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Décisions

Ministre de l’Économie, 5 juillet 2002, n° ECOC0200293Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société SEB

Ministre de l’Économie n° ECOC0200293Y

5 juillet 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

La société Moulinex a été mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 7 septembre 2001.

Par jugement du même tribunal en date du 22 octobre 2001, la société SEB SA (ci-après " SEB ") a été autorisée à reprendre une partie des actifs de Moulinex.

Le 13 novembre 2001, la Commission européenne (ci-après " la Commission ") a reçu notification, au titre de l'article 4 du règlement (CE) n° 4064/89 modifié du conseil, d'un projet de concentration par lequel SEB reprend partiellement des actifs de la société Moulinex.

En date du 7 décembre 2001, la République française a, sur le fondement de l'article 9, paragraphe 2, du règlement précité, demandé à la Commission le renvoi partiel de l'affaire notifiée.

En estimant que la nouvelle entité bénéficiera en France " de fortes positions (...) qui justifient l'existence d'une menace de création ou de renforcement de position dominante ", la Commission a, par décision datée du 8 janvier 2002 et sur le fondement de l'article 9, paragraphe 3, du règlement précité, renvoyé la concentration notifiée aux autorités compétentes de la République française, pour ce qui concerne les marchés français des appareils de petit électroménager.

Dans la décision précitée, la Commission a distingué treize marchés de produits relevant du secteur de la vente de petits appareils de l'électroménager : (1) friteuses, (2) mini-fours, (3) grille-pain, (4) appareils à sandwich et gaufriers, (5) appareils pour repas informels, (6) barbecue électriques et grills d'intérieur, (7) cuiseurs de riz et cuiseurs à vapeur, (8) cafetières électriques pour café filtre, (9) bouilloires, (10) machines à café expresso, (11) mélangeurs et préparateurs culinaires (robots), (12) fers à repasser et stations vapeur, (13) appareils de soins personnels (santé et beauté). La Commission a par ailleurs estimé que les marchés de produits en question avaient une dimension nationale.

Parallèlement, la Commission a, en date du 8 janvier 2002, rendu une décision pour les autres pays de la Communauté européenne (décision n° COMP/M.2621 SEB/Moulinex). Dans cette décision, elle a estimé que " l'opération projetée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun sur tous les marchés du petit électroménager au Portugal, en Belgique, en Grèce et aux Pays-Bas, et sur le marché des friteuses en Allemagne, Autriche, Suède, Norvège et Danemark. " La Commission a cependant autorisé l'opération, sous réserve que SEB s'engage notamment à accorder une licence exclusive de la marque Moulinex pour une durée de cinq ans portant sur la vente d'appareils d'électroménager, et ce pour les treize catégories de produits dans les neuf États précités. Par ailleurs, pendant la durée du contrat de licence et pendant trois ans après son expiration, SEB s'est engagé à ne pas commercialiser, dans les pays en cause, des produits de la marque Moulinex.

Par lettre en date du 4 mars 2002, le ministre a, sur le fondement de l'article L. 430-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, saisi pour avis le Conseil de la concurrence. Le conseil a rendu son avis le 15 mai 2002.

Présentation des parties

Le groupe SEB est présent dans la conception, la fabrication et la commercialisation d'appareils du petit électroménager à travers deux marques internationales (Tefal et Rowenta) et quatre marques locales (Calor et SEB en France et en Belgique, Arno et Samurai dans les pays d'Amérique latine). Le groupe est présent dans les articles culinaires anti-adhésifs et les autocuiseurs, les fers et générateurs vapeur, les cafetières électriques, les bouilloires électriques, les friteuses électriques, les repas conviviaux et les préparateurs culinaires à moteur.

Le groupe SEB dispose de 16 sites de production ou d'assemblage dans le monde, spécialisés par lignes de produits : huit en France, un en Allemagne, quatre sur le continent américain (Etats-Unis, Mexique, Brésil et Colombie), trois dans le reste du monde (Chine, Russie et Iran). Ces sites industriels sont spécialisés par lignes de produits. Le groupe emploie 12 400 personnes, dont 6 600 en France.

Le groupe SEB, présent commercialement dans 120 pays, a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 1 825 millions d'euros, dont 56 % dans l'Union européenne et 485 millions d'euros en France (soit 26,6 %).

Moulinex est également un groupe français présent sur plusieurs familles de produits du petit électroménager, vendues sous les marques Moulinex et Krups. Le petit électroménager représente, en 2000, 40 % du chiffre d'affaires mondial consolidé. Depuis la fusion avec le groupe Brandt, le groupe Moulinex était également présent dans le gros électroménager (cuisson, froid, lavage).

Au moment de sa mise en redressement judiciaire en septembre 2001, Moulinex exploitait dix-huit sites de production, dont neuf en France, deux en Espagne, un en Allemagne, un au Mexique, un en Irlande, un en Chine, un en Egypte et deux au Brésil. A la même époque, Moulinex employait 9 000 personnes dans le monde, dont environ 5 000 en France.

Le groupe Moulinex a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 2 663 millions d'euros, dont 35 % en France et 49 % pour le reste de l'Union européenne. En France, le chiffre d'affaires en petit électroménager s'est élevé à [...] millions d'euros, dont [...] % sous la marque Moulinex et [...] % sous la marque Krups.

Définition des marchés

En ce qui concerne la définition des marchés de produits, le Conseil de la concurrence (ci-après " le conseil ") a, dans son avis n° 2002-A-07 du 15 mai 2002, estimé que " au sein du petit électroménager, aucun élément d'appréciation particulier à la situation des marchés en France ne justifie une remise en cause de l'analyse faite par la Commission ". Ainsi que l'a relevé la Commission, la question peut cependant être posée quant à la possibilité d'une délimitation plus fine des marchés au sein des (i) préparateurs culinaires, (ii) fers et stations à vapeur, et (iii) appareils de soins de la personne. Toutefois, cette question peut être laissée ouverte car, quelle que soit la définition adoptée, les résultats de l'analyse concurrentielle n'en seront pas modifiés. Les treize marchés de produits définis par la Commission seront donc retenus pour la présente analyse.

