Conseil Conc., 8 octobre 2002, n° 02-D-63
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques constatées dans le secteur des télécommunications
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Palud par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Nasse, vice-président.
Le conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu les lettres en date des 28 février 1996 et 7 mars 1997, enregistrées sous le numéro F 856, par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi le conseil de la concurrence de pratiques concernant le secteur des télécommunications; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 16 juillet 2002; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés;
I. - CONSTATATIONS
A. - Les pratiques dénoncées
La lettre de saisine du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, datée du 28 février 1996, s'appuie sur un rapport d'enquête établi le 2 novembre 1995 par la direction nationale des enquêtes de concurrence, pour dénoncer les pratiques suivantes :
- utilisation par certaines filiales du groupe France Télécom, dans le cadre de leur politique de communication, de leur appartenance à ce groupe (enseigne et logo);
- mise à disposition au bénéfice de ces filiales de personnels de France Télécom, soit directement, soit indirectement;
- orientation gratuite par France Télécom vers Cofratel des demandes d'installation d'autocommutateurs d'une capacité supérieure à cinquante postes.
Dans son mémoire complémentaire, enregistré le 7 mars 1997, le ministre dénonce, par ailleurs, un accord conclu entre France Télécom et la Fédération Interprofessionnelle de Communication d'Entreprise (FICOME) à l'occasion de la mise en œuvre du plan de numérotation à dix chiffres entré en vigueur le 18 octobre 1996. Aux termes de cet accord, chacune des parties s'engageait à n'accepter l'exécution des travaux d'adaptation des installations existantes que pour les matériels installés par ses soins ou entretenus par elle.
B. - Les parties visées par la saisine
1. France Télécom
La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications a transformé le service des télécommunications relevant de la direction générale du ministère chargé des télécommunications en exploitant public autonome, personne morale de droit public placée sous la tutelle du ministre chargé des postes et télécommunications, dénommée France Télécom. Cette loi a été modifiée, postérieurement à la saisine, par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 qui a transformé la personne morale de droit public en une entreprise nationale dont l'État détient directement plus de la moitié du capital social. Sauf dispositions législatives contraires, cette entreprise est soumise aux dispositions applicables aux sociétés anonymes.
A la date de la saisine, France Télécom disposait d'un monopole légal sur le service téléphonique. L'ouverture à la concurrence a été progressivement réalisée à partir du 1er janvier 1998, d'abord sur la téléphonie longue distance puis, à partir du 1er janvier 2002, sur la boucle locale. Pour l'instant, le monopole de l'abonnement est maintenu.
La société anonyme France Télécom constitue, avec ses filiales et ses participations, un ensemble composé de plus de deux cents entreprises exerçant leur activité dans les secteurs des technologies et des services de la communication. Le groupe est actuellement organisé en huit branches, dont la branche Entreprises qui regroupe de nombreuses filiales (Expertel consulting, Expertel services & FM et Cofratel, notamment).
A la date de la saisine, l'organisation commerciale de l'exploitant public France Télécom était la suivante :
- un service "Grands comptes" regroupant la plupart des grandes entreprises françaises et les principaux ministères, soit environ 300 clients;
- dix huit agences "Entreprises" essentiellement tournées vers les entreprises;
- trente trois agences multimarchés (hors Outre-mer) traitant des clientèles "entreprises-professionnels-résidentiels";
- cent quarante agences "résidentiels-professionnels".
Chacune de ces agences dépendait de l'une des cinquante directions régionales réparties sur le territoire. Elles employaient plus de 6 700 agents affectés à des tâches commerciales, relevant du secteur concurrentiel et du secteur sous monopole. Selon l'estimation de la Fédération nationale de la communication d'entreprise, à la même époque environ 1 600 agents étaient affectés dans le secteur de l'installation.
France Télécom emploie deux catégories de personnel : des fonctionnaires et des agents contractuels employés librement sous le régime des conventions collectives. Selon les modalités fixées par décret en conseil d'État, les fonctionnaires peuvent, sur leur demande, être exceptionnellement placés hors de la position d'activité de leur corps.
