CA Paris, 5e ch. B, 7 mars 2002, n° 2000-03052
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société d'Exploitation des Etablissements Pierre Actis Barone (SA), Actis Barone, Holleville
Défendeur :
Fiat Auto France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Président de chambre :
Mme Pezard
Conseiller :
M. Faucher
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller
Avocats :
Mes Bourgeon, Cocchiello.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la SA société d'Exploitation des Etablissements Pierre Actis Barone ainsi que par Monsieur Pierre Actis Barone et Madame Jacqueline Holleville du jugement contradictoirement rendu le 25 octobre 1999 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige les opposant à la SA Fiat Auto France, les a déboutés de leurs demandes et les a condamnés in solidum, outre aux dépens, à payer à l'intimée 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions du 30 octobre 2001 les appelants font valoir :
- que Monsieur Pierre Actis Barone a créé au Bourget, en 1963, un fonds de commerce de concession automobile qui a été repris en location-gérance par la société d'Exploitation des Etablissements Pierre Actis Barone (ci-après la société Actis Barone) en 1988,
- qu'en dernier lieu cette société était liée à la société Fiat Auto France par deux contrats de concession conclus pour une durée indéterminée, respectivement à effet du 1er avril 1988 pour la marque Fiat et du 2 janvier 1989 pour la marque Lancia,
- que le 14 avril 1995 la société Actis Barone s'est vu notifier la résiliation avec un préavis d'un an de ses contrats de concession Fiat et Lancia,
- que, en agissant de la sorte, la société Fiat Auto France n'a pas exercé avec loyauté ses prérogatives contractuelles dans la mesure où la société concédante, d'une part a dissimulé à la société Actis Barone ses véritables intentions sur la représentation de ses marques sur le secteur de l'est parisien qui lui était concédé, d'autre part l'a placée "devant le fait accompli de décisions de résiliation incompatibles avec un déroulement serein et un aboutissement équitable des négociations de cession qu'elle s'est ainsi trouvée contrainte d'engager",
- que, pour ce qui est du premier grief, il était déloyal d'inciter la société Actis Barone à investir dans le cadre d'un programme dit "up grading", c'est-à-dire de mise aux normes Fiat-Lancia fin 1994, alors qu'elle était sur le point de résilier les contrats de concession pour la mise en œuvre de son "Plan Paris" tendant à la réorganisation de son réseau de distribution, ce qu'ignorait le concessionnaire,
- que, pour ce qui est du second grief, il convient d'observer :
* qu'en résiliant le contrat de la société Actis Barone avant même que celle-ci n'ait ouvert une négociation de cession avec le repreneur auquel elle entendait confier à l'avenir le secteur concédé, la société Fiat Auto France a limité le droit de céder contractuellement reconnu à la société Actis Barone,
* qu'en conférant dès l'ouverture des préavis de résiliation un caractère public à ses décisions, l'intimée a déstabilisé son concessionnaire, le plaçant dans une situation incompatible avec la conduite d'une négociation dans des conditions sereines et confortant l'immobilisme du repreneur,
* que la responsabilité de la société Fiat Auto France est engagée par les "propositions indécentes" du repreneur dont elle avait le total contrôle puisque celui-ci bénéficiait de son agrément et qu'elle s'était donnée les moyens de le contrôler,
- que les préjudices des appelants tiennent :
1) tout d'abord aux coûts inhérents à la liquidation de l'activité Fiat-Lancia de la société Actis Barone (valeur non amortie des investissements réalisés fin 1994 dans le cadre du programme de mise aux normes Fiat-Lancia "up grading" pour 300 000 F + dépréciations effectuées sur le stock de pièces de rechange pour 530 000 F) et à la reconversion à laquelle le concessionnaire a été contraint (1 200 000 F),
2) ensuite aux dommages moral et matériel subis par les dirigeants et principaux actionnaires de la concession en raison du changement de panonceau qui a, en particulier, conduit les propriétaires indivis des locaux et du fonds de commerce à réduire le montant de la redevance de location gérance acquittée par la société Actis Barone,
- que, ayant par circulaire du 27 juin 1995 subordonné l'octroi d'une prime dite "Minimum Operating Standard" (MOS) à des critères supplémentaires dont certains présentaient un caractère anticoncurrentiel manifeste, la société Fiat Auto France n'a apporté aucune réponse à la protestation du réseau sur ce point, de sorte que la société Actis Barone est en droit d'obtenir des dommages-intérêts équivalents à la différence entre le montant des primes qui lui ont été effectivement réglées et le montant maximum des primes auxquelles elle pouvait prétendre pour l'exercice 1995, sur la base de 2,5 % de son chiffre d'achat de véhicules neufs auprès de la société Fiat Auto France.
