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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 26 avril 2001, n° 00-05468

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Maeva (SA), Maeva Loisirs (SNC)

Défendeur :

Diffusion graphique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Gas, SCP Fievet-Rochette-Lafon

Avocats :

Me Bernard, SCP Nataf & Fajgenbaum.

T. com. Nanterre, 8e ch., du 13 juill. 2…

13 juillet 2000

La société La Diffusion graphique a développé à partir de 1987 un courant d'affaires avec le "groupe" Maeva qui lui a confié à compter de 1990 la réalisation de ses catalogues et, d'une manière générale, sa communication imprimée.

Elle s'est plainte en 1999 de la décision prise par Maeva de ne plus lui confier la réalisation de sa documentation publicitaire et c'est dans ces conditions qu'elle a assigné les sociétés Locarev-Maeva et Maeva-Loisirs devant le tribunal de commerce de Nanterre pour faire juger que celles-ci avaient commis une faute en rompant brutalement la relation commerciale établie en 1987.

Le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, représenté par le directeur départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Hauts-de-Seine, est intervenu à l'instance pour faire constater un trouble à l'ordre public économique né du comportement fautif du " groupe Maeva " à l'égard de la société La Diffusion graphique.

Par jugement en date du 13 juillet 2000, le tribunal de commerce de Nanterre, après avoir rejeté des exceptions de nullité et d'irrecevabilité

soulevées par la société Locarev-Maeva et reçu l'intervention du Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, a condamné in solidum les sociétés Maeva-Loisirs et Locarev-Maeva à payer à la société La Diffusion graphique la somme de 300.000 F au titre du préjudice matériel, la somme de 150.000 F au titre du préjudice moral et la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Les sociétés Maeva-Loisirs et Groupe Maeva, celle-ci anciennement dénommée Locarev-Maeva, ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 27 juillet 2000.

Elles ont sollicité l'annulation du jugement en ce qu'il reposait pour partie sur des motifs contradictoires ou inintelligibles, en citant la motivation retenant la société Locarev-Maeva dans la cause, la condamnation conjointe et solidaire prononcée, la détermination des responsabilités et l'indemnisation du préjudice.

Elles ont conclu ensuite à la nullité des assignations délivrées les 19 et 25 octobre 1999 à la société Locarev-Maeva sur autorisation présidentielle de citer à bref délai, aux motifs que la première ne comportait ni jour, ni heure d'audience, que la seconde avait été délivrée hors délai et que ces irrégularités n'étaient pas susceptibles de régularisation.

Elles en ont déduit que l'assignation en intervention forcée de la société Maeva-Loisirs était également nulle.

Elles ont, par ailleurs, conclu à l'irrecevabilité des conclusions du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, dès lors qu'elles avaient été déposées par un fonctionnaire qui n'avait aucune qualité pour le faire.

La société Groupe Maeva a demandé sa mise hors de cause, comme n'ayant jamais entretenu de relations contractuelles avec la société La Diffusion graphique.

Sur le fond, la société Maeva-Loisirs a contesté les griefs allégués par la société La Diffusion graphique, en faisant valoir qu'elle avait

toujours refusé de s'engager dans une relation exclusive et continue, que la société La Diffusion graphique avait toujours obtenu ses marchés dans le cadre d'appels d'offres et qu'il se trouvait qu'en 1999 la société Mundocom avait fait une offre plus intéressante que la sienne.

Elle a considéré qu'elle pouvait donc faire appel à un autre prestataire et qu'elle n'avait pas de préavis à respecter, dès lors qu'il n'existait aucune relation commerciale en cours d'exécution, que la société La Diffusion graphique savait que le sort d'un marché dépendait du résultat d'un appel d'offres et qu'il n'existait aucune obligation particulière susceptible de résulter des relations commerciales antérieures, ni aucun usage particulier à la profession.

Elle a contesté que le préjudice allégué fût légalement indemnisable, dès lors qu'il était constitué par la perte d'un client, représentât-il 95 % du chiffre d'affaires de la société La Diffusion graphique.

Elle a enfin contesté le quantum de ce préjudice.

