiller :

Mme Delmas-Goyon

Avoués :

SCP Arnaudy-Baechlin, Me Teytaud, SCP Hardouin, SCP Dauthy-Naboudet, SCP Bernarbé-Chardin-Chevaller

Avocats :

Mes Illouz, Freget, Thill-Tayara, Brunet, Cheyron

CA Paris n° ECOC0200270X

16 juillet 2002

Vu le recours formé le 20 juin 2002 par la société Pharmajet contre une décision prononcée le 12 juin 2002 par le Conseil de la concurrence qui a rejeté une demande de mesures conservatoires formée par cette société dans un litige l'opposant aux sociétés Merck, Pfizer, Lilly et GSK ;

Vu les assignations du 21 juin 2002 par lesquelles la société Pharmajet demande à la cour :

- d'annuler et de réformer la décision attaquée,

- de faire injonction sous astreinte aux sociétés défenderesses de lui livrer différents médicaments,

- de les condamner au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ;

Vu le mémoire du 28 juin 2002 par lequel la société Merck demande à la Cour de constater la nullité de l'assignation et de déclarer en conséquence irrecevable le recours, subsidiairement de le rejeter, de condamner Pharmajet au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ;

Vu le mémoire du 28 juin 2002 par lequel la société Lilly demande à la cour de constater la nullité de l'assignation et l'irrecevabilité du recours, subsidiairement de le rejeter ;

Vu le recours formé le 28 juin 2002 par la société GSK contre la même décision et le mémoire du 2 juillet 2002 tendant à ce qu'il lui soit donné acte de son désistement ;

Vu le mémoire du 1er juillet 2002 par lequel la même société demande à la cour de déclarer irrecevable ou mal fondé le recours de la société Pharmajet et de la condamner au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ;

Vu le mémoire de la même date par lequel la société Pharmajet demande à la cour d'accueillir son recours incident sur le recours formé par GSK pour obtenir notamment le bénéfice des mesures conservatoires susvisées ;

Vu le mémoire du 2 juillet 2002 par lequel la société Pfizer demande à la cour de déclarer irrecevable ou mal fondé le recours de Pharmajet et de la condamner à payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC ;

Considérant qu'il y a lieu de joindre en raison de leur connexité les instances n° 2002-11014 et 2002-11376 et de donner acte à GSK de son désistement ;

Sur l'exception de nullité des assignations soulevée par les sociétés Merck et Lilly :

Considérant qu'il est constant que, contrairement à ce qu'exige l'article 10 du décret n° 87- 849 du 19 octobre 1987, les assignations délivrées par Pharmajet à Merck et Lilly n'étaient pas accompagnées d'une copie de la décision attaquée;

Considérant cependantque l'omission de cette formalité ne saurait, en dépit de ce que soutiennent les sociétés Merck et Lilly, entraîner l'annulation des actes;

Considérant en effet que le décret susvisé relatif à la procédure de recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ne déroge aux règles du NCPC que pour celles qu'il écarte expressément; qu'à défaut de dispositions contraires, les articles du NCPC concernant la nullité des actes de procédure pour vice de forme, et notamment l'article 114 du NCPC qui exige la preuve d'un grief, demeurent applicables;

Considérant qu'en l'état d'une assignation donnant toutes indications utiles sur la décision attaquée et d'écritures montrant que les sociétés Merck et Lilly ne se sont pas méprises sur l'objet et la cause du recours et ont pu exercer sans restriction les prérogatives attachées à leur situation de défendeurs, l'exception ne saurait être accueillie;

Sur la recevabilité des recours de Pharmajet :

Considérant que la société Pharmajet ayant précisé qu'elle sollicitait seulement la réformation de la décision du Conseil de la concurrence, et non son annulation "et" sa réformation comme l'indiquaient les assignations, son recours principal est recevable ;

Considérant en revanche que le recours incident, formé par simples conclusions au lieu de l'assignation prévue par l'article 10 du décret du 19 octobre 1987, n'est pas recevable ;

Sur le bien fondé du recours principal :

Considérant qu'en vertu de l'article L. 464-1 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence peut prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou qui lui apparaissent nécessaires si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle des consommateurs ou à l'entreprise plaignante; que ces mesures doivent en outre rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence;

Considérant qu'en sa qualité de grossiste exportateur en pharmacie, Pharmajet achète en France des spécialités pharmaceutiques qu'elle revend dans certains autres pays européens où ces spécialités sont mises sur le marché par les producteurs à des prix supérieurs ; qu'elle peut ainsi proposer les médicaments concernés à un niveau de prix compétitif dans ces pays ; qu'elle s'est vue notifier par les défenderesses au recours la décision de cesser les livraisons de produits destinés à l'exportation à l'expiration d'un délai de préavis ;

Considérant que pour justifier sa demande de mesures conservatoires, Pharmajet fait valoir que la politique commerciale des laboratoires porte atteinte à l'existence de la concurrence et des échanges intra communautaires, affecte les économies réalisées par les caisses de sécurité sociale de chaque Etat importateur grâce au commerce parallèle de produits pharmaceutiques et causent un préjudice considérable à Pharmajet ;

Considérant cependant que si l'autorité compétente pour prononcer des mesures conservatoires n'est pas tenue de constater une infraction aux règles de la concurrence présentant le même degré de certitude que celui requis pour la décision finale, elle doit néanmoins être convaincue de l'existence d'une présomption de manquement raisonnablement forte;

Considérant que les produits pharmaceutiques achetés par Pharmajet en France étant destinés à l'exportation, les pratiques anticoncurrentielles susceptibles de perturber cette activité affecteraient le commerce entre Etats membres et pourraient donc, si elles sont établies, tomber sous le coup des prohibitions édictées par les articles 81 et 82 du Traité de Rome;