2. Expertel
A la date de la saisine, Expertel était un groupement d'intérêt économique (GIE), régi à ce titre par l'ordonnance n° 67-821 du 23 septembre 1967. Il avait été créée le 31 décembre 1982 par l'exploitant public France Télécom et par la société France câbles et radio (FCR), filiale de Cogecom, société holding de France Télécom. Il s'agissait alors de rassembler en une même entité les services Réseaux d'entreprise, marketing et développement de la société FCR avec les services de la direction régionale Ile-de-France de France Télécom spécialisés dans la maintenance des autocommutateurs du palais de l'Élysée, de Matignon, des principaux ministères et organismes publics. Aux termes de l'article 3 de son contrat constitutif, ce GIE avait reçu pour objet "l'étude, le conseil, l'ingénierie, l'exploitation, la location et la maintenance de réseaux de communication d'entreprise (réseaux PABX et connexes) et de leurs matériels associés, ainsi que toute autre activité, notamment commerciale, industrielle, mobilière, immobilière, financière ou technique qui se rattache directement ou indirectement à cet objet, d'assurer la promotion de l'intérêt et la coopération de ses membres". A la fin de l'année 1994, il utilisait les services de 444 personnes, dont 284 fonctionnaires relevant de France Télécom et 260 agents salariés de la société FCR.
Ce GIE a été dissous postérieurement à la saisine. Dans un premier temps, au cours de l'année 1998, il a été remplacé par trois sociétés anonymes dénommées respectivement Expertel services, Expertel FM et Expertel consulting. Les deux premières ont fusionné en janvier 2000. La nouvelle entité résultant de cette fusion a été dénommée Expertel services & FM.
Expertel services & FM
Selon les informations recueillies au cours de l'instruction, l'activité d'ESFM, filiale à 100 % de France Télécom, est centrée sur des services destinés aux gestionnaires des services de télécommunications et aux utilisateurs de ces services (gestion centralisée, tableau de bord, assistance etc...). Succédant au GIE Expertel, elle intervient marginalement dans le secteur de la maintenance. Ses effectifs sont d'environ 400 personnes dont 164 fonctionnaires relevant de France Télécom. En l'an 2000, elle a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 505 millions de francs (plus de 77 millions d'euros). Sa clientèle est composée de grandes entreprises et administrations, pour l'essentiel, localisées en Île-de-France.
Expertel consulting
L'activité d'Expertel consulting, filiale à 100 % de France Télécom, consiste à accompagner le développement des entreprises dans le cadre de missions de conseil dans les domaines des télécommunications, des nouvelles technologies, de l'organisation interne et des relations avec la clientèle. Contrairement à d'autres cabinets de conseil, elle n'intervient ni dans le secteur du développement informatique ni dans celui de l'intégration.
Sa clientèle se répartit en deux catégories : celle des opérateurs en télécommunications et celle des autres entreprises et organismes publics. Sa cible de clientèle est celle des structures employant au moins 500 personnes, soit environ 3 000 entreprises privées et 1 000 organismes relevant du secteur public. Sur un effectif de 120 personnes, dont quelques fonctionnaires relevant de France Télécom, 100 sont des consultants. En l'an 2000, elle a réalisé un chiffre d'affaires de près de 100 millions de francs, soit environ 14 800 300 euros.
3. Cofratel
Les origines du groupe Cofratel, spécialisé dans l'étude, la conception, la réalisation et la maintenance des systèmes de communication d'entreprise, remontent à 1927, date de création de la Compagnie française de téléphonie devenue Compagnie française de télécommunications. En 1994, la société FCR du groupe France Télécom, qui détenait déjà 34 % de son capital, a acquis la totalité des parts. A la même époque, le groupe Cofratel s'est rendu acquéreur du groupe Sogestel composé d'une soixantaine de sociétés téléphoniques. Cette dernière opération a été suivie d'une importante restructuration conduite en plusieurs étapes, la dernière consistant en l'absorption de toutes les sociétés par une entité dénommée Cofratel SA, filiale à 100 % du groupe France Télécom, dont l'activité d'installation-maintenance s'exerce au travers de six directions régionales et de 45 agences réparties sur tout le territoire. 1 400 personnes figurent dans ses effectifs dont le seul fonctionnaire, relevant de France Télécom, est le président directeur général. En l'an 2000, son chiffre d'affaires a atteint 1 039 043 103 F, soit un peu plus de 158 millions d'euros.
4. La Fédération Interprofessionnelle de la Communication d'Entreprise (FICOME)
La FICOME est une association régie par la loi du 1er juillet 1901. Cette organisation, qui dispose de onze délégations régionales, comprend environ 300 sociétés et groupes adhérents sur le millier d'entreprises que compte la profession, pour un effectif de techniciens et ingénieurs évalué à 20 000.
