CA Paris, 4e ch. A, 6 mars 2002, n° 2001-01491
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Agence Centrale de Sevran (SARL)
Défendeur :
Agence Centrale de Livry (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
Mes Pamart, Melun
Avocats :
Mes Rivoire, Loiseau.
La société Agence Centrale de Sevran dite ACS, exerce, depuis sa constitution en 1988, une activité d'agence immobilière sur les communes de Sevran et Livry-Gargan.
En 1999, après avoir fait procéder à une recherche d'antériorités auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle sur le nom " Agence Centrale de Livry ", M. Collard a créé une agence immobilière sous cette dénomination sur la commune de Livry-Gargan.
Estimant que l'Agence Centrale de Livry dite ACL a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son encontre en imitant ses nom commercial et sigle et en reprenant les éléments qu'elle utilise pour sa communication auprès de la clientèle, la société Agence Centrale de Sevran a saisi le Tribunal de commerce de Bobigny qui, par jugement du 29 juin 2000, l'a déboutée de ses demandes, a rejeté la demande reconventionnelle de la société ACL et a condamné la société ACS à payer à la société ACL la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 14 décembre 2000 par la société ACS ;
Vu les dernières écritures signifiées le 9 janvier 2002 par lesquelles la société ACS, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, prétend à cet effet que la société ACL a cherché à tirer profit de sa notoriété en faisant l'économie du temps et des investissements qu'elle a réalisés, en imitant de nombreux éléments de communication par elle utilisés depuis plusieurs années et que cette confusion lui permet de détourner sa clientèle, qui peut confondre les deux agences ou penser qu'elles constituent une seule et même entité économique,
et demande à la cour de :
- interdire à la société ACL, sous astreinte de 1524 euros par infraction constatée, 15 jours après la signification de la décision à intervenir, d'utiliser comme enseigne ou dénomination sociale le nom " Agence Centrale de Livry ", d'utiliser sur sa façade et ses outils de communication les couleurs rouge et jaune, d'utiliser pour ses annonces de presse des placards d'une dimension de 12,5 cm sur 18,5 cm,
- condamner la société ACL à lui payer la somme de 30 489,80 euros en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme, 30 489,80 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et celle de 5 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 juin 2001 aux termes desquelles la société ACL sollicite la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle et formant appel incident sur ce point, réclame l'allocation d'une indemnité de 100 000 F, soit 15 245 euros, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'une somme de 15 000 F, soit 2 286,75 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
- Sur les faits de concurrence déloyale et de parasitisme
Considérant que la société Agence Centrale de Sevran reproche à la société Agence Centrale de Livry d'avoir choisi cette appellation à titre de dénomination sociale et d'enseigne, de l'utiliser sous l'abréviation "ACL" sur les annonces de presse et sur les panneaux de rue, alors qu'elle faisait antérieurement usage du sigle "ACS", d'utiliser les mêmes couleurs rouge et jaune sur ses documents commerciaux, la vitrine de son agence, les annonces de presse, les panneaux de rue, ainsi que les mêmes formats de publicité ;
Considérant que les parties exercent une activité identique d'agence immobilière dans deux communes limitrophes du département de Seine-Saint-Denis; que par leur implantation dans la même zone géographique d'activité, elles s'adressent à la même clientèle ; qu'elles font paraître des annonces publicitaires dans le même journal d'annonces distribué gratuitement ;
Considérant que les deux dénominations sociales en présence sont composées des termes "Agence centrale" suivis du nom des deux communes où sont installées ces agences immobilières;
Que l'expression "Agence centrale", couramment utilisée pour désigner des entreprises exerçant l'activité d'agence immobilière ou ayant pour objet des activités similaires d'administration de biens ou de promotion immobilière, ainsi qu'il ressort de la recherche d'antériorités effectuée par l'intimée auprès de l'INPI, est en soi dépourvue de caractère distinctif; que l'adjonction du nom des communes "Livry" et "Sevran" qui ne présentent aucune ressemblance sur le plan visuel ou phonétique suffit à écarter tout risque de confusion entre les deux dénominations;