En conséquence la société Actis Barone ainsi que Monsieur Pierre Actis Barone et Madame Jacqueline Holleville demandent à la cour d'infirmer la décision du tribunal et de condamner l'intimée, outre au règlement d'une indemnité de 60 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer :
1) à la société Actis Barone les sommes de 300 000 F + 530 000 F + 1 200 000 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 29 septembre 1997,
2) à Monsieur Pierre Actis Barone et à Madame Jacqueline Holleville, en réparation de leur préjudice moral, 250 000 F chacun avec intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 1997,
3) à l'indivision Actis Barone, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce, la somme de 540 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 1997,
4) à la société Actis Barone, en compensation des primes MOS 1995 qui lui auraient été indûment refusées, 371 397 F (prime MOS Fiat 1995) et 85 378 F (prime MOS Lancia 1995) avec intérêts au taux contractuel sur lesdites sommes à compter du 1er janvier 1996, à titre de complément de dommages-intérêts.
Dans ses uniques écritures du 28 septembre 2001 la société Fiat Auto France soutient :
- que devant la crise du marché de l'automobile elle a, dans le courant du deuxième semestre 1994, engagé une réflexion concernant la réorganisation éventuelle de son réseau de distribution à Paris et dans la région parisienne,
- que la notification de la résiliation des contrats de concession est exempte de tout reproche puisque :
* aucun devoir d'information préalable à la décision proprement dite de résiliation du contrat avec préavis ne pesait sur le concédant, ce d'autant que le principe de la réorganisation a été décidé à la fin de l'année 1994,
* elle a été effectuée sans aucun retard à un moment où, si un accord de principe était intervenu entre la société Fiat Auto France et son nouvel opérateur, la CPTA, des négociations étaient encore en cours,
* le concédant n'a jamais incité la société Actis Barone à effectuer des travaux qui, correspondant pour l'essentiel à des mises aux normes de sécurité, ont été réalisés en 1994, à un moment où le "Plan Paris" n'était pas encore décidé,
- qu'elle n'a commis aucune faute dans les négociations ayant eu lieu entre la société CPTA, dont le contrôle total ne lui appartenait pas, et la société Actis Barone qui les a fait échouer en raison du désaccord de ses principaux actionnaires sur la stratégie future à adopter,
- que les préjudices allégués par les appelants ne peuvent être retenus dans la mesure où :
1) la société Actis Barone n'est pas fondée à invoquer :
* des investissements non amortis car aucune pièce ne démontre leur spécificité pour la marque Fiat,
* des dépenses de publicité qui sont le fait de tout concessionnaire,
* des dépréciations sur un stock de pièces de rechange qui a été repris conformément aux stipulations contractuelles,
* un résultat d'exploitation négatif au 31 décembre 1996, ce qui constitue un risque d'entreprise comme l'a jugé le tribunal,
2) les consorts Actis Barone sont irrecevables et mal fondés à réclamer la réparation d'un préjudice moral et matériel lié à une perte de redevance de location-gérance alors qu'ils sont libres de gérer leur fonds comme ils l'entendent et que l'existence d'un lien de causalité n'est pas démontré,
- que les critères d'attribution de la prime MOS envisagés au mois de juin 1995 n'ont jamais été appliqués, de sorte que la société Actis Barone, qui ne peut prétendre que les critères envisagés ont entravé sa liberté commerciale, ne justifie d'aucun préjudice.
Dès lors la société Fiat Auto France conclut à la confirmation du jugement critiqué et à la condamnation in solidum des appelants à lui payer 100 000 F au titre de ses frais irrépétibles.