Beaucoup de ces adhérents sont de petites entreprises mais la représentation des constructeurs (Alcatel, JS Télécom, Siemens, Matra etc...) y est également assurée, de même que celle de Cofratel.
C. - Les marchés
1. Le secteur de l'ingénierie-conseil en télécommunications
L'activité d'ingénierie-conseil consiste généralement en une prestation d'analyse des besoins, de conception d'un projet et d'assistance au maître d'ouvrage pour le choix des fournisseurs et l'installation des équipements.
Compte tenu de ses caractéristiques, elle s'adresse à des structures d'une certaine importance. II est possible de distinguer deux principaux types de clientèle : celle des opérateurs en télécommunications et celle des autres entreprises et organismes publics.
Selon les informations recueillies au cours de l'instruction, une centaine d'entreprises sont présentes dans le secteur. Parmi les plus importantes d'entre elles, on distingue des sociétés de conseil (Accenture, Cesmo, Solucom, Siticom) mais aussi des sociétés d'ingénierie en informatique.
L'instruction a également permis de constater qu'il n'existait pas de données précises sur l'activité du secteur et que la pluralité des activités exercées par certaines sociétés rendait extrêmement difficile la détermination des parts de marché des principaux intervenants. Selon le rapport d'enquête, en 1994, le GIE Expertel estimait sa part de marché à 10 % environ. La société Expert Consulting qui lui a succédé situe cette part entre 5 et 10 % pour le segment des entreprises et organismes publics, précisant que son activité auprès de sa maison-mère n'excède pas 5 % des besoins de cette dernière qui recourt largement aux services de cabinets extérieurs au groupe.
2. Le secteur de l'installation-maintenance en télécommunications privées
Le champ d'activité des installateurs en télécommunications privées recouvre, d'une part, le placement et l'installation d'équipements et, d'autre part, la maintenance de ces équipements.
2.1. L'installation :
Le commutateur, système permettant d'assurer la liaison entre deux points d'un réseau, constitue l'élément de base d'une installation. Une première classification conduit à distinguer, d'une part, les microcommutateurs et, d'autre part, les autocommutateurs.
Les microcommutateurs ont une capacité en nombre de postes et de lignes limitée. Leur installation ne requiert pas l'intervention d'un professionnel du secteur. Ils ne sont guère susceptibles d'adaptation et ne nécessitent pas de maintenance. De ce fait, ils n'intéressent pas les installateurs, leur distribution étant principalement assurée par des grandes surfaces, notamment par les magasins spécialisés en bricolage.
Les autocommutateurs ou PABX (Private Automatic Branch Exchange), numériques ou analogiques, ont une capacité en nombre de lignes et de postes variable, pouvant atteindre plusieurs milliers de postes pour les modèles les plus performants. Différents équipements sont susceptibles d'y être raccordés : téléphones pour la voix, ordinateurs pour les données, vidéo pour les images, télécopieur et minitel pour les textes, permettant ainsi la réalisation de véritables réseaux de communication. L'installation peut être acquise ou louée. Dans ce dernier cas, le montant de la redevance correspond généralement à un pourcentage du prix du matériel installé. A la date de la saisine du conseil, seuls les professionnels admis selon une procédure fixée à l'article R.20-23 du Code des postes et télécommunications pouvaient procéder à leur mise en place et à leur maintenance. Cette procédure a été supprimée par l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 portant transposition de directives communautaires relatives aux télécommunications.
2.2. La maintenance :
Il est possible d'identifier deux types de maintenance :
- la maintenance préventive, qui s'exerce le plus souvent dans le cadre d'un contrat de durée variable, lequel prévoit la périodicité des visites à l'initiative du prestataire de services. Un contrat de ce type est généralement proposé lors de l'achat du matériel.
- la maintenance correctrice, soit dans le cadre du contrat de maintenance susmentionné, soit, plus rarement, à l'attachement. Ce type de maintenance se distingue du précédent en ce qu'il consiste à mettre fin, sur demande expresse du client, à un dysfonctionnement avéré. Dans la pratique, les contrats de maintenance prévoient généralement la réparation ou le remplacement des pièces endommagées, sous réserve d'une utilisation normale de l'installation.