De même, en ce qui concerne la dimension géographique, le conseil a repris l'analyse de la Commission, qui a estimé, dans ses deux décisions du 8 janvier 2002 précitées, que les marchés de produits concernés étaient de dimension nationale. Dans sa décision de renvoi, la Commission retient une dimension nationale des marchés " compte tenu notamment du fait que i) les parts de marché sont hétérogènes que ce soit au niveau des Etats membres ou des catégories de produits, ii) la pénétration des marques est très différente selon les marchés, iii) les niveaux de prix peuvent varier significativement en fonction des marchés nationaux et de surcroît suivent une tendance différenciée, iv) les politiques commerciales et de marketing sont nationales pour tenir compte des particularités et des préférences des consommateurs, variables d'un Etat membre à l'autre, v) les structures logistiques sont nationales, vi) les structures de distribution sont nationales et l'importance relative des différents canaux de distribution (grande distribution, chaînes spécialisées, grands magasins...) est très variable en fonction des Etats membres, et vii) les relations clients/fournisseurs se font principalement sur une base nationale, même lorsqu'il s'agit de groupes de la grande distribution implantés internationalement. " En conséquence, une dimension nationale pour les marchés en cause sera retenue pour la présente analyse.

Dans le cadre du plan de reprise de Moulinex, agréé par le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre, SEB acquiert l'ensemble des éléments incorporels, une grande partie des éléments corporels, cinq filiales, et reprend 1 856 salariés, soit 37 % des effectifs.

Aux termes de l'article L. 430-2 du Code de commerce, avant sa modification par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, cette acquisition constitue une concentration.

Sauf sur le marché des appareils de soins de la personne, les parts de marchés combinées de SEB et Moulinex en France étaient, en 2000, largement supérieures à 25 % sur chacun des marchés concernés par l'opération. En conséquence, l'opération de concentration est contrôlable aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce, avant sa modification par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.

Les positions de SEB à l'issue de l'opération

Les parts de marchés de SEB et Moulinex, ainsi que celles de leurs concurrents immédiats, sont les suivantes, en tenant compte de l'effet sur les ventes de la cessation d'activité de certaines usines Moulinex ainsi que des réductions de capacités prévues à la suite du transfert de certaines productions des usines Moulinex vers des usines SEB (mini-fours et friteuses) :

(Parts de marché en pourcentage)

[object Object]

(Sources : SEB, Conseil de la concurrence.)

SEB, qui est déjà présent sur les 13 marchés du secteur du petit électroménager, détiendra à l'issue de la reprise de Moulinex des parts de marché très importantes. Ainsi, excepté pour le marché des soins de la personne,la nouvelle entité aura de loin la plus forte part sur chacun des marchés, part qui dépassera largement 50 % sur 10 d'entre eux qui représentent 66 % des ventes des producteurs de petit électroménager. Au total, la nouvelle entité représentera près de 50 % des ventes du secteur du petit électroménager et plus de 60 % des ventes de la gamme " cuisine ", très loin devant les autres principaux concurrents (Philips : [10-20] % et [moins de 10] % ; Braun : [moins de 10] % et [moins de 10] %).

En outre, on relève que Philips, qui était jusqu'alors le seul concurrent à être présent sur les treize marchés, s'est retiré récemment de certains d'entre eux. SEB est donc depuis cette année le seul fabricant à être présent sur l'ensemble de ces treize marchés français.

De surcroît, SEB exploitera en France six marques de forte notoriété, ce qui est exceptionnel dans le secteur du petit électroménager.

Toutefois, la part de marché n'est un critère ni nécessaire, ni suffisant pour qualifier une position dominante, celle-ci s'analysant comme le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. Ainsi, dans l'affaire AOM / Air Liberté (cf. note 1) , le ministre a considéré qu'il n'y avait pas de création de position dominante au profit de la nouvelle entité, alors que ses parts de marché atteignaient 100 % sur certains marchés.

Il convient donc d'examiner si la très forte position de SEB, résultant de la reprise de Moulinex, est susceptible de porter atteinte à la concurrence, notamment par renforcement ou création de position dominante.

Analyse de la position des concurrents

Comme il a déjà été indiqué,les concurrents de SEB ont, en France, des positions souvent très faibles dans le petit électroménager et en particulier sur la gamme " cuisine ". Cependant, plusieurs d'entre eux ont récemment augmenté de manière substantielle leurs ventes de certains produits et sont par ailleurs des groupes puissants(Philips, Gillette-Braun, De Longhi / Kenwood, Bosch / Siemens) qui possèdent des marques notoires. A cet égard, le conseil observe dans son avis que " les ventes de cafetières du groupe Braun ont progressé de 18 %. De Longhi a multiplié ses ventes d'expressos par 3,3. En ce qui concerne les bouilloires, le groupe Bosch a enregistré une progression de 54 %, tandis que De Longhi a multiplié ses ventes par 3,4. Les ventes de De Longhi de fers à vapeur ont été multipliées par 6 et celles de mini-fours par deux. En robots ménagers, Bosch a progressé de 63 % alors que, l'année précédente, De Longhi avait déjà multiplié ses ventes par 9. " On peut donc se demander dans quelle mesure ces groupes concurrents ne seraient pas susceptibles d'exercer une concurrence réelle face à SEB.

L'analyse de l'activité commerciale de ces concurrents sur les dernières années démontre toutefois qu'ils ne disposeront pas d'une puissance de marché à même de contrebalancer celle acquise par la nouvelle entité.

En premier lieu, même si ces concurrents ont pu connaître récemment une croissance significative de certaines de leurs ventes dans le petit électroménager, cette augmentation est somme toute limitée.

En effet, la plupart des taux de croissance mentionnés par le conseil concernent des volumes de ventes au départ extrêmement bas et les parts de marché des concurrents restent faibles. Ainsi, bien que les ventes de cafetières par Braun aient progressé de 18 % en 2001, la part du groupe n'est que de [moins de 10] % sur ce marché ; Philips, qui a multiplié par 3 ses ventes de friteuses en 2000, a vu sa part de marché passer de [moins de 10] % à [moins de 10] % et stagner au même niveau en 2001 ; Bosch a augmenté de 54 % ses ventes de bouilloires en 2001 mais a une part de marché de [moins de 10] % ; De Longhi a, en 2001, multiplié par 6 ses ventes de fers à vapeur mais sa part de marché n'est que de [moins de 10] %.