Sur ce,
1- Sur la résiliation des contrats de concession :
Considérant que la SA d'Exploitation des Etablissements Pierre Actis Barone (ci-après la société Actis Barone), sise 77-79 avenue de la Division Leclerc 93350 Le Bourget, qui, constituée en 1988, a reçu en location-gérance le fonds de commerce de "concessionnaire automobile négoce motos, cycles, accessoires huiles, essence" de Monsieur Pierre Actis Barone, a, pour une durée indéterminée, conclu avec la société Fiat Auto France deux "contrats de concession de vente" de véhicules automobiles neufs, l'un pour le développement de la marque Fiat le 1er avril 1988, l'autre pour celui de la marque Lancia le 2 janvier 1989, avec une zone comportant, pour le département de la Seine-Saint-Denis, les communes d'Aubervilliers, Le Blanc-Mesnil, Le Bourget, La Courneuve, Drancy, Dugny, Stains et, pour le département du Val d' Oise, la commune de Bonneuil en France;
Que la société Fiat Auto France a, le 15 avril 1995, informé son concessionnaire qu'elle entendait faire application des dispositions de l'article 6 de ces contrats et qu' en conséquence ceux-ci devaient prendre fin le 15 avril 1996, après un préavis d'un an;
Qu'elle écrivait en particulier à la société Actis Barone le 24 juillet 1995 : "Comme nous vous l'avons indiqué, la décision de résilier vos contrats de concession est la conséquence de la restructuration de notre réseau et des impératifs économiques auxquels doit faire face Fiat Auto (France) ... ".
Considérant que cette restructuration, qui s'est traduite avec le "Plan Paris" par la "privatisation" de succursales et la modification de la carte des concessions, a, dans le Nord Est de la capitale, conduit l'intimée à supprimer la concession de la société Actis Barone et, par l'intermédiaire d'une de ses filiales à 99 %, la SA Var (France), devenue la SA Inter Map, à constituer avec la SA la Compagnie Provençale des Transports Automobiles (la CPTA) la SAS Compagnie Parisienne de Distribution Automobile (COPADA) ayant pour objet, à titre exclusif, la vente de véhicules automobiles et de pièces de rechange de marque Fiat, Lancia et Alfa Roméo "sur la totalité de la surface des locaux sis à Paris 19ème, 93 rue Petit, à Bobigny, 15 à 23 rue de Paris et sur les territoires concédés";
Considérant que les appelants reprochent à la société Fiat Auto France d'avoir, en résiliant les contrats litigieux le 15 avril 1995, agi avec déloyauté dans la mesure où, selon eux, elle leur a dissimulé ses véritables intentions et a amoindri leur possibilité de négociation pour la cession de leur fonds de commerce;
Considérant tout d'abord qu'il ne peut être fait grief à l'intimée d'avoir, consécutivement à la crise traversée par le marché de l'automobile en 1993, conçu et élaboré le "Plan Paris" sans en informer la société Actis Barone ou même en l'incitant à investir;
Considérant en effet que si, en l'espèce, une décision a vraisemblablement été arrêtée à la fin de l'année 1994, à tel point que le 16 décembre 1994, lors d'une réunion du comité central d'entreprise, Monsieur Jean-Michel Benne, alors dirigeant de la société Fiat Auto France, a annoncé "la signature d'accords préalables dans la nuit du 15 au 16 décembre pour les succursales de Paris-Jaurès et Levallois", rien ne permet de savoir le moment précis où la suppression de la concession litigieuse a été décidée puisque le président du comité central d'entreprise précisait encore le même jour : "Cependant les négociations sur certains points ne sont pas encore entamées";
Que de la sorte il ne peut sur ce point être imputé une quelconque faute à l'intimée qui, libre de réorganiser son réseau sans en informer ses concessionnaires, n'a pas manqué à son devoir de loyauté lorsque, au cours du deuxième semestre 1994, elle a, dans le cadre d'un plan "up grading" dont la cour ignore la teneur, manifesté sa volonté de contribuer à hauteur de 400 KF à la décision prise, sans incitation aucune, par la seule société Actis Barone de rénover sa concession et d'effectuer à cet effet des travaux dont, au vu des factures communiquées, rien ne prouve qu'ils étaient spécifiques aux marques Fiat et Lancia;