Pour les équipements loués, le contrat d'entretien est en principe inclus dans le contrat de location. Les équipements achetés ne sont pas nécessairement entretenus par leur installateur. Ainsi, pour la société Cofratel, sur un parc de 35 000 PABX, 80 % ont donné lieu à la conclusion d'un contrat de maintenance à l'occasion de la vente, contrat qui a été renouvelé dans 70 % des cas environ.
Les tarifs pratiqués varient selon les entreprises. Selon le rapport annexé à la lettre de saisine, au moment de l'enquête, la redevance annuelle se situait généralement entre 6 et 10 % du coût de l'installation.
2.3. Les offreurs :
A la date de la saisine trois types d'acteurs intervenaient dans le secteur de l'installation maintenance :
- les sociétés liées aux constructeurs. C'est notamment le cas d'Alcatel, au travers de sa filiale Alcatel réseaux d'entreprise, et de Matra communication qui, postérieurement à la saisine du conseil, ont été rachetées respectivement par Platinium Funds Holding et par Spie Batignolles. Leur activité s'exerce sur tout le territoire;
- France Télécom qui intervient également sur tout le territoire au travers de ses agences commerciales et de ses centres techniques. Dans le cadre de son activité d'installation-maintenance, elle se trouve en concurrence directe avec sa filiale Cofratel. La société Expertel services & FM intervient marginalement pour assurer la maintenance de PABX mais elle ne procède à aucun placement;
- les installateurs indépendants des constructeurs. En termes d'effectifs, ils sont majoritaires dans la profession. Toutefois, les entreprises sont le plus souvent de petite taille et leur activité cantonnée au niveau local. Il faut cependant relever que, derrière certaines d'entre elles, on découvre la présence de grands groupes tels que Vivendi, Lyonnaise des eaux, Eiffage. De ce fait, le nombre d'installateurs réellement indépendants est fort réduit. Pour faire face à la concurrence et pouvoir offrir une gamme étendue de services, certains d'entre eux se sont regroupés au sein d'une association.
2.4. Les demandeurs :
Il est possible de distinguer trois types de clientèle :
- celle des entreprises dont les besoins sont divers et fonction, notamment, de leur importance, de la nature de l'activité et du nombre de sites sur lesquels elle est exercée. La demande s'étend de l'installation traditionnelle à la réalisation de réseaux de communication faisant appel à diverses technologies. Elle porte également sur la maintenance;
- celle des administrations et organismes publics dont les besoins ne sont pas fondamentalement différents de ceux des entreprises mais dont la satisfaction peut être subordonnée au respect de procédures particulières (appels d'offres, notamment);
- celle des particuliers, pour laquelle l'activité d'installateur se limite généralement au raccordement et à la pose de prises téléphoniques. De ce fait, elle n'entre que pour une faible part dans la constitution du chiffre d'affaires des professionnels du secteur.
2.5. La détermination du marché pertinent :
Il a été indiqué précédemment que les installateurs interviennent dans le placement des autocommutateurs et des équipements annexes, soit dans le cadre d'une vente, soit dans celui de la location-entretien. Dès lors, la première question qui se pose est celle de savoir si la vente et la location-entretien constituent deux marchés distincts.
Dans sa décision n° 247-86 du 5 octobre 1988, Société Alsacienne et Lorraine de Télécommunication et d'Electronique (ALSATEL), la Cour européenne de justice a jugé que : "s'agissant d'apprécier si l'entreprise a une puissance économique lui permettant de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective, on ne saurait isoler comme marché à prendre en considération celui de la location-entretien alors qu'il apparaît que les usagers ont le choix entre l'achat et la location-entretien (...)" et elle a retenu l'existence d'un marché national des installations téléphoniques. En l'espèce, il ressort de l'instruction que les clients de France Télécom et de Cofratel ont également le choix entre ces deux formules qui sont également proposées par d'autres professionnels du secteur. De surcroît, selon les dépositions recueillies au cours de l'instruction, il n'existe pas de statistiques permettant d'apprécier la part respective de chacun de ces modes de placement. Il convient donc d'adopter la même solution.
Il a également été indiqué précédemment qu'une proposition de maintenance accompagne généralement une offre de vente. Le client conserve toutefois la possibilité de confier cette prestation à un autre installateur de son choix, soit dès l'acquisition du matériel, soit à l'expiration d'un contrat. L'exemple susmentionné de Cofratel démontre qu'il utilise cette possibilité. Dans la mesure où la vente et la maintenance ne sont pas substituables, la seconde question qui se pose est celle de l'existence d'un marché de la maintenance. Toutefois, en l'absence de données précises sur l'activité de la profession, la détermination d'un tel marché n'apparaît pas possible.
Compte tenu de ce qui précède, le marché à prendre en considération est celui de l'installation-maintenance. Sur ce marché, il est également très difficile de connaître la position des différents intervenants. A partir des résultats d'une enquête, menée en 1994, par la Féfération Interprofessionnelle d'Entreprises (FICOME) auprès d'entreprises adhérentes ou non adhérentes, recoupés avec d'autres informations fournies par des constructeurs et par le groupe France Télécom, l'enquêteur de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a estimé la part du marché du groupe France Télécom à 12,8 % (5,2 % pour la SA France Télécom, 6,8 % pour Cofratel et 0,8 % pour Expertel), celle des constructeurs à 40 % et celle des installateurs indépendants à 47,1 %. Selon les déclarations du président directeur général de Cofratel, actuellement, la part du groupe France Télécom serait d'environ 20 %.
3. Le secteur de l'exploitation-gestion
L'activité d'exploitation-gestion, totalement indépendante du choix des matériels et de leur placement, vise à fournir un ensemble de prestations à des entreprises dotées de réseaux complexes. Ces prestations portent notamment sur la gestion des configurations et des abonnés, sur l'observation du trafic et la gestion des coûts, sur l'assistance aux gestionnaires des systèmes de télécommunications et aux utilisateurs de ces systèmes. Les prestations peuvent encore concerner la sécurité et la protection des données.
Selon les informations recueillies au cours de l'instruction, les constructeurs disposant de réseaux de distribution (Alcatel et Matra, notamment) ainsi que certains installateurs privés interviennent sur ce marché, concurremment avec la société Expertel services & FM qui a succédé dans cette activité au GIE Expertel.
A la date de l'enquête susmentionnée, le directeur général du GIE Expertel avait estimé à moins de 1 % la part de marché de son groupement. Celui d'Expertel services & FM a indiqué que sa société prenait en charge 400 000 lignes sur un parc d'environ quatre millions, ce qui représente 4 % du marché.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Sur la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce : "Le conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou leur sanction";qu'en l'espèce, aucune mesure d'instruction satisfaisant aux exigences des dispositions précitées n'a été effectuée dans le délai de trois ans suivant la date du 7 mars 1997 à laquelle le complément de saisine a été enregistré au bureau de la procédure du conseil de la concurrence;
Considérant, toutefois, qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'une pratique continue ne commence à se prescrire qu'à la date à laquelle elle a pris fin (cass. Crim., 28 mars 1996);
Considérant que l'accord dénoncé par le ministre conclu entre France Télécom et la FICOME, concernant les travaux d'adaptation des installations existantes à la numérotation téléphonique à dix chiffres entrée en vigueur le 18 octobre 1996, ne saurait être assimilé à une pratique continue par nature; qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir qu'il serait demeuré en vigueur jusqu'à une date non prescrite; que, dans ces conditions, le conseil ne peut examiner ces faits;
Considérant, en revanche, que les autres pratiques, dénoncées par le ministre, consistant pour les filiales de France Télécom à utiliser le logo et l'enseigne de leur maison-mère et à bénéficier directement ou indirectement des services de personnels en relevant, étaient susceptibles de présenter un caractère continu; que les mesures d'instruction, auxquelles il a été procédé, ont révélé que les sociétés Expertel services & FM et Expertel consulting, qui ont succédé au groupement d'intérêt économique Expertel ainsi que la société Cofratel, continuaient de bénéficier de la mise à disposition ou du détachement de fonctionnaires relevant de la SA France-Télcom; qu'à défaut pour cette dernière d'avoir répondu, en dépit de la lettre de rappel qui lui avait été adressée le 20 février 2002 et dont elle a accusé réception le 25 février suivant, à la demande qui lui avait été faite concernant la cessation éventuelle de la pratique consistant à orienter gratuitement vers Cofratel les demandes d'installation d'autocommutateurs d'une capacité supérieure à cinquante postes, ladite pratique doit être regardée comme étant toujours en vigueur; que, dès lors, il y a lieu pour le conseil d'examiner ces pratiques;
Sur les pratiques :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce : "Lorsqu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure";
Considérant qu'en vertu de l'article L. 420-2 du Code de commerce, est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci;