En deuxième lieu,la permanence de ces faibles parts de marché illustre la difficulté des concurrents à pénétrer durablement et significativement l'ensemble des marchés du petit électroménager.

Comme cela a déjà été souligné, seul Philips était présent en 2001 sur les treize marchés concernés, mais très loin derrière SEB et avec, dans plusieurs cas, des parts de marché très faibles : [moins de 10] % sur les expressos, [moins de 10] % sur les grils, [moins de 10] % sur les friteuses, [moins de 10] % sur les appareils à sandwichs / gaufriers, [moins de 10] % sur les mini-fours, [moins de 10] % sur les cuiseurs à vapeur et [moins de 10] % sur les préparateurs culinaires. La faiblesse de ces parts de marché a amené Philips à arrêter récemment la commercialisation, en France, de plusieurs produits : expressos (depuis janvier 2002), appareils à croque-monsieur et à gaufres, barbecues et grils électriques, appareils de repas informels (depuis 1999, pour ces 3 catégories d'appareil, les ventes ne correspondent plus qu'à des liquidations de stocks et de gammes). En ce qui concerne les friteuses, la part de marché de Philips est stagnante malgré l'existence d'une gamme complète et la mise en place de promotions. De Longhi fait également état de telles difficultés et insiste sur le coût très élevé que supposerait la pénétration concomitante de plusieurs marchés du petit électroménager.

En troisième lieu, ces éléments sont de nature à montrer qu'il ne suffit pas de posséder une marque notoire, telle que Braun, Bosch ou Philips, pour pénétrer significativement d'autres marchés que ceux sur lesquels cette marque est déjà bien implantée (secteurs du gros électroménager blanc et de l'outillage pour Bosch, secteur de l'électroménager brun pour Philips, marché des appareils de soins de la personne pour Braun).

Ainsi, le groupe Gillette-Braun déclare privilégier avant tout le marché des appareils de soins de la personne ([20-30]% de part de marché), même s'il est présent sur quelques autres marchés du petit électroménager. Les marques Moulinex et Krups, qui n'étaient pas initialement présentes sur le marché des appareils de soins de la personne, n'ont pas réussi à pénétrer substantiellement ce marché ([moins de 10] % de part de marché pour la marque Moulinex et [moins de 10] % pour Krups). D'un autre côté, l'exploitation de quatre marques par SEB (SEB, Rowenta, Calor, Tefal) positionnées sur des marchés différents ou des segments complémentaires montre que le groupe SEB privilégie au contraire une différenciation par produit des marques qu'il exploite et qu'il n'a pas cherché à pénétrer les marchés français par la notoriété d'une seule marque : dans son rapport annuel relatif à l'année 2000, le groupe indique que " le positionnement attribué à chacune de ces marques sur les différents marchés est défini dans le cadre d'une politique de marques du groupe. " Et il est précisé dans le même rapport, au sujet des marques Rowenta et Tefal, que " lorsque les deux marques sont présentes concomitamment sur certaines familles de produits (fers à repasser, gamme "brunch", fours etc.), c'est avec un positionnement à la fois différencié et complémentaire, qui offre au consommateur le choix dans une gamme plus large et permet au Groupe d'occuper les différents segments du marché. " La reprise de Moulinex par SEB s'inscrit également dans cette logique de complémentarité.

La concurrence potentielle que pourraient représenter d'autres grands groupes ne s'est donc pas matérialisée de manière convaincante au cours de ces dernières années.

Cela est d'autant plus notable que, comme le souligne le conseil dans son avis, ces groupes ont très largement délocalisé leur production en Asie et que, selon une étude réalisée par le cabinet Estin à la demande de la DIGITIP, les importations de certaines catégories de petit électroménager en provenance d'Asie ont fortement augmenté entre 1997 et 2000.

Bien que les groupes concurrents, qui ont délocalisé leur production, n'aient pas pénétré de manière substantielle le secteur du petit électroménager, on peut cependant se demander si les produits sans marques ou vendus sous marque de distributeurs, largement importés d'Asie, sont de nature à concurrencer significativement les marques de producteurs.

L'analyse des caractéristiques de ces produits permet de conclure que leur concurrence est limitée.

En effet, en premier lieu, comme le note le conseil dans son avis, les gammes de produits subissant la concurrence asiatique relèvent pour l'essentiel du bas de gamme, rarement du moyen de gamme, et ne concurrencent donc pratiquement pas les produits du moyen ou haut de gamme. En outre, comme le font remarquer certains distributeurs, les marques de premier prix sont essentiellement vendues dans le cadre d'opérations promotionnelles ponctuelles et sont donc moins à même de constituer une concurrence régulière.

En deuxième lieu, les marques de distributeurs ou de premier prix ont relativement peu pénétré la grande distribution, si on tient compte du fait qu'il existe, selon SEB, 200 à 300 fournisseurs, en grande majorité asiatiques, qui peuvent facilement fabriquer la plupart des produits en cause.

Ainsi, Leclerc n'a pas de marque de distributeur. Auchan a certes développé sa propre marque mais elle ne représente pas plus de 5 % de ses ventes de petit électroménager et le distributeur n'envisage pas de la développer. En effet, comme le précise le conseil dans son avis, " les faibles écarts de prix avec les produits de marque sur l'entrée de gamme expliquent que, pour le moment, les efforts des distributeurs n'ont pas porté sur ce secteur. " En outre, Auchan souligne que les produits d'import engendrent des contraintes supplémentaires en matière d'approvisionnement, de qualité et de service après-vente.