Considérant ensuite qu'il n'est pas prouvé en l'espèce que, en résiliant les contrats de concession à un moment où un accord, rendu public, était intervenu entre elle et la CPTA, la société Fiat Auto France a amoindri les possibilités de négociation et de reconversion de la société Actis Barone;
Qu'à cet égard, en effet, si celle-ci qualifie "d'indécente" la proposition faite par la CPTA au mois d'octobre 1995 d'acquérir la société Actis Barone "pour une somme de 4,5 MF (pour un actif net de 1,3 MF et un résultat de 0,245 MF en 1994), après apport à la société du fonds de commerce qui ne lui appartient pas..." et de porter le loyer des murs de la concession à 800 000 F/an", force est de constater que les seules expertises non contradictoires réalisées en 1996 et 1998 sont insuffisantes pour apprécier dans son ensemble la valeur de la proposition faite par la CPTA à la société Actis Barone qui, après avoir légitimement hésité sur le choix à retenir pour le devenir de son entreprise, s'est, en cours de préavis, rapprochée de la société Renault et a, en toute liberté, signé avec elle un contrat de concession le 24 juin 1996 dont rien ne justifie qu'il soit moins avantageux que celui la liant à la société Fiat Auto France;
Qu'en conséquence, rien ne démontrant que celle-ci a entravé son ancien concessionnaire dans sa reconversion ou lui a laissé croire à la pérennité des contrats de concession, il y a lieu, pour ces motifs et ceux non contraires du tribunal de confirmer le jugement critiqué;
2- Sur la prime "MOS" allouée en 1995 :
Considérant que la société Actis Barone reproche encore à la société Fiat Auto France de lui avoir, en 1995, appliqué pour l'octroi de la prime "MOS" (Minimum Operating Standard) Fiat et Lancia des critères supplémentaires qui, introduits par une circulaire du 27 juin 1995, présenteraient pour certains d'entre eux un caractère anticoncurrentiel; qu'elle sollicite en conséquence la condamnation de l'intimée à lui payer des dommages-intérêts équivalents à la différence entre le montant des primes qui lui ont été réglées et le montant maximum des primes auxquelles elle pourrait prétendre pour l'exercice 1995;
Considérant que les documents versés aux débats établissent que, devant l'hostilité du "Groupement Amical des Concessionnaires" aux critères de notation arrêtés le 26 juin 1995 pour l'octroi de la prime "MOS" par la société Fiat Auto France, celle-ci a affirmé, comme cela ressort du procès-verbal d'une réunion tenue le 12 juillet 1995 : "La nouvelle grille de notation pour 1995, envoyée au réseau début juillet, ne sera pas appliquée cette année - les règles utilisées en 1994 sont reconduites en 1995, à l'exception du seuil d'accès CSI qui passe à sept comme prévu dès 1994, de la signature des potentiels et des cloisons séparatives pour les concessions duales, règles qui sont applicables dès cette année..."
Considérant que rien ne prouve que l'intimée a, en l'espèce, appliqué à son concessionnaire les critères qu'elle avait renoncé à mettre en œuvre et que la société Actis Barone était en droit d'obtenir en 1995 le maximum des primes qu'elle sollicite devant la cour; que de la sorte l'appelante doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts;
Considérant qu'il est équitable d'allouer à l'intimée une indemnité complémentaire de 3.050 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de condamner in solidum la société Actis Barone, Monsieur Pierre Actis Barone et Madame Jacqueline Holleville à lui payer cette somme;
Considérant que, parties perdantes, les appelants ne peuvent obtenir le remboursement de leurs frais irrépétibles;
Par ces motifs : Confirme le jugement critiqué et, y ajoutant, condamne in solidum la société Actis Barone, Monsieur Pierre Actis Barone et Madame Jacqueline Holleville à payer à la société Fiat Auto France une indemnité complémentaire de 3 050 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les appelants de leurs demandes et les condamne in solidum aux dépens d'appel; Admet la SCP Bernabe, Chardin & Cheviller, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.