Elle a conclu, en conséquence, subsidiairement au débouté des demandes de la société La Diffusion graphique.

Les deux appelantes ont, en outre, sollicité chacune une somme de 250.000 F pour procédure abusive et injustifiée, ainsi qu'une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société La Diffusion graphique a répliqué, sur les moyens d'irrecevabilité, que le jugement était affecté d'erreurs de mise en page ou de maladresses de rédaction qui ne mettaient pas en cause sa validité, que la nullité alléguée des assignations était couverte dès lors que les irrégularités dénoncées n'avaient causé aucun grief aux appelantes, et qu'enfin celles-ci n'étaient plus recevables à critiquer le Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

Au fond, elle a insisté sur le caractère établi de sa relation commerciale, indifféremment avec les deux sociétés appelantes, pour mieux fustiger la brutalité de la rupture.

Elle a conclu à la confirmation du jugement entrepris et, y ajoutant, a demandé à la cour de dire que les sociétés Groupe Maeva et Maeva Loisirs avaient rompu brutalement et de manière fautive leur relation commerciale avec elle, de les condamner in solidum à lui payer la somme de 3.400.000 F en réparation de son préjudice matériel et la même somme en réparation de son préjudice moral, outre la somme de 70.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, et enfin d'ordonner une insertion dans cinq journaux de son choix aux frais des appelantes dans la limite de 250.000 F HT.

Les sociétés appelantes ont sollicité le rejet des débats des dernières conclusions de l'intimée signifiées le 19 février 2001, soit la veille de l'ordonnance de clôture.

SUR CE,

SUR LE REJET DES DEBATS DES DERNIERES CONCLUSIONS :

Considérant que les dernières conclusions de la société La Diffusion graphique ne sont que des conclusions en réplique aux conclusions des sociétés Maeva, elles-mêmes tardives, puisque déposées le 6 février 2001, date fixée initialement pour la clôture de l'instruction;

Qu'en toute hypothèse, si les appelantes entendaient reconclure, il leur était possible de le faire avant la date d'audience fixée au 8 mars 2001, après avoir sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture;

Qu'il n'y a donc pas lieu de rejeter des débats les conclusions de la société La Diffusion graphique;

SUR LA NULLITE DU JUGEMENT :

Considérant qu'il est prétendu, en premier lieu, que les motifs retenus par les premiers juges pour rejeter le moyen tendant à l'irrecevabilité des demandes dirigées contre la société Locarev-Maeva seraient contradictoires et inintelligibles ;

Mais considérant qu'il suffit de lire le chapitre du jugement intitulé "sur l'irrecevabilité" pour constater que les premiers juges ont, dans les deux premiers paragraphes, repris l'argumentation de la société Locarev-Maeva, pour ensuite, dans les paragraphes suivants, la réfuter dans une motivation qui, si elle peut être critiquée, n'est ni contradictoire, ni inintelligible;

Considérant qu'il est, en deuxième lieu, fait grand cas de ce que les premiers juges auraient tenu les sociétés Locarev-Maeva et Maeva-Loisirs pour "conjointes et solidaires" vis-à-vis de la société La Diffusion graphique;

Mais considérant que si cette formule, qui est au demeurant celle employée par la demanderesse et non les premiers juges, lesquels ont prononcé une condamnation "in solidum", est effectivement impropre et contradictoire, elle ne pourrait en aucune façon entraîner la nullité du jugement;

Considérant qu'en troisième lieu, il est reproché au tribunal d'avoir fondé sa décision sur un motif hypothétique, en ce qu'il a retenu que "l'absence d'information ... présent(ait) en l'espèce certaines caractéristiques de brutalité de nature à pouvoir engager la responsabilité de Maeva";

Mais considérant que les premiers juges ne se sont pas déterminés sur ce motif, certes critiquable mais surabondant, mais sur la violation de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et plus particulièrement l'absence de préavis ;

Considérant qu'enfin, il est fait grief au tribunal d'avoir indemnisé la société La Diffusion graphique de préjudices matériel et moral, après avoir, dans sa motivation, semblé exclure tout droit significatif à indemnisation ;