Considérant que le GIE Expertel avait été constitué par l'exploitant public France Télécom et par une de ses filiales, la société FCR; que les sociétés qui ont succédé à ce groupement ainsi que la société Cofratel constituent des filiales à 100 % de la SA France Télécom; que l'ensemble constitue un groupement d'entreprises au sens des dispositions de l'article L. 420-2 susmentionné; que si le groupe France Télécom occupe une place modeste sur les marchés de l'ingénierie-conseil en télécommunications, de l'installation-maintenance et de l'exploitation-gestion des télécommunications, il est constant qu'à la date de la saisine, il exerçait un monopole légal sur le marché des télécommunications et qu'il se trouve à l'heure actuelle, compte tenu du caractère récent de l'ouverture du marché à la concurrence, toujours en position dominante sur ce marché;
Considérant qu'il est licite, pour une entreprise publique qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'exercer une activité ou d'entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition qu'elle n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l'accès au marché pour ses concurrents en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites; qu'ainsi, une entreprise publique disposant d'un monopole légal qui utilise les ressources de son activité monopolistique pour subventionner une nouvelle activité ne méconnaît pas, de ce seul fait, les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce;
Considérant que le conseil, dans son avis n° 94-A-15, en date du 10 mai 1994, relatif à une demande d'avis sur les questions soulevées par les diversifications d'activités d'EDF et de GDF au regard de la concurrence, a relevé que, dans le cas où un éventuel déficit structurel des activités de diversification serait indéfiniment compensé par les résultats positifs tirés de l'activité du monopole, "un tel cas de figure conduirait au maintien sur le marché d'une offre artificiellement compétitive qui sinon disparaîtrait" et que "la permanence de cette offre rétroagirait, en outre, sur le fonctionnement concurrentiel du marché"; qu'il a encore observé, dans ce même avis, que ces mécanismes de subventions croisées "constituent des facteurs de distorsion de concurrence parce qu'en subventionnant des activités de diversification, ils reviennent à consentir aux filiales des avantages appréciables par rapport aux concurrents. A long terme, de telles pratiques risquent d'éliminer du marché tous les acteurs économiques ne bénéficiant pas de conditions analogues";
Considérant que, dans sa décision n° 00-D-47 du 22 novembre 2000, le conseil de la concurrence a précisé "qu'est susceptible de constituer un abus le fait, pour une entreprise disposant d'un monopole légal (...) d'utiliser tout ou partie de l'excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle (...); qu'ainsi, une subvention croisée peut à elle seule, par sa durée, sa pérennité et son importance, avoir un effet potentiel sur le marché";
Considérant que, dans sa décision n° 00 D-57 du 6 décembre 2000 se référant à la décision susmentionnée du 22 novembre précédent, le conseil a précisé : "la mise à disposition de moyens tirés d'une activité réalisée sous monopole légal pour le développement d'activités relevant du champ concurrentiel est susceptible d'être qualifiée au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce si deux conditions cumulatives sont réunies:
- il faut, en premier lieu, que la mise à disposition de moyens puisse être qualifiée de "subvention", c'est-à-dire qu'elle ne donne pas lieu, de la part de l'activité qui en bénéficie, à des contreparties financières reflétant la réalité des coûts;
- il faut, en second lieu, que l'appui ainsi apporté présente un caractère anormal";
En ce qui concerne les mises à disposition et détachement
Considérant que si les sociétés Cofratel, Expertel consulting et Expertel services & FM bénéficient des services de personnels de France Télécom mis à disposition ou détachés auprès d'elles, il résulte de l'instruction que ces mises à disposition et détachement ont été réalisés moyennant des contreparties financières effectives; que l'enquêteur a relevé qu'outre les rémunérations et cotisations sociales correspondantes, ces contreparties pouvaient intégrer des avantages en nature tels que des loyers ou des frais de documentation; que les documents produits lors des auditions auxquelles le rapporteur a procédé révèlent également qu'en sus des charges susmentionnées, France Télécom prélève des frais de gestion des dossiers des fonctionnaires concernés; qu'il n'est nullement établi que ces contreparties financières seraient insuffisantes; que la seule circonstance que le nombre de fonctionnaires mis à disposition ou détachés est important, ne saurait, à elle seule, être constitutive d'une pratique prohibée au regard du droit de la concurrence; que, dans ces conditions, les mises à disposition et détachements accordés par France Télécom au bénéfice de ses filiales susmentionnées ne sont pas susceptibles de relever du champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce;
En ce qui concerne l'orientation gratuite de clientèle vers Cofratel
Considérant qu'au cours de l'année 1994, France Télécom a inscrit dans le catalogue de ses produits une gamme d'autocommutateurs (PABX) visant à permettre aux agences commerciales de répondre aux demandes de clients portant sur une configuration inférieure à cinquante postes; que le mode de traitement des demandes concernant des installations d'une capacité plus importante a été précisé par une directive du 26 décembre 1994 aux termes de laquelle : "PABX hors catalogue- En l'absence de demande écrite ou d'appel d'offres du client auprès de France Télécom, et pour répondre à une simple demande d'informations des clients, les directions régionales fourniront aux clients une liste des installateurs admis. Pour répondre à une demande écrite ou à un appel d'offres d'un client sur les PABX hors catalogue et dans le cas où il ne concerne que l'installation maintenance (cf. annexe 1) FT Grands comptes et les directions régionales renverront les demandes des clients du marché entreprise vers Cofratel (...)"; qu'il ressort du rapport établi à l'issue de l'enquête administrative diligentée par l'administration préalablement à la saisine du conseil de la concurrence qu'aucune contrepartie financière n'a été prévue pour cette orientation de clientèle; qu'un tel concours est assimilable à une subvention au sens des dispositions précitées;
Considérant qu'il ressort de pièces annexées à la lettre de saisine que, lors de différents appels d'offres, la société Cofratel n'était pas la moins-disante et que les taux de redevance prévus par les contrats de maintenance proposés correspondaient à ceux habituellement pratiqués par la profession; que si, pour la vente d'un téléphone, un prix anormalement bas a été relevé, il résulte de l'instruction qu'il s'agissait d'une erreur sur le montant de la remise accordée par le constructeur et que le prix de l'installation complète n'encourait pas la même remarque; que l'enquêteur a, par ailleurs, noté qu'aucun exemple d'offre calculée avec une marge négative sur les coûts opérationnels n'avait été relevé à l'encontre de Cofratel; que si, aux termes de son enquête effectuée en 1995, il a mentionné que la rentabilité économique de la société était d'un faible niveau, il a également pris soin de préciser que les entreprises concurrentes se trouvaient dans la même situation; qu'ainsi, il n'est pas établi que l'assistance commerciale apportée par France Télécom ait permis à Cofratel de mettre en œuvre des pratiques prédatrices;
Considérant encore que si, selon ce même rapport, l'application de la directive susmentionnée a permis l'obtention de deux marchés pour la vente de deux installations aux prix respectifs de 192 000 F et 89 960 F et le placement des contrats d'entretien correspondants moyennant le versement d'une redevance annuelle de 15 969 F et 8 119 F, l'enquêteur a aussi relevé qu'il n'était pas établi que l'initiative émanait d'un agent de France Télécom; qu'aucun élément du dossier n'est de nature à établir que, depuis 1995, d'autres contrats auraient été conclus selon la même procédure, dont le nouveau président du conseil d'administration de Cofratel a d'ailleurs déclaré ignorer l'existence; que, dans ces conditions, et compte tenu de la part détenue par France Télécom sur le marché de l'installation-maintenance, la pratique en cause ne saurait être regardée comme ayant entraîné une perturbation importante ou durable du marché; qu'elle n'est donc pas contraire aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce;
En ce qui concerne l'utilisation de l'enseigne et du logo
Considérant que, lors de leur audition par le rapporteur, les représentants des filiales de France Télécom mises en cause ont justifié l'utilisation de l'enseigne et/ou du logo de leur maison-mère par un souci de transparence vis à vis de la clientèle;
Considérant que le groupe France Télécom ne compte pas moins de deux cents sociétés dont certaines peuvent se trouver en concurrence; que l'existence d'un logo commun ou d'une enseigne commune est de nature à assurer la transparence vis à vis de la clientèle; que dès lors, l'usage du logo de la maison-mère ou l'indication de l'appartenance au groupe France Télécom n'est pas, à elle seule, susceptible de constituer une pratique relevant du champ d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce; que, par ailleurs, l'instruction n'a pas établi que, dans leur politique de communication, les sociétés mises en cause se seraient prévalues abusivement d'avantages liés aux monopoles de droit ou de fait détenus par leur maison-mère;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucune pratique anticoncurrentielle commise en période non prescrite et ayant fait l'objet d'un grief notifié n'ayant été établie, il convient de décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure;
Décide :
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.