Que les deux sigles étant dépourvus de signification particulière, le consommateur est obligé de prononcer chacune des lettres le composant de telle sorte qu'il prêtera une attention plus grande à ceux-ci, en les subvocalisant ; que la substitution de la consonne finale "L" au "S" évite tout risque de confusion ;
Que tant le choix de la dénomination seconde que du sigle "ACL" ne revêt donc pas de caractère fautif ;
Mais considérant que la société ACL utilise comme la société ACS les couleurs dominantes rouge et jaune dans les éléments de communication qui l'identifient aux yeux de la clientèle ; que la vitrine du magasin de la société ACL est surmontée d'un bandeau de couleur sombre sur lequel sa dénomination apparaît en lettres de couleur rouge, comme celui de la société ACS ; que le logo ACL est inscrit en lettres jaunes, rappelant la couleur des panneaux d'annonces de la société ACS ; que les annonces publicitaires parues dans le journal local d'annonces intitulé "Bonjour" adoptent les mêmes couleurs, rouge pour le bandeau sur lequel figure le nom de l'agence qui est inscrit en lettres blanches, jaune pour le fond sur lequel sont présentées les offres de ventes ; que les panneaux apposés par la société ACL sur les immeubles reprennent selon le même agencement, les couleurs utilisées dans les annonces précédemment décrites ;
Que tant le choix des couleurs de la vitrine de son magasin que celles composant les annonces publicitaires et panneaux de rues ne s'imposait pas ; que l'adoption de ces couleurs qui identifient les éléments de communication de la société ACS ne peut être fortuit; qu'en effet, il ressort de l'examen des autres annonces publiées dans le journal sus-visé qu'aucune autre société ne fait usage des mêmes couleurs dans cette combinaison particulière ;
Que la reprise de ces éléments crée une impression d'ensemble identique que n'affectent pas les différences de détail soulignées par l'intimée et conduit nécessairement à laisser accroire au consommateur moyennement attentif que les deux agences sont économiquement dépendantes;
Considérant que si la société ACS ne peut revendiquer de droit privatif sur les couleurs rouge et jaune, leur utilisation telle que décrite pour les mêmes éléments d'identification, sur les mêmes supports, caractérise un comportement fautif constitutif à son encontre de concurrence déloyale et parasitaire;
Considérant en revanche que la société ACS est mal fondée à reprocher à la société ACL de faire figurer sa dénomination sociale en caractères de couleur rouge sur ses cartes de visite et son papier à entête, la seule touche de couleur jaune étant le logo de la FNAÏM, organisme auquel elles adhérent ; que le choix du format des annonces publicitaires, qui au demeurant n'est pas identique à celui utilisé par la société ACS, correspond à l'un des formats standard du journal et est donc exempt de toute faute ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que si la société ACS justifie d'une diminution des ventes par elle réalisées sur la commune de Livry-Gargan pour l'exercice 1999, date d'installation de la société ACL, il n'est pas démontré que cette baisse soit entièrement imputable aux actes fautifs dont elle a été victime ;
Considérant toutefois qu'en adoptant les éléments d'identification de la société ACS, connue depuis plus de dix ans sur ce secteur géographique, la société ACL a tiré profit sans bourse délier de son "savoir-faire" ; que les actes de concurrence déloyale et parasitaire ont ainsi causé à la société ACS un trouble commercial certainqui sera entièrement indemnisé par l'allocation d'une indemnité globale de 20 000 euros ;
Considérant qu'il sera fait droit à la mesure d'interdiction sollicitée selon les termes précisés au dispositif ;
Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société ACL comme sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que les dispositions de ce texte doivent en revanche bénéficier à la société ACS ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 5 500 euros ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas droit à la demande de la société ACS d'interdire à la société Agence Centrale de Livry l'usage de cette dénomination et du sigle "ACL" ; Le réformant pour le surplus, Interdit à la société Agence Centrale de Livry d'utiliser les couleurs rouge et jaune selon la combinaison et la disposition litigieuse, sur la vitrine de son magasin, les panneaux apposés sur les immeubles vendus et les annonces publicitaires, sous astreinte de 152,45 euros par infraction constatée, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ; Condamne la société Agence Centrale de Livry à payer à la société Agence Centrale de Sevran la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 5 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Agence Centrale de Livry aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.