Considérant que ces dispositions faisant partie intégrante de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres de l'Union européenne, le Conseil de la concurrence est compétent pour en assurer l'application, comme le précise l'article L. 470-6 du Code de commerce, même si les faits dénoncés, tout en ayant leur origine sur le territoire français, ne produisent pas d'effet sur un marché national; que les pouvoirs attribués aux instances européennes pour la mise en œuvre du Traité de Rome ne privent pas le Conseil de la concurrence du droit de poursuivre ses investigations dès lors qu'il n'est pas justifié de l'ouverture d'une procédure par ces instances pour les faits incriminés ;

Considérant, quant à une éventuelle violation de l'article 81 du Traité, que l'objectif de ce texte est d'interdire les obstacles au commerce intra communautaire lorsque ceux-ci résultent d'une pratique concertée mise en œuvre par les opérateurs économiques pour empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a relevé à juste titre qu'aucun élément, en l'état actuel de l'enquête, n'établit que les décisions de cessation de livraisons contestées par Pharmajet procèdent d'une entente des laboratoires destinée à contrarier l'exercice par l'exportateur de ses activités ; qu'il convient d'observer qu'un simple parallélisme de comportement ne suffit pas à révéler l'existence d'une concertation frauduleuse, que les décisions litigieuses ont été prises à des dates différentes, allant du 21 décembre 2000 au 7 février 2002, pour des motifs propres à chaque fabricant dont rien ne démontre l'absence manifeste de pertinence ;

Considérant, quant à l'application de l'article 82 du Traité, que la cour ne peut se déterminer qu'en fonction des données mises à sa disposition et non sur la foi de simples affirmations ; que même si le Conseil de la concurrence a estimé que les laboratoires défendeurs pouvaient avoir une position dominante sur les marchés des médicaments dont Pharmajet assurait l'exportation, les pièces du dossier ne permettent pas de se prononcer sur la part détenue par chacun sur ces marchés, sur une éventuelle position dominante pourtant contestée par les fabricants au moyen d'éléments sérieux de conviction, ni a fortiori, à supposer que la position dominante soit avérée, sur l'abus de celle-ci qui ne saurait résulter de la seule constatation d'un refus de vente ;

Considérant en toute hypothèse, que les autres conditions nécessaires à l'adoption de mesures conservatoires ne sont pas réunies ;

Considérant en premier lieu qu'indépendamment de développements généraux sur le risque d'exclusion encouru par certains opérateurs économiques, Pharmajet n'apporte aucune indication précise et objective sur les conditions de fonctionnement des marchés dans les pays où elle exerce son activité d'exportateur, sur l'incidence des interruptions ou restrictions de livraisons critiquées et en définitive, sur la réalité d'une atteinte grave et immédiate susceptible d'être causée à l'économie ;

Considérant que la preuve d'une telle atteinte, comme celle pouvant être subie par les consommateurs, ne saurait être rapportée par le seul rapport de l'Association européenne des sociétés euro-pharmaceutiques ; qu'en effet à ce document, qui émane d'entreprises exerçant la même activité que Pharmajet, les parties défenderesses opposent une communication faite le 25 novembre 1998 par la Commission sur le marché unique des produits pharmaceutiques, la résolution adoptée par le Parlement européen le 4 mai 1999 sur cette communication, ou encore l'avis du Comité économique et social du 16 janvier 2001 ; que les appréciations contradictoires qui se dégagent des différents documents ainsi produits par les parties, notamment sur les conséquences, pour le marché des médicaments et les systèmes de soins, des importations parallèles de médicaments, privent l'atteinte alléguée de l'évidence et des autres conditions requises pour l'instauration de mesures conservatoires ;

Considérant que la demande n'est pas plus justifiée par l'incidence prétendue, sur la situation financière de Pharmajet, des décisions reprochées aux laboratoires défendeurs ;

Considérant en effet que la constatation d'un manque à gagner, voire la réduction du bénéfice d'une entreprise, est insuffisante pour caractériser à elle seule une situation de danger grave et immédiat, au sens de l'article L. 464-1 du Code de commerce, et ne peut être prise en considération à ce titre que si elle est de nature à exposer l'entreprise plaignante à un risque de disparition;

Considérant qu'à cet égard, les affirmations de Pharmajet sont démenties par l'examen de ses comptes disponibles qui révèlent, depuis 1998, une forte croissance de son activité, de son chiffre d'affaires et de son bénéfice ; qu'en outre, malgré la notoriété des produits commercialisés par les défendeurs, il n'est pas établi que la requérante sera dans l'impossibilité de compenser, au moins en partie, par le report sur d'autres produits ou d'autres fournisseurs, la perte d'un certain volume de livraisons consécutive aux décisions litigieuses, étant observé que Pharmajet exerce son activité d'intermédiation sans être tenue à des obligations de service public, telle celle d'assortiment, pesant sur les grossistes répartiteurs ; que le recours doit dès lors être rejeté, sans que pour autant les circonstances commandent de faire application de l'article 700 du NCPC au profit des défendeurs ;

Par ces motifs : Joint les recours 2002-11014 et 2002-11376, Donne acte à la société Glaxosmithkline de son désistement ; Rejette l'exception de nullité des assignations soulevée par les sociétés Merck et Lilly ; Déclare irrecevable le recours incident de la société Pharmajet ; Déclare recevable mais mal fondé le recours principal de la société Pharmajet ; En conséquence le rejette ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société Pharmajet aux dépens de son propre recours ; Laisse à la société Glaxosmithkline les dépens du recours qu'elle a formé.