Mais considérant que le tribunal, saisi d'une demande exorbitante de près de sept millions de francs, a motivé sa décision comme il l'a fait, et sans se contredire, pour expliquer la raison pour laquelle il n'allouait à la société La Diffusion graphique qu'une indemnité de 450.000 F ;

Considérant qu'en définitive, il n'y a pas lieu à annulation du jugement;

SUR LA NULLITE DES ACTES INTRODUCTIFS D'INSTANCE :

Considérant que s'il est exact que l'assignation du 19 octobre 1999 était irrégulière en ce qu'elle ne comportait aucune date d'audience, les premiers juges ont à bon droit retenu qu'il s'agissait là d'un vice de forme qui justifiait, pour que la nullité fût prononcée, la preuve par les défenderesses du grief que leur causait l'irrégularité;

Qu'en l'espèce, les sociétés Maeva n'en invoquent aucun et seraient, au demeurant, incapables de le faire, puisqu'elles ont comparu en première instance et ont pu faire normalement valoir leurs moyens de défense;

Que cette première assignation n'est donc pas entachée de nullité et qu'il en est, par voie de conséquence, de même de la seconde en date du 25 octobre 1999, dont il importait dès lors peu qu'elle eût été délivrée après l'expiration du délai fixé par le président du tribunal en application des dispositions de l'article 858 du NCPC;

SUR L'INTERVENTION DU MINISTRE DE L'ECONOMIE :

Considérant que dès lors que les appelantes entendaient contester la régularité de l'intervention du ministre de l'Economie en première instance, au motif que le fonctionnaire qui le représentait n'aurait pas disposé d'un tel pouvoir, il leur appartenait de mettre en cause le ministre devant la cour;

Que, faute par elles de l'avoir fait, elles sont irrecevables en leur contestation;

Que, pour le surplus, le ministre de l'Economie avait déposé devant le tribunal des conclusions écrites qui avaient été notifiées à l'ensemble des parties, et il n'avait donné son avis qu'au vu de pièces régulièrement versées aux débats par les parties, de sorte que les appelantes ne sont pas fondées à prétendre que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté

SUR LA MISE EN CAUSE DE LA SOCIETE GROUPE MAEVA :

Considérant que dès lors qu'il est établi par les factures versées aux débats que la société La Diffusion graphique est en relation d'affaires avec les sociétés du groupe Maeva depuis 1987, alors que la société Maeva-Loisirs n'a été créée qu'en 1990, il est certain que ces relations n'ont pas existé qu'avec cette seule société;

Que la plupart des documents contractuels porte la mention "Maeva" sans autre précision ;

Que la société Maeva-Loisirs, société en nom collectif au capital de 20.000 F, a pour associé la société Locarev-Maeva devenue Groupe Maeva, société anonyme au capital de 46.107.000 F ;

Que le nom des deux sociétés apparaît sur les catalogues ;

Que des ordres de service ont été passés indifféremment par l'une ou l'autre de ces sociétés ;

Que les contrats portant sur la réalisation des catalogues, et principalement le dernier en date du 16 juin 1998, sont certes signés "Maeva-Loisirs", mais "pour la société Maeva", et sont établis au nom de la société Maeva, "société anonyme au capital de 46.107.000 F";

Qu'ainsi, les sociétés appelantes entretenaient volontiers une confusion entre elles et que c'est donc à juste titre que les premiers juges les ont retenues toutes deux solidairement dans la cause;

SUR LA RUPTURE DES RELATIONS COMMERCIALES :

Considérant qu'aux termes de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels. Les dispositions précédentes ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou de force majeure;

Considérant que la société La Diffusion graphique a été en relations commerciales avec les sociétés Maeva de 1987 à 1999, comme en font foi les contrats, factures et autres courriers versés aux débats;

Que ces relations, d'abord limitées, ont pris de l'ampleur à partir de 1990, date à laquelle et jusqu'en 1999, la société La Diffusion graphique a réalisé tous les catalogues semestriels du "groupe" Maeva, au point que, dans les derniers temps, celui-ci était le client presqu'exclusif de celle-là;