Certes, Carrefour, qui est le premier client de SEB, possède sa propre marque. Il a cependant signé avec SEB un contrat international de distribution, pour l'ensemble des marques exploitées par SEB, qui stipule que le groupe Carrefour s'engage à renforcer auprès de ses sociétés la présence des produits de SEB, en France comme à l'étranger. L'exemple d'un tel contrat confirme que les marques des fabricants ont une place majeure dans la concurrence au sein du petit électroménager.

La Commission a d'ailleurs fait la même analyse dans sa décision d'autorisation puisqu'elle a noté que " les marques de distributeurs ont peu pénétré l'ensemble des marchés européens du petit électroménager. Par exemple en France, où la grande distribution dispose de positions relativement fortes, celles-ci ne représentent, selon les parties, que [moins de 10] des ventes de fers vapeur, [moins de 10] % des ventes de friteuses, [10-20] % des ventes de grille-pain ou [10-20] % des ventes de cafetières. Pourtant, selon les parties, la nature des produits en cause et l'organisation de la distribution auraient été propices à une proportion de ventes plus importante sous marques de distributeurs. Ces produits sont en effet de technologie peu innovante et, selon les parties, 200 à 300 fournisseurs potentiels, situés essentiellement en Asie, peuvent aisément les fabriquer pour la grande distribution. "

Analyse du pouvoir de négociation de la grande distribution

Le conseil note dans son avis que " dans le secteur du petit électroménager, l'essentiel des ventes s'effectue par le canal de la grande distribution. Pour le groupe SEB, avant l'opération, la grande distribution alimentaire représentait environ [50-60] % de son chiffre d'affaires et la grande distribution spécialisée, [10-20] %, soit, ensemble, les trois quarts de ses débouchés. Les produits du groupe Moulinex étaient distribués à hauteur de [80-90] % par la grande distribution, soit [60-70] % pour la grande distribution alimentaire et [20-30] % pour la grande distribution spécialisée. De plus, au sein de la grande distribution, les achats sont fortement concentrés. Les cinq premiers clients du groupe SEB en 2000 ont représenté [60-70] % de ses ventes. Les cinq mêmes premiers clients ont représenté, pour le groupe Moulinex, selon les types de produits, entre [60-70] % (friteuses) et [70-80] % (grille-pain) des ventes. "

Il convient donc d'examiner si la grande distribution, et notamment celle à dominante alimentaire, peut constituer un réel contrepoids au pouvoir de marché de la nouvelle entité.

L'analyse ne permet pas de montrer que la grande distribution usera de son pouvoir de négociation pour rééquilibrer ses linéaires au détriment de la nouvelle entité.

En premier lieu, il apparaît que la grande distribution pourra difficilement faire le choix de ne pas référencer les marques exploitées par SEB.

En effet, la marque est un élément important dans le choix des consommateurs. Ainsi, SEB et Moulinex investissent des sommes importantes dans la préservation de la notoriété de leurs marques, au travers de la recherche-développement ([moins de 10] % du chiffre d'affaires de SEB) ou de la publicité ([moins de 10] % des chiffres d'affaires de SEB et Moulinex). Dans son rapport annuel pour l'exercice 2000, SEB insiste d'ailleurs sur le fait que " produits et marques sont indissociables " et que " la cohérence de l'association Marque-Produit-Communication est le facteur clé de succès dans la conquête de positions de leader et dans la fidélisation du consommateur ".

La Commission a également souligné, dans sa décision d'autorisation, que les " résultats de l'enquête menée par la Commission montrent que les marques sont l'un des principaux facteurs de choix pour les consommateurs finaux et constituent donc l'un des éléments majeurs de la concurrence entre producteurs de petit électroménager ". Et c'est précisément ce qui a amené la Commission à n'autoriser l'opération pour les pays européens autres que la France qu'à la condition que SEB renonce à l'usage de la marque Moulinex pendant une durée de huit ans.

Ainsi que l'observe le conseil dans son avis, " l'opération permet au groupe SEB d'ajouter les marques Moulinex et Krups à celles qu'il détenait déjà (SEB, Tefal, Rowenta et Calor) et de constituer ainsi un portefeuille de marques notoires, inégalé par ses concurrents. " Le groupe SEB sera à même, sur chacun des treize marchés, d'offrir au moins une marque à forte notoriété.

Or, ces six marques, qui sont complémentaires, semblent difficilement contournables pour la grande distribution.

Ainsi, six distributeurs (Auchan, Leclerc, But, BHV, Conforama, Gitem) et une centrale d'achat (Opéra pour Casino et Cora) estiment que les marques des groupes SEB et Moulinex sont incontournables. Bien que Carrefour affirme qu'il n'y a pas de marque incontournable, l'accord qu'il a récemment passé avec le groupe SEB, visant à développer les ventes de produits de ce dernier, relativise cette appréciation et montre bien que le groupe Carrefour peut difficilement se passer des marques du groupe SEB.

SEB sera d'autant moins sensible à la puissance de la grande distribution que, selon l'INSEE, la consommation d'appareils électroménagers croît structurellement beaucoup moins vite que la consommation globale, et que par conséquent la grande distribution alimentaire est peu encline à élargir fortement ses linéaires pour ces produits. La loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat est en outre un facteur supplémentaire de raréfaction des linéaires. Le linéaire demeurera donc pour ces produits une ressource rare, et cette rareté bénéficiera à l'opérateur le plus important qui dispose de marques à forte notoriété.

Le nouveau groupe sera donc assuré, contrairement à ses concurrents, d'être présent en permanence dans les linéaires de la grande distribution à dominante alimentaire, et ce pour chaque produit. En conséquence, il sera moins sensible que ses concurrents à la puissance de négociation de la grande distribution alimentaire. La liberté de choix des distributeurs risque donc de s'exercer essentiellement vis-à-vis des autres marques, de moins grande notoriété que celles exploitées par SEB.

En deuxième lieu, le renforcement du portefeuille de marques de la nouvelle entité, postérieurement à l'opération, pourra permettre à SEB de renforcer son pouvoir de négociation auprès de la grande distribution.

En étant très fortement présent sur toutes les gammes du petit électroménager, et en particulier sur les gammes " cuisine ", le groupe sera à même d'offrir des conditions de vente plus avantageuses que celles de ses concurrents et pourra d'autant plus signer des accords de développement des ventes de ses produits, comme il l'a déjà fait récemment avec Carrefour. Cette analyse rejoint celle de la Commission qui, dans sa décision de renvoi, a estimé que " cette situation permettra à la nouvelle entité de renforcer son pouvoir de négociation vis-à-vis de ses clients revendeurs, notamment de la grande distribution, qui constitue le principal canal de distribution en France ".

Il apparaît donc que, postérieurement à l'opération, SEB détiendra, en ce qui concerne les onze marchés de la gamme " cuisine ", de très fortes parts de marché sur neuf marchés, et des parts de marchés très significatives par rapport à celles des principaux concurrents sur deux autres. Sur ces onze marchés, l'opération conduit au rapprochement des deux premiers opérateurs du marché. SEB acquiert en outre deux marques de forte notoriété, voire, dans certains cas, incontournables, qui viennent renforcer son portefeuille de marques déjà très significatif. Si la puissance de négociation que peut détenir la grande distribution n'est pas contestée, il apparaît que la détention de marques difficilement contournables et la rareté du linéaire, qui joue au profit des marques les plus notoires et au détriment des nouveaux entrants, est au cas d'espèce de nature à la compenser largement. Enfin, la combinaison de la détention d'un portefeuille très étendu de marques notoires et de la rareté du linéaire permet de conclure que l'opération est de nature à renforcer les barrières à l'entrée sur ces marchés, déjà très significatives, et de permettre à la nouvelle entité de bénéficier d'effets de gamme ou de portefeuille dont ne disposeront pas ses concurrents.

Il s'en conclut que la reprise de Moulinex par SEB est de nature à porter atteinte à la concurrence par renforcement ou création de position dominante de SEBsur les marchés suivants de la gamme " cuisine " du petit électroménager en France : (1) appareils à sandwiches et à gaufres, (2) appareils pour repas informels, (3) bouilloires, (4) barbecues et grils électriques, (5) mini-fours, (6) préparateurs culinaires, (7) friteuses, (8) cafetières, (9) grille-pain.

Il ne peut en outre être exclu que l'opération porte atteinte à la concurrence sur les marchés des fers à vapeur et des cuiseurs à vapeur. En effet, bien que la nouvelle entité y renforce ses positions de manière moins significative que sur les autres marchés, on relève que la concurrence résiduelle est très atomisée sur ces deux marchés et qu'en outre l'opération est susceptible d'entraîner un effet de gamme ou de portefeuille de nature à conduire à une création ou un renforcement de position dominante sur ces deux marchés.

En ce qui concerne le marché des expressos, on relève que la part de marché très significative de la nouvelle entité ([40-50] %), imputable essentiellement à la marque Krups ([30-40] %), est compensée par la présence de deux opérateurs significatifs, que sont Magimix ([20-30] %) et De Longhi ([10-20] %). En outre, l'opération ne conduit pas à des additions de parts de marché significatives ou à la combinaison de deux marques notoires sur ce marché. Il n'apparaît donc pas, en première approche, que l'opération soit de nature à affecter de manière significative le fonctionnement concurrentiel du marché. Il est toutefois permis de s'interroger sur les conséquences sur le marché des expressos que pourraient avoir les effets de portefeuille résultant de l'opération. On pourrait en effet craindre que l'effet de levier résultant des positions dominantes détenues par SEB sur neuf à onze des marchés du petit électroménager ne puisse conduire à la création d'une position dominante au profit de SEB sur le marché des expressos. On relève toutefois que, antérieurement à l'opération, SEB disposait déjà de positions très fortes, voire dominantes, sur six des marchés du petit électroménager. Or, l'effet de levier qui aurait pu résulter de ces positions n'a pas joué sur le marché des expressos, sur lequel la part de SEB est limitée à [moins de 10] %. Il pourrait s'en déduire que les liens de connexité entre le marché des expressos et les autres marchés sur lesquels SEB est actif sont suffisamment ténus pour que les effets de portefeuille ne puissent avoir un impact très significatif sur le marché des expressos. On pourrait certes faire valoir que cette situation pourrait se trouver modifiée par l'adjonction au portefeuille de marques de SEB de la marque Krups, qui jouit d'une forte notoriété sur le marché des expressos. Toutefois, ainsi que le relève Magimix, la notoriété de Krups peut être compensée par celle de la marque Magimix, deuxième opérateur sur le marché, qui en outre est positionné sur le haut de la gamme et est de ce fait peu susceptible de se voir évincer de ce marché.

Il s'en conclut que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des expressos.

Enfin, l'opération n'a pas d'impact significatif sur le marché des soins de la personne.

En conclusion,la reprise de Moulinex par SEB est de nature à porter atteinte à la concurrence, par création ou renforcement de position dominante, sur au moins neuf marchés.

Application de l'exception de l'entreprise défaillante

Toutefois, en s'appuyant sur la jurisprudence dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après " la CJCE ") dans l'affaire Kali + Salz (cf. note 2) , SEB fait valoir que la théorie de l'entreprise défaillante trouve à s'appliquer au cas présent.

La théorie de l'entreprise défaillante décrit une situation dans laquelle la création ou le renforcement d'une position dominante n'est pas directement dû à la concentration mais découle de la défaillance de la cible. Si, pour une raison ou pour une autre, l'opération de concentration n'avait pas lieu, la détérioration de la structure concurrentielle serait équivalente à celle résultant de l'opération de concentration examinée. En d'autres termes,la mise en œuvre de la théorie de l'entreprise défaillante revient à démontrer la neutralité de l'opération sur la concurrence.

Dans l'affaire Kali + Salz, la CJCE a approuvé les trois critères cumulatifs utilisés par la Commission permettant de conclure qu'une opération de concentration n'est pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle. Ces trois critères sont les suivants:

1. L'entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n'était pas reprise par une autre entreprise;

2. Il n'y a pas d'autre alternative de reprise moins dommageable pour la concurrence;

3. L'entreprise acquéreuse reprendrait rapidement la part du marché de l'entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître.

Du point de vue du premier critère, il convient d'examiner si Moulinex aurait rapidement disparu en cas de non reprise par une autre entreprise.

Le Tribunal de commerce de Nanterre a, par jugement du 7 septembre 2001, déclaré Moulinex en cessation de paiements et prononcé le redressement judiciaire de celle-ci. Dans leur rapport dressant le bilan économique et social (cf. note 3) , les administrateurs judiciaires ont souligné que, au lendemain de l'ouverture de la procédure collective, Moulinex était totalement dépourvue de trésorerie, et qu'aucune trésorerie nécessaire au redémarrage de l'entreprise n'avait pu être reconstituée (cf. note 4) . De ce fait, les administrateurs judiciaires ont écarté la possibilité d'un plan de continuation de l'entreprise. Enfin, dans son jugement du 22 octobre 2002, le tribunal de commerce a indiqué, après avoir estimé que l'offre de SEB était la seule crédible, qu'en l'absence de reprise par SEB " le rythme des dépenses et l'absence de trésorerie auraient pour conséquence une liquidation judiciaire immédiate ".

Sur le fondement de ces éléments,il ne semble donc guère faire de doute qu'en l'absence de repreneur, Moulinex aurait rapidement disparu du marché. La première condition posée par la jurisprudence Kali + Salz est donc remplie.

En ce qui concerne le deuxième critère, il convient d'examiner s'il n'existait pas d'offre de reprise, autre que celle de SEB, moins dommageable pour la concurrence.

Dans son avis précité, le conseil observe que " aucune des autres offres déposées devant le tribunal de commerce n'a été considérée par celui-ci comme une alternative crédible à l'offre de SEB. D'une part, certaines d'entre elles ont été analysées comme de simples manifestations d'intérêt, ne pouvant être retenues, compte tenu des conditions posées par l'article L. 621-83 du Code de commerce selon lequel la cession a pour but d'assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif. Or, les offres présentées par Philips, Electrolux, Arcelik, Babyliss, Saeco, Sunbeam, Taurus, TTI ne portaient que sur certains actifs du groupe sans reprise d'emplois ni apurement du passif. De surcroît, ces différentes propositions n'ont pas évolué après leur dépôt, bien que les administrateurs judiciaires aient fait valoir leur non-conformité à l'article L. 621-83 et aient reporté à plusieurs reprises la date limite de dépôt des offres pour laisser aux candidats intéressés un délai suffisant pour modifier ou finaliser leurs offres de reprise. D'autre part, les offres de reprise totale ou partielle des actifs de Moulinex (Euroland et Société Participation industrielle) n'ont pas été considérées comme une solution substituable à celle de SEB, faute de garanties financières suffisantes pour justifier de leur faisabilité, et faute de levée, à la date de l'audience, des conditions suspensives dont elles étaient assorties ".

Le tribunal de commerce a conclu, dans son jugement du 22 octobre 2002, que l'offre " présentée par la société SEB reste donc en réalité la seule subsistant ; qu'elle émane d'un groupe important dont la capacité industrielle et les moyens financiers sont établis ; que, si elle ne porte que sur une partie des sites, elle a le mérite de sauvegarder malgré tout plus du tiers des contrats de travail ".

La Cour d'appel de Versailles a validé cette conclusion, dans un arrêt du 2 mai 2002 rejetant l'appel, formé par le comité central d'entreprise (CCE) de Moulinex et par la SA Babyliss intervenant volontairement à l'instance, à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre approuvant le plan de cession de SEB.

Toutefois, en premier lieu, alors que la période d'observation avait été fixée à six mois par le tribunal de commerce dans son jugement du 7 septembre 2001, le délai imposé par les administrateurs pour la remise des offres de reprise a été très court, puisqu'ils ont fixé la date limite, après deux reports, au 28 septembre 2001.

On peut donc se demander si, dans un laps de temps aussi bref, tous les candidats à la reprise ont pu bénéficier des mêmes informations pour formuler leurs offres et si ces dernières ont bien été traitées de la même manière par les administrateurs judiciaires. Ainsi, le CCE de Moulinex et la SA Babyliss ont, dans le cadre de leur appel, soutenu que les administrateurs judiciaires ont commis des irrégularités lors de la réception des offres de reprises et lors de l'élaboration des propositions de plan de redressement soumises au tribunal de commerce.

Or, la Cour d'appel de Versailles a, dans son arrêt précité, considéré que l'existence de telles irrégularités n'avait pas été démontrée. L'arrêt de la cour précise en effet " qu'il n'est pas établi que les administrateurs judiciaires n'aient pas agi de la même manière avec tous les candidats à la reprise, et qu'ils n'aient pas mis à leur disposition les mêmes éléments d'information ; (...) que l'on ne peut déduire des différences constatées dans les démarches entreprises par les repreneurs que ces différences sont de quelque manière que ce soit imputables à l'influence des administrateurs judiciaires ; qu'il n'apparaît pas que ces derniers aient fait dans leurs rapports une présentation des diverses offres inexacte, et encore moins que cette présentation serait tendancieuse ; qu'il ne peut leur être reproché d'avoir constaté que les marques d'intérêt manifestées d'abord par de nombreuses sociétés, dont la SA Babyliss, n'ont donné lieu à aucune proposition concrète de plan de cession ; qu'il ne leur appartenait pas, sauf à se le voir à juste titre reproché, de relancer ces sociétés et de les conseiller sur la manière d'élaborer un plan de cession ; qu'il est incontestable qu'il était nécessaire d'agir au plus vite et que le fait qu'un plan de cession ait pu être arrêté en trente-neuf jours ne peut être mis qu'à leur crédit ; qu'ainsi aucune des irrégularités reprochées aux administrateurs judiciaires n'est démontrée ".

En deuxième lieu, on peut se demander si, même en cas de liquidation judiciaire, il n'existait pas la possibilité de reprendre Moulinex.

Or, à cet égard, l'avis précité du conseil observe que " l'éventualité d'une reprise d'actifs dans l'hypothèse d'une liquidation judiciaire de Moulinex ne peut être envisagée avec suffisamment de certitude. Du fait de l'absence de matérialité et de sérieux des offres déposées devant le tribunal de commerce, il est loin d'être certain qu'elles auraient été renouvelées dans l'hypothèse d'une liquidation de Moulinex ".

En outre, au sujet des offres de Sunbeam et Conair, qui comportaient un prix, l'avis du conseil observe qu'elles ne concernaient que la marque Krups et qu'aucune d'entre elles ne portait sur la marque Moulinex, ou sur un actif corporel du groupe.

Enfin, le même avis du conseil précise que " postérieurement à la décision du tribunal de commerce arrêtant le plan de reprise partielle au profit de SEB, la société Conair/Babyliss a adressé, le 15 février 2002, aux administrateurs judiciaires chargés de la liquidation des actifs restants non compris dans le périmètre de la cession à SEB, une offre portant sur la reprise de trois sites industriels (sans reprise d'emplois) mais à la condition expresse d'y inclure les marques Moulinex et Krups, ainsi que les brevets et autres droits de propriété intellectuelle et industrielle y afférents. Or, ces actifs incorporels sont inclus dans le périmètre de la cession à SEB et ne peuvent donc être cédés à un tiers. Les administrateurs ont donc logiquement écarté cette offre qui ne peut être considérée comme sérieuse, dans la mesure où elle comporte une condition irréalisable. Elle ne peut donc servir d'élément de comparaison dans l'analyse concurrentielle. Il s'agit de la seule offre déposée à ce jour auprès des administrateurs judiciaires portant sur les actifs restants non compris dans le périmètre de la cession à SEB. De ce fait, l'unique alternative qui peut être envisagée, du point de vue de son effet sur la concurrence, est soit l'offre de SEB, soit la disparition pure et simple des moyens de production de l'entreprise Moulinex ainsi que de la marque ".

Il est en conséquence peu probable qu'en cas de liquidation judiciaire Moulinex aurait pu être reprise.

Les éléments développés ci-dessus laissent raisonnablement penser qu'il n'existait pas d'autre offre de reprise que celle de SEB qui soit moins dommageable pour la concurrence. La deuxième condition posée par la jurisprudence Kali + Salz est donc remplie.

En ce qui concerne le troisième critère dégagé par la jurisprudence Kali + Salz, il conviendrait d'examiner si SEB aurait repris les parts de marchés de Moulinex en cas de disparition de cette dernière.

Dans son avis, le conseil observe que " en septembre 2001, l'activité industrielle et commerciale de Moulinex a brutalement cessé. Les distributeurs ont été approvisionnés sur les stocks existants à fin août 2001, non renouvelés après cette date. Au surplus, une partie des consommateurs, inquiets des éventuelles répercussions des difficultés de Moulinex sur la qualité du service après-vente, ont pu se détourner des produits de la marque. Ainsi, l'entreprise s'est trouvée momentanément dans une situation voisine de celle qu'aurait généré sa disparition, à une période où se concentrent les plus fortes ventes annuelles en petit électroménager. "

On peut donc valablement tester si le critère des reports de parts de marché est rempli, en analysant les reports de parts de marché de Moulinex vers SEB sur les quatre derniers mois de l'année 2001 par rapport au dernier quadrimestre de l'année 2000, et ce pour les marchés sur lesquels SEB acquiert ou renforce une position dominante.

Cette analyse peut être faite en s'appuyant sur les statistiques mensuelles des volumes de ventes de chaque producteur, émanant du Groupement interprofessionnel des fabricants d'appareils d'équipement ménager (ci-après " GIFAM ") et fournies par SEB pour six marchés sur lesquels le groupe renforcera ou acquerra une position dominante. Toutefois, afin de ne pas biaiser l'analyse, il est nécessaire de prendre en compte les éventuelles pertes de parts de marché des autres concurrents de SEB et Moulinex. Dans un tel cas, on ne peut donc donner avec certitude la part de marché de Moulinex récupérée par SEB : la part récupérée sera comprise entre un minimum (cas où SEB aurait récupéré la totalité des parts des concurrents autres que Moulinex) et un maximum (cas où la totalité des parts gagnées par SEB proviendraient de Moulinex).

Les résultats sont retracés dans le tableau suivant (cf. note 5) :

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(Sources : GIFAM et SEB.)

Il apparaît que SEB récupère une partie substantielle des parts de marché de Moulinex.

Ces résultats sont toutefois contrastés et montrent que, même en hypothèse haute (cas du maximum), les concurrents de SEB récupèrent un pourcentage conséquent des parts de marché perdues par Moulinex et ce pour quatre catégories de produits : les cafetières, les bouilloires, les préparateurs culinaires et les fers à vapeur. De surcroît, pour les cafetières, les fers à vapeur et les grille-pain, il existe une incertitude sur la part de marché réellement récupérée par SEB sur Moulinex. Or, ces catégories de produits représentent une part importante des ventes des neuf marchés sur lesquels il est établi avec certitude que SEB renforce ou acquiert une position dominante, soit près de [50-60] %.

En outre, l'absence de statistiques pour au moins 3 autres marchés, sur lesquels la nouvelle entité renforcera ou acquerra une position dominante (appareils à sandwichs, appareils pour repas informels, barbecues et grils), ne permet pas de mener une analyse complète des reports de parts de marché.

Au total,il n'est possible de conclure de manière fiable que SEB aurait récupéré massivement, voire quasi totalement, les parts de marché de Moulinex, en cas de disparition de cette dernière, que pour seulement 2 marchés. Ces derniers ne représentent que [20-30] % des ventes des neuf marchés sur lesquels il est établi sans doute possible que SEB acquiert ou renforce une position dominante.

Toutefois,l'absence de vérification du critère du report des parts de marché ne permet de conclure au rejet de l'exception de l'entreprise défaillante que dans le cas d'un duopole.

C'est le constat qu'a fait la Commission dans la décision BASF / Eurodiol / Pantochim (cf. note 6) : " La Commission rappelle que dans les circonstances particulières de l'affaire Kali + Salz, l'approche qu'elle avait suivie pour établir si l'entreprise acquérante reprendrait la part de marché de l'entreprise rachetée si elle devait disparaître du marché lui a paru la plus appropriée pour prouver que la notion de "concentration d'assainissement" pouvait être appliquée dans ce cas. Il convient de noter d'ailleurs que l'affaire Kali + Salz présentait des caractéristiques économiques bien particulières puisque seules deux entreprises, la société acquérante et l'entreprise défaillante, étaient actives sur le marché. Dans une telle situation de duopole, il était évident que la société acquérante aurait absorbé la part de marché de l'entreprise rachetée, que la concentration se réalise ou non. "

Ce constat a amené la Commission, dans la décision précitée, à utiliser un autre critère que celui du report des parts de marché. Elle souligne en effet qu'il ressort de l'arrêt Kali + Salz de la CJCE qu'il importe avant tout de démontrer qu'en l'absence de la concentration la structure concurrentielle ne se détériorerait pas de manière moins dommageable. L'approche de la CJCE permet donc, selon la Commission, " une certaine marge d'appréciation quant au choix des critères à retenir pour appliquer la notion de concentration d'assainissement dans un cas donné ".

Ainsi, la Commission, constatant qu'en cas de faillite de l'entreprise cible les actifs de cette dernière disparaîtraient inéluctablement, a cherché à savoir si une telle disparition aurait des conséquences moins néfastes pour la concurrence que la concentration.

Dans le cas de Moulinex, il a été démontré plus haut qu'il n'y avait guère de chance que les actifs de Moulinex soient repris. Quand bien même Krups serait repris seul, une telle reprise ne concernerait que le marché des expressos, sur lequel il n'y a pas d'atteinte à la concurrence.

L'absence de reprise de Moulinex entraînerait très certainement une détérioration importante des conditions de fonctionnement de plusieurs marchés du petit électroménager, au détriment des consommateurs.

En effet, tout d'abord, cette disparition, tout en renforçant sensiblement SEB, créerait certainement un goulet d'étranglement : plus de 22 % du secteur du petit électroménager ne serait subitement plus fourni. On peut supposer que l'offre des pays asiatiques, essentiellement axée sur le bas de gamme, ne pourrait que très imparfaitement répondre à la demande, dans la mesure où, comme le notent le GIFAM (cf. note 7) et l'institut GFK (cf. note 8), les marchés du petit électroménager se déplacent très fortement vers le haut de gamme. Des hausses de prix, au moins temporaires, sur plusieurs marchés où Moulinex était fortement présent (préparateurs culinaires, cafetières, grille-pain, bouilloires) seraient dès lors à craindre. On observe à cet égard que l'indice des prix à la consommation des ménages en matière de petit électroménager (cf. note 9) pour la France métropolitaine, sur les quatre derniers mois de l'année 2001, période durant laquelle de nombreux produits Moulinex étaient absents des linéaires, ont augmenté de 0,6 %, alors que, sur la même période de l'année 2000, ils ont baissé de 0,7 %. La hausse relative aux quatre derniers mois de 2001 est plus forte que celle de l'indice d'ensemble des prix à la consommation (+ 0,1 %). Il peut se déduire de ces statistiques sur une courte période que la disparition de tous les produits Moulinex conduirait à une raréfaction de l'offre et, partant, à une hausse des prix à la consommation.

Ensuite, les consommateurs seraient affectés par la perte du service après-vente concernant les produits de la marque Moulinex qu'ils détenaient déjà. En cas de réparation, les prix de cette dernière auraient donc de fortes chances d'augmenter, voire d'inciter les consommateurs à renouveler plus tôt que prévu leur appareil, ce qui, dans ce dernier cas, accroîtrait le goulet d'étranglement déjà décrit.

On peut toutefois noter que, durant la procédure de redressement judiciaire, deux propositions de reprise sur treize ont concerné la seule marque Moulinex.

Outre que leur caractère imprécis ne permet pas d'accorder un fondement sérieux à ces propositions, l'existence de ces offres ne modifie pas l'analyse, puisque, les actifs de production n'étant pas repris, un goulet d'étranglement et des difficultés de service après-vente ne manqueraient pas également de survenir, dans les mêmes conditions et avec les mêmes conséquences en termes de hausse des prix que celles déjà décrites.

Il peut donc être raisonnablement avancé que la disparition des actifs de production de Moulinex, quasi certaine en cas de non-reprise par SEB, ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que l'opération de concentration.

L'ensemble de ces éléments permet de conclure que la reprise de Moulinex par SEB relève de l'exception de l'entreprise défaillante, dans la mesure où, en l'absence de l'opération, la dégradation de la situation concurrentielle que l'on constate sur au moins neuf des marchés concernés aurait été équivalente à celle résultant de l'opération examinée.

Dans ces conditions, je vous informe que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner dans quelle mesure l'opération apporte une contribution positive au progrès économique et social, je n'entends pas m'opposer à la reprise de Moulinex par SEB, pour ce qui concerne les marchés français renvoyés par la Commission européenne.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Note (s) :

(1) Lettre du 29 septembre 2000, BOCCRF n° 14 du 30 décembre 2000.

(2) Arrêt de la CJCE du 31 mars 1998 : République française et Société commerciale des potasses de l'azote (SCPA) et Entreprise minière et chimique (EMC) contre Commission des Communautés européennes.

(3) Document déposé au greffe du Tribunal de commerce de Nanterre le 9 octobre 2001.

(4) Paragraphe 2.9 (" Continuation de l'activité ") du document cité.

(5) En prenant l'exemple des friteuses, le tableau doit se lire de la manière suivante : sur les 22,6 points de parts de marché perdues par Moulinex, SEB en a récupéré au minimum 86 % et au maximum 90,5 %.

(6) Affaire n° COMP / M. 2314 du 21 juillet 2001.

(7) Conférence de presse du GIFAM (22 janvier 2002) : " Les appareils électroménagers, bilan de l'année 2001 ".

(8) Exposé de GFK (22 janvier 2002) : " Les circuits de distribution selon GFK, petit et gros électroménager ".

(9) Indice publié dans le bulletin mensuel de statistiques (INSEE).