Que le seul fait que les parties aient été en relations d'affaires pendant douze ans et que la société La Diffusion graphique ait réalisé entre 1990 et 1999 les dix-huit catalogues semestriels de Maeva constitue la "relation commerciale établie" au sens de l'article 36-5 précité;

Que certes, la société La Diffusion graphique ne disposait d'aucun droit acquis à l'obtention du marché pour l'édition du catalogue automne-hiver 1999-2000et que ne constitue donc pas en soi une faute le choix par les sociétés Maeva d'un autre prestataire, maisque pour autant celles-ci n'étaient pas dispensées de respecter un préavis;

Qu'est également inopérant au regard du texte susvisé le fait que l'ensemble des prestations commandées ont fait l'objet de contrats distincts ayant fait suite à des appels d'offres;

Qu'en effet, la relation commerciale s'établit aussi bien par un contrat unique de longue durée que par plusieurs contrats échelonnés sur une longue période;

Que le simple fait que la société La Diffusion graphique savait qu'elle était mise en concurrence et qu'elle pouvait donc ne pas obtenir le marché n'est pas de nature à retirer à la rupture des relations son caractère brutal et à autoriser les sociétés Maeva à s'affranchir du devoir de donner un préavis;

Que les sociétés Maeva devaient, préalablement à la signature d'un contrat avec un autre prestataire, informer la société La Diffusion graphique dans un délai raisonnable de ce qu'elles entendaient confier la réalisation de leur catalogue automne-hiver à une entreprise moins-disante, de manière à lui permettre soit de reformuler une offre, soit de prendre ses dispositions pour compenser la perte du marché;

Que les sociétés Maeva ont, en fait, attribué le marché à la société Mundocom dès le mois de juin 1999, si l'on se réfère à l'échéancier des années précédentes, et n'en ont avisé la société La Diffusion graphique que plusieurs mois plus tard, après que celle-ci se fut inquiétée, par courrier en date du 6 août 1999, des intentions des sociétés Maeva quant à la suite qu'elles souhaitaient donner à plusieurs devis qu'elle leur avait adressés ;

Qu'ainsi, les sociétés Maeva ont rompu brutalement et de manière fautive leurs relations commerciales avec la société La Diffusion graphique et sont donc tenues d'indemniser son préjudice;

SUR LE PREJUDICE :

Considérant que le préjudice de la société La Diffusion graphique n'est constitué que par la perte d'une chance d'emporter le marché objet de l'appel d'offres, dès lors qu'elle n'avait ni droit acquis, ni certitude de l'obtenir;

Que la société intimée verse un rapport de son expert-comptable qui n'est pas utilement discuté et qui chiffre à la somme de 631.524 F son manque à gagner pour l'année 1999;

Qu'à raison d'une chance sur deux d'obtenir le marché, la somme de 300.000 F allouée par les premiers juges apparaît justifiée;

Qu'en revanche, la société La Diffusion graphique ne peut pas prétendre à une perte pour l'année 2000, alors qu'elle ne justifie pas avoir concouru aux appels d'offres ou en avoir été écartée indûment;

Considérant que, par ailleurs, la société La Diffusion graphique, qui réalisait 95 % de son chiffre d'affaires avec les sociétés Maeva, a indiscutablement été désorganisée par la perte brutale de ces très importants clients;

Que dès lors, la somme de 150.000 F allouée par les premiers juges à titre de "préjudice moral" est également justifiée;

SUR LA PUBLICATION DE L'ARRET ET L'ARTICLE 700 DU NCPC :

Considérant que la publication de l'arrêt ne s'impose pas;

Considérant que les sociétés appelantes paieront à l'intimée une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Dit n'y avoir lieu de rejeter des débats les conclusions signifiées le 19 février 2001 par l'intimée. Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Dit que les sociétés Maeva-Loisirs et Groupe Maeva ont rompu brutalement et de manière fautive leur relation commerciale avec la société La Diffusion graphique. Les condamne à payer à celle-ci une somme de 20.000 F (vingt mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC. Les condamne aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Fievet-Rochette-Lafon, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC. Rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet.