TPICE, 1re ch., 22 octobre 2002, n° T-310/01
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Schneider Electric (SA), République française
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Comité central d'entreprise Legrand (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Juges :
MM. Forwood, Legal
Avocats :
Mes Herbert, Steenbergen, Pittie, Masse-Dessen
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
Cadre juridique
1. L'article 2 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO L. 395, p. 1, tel que rectifié, JO 1990, L. 257, p. 13, et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 du Conseil, du 30 juin 1997, JO L. 180, p. 1, ci-après le "règlement n° 4064-89"], dispose :
"1. Les opérations de concentration visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des dispositions qui suivent en vue d'établir si elles sont ou non compatibles avec le Marché commun.
Dans cette appréciation, la Commission tient compte :
a) de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le Marché commun, au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d'entreprises situées à l'intérieur ou à l'extérieur de la Communauté ;
b) de la position sur le marché des entreprises concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sources d'approvisionnement ou aux débouchés, de l'existence en droit ou en fait de barrières à l'entrée, de l'évolution de l'offre et de la demande des produits et services concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finals, ainsi que de l'évolution du progrès technique et économique, pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.
2. Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le Marché commun.
3. Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le Marché commun.
[...]"
2. Selon l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064-89, si la Commission constate que l'opération de concentration notifiée relève de ce règlement et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun, elle décide d'engager la procédure.
3. Aux termes de l'article 7 du règlement n° 4064-89 :
"1. Une concentration telle que définie à l'article 1er ne peut être réalisée ni avant d'être notifiée ni avant d'avoir été déclarée compatible avec le Marché commun [...]
3. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à la réalisation d'une offre publique d'achat ou d'échange qui a été notifiée à la Commission conformément à l'article 4, paragraphe 1, pour autant que l'acquéreur n'exerce pas les droits de vote attachés aux participations concernées ou ne les exerce qu'en vue de sauvegarder la pleine valeur de son investissement et sur la base d'une dérogation octroyée par la Commission conformément au paragraphe 4.
[...]"
4. L'article 8 du règlement n° 4064-89 édicte notamment :
"2. Lorsque la Commission constate qu'une opération de concentration notifiée, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, répond au critère défini à l'article 2, paragraphe 2 [...], elle prend une décision déclarant la concentration compatible avec le Marché commun.
[...]
3. Lorsque la Commission constate qu'une opération de concentration répond au critère défini à l'article 2, paragraphe 3 [...], elle prend une décision déclarant la concentration incompatible avec le Marché commun.
4. Si une opération de concentration a déjà été réalisée, la Commission peut ordonner, dans une décision au titre du paragraphe 3 ou dans une décision distincte, la séparation des entreprises ou des actifs regroupés ou la cessation du contrôle commun ou toute autre action appropriée pour rétablir une concurrence effective."
5. Selon l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, les décisions constatant l'incompatibilité d'une opération de concentration avec le Marché commun doivent intervenir dans un délai maximal de quatre mois à compter de la date de l'engagement de la procédure.
6. En vertu du paragraphe 4 de ce même article, ce délai est exceptionnellement suspendu lorsque la Commission, en raison de circonstances dont une des entreprises participant à la concentration est responsable, a été contrainte de demander un renseignement par voie de décision en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89.
7. Aux termes de l'article 10, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, lorsque la Cour de Justice rend un arrêt qui annule en tout ou en partie une décision de la Commission en vertu de ce règlement, les délais qui sont fixés dans ce texte s'appliquent à nouveau à compter de la date du prononcé de l'arrêt.
8. L'article 10, paragraphe 6, du règlement n° 4064-89 précise que, si la Commission n'a pas pris de décision au titre de l'article 8, paragraphe 3, dans le délai de quatre mois précité, l'opération de concentration est réputée déclarée compatible avec le Marché commun.
9. L'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89 habilite la Commission, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par ce règlement, à recueillir tous les renseignements nécessaires notamment auprès des parties à l'opération de concentration notifiée.
10. Ce même article précise, en son paragraphe 5, que, si une entreprise ne fournit pas les renseignements ainsi demandés par la Commission dans le délai imparti ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision. Celle-ci précise les renseignements demandés, fixe un délai approprié dans lequel les renseignements doivent être fournis et indique le recours ouvert contre cette décision devant la juridiction communautaire.
11. L'article 18 du règlement n° 4064-89 spécifie, en son paragraphe 3, que la Commission ne fonde ses décisions que sur les objections au sujet desquelles les intéressés ont pu faire valoir leurs observations, d'une part, et que les droits de la défense des intéressés sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure, d'autre part.
12. Enfin, selon l'article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 447-98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064-89 (JO L. 61, p. 1), le délai de quatre mois précité est suspendu lorsque la Commission, en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, est contrainte d'adopter une décision, au motif que les informations demandées à une des parties notifiantes ne lui ont pas été communiquées ou ne lui ont pas été communiquées intégralement dans le délai qu'elle a fixé.
Antécédents du litige
13. Schneider Electric SA (ci-après "Schneider"), société de droit français, est la société-mère d'un groupe actif dans la production et la vente de produits et de systèmes dans les secteurs de la distribution électrique, du contrôle industriel et de l'automation. Au cours de l'exercice 2000, Schneider a réalisé un chiffre d'affaires de 8 750 millions d'euros sur le plan mondial et de 4 095 millions d'euros dans la Communauté.
14. Legrand SA est une société de droit français spécialisée dans la production et la vente d'appareillages électriques d'installations basse tension. En 2000, son chiffre d'affaires s'est élevé à 2 791 millions d'euros à l'échelon mondial et à 1 684 millions d'euros dans la Communauté.
15. Le 16 février 2001, Schneider et Legrand ont, conformément aux prescriptions du règlement n° 4064-89, notifié à la Commission le projet de Schneider de lancer une offre publique d'échange (ci-après l'"OPE") sur l'intégralité des actions Legrand détenues par le public.
16. Cette démarche faisait suite à des notifications informelles respectivement déposées les 12 décembre 2000 et 5 janvier 2001.
17. Les parties notifiantes ont adressé à la Commission, le 29 janvier 2001, un nouveau projet de notification.
18. Schneider et Legrand ont encore répondu à 71 questions transmises par la Commission, le 7 février 2001, et destinées à compléter ce troisième projet de notification.
19. La Commission a conclu que l'opération de concentration notifiée relevait du règlement n° 4064-89 et que sa compatibilité avec le Marché commun et l'Espace économique européen (ci-après l'"EEE") soulevait des doutes sérieux.
20. En conséquence, la Commission a adopté, le 30 mars 2001, une décision fondée sur l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064-89, par laquelle elle a ouvert la seconde phase de la procédure d'examen de l'opération notifiée.
21. Par lettre du 6 avril 2001, la Commission a adressé une demande de renseignements à Schneider et à Legrand, sur le fondement de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89.
22. Les deux sociétés n'ayant pas fourni, avant l'expiration du délai de réponse fixé au 18 avril 2001, tous les renseignements demandés concernant les différents marchés concernés par l'opération de concentration, la Commission a notifié à chacune d'elles une décision de demande de renseignements au sens de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, datée du 27 avril 2001.
23. À la date du 25 juin 2001, la Commission avait reçu l'ensemble des informations sollicitées.
24. Le 7 juin 2001, Schneider a déposé les termes de son OPE auprès du Conseil français des marchés financiers, lequel l'a déclarée recevable lors de sa séance du 14 juin suivant. Le visa de la Commission des opérations de bourse a été obtenu le 19 juin 2001.
25. L'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89 autorisant la réalisation des offres publiques notifiées à la Commission à condition que l'acquéreur n'exerce pas les droits de vote attachés aux actions concernées, Schneider a lancé son OPE le 21 juin 2001 et l'a clôturée le 25 juillet suivant.
26. En application de l'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 447-98, la Commission a adressé à Schneider, le 3 août 2001, une communication des griefs concluant à la création ou au renforcement d'une position dominante, du fait de l'opération notifiée, sur un certain nombre de marchés sectoriels nationaux.
27. Le 6 août 2001, la Commission des opérations de bourse a rendu l'avis de résultat définitif de l'OPE lancée par Schneider sur les titres de Legrand. Schneider a ainsi recueilli 98,7 % des titres de Legrand.
28. Schneider a présenté à la Commission un rapport daté du 14 août 2001 que le professeur L. Waverman et le cabinet "National Economic Research Associates" ont rédigé pour le compte des parties notifiantes (ci-après le "premier rapport NERA"). Ce document examine la définition du marché sectoriel des tableaux de distribution électrique, les ventes intégrées des composants pour tableaux électriques de deux concurrents de Schneider, à savoir ABB et Siemens, ainsi que la situation de la concurrence sur le marché des tableaux électriques en Italie, en Espagne, au Portugal et au Danemark.
29. Les parties notifiantes ont répondu à la communication des griefs, par mémoire déposé le 16 août suivant.
30. Une audition a eu lieu le 21 août 2001.
31. Le 29 août 2001, une réunion a été tenue entre Schneider et les services de la Commission en vue de définir d'éventuelles modifications, au sens de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89, d estinées à résoudre les problèmes de concurrence identifiés par la Commission.
32. À cette fin, Schneider a déposé ses propositions d'engagements ("remèdes" ou "mesures correctives"), le 14 septembre 2001, dernier jour du délai légal.
33. Le 18 septembre 2001, la Commission a transmis aux tiers concernés un questionnaire sur ces propositions.
34. Le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises s'est réuni le 19 septembre 2001 pour examiner le projet de décision finale.
35. Le 24 septembre 2001, Schneider a adressé à la Commission une nouvelle version de ses engagements du 14 septembre précités, pour répondre aux demandes spécifiques formulées par la Commission le 21 septembre précédent.
36. Le même jour, les services de la Commission ont convié les parties à une réunion.
37. Dans une note annexée à leur lettre du 25 septembre 2001 adressée au Membre de la Commission en charge des questions de concurrence, Schneider et Legrand ont fait état de la totale surprise que fut pour elles la réaction à nouveau négativeexprimée par les services de la Commission à l'égard de leurs nouvelles propositions d'engagements, alors que celles-ci prévoyaient le retrait de Legrand des marchés de composants pour tableaux électriques sur l'ensemble de l'EEE.
38. Le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises s'est réuni une nouvelle fois, le 28 septembre 2001, pour examiner les mesures correctives proposées et pour se prononcer sur le projet de décision.
39. Le 10 octobre 2001, la Commission a adopté une décision, sur le fondement de l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89 [C (2001) 3014 final (affaire COMP-M.2283 - Schneider-Legrand)] (ci-après la "Décision").
40. Aux termes de l'article 1er de la Décision :
"La concentration notifiée à la Commission par Schneider le 16 février 2001, qui lui permettrait d'acquérir le contrôle exclusif de Legrand, est déclarée incompatible avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE".
41. La Décision comprend la description du secteur du matériel électrique basse tension (point V A, intitulé "Compatibilité avec le Marché commun"), la définition des marchés sectoriels nationaux concernés par l'opération de concentration (point V B), l'analyse de cette opération (point V C) et l'appréciation des remèdes proposés par Schneider pour répondre aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission (point VI, intitulé "Mesures correctives").
42. Le secteur industriel concerné par l'opération notifiée regroupe les équipements situés dans les bâtiments industriels, tertiaires ou résidentiels, en aval de leur branchement au réseau de distribution moyenne tension. Ces équipements peuvent être regroupés en trois catégories, décrites au considérant 12 de la Décision.
43. En premier lieu, les tableaux de distribution basse tension servent essentiellement à alimenter en énergie électrique les différents niveaux de l'installation et à protéger celle-ci et l'utilisateur contre le risque de surintensité et de courts-circuits.
44. Ces tableaux, principalement constitués d'une armoire et de composants de protection, comme les disjoncteurs, les fusibles ou les interrupteurs différentiels, peuvent être subdivisés en trois différents groupes de produits correspondant aux différents niveaux de distribution électrique :
- les tableaux généraux, pour le raccord des grands bâtiments tertiaires ou industriels au réseau moyenne tension ;
- les tableaux divisionnaires, utilisés au niveau d'un étage ;
- les tableaux terminaux employés au niveau de l'utilisateur final ayant de faibles besoins en énergie, comme l'occupant d'un appartement.
45. En deuxième lieu, les supports de câbles et les canalisations électriques préfabriquées assurent le soutènement des câbles électriques en sous-sol, gaine technique ou faux plafond d'un bâtiment.
46. En troisième lieu, les équipements électriques situés en aval du tableau de distribution terminal regroupent six catégories de produits (voir, notamment, considérant 302 de la Décision) :
- les appareillages ultraterminaux qui constituent la partie terminale de l'installation électrique (prises, interrupteurs, etc.) ;
- les systèmes de contrôle, qui pilotent une application spécifique, comme le chauffage, dans une zone particulière d'un bâtiment ;
- les systèmes de protection, qui assurent la sécurité des biens et des personnes (systèmes d'alarme, détection d'incendie, éclairage de sécurité, etc.) ;
- les connecteurs informatiques pour systèmes de communication (connecteurs informatiques, armoires de brassage, etc.) ;
- les matériels de fixation et de dérivation, qui permettent la dérivation, la fixation et le câblage des installations en aval des tableaux terminaux ;
- les composants de cheminement de câbles en ambiance (goulottes, boîtes de sol ou potelets).
47. L'opération notifiée a également des effets pour d'autres types de produits à usage industriel, notamment les auxiliaires de contrôle et de signalisation, également dénommés "boutonnerie industrielle", et les équipements d'alimentation et de transformation électrique.
48. Les parties sont convenues de segmenter le secteur industriel concerné conformément au tableau ci-dessous, reproduit au considérant 14 de la Décision :
49. L'offre et la demande des équipements concernés font intervenir six types d'acteurs distincts.
50. Les fabricants, tels que Schneider et Legrand, sont les groupes industriels qui produisent les équipements électriques en cause.
51. Les grossistes sont des distributeurs de proximité qui achètent aux fabricants et offrent la gamme des matériels nécessaires aux installateurs et aux tableautiers pour réaliser une installation électrique.
52. Les tableautiers sont des professionnels qui assemblent les différents éléments d'un tableau de distribution électrique dans un bâtiment. En pratique, ils assurent quatre fonctions, à savoir :
- l'étude et l'adaptation du tableau aux besoins particuliers de chaque installation ;
- l'approvisionnement et l'assemblage des parties constitutives du tableau (éléments d'armoire, disjoncteurs, fusibles, etc) ;
- le câblage du tableau ;
- la vérification du bon fonctionnement de l'ensemble.
53. Les tableautiers livrent ensuite les armoires prêtes à l'emploi à l'installateur qui les posera chez le client final. En pratique, les tableautiers interviennent principalement sur les tableaux généraux et divisionnaires. Les tableaux terminaux sont généralement adaptés et assemblés directement par les installateurs.
54. Les installateurs sont les professionnels qui assurent la pose des matériels électriques basse tension chez le client final.
55. Les maîtres d'œuvre sont les architectes, les bureaux d'études, les sociétés de bâtiments et travaux publics (BTP) ou les promoteurs immobiliers responsables des projets dans lesquels seront installés les matériels électriques.
56. Les clients finals sont les personnes ou les entreprises propriétaires du bâtiment dans lequel le matériel électrique est installé. Selon une segmentation traditionnelle, les clients finals peuvent être divisés en deux grandes catégories : les industriels, d'une part, et les entreprises du bâtiment, d'autre part. Le secteur du bâtiment est parfois lui-même subdivisé en sociétés du secteur tertiaire et en clients résidentiels.
57. La Commission a considéré, au considérant 782 de la Décision, que l'opération envisagée créera une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective sera entravée de façon significative sur les marchés suivants :
- les marchés des disjoncteurs boîtier moulé, disjoncteurs miniatures et armoires destinés aux tableaux divisionnaires de distribution électrique en Italie ;
- les marchés des disjoncteurs miniatures, interrupteurs différentiels et coffrets destinés aux tableaux terminaux de distribution électrique au Danemark, en Espagne, en Italie et au Portugal ;
- les marchés des disjoncteurs de branchement en France et au Portugal ;
- le marché des supports de câbles au Royaume-Uni ;
- le marché des prises et interrupteurs en Grèce ;
- le marché des appareillages étanches en Espagne ;
- le marché des matériels de fixation et de dérivation en France ;
- le marché des produits de transformation électrique en France ;
- le marché des auxiliaires de contrôle et de signalisation en France.
58. La Commission a également estimé, au considérant 783 de la Décision, que l'opération projetée renforcera une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective sera entravée de façon significative sur les marchés suivants :
- les marchés des disjoncteurs boîtier moulé, disjoncteurs miniatures et armoires destinés aux tableaux divisionnaires de distribution électrique en France ;
- les marchés des disjoncteurs miniatures, interrupteurs différentiels et coffrets destinés aux tableaux terminaux de distribution électrique en France ;
- le marché des prises et interrupteurs en France ;
- le marché des appareillages étanches en France ;
- le marché des systèmes d'éclairage de sécurité ou des blocs autonomes d'éclairage et de sécurité en France.
59. La Commission a enfin retenu que les engagements proposés par Schneider ne permettront pas de résoudre les problèmes de concurrence identifiés dans la Décision.
60. Schneider a présenté à la Commission un second rapport, établi par le cabinet NERA en décembre 2001 (ci-après le "second rapport NERA"), concernant l'élasticité de la demande en composants pour tableaux électriques, la fidélité des installateurs aux marques, la structure de la distribution en Italie, en Espagne, au Portugal et au Danemark, les caractéristiques des ventes intégrées de composants pour tableaux électriques effectuées par ABB et par Siemens et, enfin, la définition du marché sectoriel des tableaux électriques à prendre en considération.
Procédure devant le Tribunal
61. Contre la Décision, Schneider a introduit un recours en annulation, par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 décembre 2001.
62. Par acte séparé, Schneider a déposé une demande visant à ce que le Tribunal statue sur son recours selon une procédure accélérée, conformément à l'article 76 bis de son règlement de procédure.
63. Le 23 janvier 2002, le Tribunal a rejeté cette demande eu égard à la nature du dossier et, notamment, au volume de la requête et des pièces y annexées.
64. Le 5 avril 2002, une réunion informelle devant le président de la première chambre et le juge rapporteur a été organisée avec les représentants des parties.
65. Le 3 mai 2002, le Tribunal (première chambre) a décidé, la Commission entendue, d'accéder à la demande de Schneider tendant à ce qu'il soit statué selon la procédure accélérée, compte tenu de la confirmation par cette partie du maintien de la version abrégée de sa requête, transmise le 12 avril 2002.
66. Par ordonnance du 6 mai 2002, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions de Schneider.
67. Le 16 mai 2002, la Commission a déposé une nouvelle version de son mémoire en défense, préalablement déposé, adaptée au texte abrégé de la requête.
68. Par ordonnance du 7 juin 2002, le Comité d'entreprise de la SA Legrand et le Comité européen du groupe Legrand ont été admis à intervenir au litige, au soutien des conclusions de la Commission.
69. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et a posé des questions aux parties, au titre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal. Les parties ont déféré à ces demandes.
70. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal, lors de l'audience qui s'est déroulée le 10 juillet 2002.
Conclusions des parties
71. Schneider, soutenue par la République française, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- à titre principal, faisant droit au premier moyen, annuler la Décision et constater l'inapplicabilité, en l'espèce, de l'article 10, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89 ;
- à titre subsidiaire, annuler la Décision ;
- pour autant que de besoin, réserver à la requérante le droit de demander l'adoption de toute mesure d'organisation de la procédure ou d'instruction nécessaire à l'établissement des faits et à l'analyse de l'opération de concentration litigieuse ;
- condamner la Commission aux entiers dépens.
72. La Commission, soutenue par le Comité d'entreprise de la SA Legrand et par le Comité européen du groupe Legrand, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner Schneider aux dépens.
En droit
73. L'argumentation développée par Schneider au soutien de son recours est articulée en différents moyens qui, aux fins de la commodité de leur présentation, doivent être considérés comme respectivement pris d'une irrégularité de procédure au regard de l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, d'erreurs manifestes commises par la Commission dans son appréciation, d'une part, de l'impact de l'opération notifiée et, d'autre part, des engagements présentés par Schneider pour rendre l'opération compatible avec le Marché commun, ainsi que d'une violation des droits de la défense.
Irrégularité de procédure
Sur le premier moyen, pris de la méconnaissance de l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89
- Arguments des parties
74. Dans le cadre de ce moyen, soulevé à titre principal, Schneider fait observer que, en vertu de l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, la Commission disposait d'un délai de quatre mois à compter du 30 mars 2001, date de l'engagement de la seconde phase de la procédure, pour constater l'incompatibilité de l'opération de concentration avec le Marché commun.
75. Ce délai impératif serait venu à échéance le 10 août 2001, par application des dispositions du règlement n° 447-98 relatives au calcul des délais, soit avant l'adoption de la Décision par la Commission, le 10 octobre 2001.
76. Dans ces conditions, l'opération de concentration litigieuse serait à regarder comme ayant été déclarée compatible avec le Marché commun, conformément à l'article 10, paragraphe 6, du règlement n° 4064-89.
77. La Commission se prévaudrait toutefois de la suspension exceptionnelle du délai de quatre mois prévue par l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89, lorsque des circonstances imputables à une des parties à l'opération de concentration notifiée contraignent la Commission à demander des renseignements par voie de décision, en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89.
78. La décision du 27 avril 2001 adressée à Schneider (voir point 22 ci-dessus) lui aurait effectivement ordonné de fournir à la Commission une série de renseignements que celle-ci, par lettre du 6 avril 2001, avait déjà demandés pour le 18 avril 2001. Cependant, les conditions très strictes auxquelles l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 subordonne la suspension du délai de quatre mois n'auraient pas été remplies.
79. Cette suspension serait exceptionnelle et ne découlerait pas nécessairement de toute décision de demande de renseignements. En l'espèce, la Commission aurait été contrainte d'adopter une telle décision en raison, non pas de circonstances imputables aux parties à l'opération notifiée, mais de la fixation, dans la lettre de demande de renseignements du 6 avril 2001, d'un délai de cinq jours ouvrables pour répondre à 322 questions. Ces questions auraient impliqué la collecte de plus de 300 000 données, dont l'utilisation ultérieure dans l'appréciation de l'opération resterait à démontrer.
80. La Commission aurait ainsi créé elle-même une circonstance qu'elle a ultérieurement utilisée pour justifier l'adoption d'une décision de demande de renseignements dotée d'un effet suspensif.
81. Schneider relève que la Décision fonde, en son considérant 8, la suspension du délai sur l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89, alors que la décision de demande de renseignements du 27 avril 2001 se base, à cet égard, sur l'article 9 du règlement n° 447-98.
82. La Commission ne saurait tenter de justifier la suspension du délai de quatre mois en relevant que l'article 9 du règlement n° 447-98 ne mentionne pas, à la différence de l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89, le caractère exceptionnel de la suspension et la nécessité d'établir l'existence de circonstances imputables à une partie à l'opération de concentration. Le règlement n° 447-98 ne pourrait déroger aux dispositions du règlement de base n° 4064-89, dont il assure l'exécution.
83. La circonstance que Schneider n'a pas introduit directement un recours en annulation contre la décision de demande de renseignements du 27 avril 2001 n'affecterait pas la recevabilité du présent moyen. La suspension du délai maximal de quatre mois constituerait un acte sans contenu matériel spécifique affectant les droits des entreprises. Cette analyse ne serait pas modifiée par l'indication, dans le corps même de la décision du 27 avril 2001, de la voie du recours en annulation dont elle pouvait faire l'objet. Son dispositif ne mentionnerait pas la suspension du délai de quatre mois et Schneider n'aurait pas pu, en tout état de cause, justifier d'un intérêt suffisant à demander l'annulation de cette décision.
84. Pour autant qu'il soit fait droit au premier moyen, Schneider demande en outre au Tribunal de constater, sur le fondement de l'article 241 CE, l'inapplicabilité de l'article 10, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, selon lequel les délais fixés par ce règlement s'appliquent à nouveau à compter de la date du prononcé d'un arrêt annulant une décision de la Commission. Faire revivre les délais, dans une hypothèse où une décision de compatibilité est réputée acquise, reviendrait non pas à sanctionner, mais à consacrer l'illégalité commise, puisqu'il s'ensuivrait que la Commission dispose d'un délai renouvelé pour statuer à nouveau.
85. La Commission excipe de l'irrecevabilité manifeste du moyen pris de l'illégalité de la décision du 27 avril 2001, dès lors qu'un recours en annulation n'a pas été introduit contre cette décision dans le délai du recours contentieux (arrêt de la Cour du 30 janvier 1997, Wiljo, C-178-95, Rec. p. I-585, point 19).
86. En effet, la décision de demande de renseignements du 27 avril 2001 adoptée au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89 constituerait un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation. En outre, Schneider aurait justifié d'un intérêt né et actuel suffisant à demander directement l'annulation de cette décision.
87. En tout état de cause, le moyen ne serait pas fondé : cette même décision serait conforme aux dispositions du règlement n° 4064-89 et du règlement n° 447-98. En particulier, les informations demandées auraient été nécessaires à l'enquête et la Commission aurait été effectivement contrainte d'adopter cette décision en raison d'un retard imputable aux parties notifiantes.
88. Le caractère raisonnable d'un délai devrait s'apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire (arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK-Commission, T-213-95 et T-18-96, Rec. p. II-1739) et la Commission serait tenue de respecter des délais stricts.
89. La lettre de demande de renseignements du 6 avril 2001 n'aurait constitué que la suite logique de diverses interrogations exprimées par la Commission depuis le début de la procédure, auxquelles une entreprise telle que Schneider devait répondre avec toute la diligence requise d'un opérateur normalement averti.
90. Il n'existerait aucune divergence, quant aux effets des décisions de demande de renseignements au sens de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, entre l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 et l'article 9 du règlement n° 447-98. Il serait possible de se référer à l'une ou à l'autre de ces deux dispositions.
91. Dans ces conditions, serait dépourvue de conséquences la circonstance que, pour motiver la suspension du délai de quatre mois, la décision du 27 avril 2001 retient comme base légale, en son dixième considérant, l'article 9 du règlement n° 447-98 et la Décision, en son huitième considérant, l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89.
92. En outre, la Commission estime prématurée et, par conséquent, irrecevable l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre de l'article 10, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, selon lequel les délais fixés dans ce règlement s'appliquent à nouveau à compter de la date du prononcé d'un arrêt d'annulation.
93. En tout état de cause, il serait logique, voire indispensable, que le règlement n° 4064-89 contienne une disposition prévoyant les effets produits sur les délais par l'annulation contentieuse d'une décision fondée sur ce texte.
- Appréciation du Tribunal
94. La suspension contestée du délai de quatre mois imparti à la Commission pour statuer porte sur la période comprise entre le 19 avril 2001, lendemain du terme fixé dans la demande de renseignements du 6 avril 2001 de la Commission, et le 25 juin suivant, date à laquelle la Commission estime avoir reçu toutes les informations demandées.
95. Il est constant que, si la suspension du délai devait être considérée comme légale, la Décision, adoptée le 10 octobre 2001, serait intervenue, compte tenu du décompte des jours ouvrables, dans le délai de quatre mois à compter du 30 mars 2001, date de l'ouverture de la procédure ; en revanche, une constatation de l'illégalité de la suspension imposerait de considérer que la Commission n'a pas pris de décision au titre de l'article 8, paragraphe 3, dans le délai réglementaire.
96. Une telle suspension, présentée comme exceptionnelle par le règlement n° 4064-89, suppose que la Commission ait été contrainte de demander des renseignements par voie de décision, en raison de circonstances dont une des parties à la concentration est responsable.
97. À cet égard, la Commission a relevé, au septième considérant de la décision du 27 avril 2001, que les renseignements demandés dans sa lettre du 6 avril 2001 étaient nécessaires, au sens de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89, pour examiner la compatibilité de la transaction proposée avec le Marché commun et, en particulier, pour déterminer la position des parties notifiantes sur les différents marchés sectoriels concernés.
98. Schneider ne conteste pas sérieusement la nécessité de ces données, puisqu'elle se borne à soutenir que leur utilisation ultérieure dans l'appréciation de l'opération de concentration notifiée reste à démontrer.
99. Il est par ailleurs constant que les parties à la notification n'ont pas respecté l'échéance du délai de réponse, fixée au 18 avril 2001 par la lettre du 6 avril 2001.Ainsi qu'il ressort du quatrième considérant de la décision de demande de renseignements du 27 avril 2001, les parties notifiantes ont informé la Commission, par lettre du 23 avril 2001, qu'elles n'étaient pas à même de respecter ce délai de réponse.
100. Eu égard aux circonstances de l'espèce(voir, notamment, points 15 à 18 ci-dessus) et à l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale du règlement n° 4064-89, le Tribunal considère comme raisonnable, en dépit du grand nombre de questions posées, le délai de réponse fixé par la lettre du 6 avril 2001, expirant le 18 avril suivant.
101. La lettre de demande de renseignements du 6 avril 2001 faisait suite à une série de contacts et d'entretiens des parties notifiantes avec la Commission engagée dès le 8 décembre 2000. Au cours de cette période, les parties notifiantes avaient eu déjà l'occasion de répondre à de nombreuses demandes de renseignements informelles.
102. Vu leur nature, les informations demandées dans la lettre du 6 avril 2002, qui s'inscrivaient dans la ligne des renseignements d'ores et déjà fournis au cours de la phase d'examen informelle, devaient donc être normalement disponibles à brève échéance au sein d'une société de la taille de Schneider.
103. D'ailleurs, les parties notifiantes n'ont pas contesté d'emblée l'ampleur des informations sollicitées dans la lettre de demande de renseignements du 6 avril 2001, puisqu'elles n'ont réagi que par la lettre du 23 avril 2001, précitée.
104. Il n'apparaît donc pas que la Commission ait, à tort, ordonné, le 27 avril 2001, aux parties notifiantes de lui fournir les renseignements demandés, par voie de décision adoptée sur le fondement de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n°4064-89.
105. La circonstance que les parties notifiantes ont, le 23 avril 2001, soit cinq jours après l'expiration du délai de réponse imparti par la lettre de demande de renseignements du 6 avril 2001, proposé de reporter l'échéance au 29 avril suivant n'est pas de nature à modifier cette conclusion.
106. Dans une telle occurrence, le délai de quatre mois visé à l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89 "est exceptionnellement suspendu", selon les termes impératifs du paragraphe 4 de cet article. L'emploi du terme "exceptionnellement" n'empêche pas que, lorsqu'une décision de demande de renseignements a été régulièrement adressée par la Commission à une entreprise notifiante, cette décision a automatiquement pour effet de suspendre le délai de quatre mois à partir de la date à laquelle le défaut de fournir des informations nécessaires a été constaté et jusqu'à la date à laquelle il est mis fin à cette défaillance.
107. À cet égard, aucune contradiction ne peut être retenue entre les termes employés, respectivement, par l'article 10, paragraphe 4, du règlement n° 4064-89 et par l'article 9 du règlement n° 447-98.
108. Aussi la Commission a-t-elle pu légalement préciser, au dixième considérant de la décision du 27 avril 2001 :
"Selon l'article 9 du règlement n° 447-98, les délais fixés à l'article 10, paragraphes 1 et 3 du règlement n° 4064-89 sont suspendus lorsque la Commission adopte une décision au titre de l'article 11, paragraphe 5, dudit règlement, pendant la période comprise entre la fin du délai fixé dans la demande de renseignements et la réception des renseignements complets et exacts requis par cette décision".
109. L'argument tiré de ce qu'il aurait été fait ainsi une application dérogatoire et illégale de la règle de base figurant au règlement n° 4064-89 n'emporte pas la conviction. Le caractère exceptionnel qu'attribue ce règlement à la suspension du délai se réfère à la survenance des conditions qui permettent l'adoption d'une décision de demande de renseignements et non aux conséquences à tirer d'une telle décision. Or, comme il résulte des développements précédents, Schneider est restée en défaut de démontrer l'illégalité de cette décision.
110. Étant donné que la Commission a pu légalement adopter la décision du 27 avril 2001, qui a eu pour effet la suspension du délai de quatre mois imparti à la Commission pour statuer sur la compatibilité de l'opération notifiée, la Décision n'est pas entachée d'illégalité de ce chef.
111. Dans ces conditions, le premier moyen doit être rejeté, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, en tant qu'il invoque, à titre incident, l'illégalité de la décision du 27 avril 2001.
112. Quant à l'exception d'illégalité dirigée contre l'article 10, paragraphe 5, du règlement n° 4064-89, en ce que celui-ci impose une réouverture des délais à la suite de l'annulation d'une décision d'incompatibilité, elle n'a été soulevée que pour autant que le Tribunal accueille le moyen pris de l'illégalité de la suspension du délai de quatre mois. Il n'est donc pas nécessaire de se prononcer à son sujet.
113. Au reste, même si le moyen avait été accueilli, cette exception d'illégalité aurait dû être rejetée comme irrecevable, dès lors que la Commission n'a adopté à ce stade, à l'encontre de Schneider, aucune décision fondée sur la disposition dont l'illégalité est soulevée à titre incident (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 octobre 2000, Conseil-Chvatal e.a., C-432-98 P et C-433-98 P, Rec. p. I-8535, point 33).
Moyens critiquant l'appréciation par la Commission de l'impact de l'opération de concentration notifiée
114. À titre subsidiaire, Schneider argue d'un défaut de motivation des griefs relatifs à la création d'une position dominante. En outre, la Décision serait entachée d'erreurs manifestes de méthodologie et d'appréciation et méconnaîtrait les conditions auxquelles l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89 subordonne la constatation de l'incompatibilité d'une concentration avec le Marché commun. La Décision serait ainsi affectée de vices substantiels justifiant son annulation.
115. Avant d'entreprendre l'examen des différents moyens relevant de cette rubrique, il y a lieu d'exposer la substance du raisonnement économique sur lequel la Commission a fondé son analyse de l'impact de l'opération notifiée.
116. Selon le considérant 488 de la Décision, l'examen des caractéristiques principales de la concurrence concernant les tableaux de distribution électrique, contenu dans la partie introductive de l'analyse de la Commission relative à l'impact de la concentration litigieuse (point V C.1.1. de la Décision), "s'applique mutatis mutandis aux autres marchés de produits affectés par l'opération notifiée, sous réserve de considérations spécifiques [...] évoquées dans le cadre des sections portant sur les produits en cause".
117. Dans le cadre de cette analyse générale exposée aux considérants 489 à 520, la Commission souligne la faible sensibilité aux prix de la demande en matériel électrique basse tension. D'une part, la décision de lancement des projets de construction ou de rénovation n'est pas influencée par le prix du matériel électrique, qui ne constitue souvent qu'une part modérée du coût total des réalisations. D'autre part, le matériel électrique ne représente souvent que 20 % de la valeur de l'ensemble de l'installation électrique, les 80 % restants provenant essentiellement des frais de main-d'œuvre. Par conséquent, une augmentation d'ensemble des prix du matériel électrique n'aurait qu'un faible effet, voire un effet nul sur la demande.
118. La Commission estime également que les installateurs et les tableautiers manifestent une fidélité significative à la marque de leur fabricant, dont ils ne se séparent que très difficilement, même si des prix plus bas leur sont offerts par les producteurs concurrents.
119. La Commission précise toutefois que cette fidélité à la marque n'est pas absolue. Tant qu'une marque garantit une qualité et une disponibilité immédiate du matériel électrique basse tension, il n'est pas aisé pour les autres fabricants de conquérir la clientèle, même en offrant des produits supérieurs et-ou des prix réduits. En revanche, si une marque cesse de satisfaire les exigences essentielles des installateurs et des tableautiers, elle pourra alors perdre rapidement leur confiance et il deviendra difficile de reconquérir celle-ci.
120. Si la marque constitue, du fait qu'elle demeure l'un des principaux facteurs de choix des électriciens, une forte barrière à l'entrée ou à la diversification des fabricants sur d'autres marchés sectoriels, l'étendue de la gamme des produits constitue, d'après la Commission, un autre facteur de réussite pour le fabricant. Cette volonté des intéressés d'élargir leur offre de produits correspond d'ailleurs au souhait des grossistes de favoriser les fabricants disposant d'une vaste gamme de produits, afin d'optimiser leurs coûts.
121. Or, ainsi qu'il découle du considérant 71, s'ils n'interviennent pas dans les ventes de composants pour tableaux généraux, les grossistes représentent entre 80 et 90 % des débouchés pour les autres types de matériel électrique concernés par la transaction notifiée.
122. Par ailleurs, les fabricants disposant de gammes de produits étendues sont avantagés au niveau de la distribution en raison des différentes remises qu'ils consentent aux grossistes et desquelles ceux-ci retirent une fraction importante de leur chiffre d'affaires (voir considérant 589). En particulier, les remises dites de "volume" ont pour assiette la valeur des ventes de tout le matériel électrique basse tension (considérant 587).
123. De ce fait, même si leurs critères de choix doivent évidemment suivre ceux de leurs clients (tableautiers et installateurs), les grossistes n'en recherchent pas moins les fournisseurs disposant des gammes de produits les plus étendues possibles (considérant 81).
124. L'entité issue de la fusion deviendra, de l'avis de la Commission, un acteur incontournable vis-à-vis de la distribution, en raison de sa capacité à renforcer sespositions existantes, au détriment de ses concurrents, grâce à sa couverture géographique sans équivalent, à ses relations privilégiées avec les grossistes, à sa gamme de produits inégalée et à son incomparable panoplie de marques.
125. Compte tenu de la fragmentation de la demande émanant des tableautiers et des installateurs, ainsi que de leur fidélité aux marques les plus connues, le nouveau groupe sera en mesure d'imposer des augmentations de prix, sans que leur effet soit neutralisé par des pertes de marché correspondantes (considérants 592 et 688).
126. La Commission conclut que les effets de l'opération de concentration risquent d'être particulièrement importants sur le niveau des prix des tableaux de distribution électrique (considérant 612), des supports de câbles (considérant 641) et des équipements électriques ultraterminaux (considérant 688).
Sur le deuxième moyen, pris du caractère erroné du raisonnement économique sur lequel repose l'analyse de l'impact de la concentration
- Arguments des parties
127. En premier lieu, Schneider allègue que, pour conclure à la faculté de l'entité issue de la fusion de se comporter indépendamment des autres acteurs et, par conséquent, d'augmenter les prix, la Commission a retenu le critère de la faible sensibilité aux prix de la demande générale en matériel électrique basse tension. Or, ce critère ne revêtirait aucune pertinence pour l'appréciation des structures concurrentielles sur chacun des différents marchés sectoriels.
128. Il conviendrait, au contraire, de se fonder sur l'élasticité propre à l'offre tarifaire d'une entreprise. À cet égard, le second rapport NERA établirait que les campagnes publicitaires lancées par les fabricants en faveur d'un article entraînent une augmentation des ventes, au détriment des concurrents.
129. La Commission rappelle qu'elle a retenu, aux considérants 517 à 519, que la demande globale en matériel électrique basse tension est peu sensible aux prix, ou inélastique, car elle est largement déterminée par des facteurs exogènes.
130. Le point de désaccord entre la Commission et Schneider porterait donc sur la sensibilité aux prix de la demande adressée à chaque fabricant. Cette question se confondrait en réalité avec celle de la fidélité de la demande aux marques des fabricants.
131. La Commission considère que les deux rapports NERA n'établissent pas que les promotions ont permis à leurs auteurs de conquérir des clients de leurs concurrents. Néanmoins, ces actions pourraient contribuer, malgré le faible degré d'élasticité de la demande, au lancement de nouveaux produits et assureraient l'entretien nécessaire de la fidélité des consommateurs à la marque.
132. En second lieu, Schneider soutient que la Commission ne peut, sans contradiction, à la fois considérer, d'une part, que la fidélité significative des tableautiers et des installateurs à la marque est un facteur permettant aux concurrents de mieux résister à l'opération notifiée et, d'autre part, qu'elle constitue néanmoins une importante barrière à l'entrée, qu'il convient de prendre en considération aux fins de l'analyse des effets anticoncurrentiels de cette opération.
133. La Commission rappelle que, selon le considérant 499, le degré de fidélité à la marque est sans conséquence sur l'appréciation de la position dominante et que cette fidélité n'est pas absolue mais significative. Elle ne saurait donc assurer une protection insurmontable au bénéfice des concurrents en place (considérant 494). Toutefois, ce raisonnement ne serait pas infirmé par - ni en contradiction avec - le fait que, à l'égard des concurrents potentiels, la fidélité à la marque constitue une barrière à l'entrée.
- Appréciation du Tribunal
134. Le Tribunal constate, en premier lieu, que, comme il apparaît à la lecture du second rapport NERA, Schneider ne remet pas en cause le faible degré d'élasticité de la demande générale en matériel électrique basse tension. Le différend entre les parties ne porte donc que sur la nécessité qu'il y aurait, selon Schneider, de tenir compte d'une éventuelle élasticité croisée entre fabricants, pour l'appréciation des structures concurrentielles des différents marchés du matériel électrique basse tension.
135. De l'exposé des arguments de Schneider, il appert que cette dernière question est étroitement liée à celle de la fidélité à la marque des tableautiers et des installateurs. Le second rapport NERA déduit ainsi, en son point 2.1.2., de l'augmentation des ventes d'articles en promotion que les clients, tels que les tableautiers et les installateurs, changent rapidement de marques en cas de variations des prix du matériel électrique.
136. Or, Schneider n'a pas contesté le considérant 22 selon lequel les achats directs auprès des fabricants sont le fait des grossistes, dont la faible sensibilité aux prix relevée par la Commission, notamment au considérant 650, n'est pas discutée.
137. Il n'apparaît pas non plus que Schneider ait critiqué le considérant 70, selon lequel seuls les grands clients industriels ou les tableautiers de grande taille, présents sur le segment des tableaux généraux, dont sont absents les grossistes, peuvent trouver intérêt à acheter leurs produits directement auprès des fabricants.
138. Dans ces conditions, à supposer qu'elle se soit effectuée au détriment de concurrents, l'augmentation des ventes d'articles en promotion par certains fabricants n'apparaît pas, en elle-même, de nature à remettre en cause la fidélité significative des tableautiers et des installateurs à la marque, retenue par la Commission.
139. En effet, il n'est pas interdit de considérer que la progression des ventes des produits mis en promotion par les fabricants est imputable aux grossistes.
140. Il ne peut donc pas nécessairement être inféré de l'augmentation des ventes d'articles en promotion une propension des tableautiers et des installateurs à un changement rapide de marques ni, par conséquent, une forte élasticité croisée de la demande émanant de ces opérateurs.
141. La fidélité significative des tableautiers et des installateurs à l'égard des marques des fabricants de matériel électrique basse tension, telle que retenue par la Commission, peut, par conséquent, être admise.
142. Dans ces conditions, Schneider n'a pas démontré que c'est à tort que la Commission a retenu, aux fins de l'appréciation de l'incidence de l'opération notifiée, le critère de la sensibilité aux prix de la demande générale en matériel électrique basse tension, au lieu de se fonder sur une élasticité croisée, non démontrée, de la demande émanant des tableautiers et des installateurs.
143. Le Tribunal retient, en second lieu, que, en raison du caractère significatif qu'il convient de reconnaître à la fidélité des tableautiers et des installateurs, il ne peut être exclu que la pénétration sur un marché sectoriel national se révèle difficile pour un nouveau concurrent.
144. Mais il n'est pas pour autant prohibé d'admettre que cette fidélité puisse également constituer, à l'égard, cette fois-ci, d'un fabricant d'ores et déjà présent sur le marché considéré, un facteur lui permettant de mieux résister aux effets de l'opération de concentration litigieuse.
145. Il n'apparaît donc pas que la Commission ait fait une appréciation contradictoire de la fidélité des électriciens à la marque.
146. Dans ces conditions, le moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen, tiré de la surestimation de la position de l'entité issue de la fusion
- Arguments des parties
147. Schneider rappelle que la Commission a procédé à une délimitation pays par pays des différents marchés de produits concernés par l'opération notifiée, alors que les parties notifiantes avaient au contraire soutenu au cours de la procédure administrative que certains marchés sectoriels revêtaient une dimension européenne.
148. Sans revenir sur cette délimitation, Schneider reproche à la Commission d'avoir effectué, au point V C de la Décision, une analyse globale au niveau européen de l'impact de l'opération notifiée, au lieu de procéder pays par pays sur la base de la délimitation des marchés de produits retenue au point V B de la Décision.
149. Cette analyse globale aurait amené la Commission à qualifier la nouvelle entité de "leader européen" et à conclure qu'elle disposera d'une série d'avantages substantiels par rapport à ses concurrents, notamment, l'étendue de sa couverture géographique, ses relations avec les grossistes, la largeur de sa gamme de produits et la panoplie de ses marques.
150. Toutefois, la Commission ne pourrait reprocher à la future entité de devenir le leader incontesté en Europe, alors que la stricte délimitation nationale des marchés à laquelle elle a procédé démontrerait au contraire les étroites limites géographiques des difficultés concurrentielles identifiées.
151. La Commission estime avoir conclu que l'opération notifiée conduira à la création ou au renforcement d'une position dominante en se fondant uniquement sur une analyse des effets de l'opération dans chacun des pays affectés, que ces effets soient communs à l'ensemble des marchés nationaux ou spécifiques à un seul ou à certains d'entre eux.
152. La Commission nie avoir cherché à établir l'existence d'une position dominante de l'entité issue de la fusion sur un quelconque marché sectoriel de dimension européenne, ou sa position de "leader européen". La Commission souligne que l'entité issue de la fusion aurait notamment bénéficié d'une couverture géographique inégalée, d'une gamme de produits et d'une panoplie de marques sensiblement plus étendues que celles de ses concurrents.
- Appréciation du Tribunal
153. Ainsi qu'il découle du point 8 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C.372, p. 5, point 7), le marché géographique à prendre en considération comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.
154. La Cour a confirmé que le marché géographique est une zone définie dans laquelle le produit en cause est commercialisé et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour tous les opérateurs économiques pour que puissent être raisonnablement appréciés les effets sur la concurrence de la concentration d'entreprises notifiée (arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a.-Commission, C-68-94 et C-30-95, Rec. p. I-1375, point 143).
155. Au point V B de la Décision, intitulé "Définition des marchés pertinents", la Commission a retenu la dimension nationale des différents marchés et segments de marchés du matériel électrique basse tension, préalablement identifiés, et repris dans le tableau reproduit au point 48 du présent arrêt.
156. Pour conclure à l'existence de marchés nationaux de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux, la Commission s'est fondée sur quatre facteurs, au considérant 194.
157. Premièrement, il existe des différences significatives entre les produits vendus dans les différents pays.
158. Deuxièmement, les prix restent déterminés au niveau national et certaines références connaissent des différences de prix considérables (du simple au double) d'un pays à l'autre.
159. Troisièmement, les éléments déterminants du jeu concurrentiel, tant du côté de l'offre (positionnement des marques et accès aux grossistes) que du côté de la demande (structure et attentes des clients), dépendent de facteurs essentiellement nationaux, tels que la concentration, la taille et le champ d'activité des grossistes, la perception des marques et des gammes de produits par les installateurs. En outre, ces facteurs varient substantiellement d'un pays à l'autre. En particulier, le niveau de concentration des grossistes fluctue de manière très appréciable selon les pays et les achats des grossistes sont organisés sur une base nationale (considérant 220). Les négociations entre fabricants et grossistes, notamment en ce qui concerne le choix des fournisseurs et la détermination des gammes de produits qui seront achetées et vendues, ont presque entièrement lieu au niveau national ou régional (considérant 223).
160. Quatrièmement, il existe entre les pays des barrières à l'entrée et à l'expansion significatives. Celles-ci tiennent, en particulier, au "conservatisme" des installateurs (voir considérant 240), aux habitudes nationales (voir considérants 194 et 203) et à l'absence d'une harmonisation complète des normes techniques au niveau communautaire (voir considérant 201) et peuvent exiger d'un nouvel entrant des investissements à fonds perdus très importants.
161. Au considérant 268, la Commission relève que ces éléments essentiels s'appliquent de façon analogue aux supports de câbles et aux canalisations préfabriquées.
162. De même, la Commission considère que les différents segments du marché des équipements électriques ultraterminaux sont de dimension nationale (considérants 380, 381 à 384, 394 et 424).
163. Au terme de son analyse de l'opération notifiée, la Commission retient, à l'encontre de cette opération, un certain nombre de griefs tenant à la création ou au renforcement d'une position dominante sur les différents marchés sectorielsnationaux affectés par l'opération et, en tant que tels, énumérés aux considérants 782 et 783 (voir points 57 et 58 du présent arrêt).
164. La Commission s'est toutefois également fondée, aux fins de son analyse de l'impact de la concentration litigieuse sur chacun de ces marchés sectoriels nationaux affectés par cette opération, sur les positions détenues par l'entité issue de la fusion en dehors de ces marchés, dans la mesure où elle a pris en considération la couverture géographique inégalée de cette entité, c'est-à-dire l'extension du champ territorial de ses activités à l'ensemble de l'EEE.
165. S'agissant, en premier lieu, des marchés nationaux de composants pour tableaux électriques, la Commission se réfère, pour démontrer l'acquisition par la nouvelle entité d'une position de puissance inégalée, à "la force de l'entité combinée sur l'ensemble des marchés de matériels électriques basse tension" (considérant 551) et présente, dans le tableau 30 reproduit ci-dessous, la gamme des matériels électriques basse tension que le groupe Schneider-Legrand pourra offrir dans chacun des quinze pays répertoriés :
Tableau 30
Marchés des matériels électriques basse tension concernés par l'opération notifiée
Légende : une étoile (*) représente une part des ventes entre 10 et 20% et ainsi de suite jusqu'à cinq étoiles (*****), qui représentent toute part des ventes supérieure à 50%
166. À cet égard, la Commission précise, au considérant 550, que, "[d]ès avant l'opération proposée, les parties disposaient chacune d'un très large éventail deproduits dans le secteur des matériels électriques basse tension. Elles détenaient le plus souvent des positions très appréciables pour certains de ces produits et dans certaines zones géographiques. Ainsi, l'opération notifiée permettr[a] aux parties de combiner les positions fortes de Schneider dans les pays nordiques pour ce qui est des équipements électriques situés en aval des tableaux terminaux avec celles de Legrand dans le sud de l'Europe. De même, Schneider apporte sa présence forte sur toutes les catégories de tableaux électriques et l'adosse à la forte présence de Legrand sur l'ensemble des produits en aval".
167. La Commission poursuit en ces termes, au considérant 551 :
"Après l'opération notifiée, il n'exister[a] que deux pays de l'EEE (l'Allemagne et la Finlande) dans lesquels l'entité combinée ne disposer[a] pas de positions prépondérantes. Plus généralement, il convient également de signaler que Schneider déclare occuper le second rang mondial dans les matériels électriques basse tension, tandis que Legrand se présente comme le leader mondial de la distribution électrique ultraterminale [...]".
168. La Commission observe encore, au considérant 552, que "aucun des concurrents de Schneider-Legrand ne disposer[a] d'une telle panoplie de produits et d'une telle couverture géographique avec des positions fortes sur les marchés en cause".
169. S'agissant, en second lieu, des marchés nationaux d'équipements électriques ultraterminaux, la Commission souligne que l'entité issue de la fusion offrira une panoplie complète de produits et disposera d'une couverture complète de l'ensemble de l'EEE, sans équivalent (considérants 654 et 658). La transaction proposée conduira donc, de l'avis de la Commission, à la combinaison des parts de marchés importantes détenues par Schneider en Europe du Nord à celle que Legrand détient en Europe du Sud (considérant 659).
170. Ainsi, bien qu'elle ait retenu la dimension nationale des marchés sectoriels du matériel électrique basse tension, pour y démontrer la création ou le renforcement d'une position dominante, la Commission n'en retient pas moins des indices de puissance économique tirés de tous les marchés sectoriels nationaux, que ceux-ci présentent ou non des difficultés concurrentielles procédant de l'opération notifiée.
171. Toutefois, il y a lieu d'observer que la création ou le renforcement d'une position dominante sur des marchés sectoriels de dimension nationale ne pouvait, en l'occurrence, être appréhendé qu'au moyen d'indices de puissance économique relatifs à ces marchés, éventuellement complétés par la prise en compte d'effets transnationaux, pour autant que l'existence de ceux-ci soit démontrée dans le cas d'espèce. Or, tel n'est pas le cas.
172. À cet égard, la Commission relève d'ailleurs elle-même, aux considérants 534 et 537, que, si l'opération de concentration crée, par exemple, des additions de parts de marché sur tous les marchés nationaux de tableaux électriques, elle ne soulève toutefois des difficultés concurrentielles que dans cinq pays, comme il ressort des tableaux 27 à 29 reproduits ci-après.
Tableau 27
Parts des marchés de composants pour tableaux divisionnaires
* Données confidentielles
Tableau 28
Parts des marchés de composants pour tableaux terminaux
* Données confidentielles
Tableau 29
Parts des marchés de disjoncteurs de branchement
*Données confidentielles
173. De même, le tableau 35 de la Décision, reproduit ci-dessous, a pour objet d'illustrer la présence de l'entité issue de la fusion et de ses principaux concurrents sur les différents segments du marché des équipements électriques ultraterminaux sur tout le territoire de l'EEE.
Tableau 35
Présence des principaux fabricants sur les marchés des équipements situés en aval du tableau de distribution terminale
Légende : une étoile (*) représente une part de marché comprise entre 5 et 20 %, deux étoiles (**), une part de marché comprise entre 20 et 50 % et trois étoiles (***), une part de marché supérieure à 50 %.
174. Parmi les segments des marchés nationaux repris au tableau 35, ne sont cependant visés par les griefs de création ou de renforcement de position dominante exposés aux considérants 782 et 783 que les segments suivants :
175. Il en résulte que, de tous les marchés sectoriels nationaux repris au tableau 30 reproduit au point 165 ci-dessus, ne présentent, selon les éléments de fait contenus dans la Décision, des difficultés concurrentielles tenant à la création ou au renforcement d'une position dominante, en raison de la transaction proposée, que les marchés et segments suivants :
176. Le Tribunal constate ainsi que la Commission a intégré, non seulement dans sa présentation des faits mais également dans leur analyse, le caractère inégalé de la couverture géographique de l'entité issue de la fusion, en ce qu'elle s'étend à l'ensemble de l'EEE, en vue de démontrer la création ou le renforcement de sa position dominante sur les marchés sectoriels nationaux des composants pour tableaux électriques , ainsi que des équipements ultraterminaux, tels que visés par les griefs exprimés aux considérants 782 et 783.
177. Le Tribunal relève à cet égard que l'opération notifiée, selon les éléments documentaires contenus dans la Décision elle-même, ne pose en réalité des problèmes de concurrence qu'en France et sur six autres marchés nationaux.
178. Certes, comme il a été dit au point 171 ci-dessus, il est en principe loisible à la Commission de prendre en considération l'existence d'effets transnationaux susceptibles de renforcer l'impact d'une opération de concentration sur chacun des marchés sectoriels nationaux retenus comme pertinents.
179. Ces effets ne sauraient toutefois être présumés et il incombe au contraire à la Commission d'en démontrer l'existence à suffisance de droit.
180. Force est de constater que la Commission a uniquement retenu, au soutien de sa démonstration des problèmes de concurrence créés sur les marchés sectoriels affectés par la concentration litigieuse, visés aux considérants 782 et 783, la puissance que détiendra l'entité issue de la fusion sur tous les autres marchés sectoriels nationaux repris au tableau 30, sans pondérer cette puissance en fonction des forces concurrentielles de ses concurrents présents sur ces derniers marchés.
181. En effet, aucun de ces rivaux ne figure dans le tableau 30. Celui-ci ne donne donc aucune indication sur l'impact de la transaction notifiée sur chacun des différents marchés sectoriels nationaux qui ne présentent, du fait de cette opération, aucun problème de concurrence.
182. En particulier, le tableau 30 ne fait pas apparaître que Legrand n'était présent sur les marchés des composants pour tableaux de distribution divisionnaires que dans trois des quinze pays repris au tableau 30, à savoir la France, l'Italie et la Norvège (voir considérant 530), ni, par conséquent, que la transaction proposée n'est susceptible de poser des problèmes de concurrence que dans ces trois pays.
183. Le tableau 30 ne permet pas davantage de savoir si la force dont est créditée l'entité issue de la fusion sur chacun des marchés sectoriels nationaux répertoriés procède de la transaction notifiée ou de la présence, antérieure à cette opération, de l'une ou de l'autre partie notifiante (voir points 327 et 392 ci-après). En particulier, ce tableau ne fait pas apparaître que, avant l'opération notifiée, Legrand était absent de tous les marchés nationaux de composants pour tableaux généraux et que, par conséquent, cette opération ne peut y soulever des problèmes de concurrence (considérant 245).
184. Par ailleurs, ABB, Siemens et GE possèdent un vaste portefeuille de produits basse tension (considérant 17), tandis qu'ABB et Siemens sont généralement présents dans un grand nombre d'États membres (considérant 20). En particulier, ABB est représentée sur tous les marchés nationaux d'équipements électriques ultraterminaux ou la plupart d'entre eux, tandis que Siemens et Hager sont présentes sur plusieurs de ces marchés (considérants 644 et 645).
185. Aussi le Tribunal ne peut-il, au vu de l'économie de la Décision, tenir pour admise l'assertion selon laquelle "l'évaluation du rôle que jouera Schneider-Legrand sur une échelle européenne, loin d'infirmer la définition géographique des marchés en cause comme étant de dimension nationale, fait partie intégrante de l'analyse des effets de la concentration sur chacun des marchés de produits et nationaux affectés" (considérant 654).
186. À cet égard, la Commission a fait allusion, au cours de l'audience, à la capacité de rétorsion d'une société présente sur tous les marchés et disposant d'une position dominante sur l'ensemble des marchés géographiques de l'EEE.
187. C'est toutefois par référence à chacun des territoires concernés que la Commission souligne, au considérant 605, que la présence de l'entité combinée sur une panoplie très large de produits lui permettra de disposer de moyens de représailles ciblés contre ses concurrents.
188. De même, selon l'interprétation que la Commission donne elle-même du tableau 30 dans sa réponse au septième moyen (voir point 304 du présent arrêt), c'est au sein d'un même marché géographique que la nouvelle entité est censée tirer un avantage concurrentiel substantiel de ses fortes positions sur d'autres marchés de produits où interviennent les mêmes grossistes.
189. Ainsi, seul le marché espagnol apparaît concerné par le référencement d'équipements électriques ultraterminaux que Schneider a pu, selon l'affirmation émise par la Commission aux considérants 678 et 685, imposer aux grossistes espagnols grâce à la présence significative qui lui est reconnue dans ce pays sur les marchés des composants pour tableaux électriques.
190. De même, selon le considérant 604, c'est uniquement au Portugal qu'est imputée à Schneider, considérée comme détenant des positions très fortes sur le marché des disjoncteurs miniatures, surtout pour les applications industrielles et tertiaires, la pratique consistant à alimenter régulièrement la guerre des prix sur le segment résidentiel, de manière à cantonner Hager et ABB sur ce marché peu rentable et à protéger ainsi ses parts de marché dans les segments d'application tertiaire et industriel.
191. Il résulte des développements qui précèdent que la Commission a fait, dans son analyse de la couverture géographique de l'entité issue de la fusion, une application erronée de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
192. Il y a donc lieu d'accueillir le moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré de l'analyse contradictoire de la structure de la concurrence au niveau des grossistes
- Arguments des parties
193. Schneider relève, d'une part, des erreurs manifestes de raisonnement dans l'appréciation globale par la Commission du rapport de forces entre fabricants et grossistes et, d'autre part, des incohérences dans les conséquences que celle-ci tire, en particulier, du plus ou moins grand degré de concentration de la distribution sur la pression concurrentielle que les grossistes sont capables d'exercer sur l'entité issue de la fusion.
194. La Commission répond que le degré de concentration des grossistes, et, partant, leur puissance d'achat individuelle, varie significativement d'un pays à l'autre. Mais, indépendamment du degré de concentration des grossistes, leur rivalité ne se reporterait pas au niveau des fabricants, en tout cas pas sur les plus importants d'entre eux, au premier rang desquels figure l'entité issue de la fusion.
195. Un degré de concentration de la distribution faible (Italie et Espagne) ou moyen (Portugal) n'impliquerait pas que la concurrence entre les grossistes qui en résulte se traduise par une pression significative sur les principaux fabricants. Au contraire, les marges de manœuvre des grossistes vis-à-vis des fabricants seraient particulièrement limitées et ne leur permettraient pas d'exercer une contrainte sensible sur les prix.
196. Dans les pays où la distribution est fortement concentrée (France et Danemark), les grossistes dépendraient pour une très large part des produits des fabricants importants, qui disposent des marques les plus connues. Les principaux fabricants octroieraient des remises d'autant plus importantes aux grossistes que ceux-ci concentrent leurs ventes sur leurs produits, réduisant d'autant l'intérêt des grossistes à exercer leur puissance d'achat sur les fabricants.
- Appréciation du Tribunal
197. Il convient de constater que la Commission s'est bornée à procéder, aux considérants 579 à 583, à un examen très général des rapports de force entre fabricants et grossistes au niveau transnational, alors que la dimension nationale des marchés géographiques retenus comme pertinents aurait appelé une analyse précise pays par pays.
198. En outre, l'examen effectué par la Commission ne permet pas de regarder comme démontrés le caractère incontournable de la nouvelle entité à l'égard des grossistes et l'incapacité de ces derniers d'exercer une contrainte concurrentielle sur cette entité.
199. En premier lieu, il n'apparaît pas que la méthode suivie par la Commission pour mesurer les variations significatives qu'elle a constatées dans le degré de concentration de la distribution prévalant sur les différents marchés nationaux soit suffisamment fiable pour pouvoir soutenir utilement les conclusions que l'institution défenderesse en tire à propos des rapports de force existant entre fabricants et grossistes.
200. Aux considérants 26 et 221, la Commission range ainsi le Portugal, avec l'Espagne, au nombre des pays où les grossistes sont les plus atomisés. La Commission note également, au considérant 594 : "D'une part, les installateurs et les tableautiers sont trop fragmentés pour exercer une puissance d'achat significative sur l'entité fusionnée. Il en va de même des grossistes espagnols, danois ou portugais".
201. Cependant, il ne découle pas du tableau 6 de la Décision figurant ci-dessous que la structure de la distribution soit atomisée au Portugal, puisque deux grossistes y détiennent à eux seuls 40 % du marché des tableaux électriques.
Tableau 6
Estimation par Schneider des parts de marché des cinq groupes de grossistes internationaux sur les marchés des tableaux de distribution électrique
*Données confidentielles
202. En tout état de cause, la structure de la distribution prévalant au Portugal se démarque de celle de l'Espagne, où trois grossistes détiennent conjointement 19 % du marché des tableaux électriques, et de celle du Danemark, où deux grossistes contrôlent ensemble 13 %. Dans sa défense, la Commission qualifie d'ailleurs le Portugal de pays où la distribution est moyennement concentrée, ainsi qu'il résulte de la réponse de la Commission au moyen reproduite ci-dessus.
203. En deuxième lieu, plusieurs passages de la Décision (voir considérants 26 et 221, précités) contredisent la conclusion de la Commission selon laquelle, dans les pays où le degré de concentration de la distribution est faible, les marges de manœuvre des grossistes vis-à-vis des fabricants sont particulièrement limitées et ne leur permettent pas d'exercer une contrainte sensible sur les prix.
204. Au considérant 26, la Commission observe, en se référant aux plans à moyen terme de Legrand, que, "[d]'après les documents internes des parties, ces différences de structure [de la distribution] ne sont pas sans conséquences sur le comportement des grossistes dans les pays concernés et qu"'[il] semble ainsi que, dans les pays où les grossistes sont le plus atomisés, comme le Portugal, la concurrence entre grossistes conduise à une guerre des prix qui se reporte au niveau des fabricants". Or, Legrand est pourtant considéré par la Commission comme détenant de fortes positions dans le sud de l'Europe.
205. Au considérant 221, la Commission précise, en effet :
"Comme l'indique un document interne de Legrand, 'il existe [au Portugal] plusieurs niveaux de distributeurs, principalement des indépendants, à gestion familiale spéculative, sans politique commerciale structurée, fonctionnant à très court terme. Conséquence : forte concurrence anarchique entre eux, qui implique (i) une baisse des prix en général et de leur marge en particulier, d'où une perpétuelle pression sur les fabricants pour améliorer leurs conditions d'achats' [...]".
206. L'exemple du Portugal cité par la Commission n'est donc pas de nature à étayer la thèse selon laquelle, dans les pays à faible concentration de la distribution, les grossistes ne sont pas en mesure d'exercer une contrainte sensible sur les prix.
207. De même, selon le plan à moyen terme 2001-2005 de Legrand pour l'Espagne, "les marges [des distributeurs] et leur rentabilité continuent à la baisse chaque année due à la forte pression exercée sur les prix, à cause du nombre élevé de distributeurs existant sur le marché, reportant ensuite aux fabricants la baisse de ces prix".
208. Ainsi, ces données remettent en cause la thèse de la Commission, exposée au considérant 579, selon laquelle il est fortement improbable que les grossistes espagnols disposent chacun d'une puissance d'achat suffisante pour contraindre de façon appréciable le comportement concurrentiel de l'entité issue de la fusion, dont le caractère incontournable pour la distribution, contrairement à ce que soutient la Commission au considérant 581, ne peut être, par ailleurs, regardé comme établi (voir points 216 et suivants ci-dessous).
209. En troisième lieu, la conclusion de la Commission selon laquelle un degré élevé de concentration des grossistes n'implique pas pour autant une forte pression à la baisse sur les prix ne peut être tenue pour suffisamment étayée.
210. Au soutien de cette considération, la Commission relève en effet, au considérant 582, que, dans un certain nombre de pays, comme l'Italie, les grossistes apprécient les produits de Legrand en raison notamment de leur cherté relative, qui leur permet d'obtenir une bonne marge bénéficiaire.
211. Or, d'une part, il résulte de ce qui précède que la Commission range l'Italie parmi les pays dont la distribution est faiblement concentrée, comme cela ressort effectivement du tableau 6 de la Décision figurant au point 201 ci-dessus.
212. La référence à ce pays n'est donc pas de nature à démontrer qu'un degré élevé de concentration de la distribution n'implique pas pour autant une forte pression à la baisse sur les prix.
213. Quant au renvoi, au considérant 582, à la structure de la distribution en Autriche, il est dépourvu de pertinence : selon la Décision elle-même, aucun marché sectoriel pertinent de ce pays n'est affecté par l'opération de concentration (voir considérants 782 et 783).
214. D'autre part, il convient de prendre en considération les caractéristiques de l'ensemble de la demande de matériel électrique, en ce compris la demande émanant des clients.
215. À cet égard, il ressort du considérant 213 que la cherté des produits de Legrand peut plutôt constituer un obstacle significatif en ce qu'elle rend parfois ces produits "inadaptés au pouvoir d'achat des clients".
216. En quatrième lieu, le tableau 31 de la Décision reproduit ci-dessous n'illustre pas utilement la qualification donnée à l'entité issue de la fusion, au considérant 567, de partenaire incontournable pour la plupart de ses grossistes, et fondée sur son contrôle d'une proportion très appréciable - dans certains cas plus de 40 % des ventes nationales - ni sa détention, le plus souvent, de positions considérables dans chaque pays.
217. Le tableau 31 reproduit ci-dessous donne une fourchette du pourcentage des ventes de tout le matériel électrique basse tension réalisées par les principaux fabricants auprès du grossiste [A]*.
* Donnée confidentielle
Tableau 31
Pourcentage des ventes de matériel électrique basse tension auprès du grossiste [A]*
* Donnée confidentielle
218. À défaut d'indice de concentration nationale de la distribution pour l'ensemble du matériel électrique basse tension, tel que celui qui se dégage du tableau 6 ci-dessus pour les marchés de tableaux électriques, il est impossible de déduire du tableau 31 que l'entité issue de la fusion sera incontournable à l'égard des grossistes nationaux sur l'ensemble du matériel électrique basse tension.
219. Un recoupement des tableaux 31 et 6, à supposer un tel rapprochement possible, puisque le tableau 6 est limité aux composants pour tableaux électriques, ne permettrait pas non plus, en toute hypothèse, de considérer comme significative la proportion de ventes aux grossistes réalisée par la nouvelle entité.
220. L'attribution au groupe Schneider-Legrand par le tableau 31 d'une fourchette de 30 à 40 % des ventes de matériel électrique basse tension réalisées par le grossiste [A]* en Italie ne suffit pas à mesurer à sa juste valeur la puissance économique que détiendra ce groupe auprès de la distribution dans ce pays.
221. D'une part, ce grossiste ne représente que 4 % du marché italien des composants pour tableaux électriques. Or, selon la Commission elle-même, il convient de tenir compte de la solidité de l'implantation des grossistes pour déterminer dans quelle mesure la position concurrentielle des fabricants est substantiellement déterminée par leur accès à la distribution.
222. Au considérant 73, la Commission relève ainsi que "la position concurrentielle des différents fabricants sera en grande partie déterminée par [...] leur accès aux grossistes, au moins pour les États membres dans lesquels ceux-ci sont suffisamment implantés".
223. D'autre part, le tableau 6 n'est nullement exhaustif. Comme la Commission le précise, au considérant 72, les fabricants n'ont pas forcément accès aux mêmes grossistes. Tandis que les fabricants les plus importants travaillent plutôt avec les grands groupes internationaux, les plus petits concurrents ont une présence plus régionale et travaillent davantage avec de plus petits grossistes.
224. Il résulte du premier rapport NERA, non contesté à cet égard par la Commission, que, selon les estimations de Legrand, sont présents sur le marché italien du matériel électrique ultraterminal environ 800 grossistes.
225. Par ailleurs, le considérant 63 fait apparaître que les grossistes locaux auprès desquels s'approvisionnent les installateurs ne sont pas nécessairement des filiales de grossistes de dimension internationale.
226. Pour les mêmes motifs, le Tribunal ne peut non plus considérer comme établie l'assertion de la Commission, au considérant 676, selon laquelle le nouveau groupe "représentera une part importante du chiffre d'affaires des grossistes et, par voie de conséquence, une part importante du montant de leurs achats dans la plupart des États membres de l'EEE (voir de plus ci-dessus le tableau 31)".
227. Contrairement à ce que soutient la Commission au considérant 637, le Tribunal ne peut davantage retenir que l'entité issue de la fusion bénéficiera sur les marchés de produits de distribution électrique au Royaume-Uni d'un accès privilégié à la distribution, au motif qu'elle représentera de 10 à 20 % des ventes de produits de distribution électrique réalisées par l'un des plus importants grossistes au Royaume-Uni, alors que le second fournisseur de ce même grossiste représente moins de 10 % de ses ventes.
228. Par son caractère indéterminé, puisqu'il peut être compris entre moins de 1 % et plus de 19 %, l'écart séparant le groupe Schneider-Legrand du second fournisseur ne peut être tenu comme un indice fiable d'accès privilégié à la distribution.
229. Pour la même raison, le Tribunal ne peut souscrire à la conclusion du considérant 573, selon laquelle le groupe Schneider-Legrand en Espagne sera relativement plus important que ses concurrents, eu égard aux fourchettes des parts des ventes de [A]* respectivement représentées par les principaux acteurs du marché du matériel électrique basse tension et repris au tableau 31, où figurent des fourchettes de parts de marché tout aussi imprécises.
230. Dans ces conditions, ni le caractère incontournable de la nouvelle entité vis-à-vis des grossistes ni l'incapacité de ceux-ci à exercer une contrainte concurrentielle sur cette entité n'ont été valablement démontrés.
231. Le moyen doit donc être déclaré fondé.
Sur le cinquième moyen, tiré du défaut d'analyse de l'impact de la concentration notifiée sur les différents marchés sectoriels nationaux visés par les griefs retenus par la Commission
- Arguments des parties
232. Schneider considère que l'analyse de l'impact de l'opération notifiée que la Commission a effectuée au niveau européen a amené celle-ci à substituer des considérations générales à une analyse de la position de l'entité issue de la fusion sur chacun des marchés nationaux affectés. Au lieu de procéder à une telle analyse, la Commission se serait livrée à des développements généraux sur la gamme de produits et sur la panoplie de marques inégalée de la nouvelle entité. En réalité, la Commission aurait procédé à une extrapolation de la situation concurrentielle des marchés sectoriels français résultant de l'opération de concentration aux autres marchés nationaux de produits.
233. La Commission estime avoir structuré l'analyse de l'opération en fonction d'une présentation par catégories d'arguments applicables à chacun des marchés affectés, quoique à des degrés divers et selon des modalités différentes dûment explicitées. Non seulement la présentation générale n'aurait pas faussé l'analyse ultérieure de chacun des marchés affectés par l'opération notifiée, mais encore elle aurait utilement éclairé l'analyse concurrentielle de chacun de ces marchés.
- Appréciation du Tribunal
234. Dans sa réponse au septième moyen (voir point 304 ci-dessous), la Commission soutient que le tableau 30 (voir point 165 ci-dessus) entend montrer que, sur chacun des marchés affectés par l'opération notifiée, la nouvelle entité tirera un avantage concurrentiel substantiel du fait qu'elle détiendra de fortes positions, dans le même marché géographique, sur d'autres marchés de produits où interviennent les mêmes grossistes (considérants 567 à 578).
235. Pour retenir cet indice de puissance économique déduit de la gamme des matériels électriques basse tension que l'entité issue de la fusion offrira aux grossistes, la Commission s'est fondée, ainsi qu'il résulte de ses réponses fournies lors de l'audience, sur l'article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 4064-89.
236. Cette disposition précise effectivement que la Commission tient compte de l'accès aux débouchés des entreprises concernées et, partant, de leur accès à la distribution, pour apprécier la compatibilité d'une concentration avec le Marché commun.
237. Le Tribunal estime toutefois que la Commission n'a pas valablement intégré ce paramètre dans son évaluation de la puissance économique de la nouvelle entité sur chacun des marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération, énumérés aux considérants 782 et 783 de la Décision, en raison des lacunes et des contradictions constatées, lors de l'examen du quatrième moyen, dans l'analyse de la structure de la distribution.
238. En raison de ces insuffisances, ne peut être regardée comme établie la capacité dont disposera l'entité issue de la fusion, sur chacun des marchés sectoriels nationaux affectés par la transaction notifiée, de contraindre les grossistes à distribuer d'autres produits de sa gamme qu'ils ne distribuaient pas jusqu'alors.
239. En outre, le caractère inégalé que la Commission attribue à la gamme de produits du groupe Schneider-Legrand découle de la sommation abstraite des différents types de matériels électriques basse tension que le groupe offrira sur l'ensemble du territoire de l'EEE, et non pas d'une appréciation de la gamme des produits que ce groupe offrira effectivement sur chacun des marchés sectoriels nationaux affectés par la transaction proposée et visés par les griefs, aux considérants 782 et 783 de la Décision.
240. Comme il a été relevé ci-dessus, la Commission considère en effet que l'opération notifiée permettra aux parties de "combiner les positions fortes de Schneider dans les pays nordiques pour ce qui est des équipements électriques situés en aval des tableaux terminaux avec celles de Legrand dans le sud de l'Europe" et d'adosser la forte présence de Schneider "sur toutes les catégories de tableaux de distribution électrique" à la "forte présence de Legrand sur l'ensemble des produits en aval" (considérant 550). Ainsi, l'entité issue de la fusion disposera, selon la Commission, d'une panoplie complète de produits couvrant tous les marchés d'équipements électriques situés en aval du tableau terminal (considérant 654).
241. Toutefois, contrairement à ce que le considérant 654 précité pourrait donner à entendre, il ne résulte pas de la Décision que l'entité combinée offrira nécessairement la gamme complète des matériels électriques basse tension sur chacun des marchés nationaux visés par les griefs énumérés aux considérants 782 et 783 de la Décision.
242. Il ressort ainsi du tableau 35, reproduit au point 173 ci-dessus, que le groupe Schneider-Legrand ne sera pas présent sur certains segments du marché des équipements électriques ultraterminaux, même en France, en Italie et en Espagne. En particulier, le groupe Schneider-Legrand sera absent du segment des systèmes de contrôle, même en France.
243. Il apparaît que la Commission a reconstitué de façon transnationale la gamme de produits de l'entité issue de la fusion. Cette gamme abstraite ne peut toutefois donner une indication valable de la puissance économique que détiendra cette entité sur chacun des marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération.
244. Il est en effet constant que la détermination des gammes de produits qui seront achetées et vendues entre fabricants et grossistes intervient presque entièrement au niveau national ou régional (considérant 223, précité).
245. Par ailleurs, outre qu'il ne mentionne, par exemple, ni l'ampleur, ni la dispersion des parts de marchés que les concurrents de la nouvelle entité détiennent sur les marchés sectoriels nationaux affectés, le tableau 30 ne donne que de larges fourchettes de parts de marché, au lieu de positions suffisamment précises, qui seules permettraient de mesurer la puissance économique de cette entité à sa juste valeur. Il en va de même du tableau 35.
246. Il apparaît que son approche abstraite a même amené la Commission à surestimer directement la puissance du nouveau groupe sur certains des marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération. L'affirmation, au considérant 550, selon laquelle Schneider apporte sa forte présence sur toutes les catégories de tableaux de distribution électrique est ainsi contredite par le tableau 28 reproduit au point 172 ci-dessus, dont il ressort que les parts de marché détenues par Schneider sur les marchés italiens de composants pour tableaux terminaux retenus par la Commission oscillent entre [...]* et [...]*.
247. Il convient par ailleurs de relativiser l'importance que la Commission attache à l'ampleur même des gammes de matériels électriques basse tension. Au considérant 507, la Commission fait observer que, selon les parties notifiantes, "pour être crédible dans les tableaux divisionnaires et les tableaux terminaux, il faut disposer de l'offre complète des composants (armoires, fusibles, disjoncteurs, protections différentielles et appareils de commande, etc.) correspondant à ces tableaux, et [...] dans l'installation répartie, il est nécessaire pour les fabricants de disposer de gammes complètes de produits".
248. Si l'étendue de la gamme de produits offerte par un fabricant peut constituer un facteur de réussite, il ne résulte pas pour autant du considérant 507 qu'un fabricant doive nécessairement offrir aux grossistes l'intégralité du matériel électrique basse tension ni que les grossistes entendent réduire le nombre de leurs fournisseurs de façon indifférenciée sur l'ensemble des marchés sectoriels du matériel électrique basse tension.
249. En tout état de cause, tous les grands concurrents des parties (comme ABB, Siemens ou Hager) disposent de gammes complètes de composants pour tableaux électriques, selon les termes mêmes du considérant 141, ce qui devrait les mettre en mesure de répondre à la nécessité, relevée au considérant 82, de disposer des gammes de produits les plus étendues possibles dans ce secteur.
Données confidentielles
250. La Commission observe encore, au considérant 507, que chacun des grands fabricants, au nombre desquels figurent non seulement Schneider et Legrand mais aussi ABB, Siemens et GE, propose plus de 2 000 références pour les composants de tableaux divisionnaires et plus de 5 000 références pour les composants de tableaux terminaux.
251. De même, la Commission note, au considérant 17, qu'ABB, Siemens et GE possèdent un vaste portefeuille de produits basse tension. Il apparaît également, à la lecture du considérant 507, que les catalogues de produits des grands fabricants de matériels en aval des tableaux terminaux et d'équipements connexes comptent également plusieurs milliers de références.
252. Par ailleurs, le panachage existe même pour certains composants de tableaux électriques (considérants 136 et 163). À cet égard, la Commission relève, au considérant 168, que le "monomarquisme" n'est pas absolu, pour ce qui concerne tant les tableaux terminaux que les tableaux divisionnaires.
253. En outre, le panachage n'apparaît nullement exclu, à la lecture de la Décision, entre, d'une part, les composants des tableaux de distribution électrique et, d'autre part, les autres types de matériel électrique basse tension.
254. Enfin, il y a également lieu de tenir compte du rôle significatif que la Commission reconnaît dans le choix des matériels "visibles" (prises, interrupteurs, cheminements en ambiance, etc.) au client final et aux maîtres d'œuvre, dont les principaux critères de sélection sont l'esthétique et la fonctionnalité (considérants 66 et 79) et non pas la disponibilité d'une large gamme de produits.
255. La Commission ne pouvait donc légalement se fonder, pour apprécier la puissance économique de l'entité issue de la fusion sur les marchés sectoriels nationaux affectés, repris aux considérants 782 et 783, sur une gamme de produits dont l'absence prétendue d'équivalent chez les concurrents procède de sa composition abstraite par voie de sommation des différents types de matériel électrique basse tension que l'entité issue de la fusion offrira sur l'ensemble du territoire de l'EEE.
256. Il s'ensuit que la Commission a, une nouvelle fois, surestimé la puissance économique de la nouvelle entité sur les marchés sectoriels nationaux visés aux considérants 782 et 783, en intégrant dans son analyse de l'impact de l'opération sur ces marchés la plénitude d'une gamme de produits ne traduisant pas la situation réelle de la concurrence qui y prévaudra à la suite de l'opération de concentration notifiée.
257. Le même raisonnement doit être tenu à propos de la panoplie de marques de l'entité issue de la fusion, dont le caractère incomparable découle également de l'agrégation abstraite des marques détenues par les parties notifiantes sur l'ensemble du territoire de l'EEE.
258. Dès lors qu'il n'offre pas nécessairement toute la gamme des produits basse tension sur chacun des différents marchés sectoriels nationaux affectés, le groupe Schneider-Legrand n'y disposera pas nécessairement de l'ensemble des marques dont il est titulaire sur tout le territoire de l'EEE.
259. Il convient, en outre, de tenir compte du nombre et de la notoriété des autres concurrents présents sur chaque marché sectoriel national. Il résulte ainsi d'une réponse apportée par la Commission au cours de l'audience à une question du Tribunal que, face aux quatre concurrents figurant dans les tableaux 27 et 28 reproduits au point 172 ci-dessus, le groupe Schneider-Legrand ne sera, par exemple, titulaire que de deux marques sur le marché des composants pour tableaux terminaux au Danemark, en Espagne et au Portugal.
260. Le Tribunal observe également que, même en acceptant l'importance des gammes de composants et des marques dans le jeu concurrentiel, il n'en demeure pas moins, comme la Commission le relève elle-même au considérant 176, que la force d'une marque repose principalement sur la compétitivité de ses différents composants.
261. Cette considération tend à relativiser l'importance que la Commission attache dans son raisonnement à la panoplie des marques de l'entité issue de la fusion.
262. Il s'ensuit que c'est à tort que la Commission s'est référée à l'ensemble de la gamme des produits et de la panoplie des marques dont l'entité issue de la fusion disposera sur l'ensemble de l'EEE pour apprécier sa puissance économique sur chacun des différents marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération.
263. Dans cette mesure, la Commission a fait une fausse application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
264. Il y a donc lieu d'accueillir le moyen.
Sur le sixième moyen, tiré d'erreurs manifestes d'appréciation entachant l'analyse de l'impact de la concentration notifiée sur certains marchés nationaux de composants pour tableaux de distribution électrique
- Arguments des parties
265. Schneider conteste le refus que la Commission lui a opposé de comptabiliser dans les parts de marché d'ABB et de Siemens, deux des principaux concurrents de l'entité issue de la fusion, la partie non négligeable des ventes de composants pour tableaux électriques que ces deux sociétés effectuent avec les installateurs et les tableautiers qu'elles ont intégrés verticalement au sein de leur groupe.
266. Dans la mesure où ils peuvent tous remporter les appels d'offres lancés aux fins des grands projets de construction, les fabricants de tableaux électriques seraient àregarder comme des concurrents directs, qu'ils aient ou non des activités intégrées de tableautier et d'installateur.
267. Les parties notifiantes auraient remis à la Commission des exemples concrets d'appels d'offres dans lesquels elles ont concurrencé directement les offres qu'ABB et Siemens avaient déposées par l'intermédiaire de leurs filiales intégrées.
268. Cette concurrence matérialiserait l'existence d'un marché indépendant des canaux de distribution privilégiés par chaque fabricant. Dans cette mesure, le marché des composants pour tableaux électriques se distinguerait radicalement des hypothèses de production interne destinée à être transformée dans un but exclusif d'auto-consommation.
269. En refusant de tenir compte des ventes intégrées d'ABB et de Siemens, la Commission aurait sous-estimé les parts de marché de ces deux sociétés et, par conséquent, surévalué la puissance économique de la nouvelle entité sur les marchés français et italien de composants pour tableaux divisionnaires, ainsi que sur les marchés danois, espagnol, français, italien et portugais de composants pour tableaux terminaux.
270. Schneider reproche ensuite à la Commission d'avoir commis une erreur manifeste d'appréciation dans la quantification des ventes intégrées d'ABB et de Siemens. Schneider indique avoir estimé à [...]* la part des ventes intégrées dans le chiffre d'affaires à prendre en considération pour la vente de tableaux de distribution électrique en Europe. Ce pourcentage serait bien supérieur à celui de 5 % annoncé par Siemens au cours de l'audition du 21 août 2001 et retenu, sans examen, par la Commission au considérant 527.
271. L'étude Schroder Salomon Smith Barney confirmerait en ces termes l'évaluation de Schneider :
"Around [...]* of [Automation] & [Drives] 2000 sales that includes Low Voltage Activities were made to other Siemens divisions".
272. La Commission répond qu'elle n'a pas pris en considération les ventes intégrées de composants réalisées par ABB et par Siemens, car ces produits ne peuvent être immédiatement réorientés vers le marché libre. En tant que tels, ils n'exerceraient pas de contrainte concurrentielle directe et ne devraient pas être intégrés dans le calcul des parts de marché des entreprises concernées, notamment lorsqu'une valeur ajoutée est apportée aux produits en question (décision 2002-174-CE de la Commission du 3 mai 2000 déclarant une concentration compatible avec le Marché commun et l'accord EEE, (affaire COMP-M. 1693 - Alcoa-Reynolds, JO 2002 L. 58, p. 25). Cette pratique décisionnelle aurait été approuvée par le Tribunal dans son arrêt du 28 avril 1999, Endemol-Commission (T-221-95, Rec. p. II-1299, point 109).
273. Chacune des catégories d'opérateurs présents sur les trois niveaux de la chaîne verticale de production des tableaux de distribution électrique divisionnaires et terminaux apporterait de la valeur ajoutée aux composants [grossistes (environ 20 %), tableautiers (environ 15 à 20 %), et installateurs (environ 80 %)], avant leur installation chez le client final (considérant 523 et point 179 du mémoire en défense).
274. Schneider ne saurait donc reprocher à la Commission d'avoir distingué entre modes prétendus de distribution, dès lors que les composants utilisés dans le cadre des activités intégrées d'ABB et de Siemens ne sont pas vendus mais intégrés directement dans des tableaux montés et câblés (activité de tableautier) ou installés (activité d'installateur).
275. Pour que ces ventes internes soient disponibles dans un court laps de temps et à un coût minimal, il faudrait que les fabricants concernés aient un intérêt économique à rendre disponibles sur le marché libre les composants qu'ils utilisent dans leurs activités intégrées.
276. À ce titre, Schneider ne pourrait, sans contradiction, soutenir à la fois qu'ABB et Siemens auraient été prêtes à renoncer à des ventes en tant que tableautiers ou installateurs au profit de ventes supplémentaires de composants en tant que fabricants, d'une part, et que ces deux opérateurs bénéficient d'un avantage concurrentiel grâce à leurs activités intégrées, d'autre part. En outre, ces abandons de vente bénéficieraient alors à des tableautiers et à des installateurs tiers qui n'utiliseraient pas nécessairement les composants d'ABB et de Siemens.
277. Même en supposant que ces deux sociétés y trouvent un intérêt, encore faudrait-il qu'elles disposent d'un moyen d'écouler leurs "ex-ventes internes", ce qui nécessite, notamment, un accès accru à la distribution et une marque reconnue.
278. La substituabilité de cette offre interne à l'offre sur le marché libre ne serait donc pas clairement immédiate, ce qui exclut l'intégration des ventes internes d'ABB et de Siemens dans le calcul de leurs parts de marché.
279. Quant à l'évaluation quantitative des ventes internes de composants d'ABB et de Siemens, la Commission déclare n'y avoir procédé qu'à titre purement subsidiaire, sur la base de données fournies par les opérateurs, afin d'en illustrer la faible incidence.
280. Les différentes méthodes d'estimation proposées par Schneider n'emporteraient pas la conviction. En tout état de cause, l'inclusion des ventes intégrées, une fois celles-ci correctement évaluées, ne modifierait que marginalement les rapports de force sur les marchés en cause (considérant 528).
- Appréciation du Tribunal
281. En premier lieu, il ressort du premier rapport NERA, non critiqué sur ce point par la Commission, que la réalisation des grands projets de construction s'effectue normalement par voie d'appels d'offres auxquels les fabricants soumissionnent directement.
282. Il ne peut être contesté que, dans le cadre de telles modalités de mise en concurrence, ABB et Siemens, en leur qualité de producteurs intégrés, concurrencent leurs homologues non intégrés comme Schneider, soit directement lorsque ces derniers s'associent à des tableautiers et à des installateurs pour présenter leurs offres, soit indirectement lorsque ces mêmes fabricants vendent des composants pour tableaux à un tableautier qui a remporté l'appel d'offres. Dans les deux hypothèses, les prix des fabricants non intégrés subissent directement la pression concurrentielle procédant des soumissions parallèles d'ABB et de Siemens aux mêmes appels d'offres.
283. Dans ces conditions, le raisonnement suivi par la Commission pour refuser de comptabiliser les ventes intégrées de composants pour tableaux électriques d'ABB et de Siemens, qui est fondé sur les trois niveaux de la chaîne verticale de production des tableaux électriques, ne peut constituer une réponse adaptée aux modalités de concurrence directe qui s'exercent entre les producteurs soumissionnant aux appels d'offres lancés pour la réalisation de grands projets de construction.
284. Cette concurrence directe entre fabricants, caractérisée par l'absence des grossistes, transparaît d'ailleurs indirectement au point V A de la Décision, consacré à la description de l'ensemble du secteur du matériel électrique basse tension.
285. La Commission souligne que les grands clients et les grands tableautiers, qui travaillent sur des affaires complexes, s'approvisionnent le plus souvent directement auprès des fabricants (considérants 25 et 29).
286. La Commission confirme, au considérant 41, que, dans la plupart des contrats industriels et des grands contrats du bâtiment, les fabricants vendent directement les matériels électriques concernés, soit au client final, pour les grands sites industriels, soit aux grands tableautiers.
287. Au considérant 71, la Commission observe encore qu'il existe un clivage entre les grands projets et les autres installations dans lesquelles les grossistes constitueront un intermédiaire obligé entre fabricants et installateurs (ou tableautiers), avant de conclure, au considérant 79, que, pour les contrats industriels et les grands contrats du bâtiment, les équipements sont généralement choisis par un maître d'œuvre ou un grand tableautier et retirés directement auprès des fabricants.
288. En second lieu, le Tribunal ne peut tenir pour établi que la comptabilisation des ventes intégrées d'ABB et de Siemens dans leurs parts de marché ne modifierait en toute hypothèse que marginalement l'évaluation des rapports de force sur les marchés en cause.
289. Si l'on admet l'orientation traditionnelle d'ABB et de Siemens vers les clients industriels, comme la Commission semble en accepter l'idée au considérant 42, cette circonstance est de nature à amplifier l'importance quantitative des ventes intégrées de ces deux sociétés dans leurs parts de marché respectives.
290. Inversement, il y a lieu de retenir que, en raison de l'absence de Legrand du secteur des composants pour tableaux généraux, l'opération de concentration litigieuse n'aura pas pour effet d'y entraver la concurrence de manière significative (considérant 245).
291. Enfin, le Tribunal note que, selon le considérant 17, un troisième concurrent important de Schneider, GE, est, lui aussi, verticalement intégré dans une certaine mesure.
292. C'est donc à tort que la Commission s'est refusée à comptabiliser dans les parts de marché d'ABB et de Siemens les ventes intégrées de composants pour tableaux électriques.
293. Pour estimer que la comptabilisation de ces ventes intégrées n'aurait qu'une incidence marginale, la Commission se fonde sur leur évaluation à 5 % du chiffre d'affaires d'ABB et de Siemens afférent à leur production de composants pour tableaux électriques.
294. Ce pourcentage ne constitue toutefois qu'une estimation générale, fournie sans plus de précisions, des ventes intégrées de composants pour tableaux électriques, qui n'est, en outre, pas rapportée à un marché national spécifique. Or, la Commission a bien précisé, au considérant 28, qu'ABB et Siemens ne disposent de leurs propres activités de tableautier que dans certains pays.
295. Dans ces conditions, il ne saurait être accordé de valeur probante au pourcentage de 5 % repris à son compte par la Commission, qui manque de fiabilité et qui ne concerne, d'ailleurs, que les activités exercées par Siemens, au niveau européen. Contrairement à ce que suggère la Commission au considérant 528, ce pourcentage ne permet pas de mesurer l'ampleur des corrections de parts de marché devant résulter d'une incorporation des ventes intégrées de composants pour tableaux électriques réalisées par les concurrents de Schneider ni, par conséquent, d'affirmer que la prise en considération des ventes intégrées des concurrents n'affecterait que marginalement la position de l'entité issue de la fusion sur les marchés nationaux affectés, visés par les griefs énumérés aux considérants 782 et 783.
296. Il résulte des développements qui précèdent que, en refusant de comptabiliser dans les parts de marché d'ABB et de Siemens les ventes intégrées de composants pour tableaux électriques réalisées par ces deux groupes, la Commission a sous-estimé la puissance économique de ces deux importants concurrents de l'entité issue de la fusion et, réciproquement, surévalué la force de cette entité sur les marchés français et italien de composants pour tableaux électriques divisionnaires, ainsi que sur les marchés danois, espagnol, français, italien et portugais de composants pour tableaux électriques terminaux.
297. Il y a donc lieu d'accueillir le moyen.
Sur le septième moyen, pris de l'analyse erronée de l'incidence de la concentration notifiée sur les marchés danois de composants pour tableaux électriques terminaux
- Arguments des parties
298. En premier lieu, Schneider conteste que la nouvelle entité détienne au Danemark une position dominante ou une puissance inégalée sur les marchés des disjoncteurs miniatures, interrupteurs différentiels, et coffrets destinés aux tableaux terminaux.
299. La Commission objecte que la nouvelle entité aurait disposé d'une part de marché indicative de dominance (considérants 534 à 536), car substantiellement supérieure aux parts de marché de ses concurrents (considérant 542). La part cumulée de ses trois principaux rivaux ne serait pas de nature à remettre en cause cette constatation.
300. En deuxième lieu, Schneider allègue que rien n'autorisait la Commission à affirmer, au considérant 546, que l'opération notifiée éliminerait également la compétition entre Schneider et Legrand. Aucune rivalité n'aurait jamais existé entre ces deux sociétés sur les marchés danois.
301. La Commission objecte que Legrand a été un concurrent actif sur le marché danois des tableaux terminaux (ou de leurs composants) et disposant d'une position significative (considérant 545). Il aurait bien existé une rivalité concurrentielle entre Schneider et Legrand et la concentration proposée aurait permis à l'entité fusionnée d'accéder à une position de leader incontestable sur ce marché.
302. En troisième lieu, Schneider soutient que la panoplie de produits attribuée par la Commission à la nouvelle entité n'est pas démontrée par le tableau 30 de la Décision reproduit au point 165 ci-dessus. Ce tableau ne saurait remplacer l'analyse de la concurrence que la Commission a omis d'effectuer relativement aux marchés danois.
303. Au surplus, ni les chevauchements ni les parts de marché réelles de la nouvelle entité n'y seraient exprimés, la Commission s'étant limitée à donner de simples fourchettes. Les concurrents ne figureraient pas non plus dans cette description. Enfin, la Commission se servirait du seul marché français pour commenter le tableau 30, au considérant 552, par ailleurs totalement contradictoire.
304. La Commission fait observer que le tableau 30 entend démontrer l'avantage concurrentiel substantiel dont le groupe Schneider-Legrand bénéficiera sur chacun des marchés affectés par l'opération de concentration, en raison de ses fortes positions, dans le même marché géographique, sur d'autres marchés de produits où interviennent les mêmes grossistes (considérants 567 à 578).
305. En quatrième lieu, Schneider est d'avis que l'argument déduit par la Commission de sa panoplie de marques inégalée ne confirme pas la prétendue création d'une position dominante sur le marché en cause. La marque Legrand serait inconnue des installateurs au Danemark.
306. La Commission affirme avoir expliqué, aux considérants 554 à 565, que la panoplie de marques à la disposition de l'entité issue de la fusion lui conférera un avantage concurrentiel substantiel sur chacun de ses concurrents. Les tableaux électriques et leurs composants commercialisés sous la marque Legrand auraient représenté [...]* des ventes au Danemark en 2000. En outre, la marque Legrand serait utilisée pour commercialiser d'autres catégories d'équipements électriques basse tension au Danemark et y jouirait ainsi d'une certaine notoriété.
307. En outre, comme l'explique le considérant 565, la possession de plusieurs marques permettrait d'affermir un pouvoir de marché par la possibilité d'exercer des représailles ciblées contre les concurrents ou en fixant leurs efforts commerciaux sur l'une des deux marques.
308. En cinquième lieu, Schneider considère que l'absence de contrainte significative de la demande au Danemark n'est pas démontrée. La Commission n'aurait nullement établi que la nouvelle entité constituera un partenaire incontournable pour les grossistes, qu'un niveau de concentration élevé n'entraîne pas forcément une pression à la baisse et que les relations complexes entre le groupe Schneider-Legrand et les grossistes favoriseront le maintien de la position de l'entité issue de la fusion. La Décision ne comporterait aucune description de la demande sur le marché danois, qui ne figure même pas dans le tableau 31, reproduit au point 217 ci-dessus.
309. Il aurait existé au Danemark une très forte concentration des grossistes, susceptible d'exercer une pression non négligeable sur les fabricants. Il n'apparaîtrait nullement que la constitution de la nouvelle entité aurait favorisé le développement de la conclusion, entre Schneider et certains distributeurs, d'accords de convergence qui n'existaient pas auparavant. Les ventes directes aux tableautiers et aux installateurs constitueraient 50 % de toutes les ventes. La demande serait fonction des installateurs et non des grossistes, qui se chargent en fait de la logistique des produits demandés par les installateurs.
310. La Commission réplique que ni les grossistes, ni les tableautiers, ni les installateurs n'auraient été en mesure de s'opposer à une augmentation des prix de l'entité issue de la fusion. Au Danemark, les distributeurs seraient un moyen moins important pour les fabricants de distribuer leurs produits, en raison du pourcentage de 50 % de ventes directes aux tableautiers et aux installateurs. Les installateurs et tableautiers seraient extrêmement nombreux et leur poids individuel serait faible dans les ventes totales des fabricants. En outre, ils ne sembleraient pas avoir d'incitation à exercer une pression sur les fabricants.
311. Enfin, en sixième lieu, Schneider relève que l'absence de contrainte significative de la concurrence retenue par la Commission ne serait nullement étayée, à défaut de toute analyse de la concurrence sur le marché danois des tableaux terminaux. Trois importants concurrents, ABB, Siemens et Hager, se partageraient [...]* ou [...]* de ce marché.
312. Schneider reproche de graves contradictions à la Commission. Au considérant 610, celle-ci affirmerait, que selon Hager, le développement d'une gamme comparable à celle de la nouvelle entité dans tous les pays concernés est quasiment impossible à imaginer. Néanmoins, la Commission relèverait, au considérant 141, que "[t]ous les grands concurrents des parties comme ABB, Siemens ou Hager, disposent de gammes complètes de composants".
313. La Commission rappelle que, au considérant 609, elle a qualifié d'improbable l'entrée d'un nouveau concurrent sur le marché danois des tableaux terminaux (ou de leurs composants), du fait même des avantages concurrentiels qu'aurait cumulés l'entité issue de la fusion (considérants 595 à 608).
- Appréciation du Tribunal
314. Comme il résulte de l'exposé du moyen, Schneider invoque, au regard des marchés danois de composants pour tableaux électriques terminaux, les erreurs, déjà constatées ci-dessus, que la Commission a commises dans son appréciation de la puissance économique de l'entité issue de la fusion sur chacun des différents marchés sectoriels nationaux affectés par la transaction notifiée et énumérés aux considérants 782 et 783.
315. Il s'ensuit que les conclusions auxquelles la Commission est parvenue pour retenir, aux considérants 611 et 613, l'incompatibilité de la concentration litigieuse avec le Marché commun sur les marchés danois de composants en cause sont affectées des mêmes vices que ceux constatés par le Tribunal lors de l'examen des troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens.
316. Outre son caractère illustratif des moyens précédents, l'argumentation développée par Schneider à propos des marchés danois de composants pour tableaux électriques terminaux présente un caractère complémentaire par rapport à ceux-ci.
317. Il apparaît, en effet, à cet égard, que l'analyse de la Commission relative à l'impact de l'opération de concentration sur les marchés danois des produits en cause est entachée de vices spécifiques, qui affectent plus particulièrement la légalité de la constatation d'incompatibilité au regard de ces marchés.
318. Ainsi, la non-comptabilisation des ventes intégrées de composants pour tableaux électriques d'ABB et de Siemens dans les parts des marchés danois de composants pour tableaux terminaux contrôlées par ces deux sociétés a amené la Commission à surestimer la puissance économique du groupe Schneider-Legrand sur ces marchés.
319. À ce sujet, il se déduit effectivement de la lecture du tableau ci-dessous, extrait du point 461 de la requête, que les parts détenues par le groupe Schneider-Legrand sur ces marchés sont susceptibles de varier sensiblement selon que sont ou non prises en considération les ventes intégrées de composants dont Schneider crédite ABB et Siemens.
Marchés danois de composants pour tableaux terminaux
* Données confidentielles
320. Dans ces conditions, il ne saurait être tenu pour démontré que, en dépit de l'importance quantitative qu'elle revêt en tout état de cause, l'addition des parts de marché de Legrand à celles de Schneider, consécutive à la transaction notifiée, suffit, par elle-même, à créer une position dominante sur chacun de ces différents marchés.
321. De surcroît, même à la supposer établie, une éventuelle position dominante de la nouvelle entité ne pourrait être regardée, à la lecture de la Décision, comme ayant comme conséquence qu'une concurrence effective sera entravée de manière significative au Danemark au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
322. Premièrement, il n'est pas prouvé que l'opération notifiée aura pour effet, contrairement à ce que retient la Commission au considérant 544, d'éliminer un "concurrent immédiat" sur les marchés danois de composants pour tableaux terminaux.
323. Il résulte, en effet, d'une comparaison des parts de marché des principaux acteurs repris au tableau 28 et au tableau figurant au point 319 ci-dessus que Legrand arrive en cinquième position sur chacun des marchés de produits en cause et ne peut être ainsi considérée comme un "concurrent immédiat" de Schneider.
324. Contrairement à ce qu'observe la Commission aux considérants 544 et 545, il n'apparaît pas non plus que la transaction proposée puisse s'analyser, sur les marchés danois de composants pour tableaux terminaux, en un renforcement substantiel du leader via l'acquisition d'activités supplémentaires sur d'autres marchés sectoriels du matériel électrique basse tension.
325. Legrand est absente aussi bien de tous les segments du marché danois des équipements électriques ultraterminaux repris au tableau 35 reproduit au point 173 ci-dessus que, comme il ressort des tableaux 14 et 15 ci-dessous figurant aux considérants 286 et 288 de la Décision, des marchés danois des canalisations préfabriquées et des supports de câbles.
Tableau 14
Parts de marché des principaux acteurs présents sur le marché des canalisations préfabriquées dans les principaux États membres de l'EEE
* Données confidentielles
Tableau 15
Parts de marché des principaux acteurs présents sur le marché des supports de câbles dans différents États membres de l'EEE
* Données confidentielles
326. Contrairement à la lecture que la Commission donne du tableau 30 dans son argumentation rappelée ci-dessus, les données figurant dans la Décision ne permettent donc pas d'établir que l'entité issue de la fusion bénéficiera d'un avantage concurrentiel substantiel, sous la forme de fortes positions sur d'autres marchés sectoriels que ceux de composants pour tableaux terminaux.
327. En définitive, il ne ressort pas des tableaux 14, 15 et 35 que la présence du groupe Schneider-Legrand au Danemark sur ces autres marchés sectoriels procède de l'opération de concentration. L'examen des tableaux précités donne plutôt à penser que cette présence découle des positions que Schneider y occupait avant même la réalisation de cette opération.
328. Par voie de conséquence, le Tribunal ne peut considérer comme suffisamment étayée la thèse de la Commission, exprimée au considérant 546, selon laquelle la fusion de Schneider et de Legrand éliminera "la compétition entre les deux entreprises, dont la rivalité semblait constituer un élément central de la concurrence dans les pays concernés".
329. Outre le fait que son importance n'est pas constatée en des termes très assurés, cette rivalité ne peut être tenue pour établie en ce qui concerne le Danemark. Les exemples cités par la Commission au considérant 547 à l'appui de sa démonstration concernent uniquement la France et le Portugal. Quant au considérant 540, il se borne à une référence générale à la "disparition de la rivalité entre Schneider et Legrand dans certains marchés", sans autre précision.
330. Une telle rivalité ne pouvait d'ailleurs guère être escomptée dans ce pays de deux entreprises dont le centre de gravité est, selon la Décision, situé, pour l'une, en Europe du Nord et, pour l'autre, en Europe du Sud (considérants 550 et 659).
331. Deuxièmement, en raison de l'absence de Legrand des segments du marché danois des équipements ultraterminaux repris au tableau 35, l'apport des marques de Legrand et leur notoriété sont nécessairement limités, comme le confirme la liste des marques détenues par les parties notifiantes figurant au tableau 36 et à l'annexe 2 de la Décision. Il se déduit de ces listes que Legrand ne possède en tout et pour tout que deux marques au Danemark pour l'ensemble du matériel électrique basse tension.
332. Le Tribunal observe, à cet égard, que ce pays n'est jamais cité, en tant que tel, dans les développements que la Commission consacre, aux considérants 554 à 565, à la panoplie de marques dont est créditée l'entité issue de la fusion.
333. De fait, étant donné que Legrand est absente de tous les segments du marché danois des équipements ultraterminaux repris dans le tableau 35, il n'apparaît pas que le Danemark puisse être concerné par la dernière phrase du considérant 555, selon laquelle "la notoriété et l'image de marque des parties sont évidemment encore accrues par leur présence sur l'essentiel du secteur du matériel électrique basse tension, ainsi qu'illustré par le tableau 30 ci-dessus".
334. Par voie de conséquence, la notoriété de la marque Legrand censée procéder, dans l'argumentation exposée ci-dessus par la Commission, de la commercialisation au Danemark des matériels électriques basse tension autres que les composants pour tableaux électriques ne peut non plus être retenue.
335. Troisièmement, il s'ensuit également que ne peut être considéré comme prouvé l'accès privilégié aux principaux grossistes internationaux de Legrand, la partie notifiante la moins forte au Danemark, selon le considérant 545.
336. Cet accès peut être d'autant moins tenu pour établi que le Danemark est absent du tableau 31 reproduit au point 217 ci-dessus, dont la Commission déduit précisément, au considérant 573, que les parties représentent chacune une proportion très significative du chiffre d'affaires des principaux grossistes, tous matériels électriques basse tension confondus.
337. En raison de l'absence de Legrand des segments du marché danois des équipements ultraterminaux repris au tableau 35, ne peut non plus être tenue pour admise la qualité de partenaire obligé des grossistes que la Commission attribue au nouveau groupe, au considérant 567, en raison de sa gamme de matériels électriques inégalée.
338. La Commission se borne, au même considérant, à constater que le caractère incontournable de la nouvelle entité vis-à-vis des grossistes sera particulièrement aigu en France et, dans une moindre mesure, en Espagne, en Italie et au Portugal, sans mentionner, par conséquent, le Danemark.
339. En outre, de l'avis même de la Commission, des entreprises tierces exerçaient, avant l'opération de concentration, en termes de parts de marché, une concurrence non négligeable vis-à-vis des parties notifiantes sur les marchés de composants pour tableaux électriques (considérant 548).
340. En effet, l'importance et la concentration relatives des parts de marché détenues par les trois concurrents immédiats de l'entité issue de la fusion méritent d'être soulignées.
341. Quatrièmement, l'affirmation de la Commission, figurant au considérant 595, selon laquelle les concurrents existants de la nouvelle entité pourront difficilement exercer une contrainte significative sur le comportement de celle-ci, n'est pas démontrée dans la Décision en ce qui concerne le Danemark.
342. Le point V C.1.4. de la Décision ne comporte à cet égard aucune analyse de la structure de la concurrence au niveau des autres fabricants présents sur les marchés danois examinés. L'importance et la concentration relatives des parts de marché détenues par les principaux concurrents, qui se dégagent du tableau reproduit au point 319 ci-dessus, auraient toutefois nécessité des développements d'autant plus élaborés que, selon le considérant 548, les parties notifiantes faisaient face à une concurrence non négligeable, en termes de parts de marché, de la part de ces entreprises tierces.
343. Or, la Commission n'ajoute rien aux constatations laconiques émises aux considérants 536 et 548, selon lesquelles la transaction notifiée, d'une part,"aboutira à la création de positions très fortes" et, d'autre part, "permettra à l'entité fusionnée d'accéder à une position de leader incontestable" sur les marchés danois en cause.
344. De telles considérations ne sont pas en elles-mêmes de nature à établir que l'éventuelle création d'une position dominante, du fait de l'opération notifiée, aura pour effet d'entraver significativement une concurrence effective sur ces mêmes marchés.
345. D'ailleurs, le Danemark n'est pas cité, en tant que tel, par la Commission dans sa démonstration, au point V C.1.4. de la Décision, de la difficulté que les concurrents existants de la nouvelle entité éprouveront à exercer une contrainte significative sur son comportement.
346. Ainsi, les développements consacrés à ce sujet, dans la Décision, aux considérants 596 et suivants, mettent l'accent sur une prééminence des marques leaders des parties à l'opération de concentration, étayée par des références tirées, ici encore, d'autres marchés nationaux que ceux du Danemark.
347. La difficulté que les concurrents de l'entité issue de la fusion pourront, selon le considérant 601, rencontrer au niveau des installateurs et des tableautiers en raison de la réputation prétendument inférieure de leurs offres n'est nullement étayée d'éléments factuels en rapport direct avec le Danemark.
348. Enfin, en raison de la faible présence de Legrand sur les marchés danois des matériels électriques basse tension et, en particulier, de son absence des marchés danois des équipements ultraterminaux repris au tableau 35, le Tribunal ne peut tenir pour démontrée la conclusion émise par la Commission au considérant 606, selon laquelle l'opération proposée va mener au renforcement de chacune des parties notifiantes dans leurs pôles traditionnels d'excellence et permettre la constitution d'un groupe détenant les marques de référence dans chacun des trois segments d'application (résidentiel, tertiaire et industriel).
349. Il s'ensuit que n'ont été démontrées à suffisance de droit ni la création, du fait de la transaction notifiée, d'une position dominante sur les marchés danois de composants pour tableaux terminaux, ni, à supposer celle-ci avérée, une entrave significative à une concurrence effective, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, procédant, sur ces mêmes marchés, de cette position dominante.
350. Il convient donc de retenir le moyen comme fondé.
Sur le huitième moyen, pris de l'analyse erronée de l'incidence de la concentration notifiée sur les marchés italiens de composants pour tableaux électriques divisionnaires et terminaux
- Arguments des parties
351. Schneider allègue, en premier lieu, que les parts des principaux acteurs sur les marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux, où règne une vive concurrence, ne permettent pas d'y établir la création d'une position dominante. Selon Schneider, l'opération n'aura donc pas pour effet d'y renforcer substantiellement le leader existant.
352. On ne saurait déduire l'existence de très fortes barrières à l'entrée en Italie de l'acquisition en un an par Gewiss de [...]* seulement du marché des disjoncteurs miniatures pour tableaux divisionnaires ou terminaux. Une vive concurrence sur un marché caractérisé par la présence de huit marques ne saurait être assimilée à l'existence de telles barrières. Au contraire, la pénétration de Gewiss sur les marchés des tableaux divisionnaires et terminaux et sa progression fulgurante à [...]* des coffrets pour tableaux terminaux établiraient l'absence de ces barrières.
353. La Commission rétorque que les parts de marché de l'entité issue de la fusion, comparées à celles de ses concurrents, sont manifestement un indicateur sérieux de dominance. Gewiss serait un cas exceptionnel car, comme il ressort du considérant 516, elle aurait pu franchir les barrières à l'entrée, avec un succès très relatif, en s'approvisionnant auprès d'ABB et en disposant de l'accès aux grossistes et aux installateurs découlant de ses activités sur le marché des équipements ultraterminaux.
354. En deuxième lieu, Schneider fait grief à la Commission de baser largement son analyse sur la disparition de la rivalité entre Schneider et Legrand, laquelle n'aurait nullement constitué un facteur central de concurrence. ABB, Siemens et GE, sur le marché des tableaux divisionnaires, et ABB, Siemens, Hager et GE, sur le marché des tableaux terminaux, auraient une taille équivalente à celle de Legrand.
355. La Commission répond que, comme il ressort du considérant 545, Legrand constitue la référence concurrentielle en Italie. Schneider y détiendrait une position significative et y jouirait d'une bonne réputation et d'un accès privilégié aux principaux grossistes internationaux. Les grossistes classeraient Schneider et Legrand au premier rang.
356. Schneider fait observer, en troisième lieu, que les marchés italiens de composants pour tableaux électriques ne se concentrent pas uniquement sur trois marques (Bticino, ABB et Merlin-Gerin), comme l'affirme la Commission, mais intègrent aussi de nouvelles offres (Gewiss) et des renouvellements (GE, Siemens).
357. La forte fidélité aux marques, retenue par la Commission, priverait d'effet toute décision de la nouvelle entité d'accentuer la spécialisation de chacune des marques de référence que Schneider et Legrand détiendraient, respectivement, dans les applications industrielles et tertiaires, d'une part, et dans les applications résidentielles, d'autre part.
358. La Commission répond que, comme le souligne le considérant 565, les clientèles de Schneider et de Legrand ne se recouvriraient pas entièrement, de sorte que le groupe Schneider-Legrand pourrait renforcer la spécialisation de ses marques sur certaines catégories de clientèles.
359. En quatrième lieu, Schneider nie le caractère incontournable de la nouvelle entité, à laquelle ABB et GE offriraient des alternatives. On comprendrait mal comment les bonnes relations de Legrand avec ses grossistes en Italie, à les supposer établies, pourraient restreindre la concurrence. Les principaux grossistes contrôleraient une part très minoritaire de la distribution, comme il ressort du tableau 6 de la Décision (reproduit au point 201 ci-dessus).
360. En outre, les parties notifiantes ne représenteraient pas la majorité des ventes des distributeurs, dont chacun écoulerait de nombreuses marques différentes. Schneider et Legrand ne bénéficieraient pas de relations privilégiées avec les grossistes. La transaction proposée n'aboutirait nullement à marginaliser les autres fabricants, car les grossistes procéderaient à un rééquilibrage de leur offre auprès d'autres fournisseurs.
361. De plus, on verrait mal comment l'opération de concentration aurait pour conséquence l'affaiblissement des concurrents, car les ventes combinées des parties notifiantes ne représentent que [...]* des ventes totales de leur principal grossiste. Enfin, à supposer avéré le fort attachement aux marques, les grossistes auraient intérêt à continuer d'honorer la demande en produits des plus petits fabricants.
362. Pour démontrer qu'une forte concentration de la distribution n'emporte pas nécessairement une pression intense à la baisse sur les prix, la Commission affirmerait que les grossistes apprécient les produits de Legrand, dont la cherté relative leur permet d'obtenir une bonne marge bénéficiaire. Schneider objecte que la distribution est très fragmentée sur les marchés italiens de tableaux divisionnaires et terminaux, comme la Commission l'indique elle-même dans le tableau 6 de la Décision.
* Donnée confidentielle
363. La Commission rappelle les trois facteurs rendant incontournable la nouvelle entité vis-à-vis de la demande en Italie : la captation d'une proportion très appréciable du chiffre d'affaires global des grossistes, une gamme de matériels électriques inégalée et des positions concurrentielles considérables dans chaque pays (voir le tableau 30). En outre, Schneider ne contesterait pas l'exposé, aux considérants 584 à 591, des moyens dont disposera le groupe Schneider-Legrand pour asseoir sa domination. Les grossistes ne seraient donc pas en mesure d'exercer une contrainte significative sur la nouvelle unité.
364. Enfin, en cinquième lieu, Schneider estime approximative la démarche de la Commission consistant à déduire l'affaiblissement des concurrents de la concentration des marques découlant de l'opération notifiée, eu égard à l'ensemble des marques présentes sur le marché italien.
365. La marginalisation des autres concurrents serait une exagération. Des concurrents comme ABB, Siemens et GE disposeraient sur les marchés des tableaux de distribution électrique d'une puissance comparable à celle de la nouvelle entité. Des concurrents comme Hager, Gewiss et Moeller y jouiraient d'une bonne notoriété.
366. L'absence de contrainte émanant de la concurrence serait par ailleurs fondamentalement incompatible avec la structure des marchés et de la distribution en Italie, eu égard à leur grande sensibilité à toute promotion pratiquée par un concurrent crédible, à la présence de tels concurrents chez les grossistes et à l'absence d'un accès privilégié (voir le premier rapport NERA, points 4.3, 4.4 et 4.5).
367. La Commission rappelle, d'une part, que Schneider reconnaît que le seul vrai concurrent de l'entité issue de la fusion est ABB et, d'autre part, que le rapport NERA ne portait que sur les conditions de concurrence antérieures à l'opération notifiée et non sur les effets de celle-ci.
368. La Commission se serait bornée à considérer que les concurrents "éprouveront des difficultés croissantes à soutirer des clients au groupe Schneider-Legrand et pourraient se satisfaire de positions de suiveurs sur les marchés en cause" (considérant 602). Au considérant 608, la Commission observerait encore : "Les concurrents existants des parties ne seront pas en mesure d'exercer une pression suffisamment forte pour contraindre le comportement de l'entité fusionnée".
- Appréciation du Tribunal
369. Comme le moyen précédent, le huitième moyen invoque, au regard des marchés italiens de composants pour tableaux électriques divisionnaires et terminaux, les erreurs, déjà constatées ci-dessus, que la Commission a commises dans son appréciation de la puissance économique de l'entité issue de la fusion sur chacun des différents marchés sectoriels nationaux affectés par la transaction notifiée et énumérés aux considérants 782 et 783.
370. Il s'ensuit que les conclusions auxquelles la Commission est parvenue pour retenir, aux considérants 611 et 613, l'incompatibilité de la concentration litigieuse avec le Marché commun sur les marchés italiens de composants en cause, sont affectées des mêmes vices que ceux constatés par le Tribunal lors de l'examen des troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens.
371. Outre son caractère illustratif de ces précédents moyens, l'argumentation développée par Schneider à propos des marchés italiens de composants pour tableaux électriques divisionnaires et terminaux présente un caractère complémentaire par rapport à ces mêmes moyens.
372. Il apparaît en effet, à cet égard, que l'analyse de la Commission relative à l'impact de l'opération de concentration sur les marchés italiens considérés est entachée de vices spécifiques, qui affectent plus particulièrement la légalité de la constatation d'incompatibilité au regard de ces marchés.
373. Ainsi, la non-comptabilisation des ventes intégrées de composants pour tableaux électriques d'ABB et de Siemens dans les parts des marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux contrôlées par ces deux sociétés a amené la Commission à surestimer la puissance économique du groupe Schneider-Legrand sur ces marchés.
374. À ce sujet, il ressort effectivement du tableau ci-dessous, extrait du point 461 de la requête, que les parts détenues par la nouvelle entité sur ces marchés sont susceptibles de varier sensiblement selon que sont ou non prises en considération les ventes intégrées de composants dont Schneider crédite ABB et Siemens.
Marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires
* Données confidentielles
Marchés italiens de composants pour tableaux terminaux
* Données confidentielles
375. De plus, au considérant 195, inséré dans la partie de la Décision relative à la délimitation géographique du marché des tableaux électriques, la Commission range Gewiss au nombre des principaux concurrents de Legrand en Italie. Or, ce fabricant ne figure pas dans les tableaux 27 et 28 de la Décision reproduits au point 172 ci-dessus.
376. En outre, Schneider a soutenu au cours de l'audience, sans avoir été contredite sur ce point par la Commission, que Gewiss contrôle [...]* du marché italien des coffrets pour tableaux terminaux, contre [...]* pour l'entité issue de la fusion.
377. À ce sujet, le Tribunal constate que le total des parts de ce marché de composants détenues par les fabricants présents en Italie et repris au tableau 28 ne s'élève qu'à 66 %. Ce tableau n'indique donc ni la répartition ni la dispersion des parts de marché du ou des producteurs contrôlant les 34 % résiduaires de ce marché.
378. En raison des lacunes entachant ainsi l'analyse de la structure des marchés considérés, ni les parts qu'y détiennent les différents producteurs ni celles qu'y contrôlera l'entité fusionnée, à la suite de l'addition des parts de marchés des parties notifiantes, ne peuvent être tenues pour suffisamment fiables.
379. N'est, par conséquent, pas démontrée la création, du fait de l'opération de concentration, d'une position dominante sur les marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux.
380. De surcroît, à la supposer établie, une éventuelle position dominante de la nouvelle entité ne pourrait pas être regardée, à la lecture de la Décision, comme ayant pour effet, en Italie, une entrave significative à une concurrence effective au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
381. Puisqu'il doit être tenu compte des ventes intégrées de composants d'ABB et de Siemens, il est douteux que Schneider puisse être considérée comme occupant le premier rang, en termes de parts des marchés des composants pour tableaux divisionnaires, eu égard aux faibles écarts la séparant d'ABB, selon les chiffres mêmes retenus par la Commission dans le tableau 27.
382. Dans ces conditions, n'est pas démontrée la conclusion, au considérant 549, selon laquelle l'opération notifiée renforcera la taille déjà prépondérante de l'une des deux parties notifiantes, soit, en l'espèce, Schneider, sur les marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires.
383. Sur les marchés italiens des composants pour tableaux terminaux repris au tableau 28, Schneider n'occupait, avant la transaction proposée, que la troisième place, largement derrière ABB. La prise en considération des ventes intégrées de composants d'ABB et de Siemens évaluées par Schneider est alors de nature à reléguer celle-ci à l'avant-dernière position (voir le second tableau reproduit au point 374 ci-dessus).
384. Il n'est donc pas prouvé que, comme l'affirme la Commission au considérant 544, l'opération notifiée aura pour effet l'élimination d'un "concurrent immédiat" du leader Legrand sur les marchés italiens de composants pour tableaux terminaux.
385. De plus, la rivalité qui opposait Schneider et Legrand, selon le considérant 546, n'est pas suffisamment étayée en ce qui concerne l'Italie, les exemples cités par la Commission, au considérant 547, au soutien de cette assertion étant uniquement tirés des marchés français et portugais. Quant au considérant 540, il se borne à une référence générale à la "disparition de la rivalité entre Schneider et Legrand sur certains marchés", sans autre précision.
386. De même, la Commission attribue, au considérant 612, à la rivalité entre Schneider et Legrand la qualité de source essentielle de la concurrence "sur certains marchés en cause, notamment en France", sans fournir, une nouvelle fois, de référence spécifique à l'Italie.
387. Il convient en outre d'observer que, selon Schneider elle-même, ses performances dans le domaine logistique sont médiocres et qu'elle doit considérablement changer ces performances pour atteindre ses objectifs tant au niveau italien qu'au niveau central (considérant 214).
388. Par ailleurs, comme le souligne la Commission au considérant 158, la position de Schneider se caractérise par sa faible compétitivité pour les clients résidentiels.
389. Contrairement à ce qu'affirme la Commission au considérant 545, il ne se déduit pas de la Décision que Schneider, partie la moins forte à l'opération notifiée sur les marchés italiens des composants pour tableaux terminaux, y dispose d'un accès privilégié aux principaux grossistes internationaux.
390. En effet, le considérant 545 ne vise spécifiquement que la France et le cas de Legrand, dont la Commission relève les positions très significatives sur d'autres marchés de matériels électriques basse tension.
391. Or, Schneider ne peut être créditée en Italie, contrairement à Legrand, en France, de détention de positions très significatives sur des marchés de matériels électriques basse tension autres que ceux des composants pour tableaux électriques.
392. Parmi tous les segments du marché des équipements électriques ultraterminaux, repris au tableau 35 reproduit au point 173 ci-dessus, Schneider n'est, en effet, présente en Italie que sur le segment du matériel de fixation et de dérivation. En outre, comme il se déduit du tableau 15 reproduit au point 325 ci-dessus, Schneider est totalement absente du marché italien des supports de câbles. Enfin, l'Italie ne figure pas au nombre des pays représentés au tableau 14 de la Décision concernant les parts du marché des canalisations électriques (voir point 325 ci-dessus). Par conséquent, la position de Schneider en Italie sur ce marché sectoriel n'est même pas envisagée par la Décision.
393. La Commission est ainsi restée en défaut de prouver que, du fait de l'acquisition d'activités supplémentaires, l'opération notifiée renforcera substantiellement la position de Legrand sur les marchés italiens de composants pour tableaux terminaux (voir considérant 544).
394. Quant à l'ensemble de marques inégalé dont est créditée l'entité issue de la fusion, la Commission observe, au considérant 556, sans grande conviction au demeurant, que cette entité "semble" posséder un avantage concurrentiel significatif en Italie du fait de la concentration du marché sur les trois premières marques (Bticino, ABB et Merlin Gerin).
395. Cette considération hypothétique doit, de toute façon, être relativisée, compte tenu de l'absence de Gewiss, pourtant considérée par la Commission comme un des principaux concurrents de Legrand.
396. Il convient également de retenir que la Commission range parmi les trois premières marques celle d'ABB, principale rivale de l'entité issue de la fusion sur les marchés faisant l'objet du présent moyen. ABB détient, en outre, la marque Vimar, comme le tableau 36 de la Décision le fait apparaître. Il résulte, par ailleurs, du considérant 195 que cette marque revêt une importance non négligeable.
397. S'agissant des relations de la nouvelle entité avec les grossistes, le Tribunal observe que, après avoir affirmé, au considérant 567, que "le caractère incontournable de l'entité combinée vis-à-vis des grossistes sera particulièrement aigu en France et dans une moindre mesure en ... Italie", la Commission note, au considérant 569, que Legrand y "entretient de très bonnes relations avec la distribution".
398. En raison de leur imprécision, ces deux considérations ne sont pas susceptibles de contribuer à établir à suffisance de droit le caractère incontournable de l'entité issue de la fusion vis-à-vis des grossistes italiens.
399. En outre, la Décision ne démontre pas à l'égard de l'Italie que, comme l'affirme la Commission au considérant 595, les concurrents existants de la nouvelle entité pourront difficilement exercer une contrainte significative sur son comportement.
400. Cette donnée découle, dans l'optique de la Commission, du caractère incontournable de l'entité vis-à-vis des grossistes. Or, il résulte des développements précédents que cette qualité ne peut être reconnue à cette entité en Italie, en l'état des éléments factuels apportés par la Commission au soutien de cette qualification.
401. Enfin, la difficulté que les concurrents de l'entité issue de la fusion pourront, selon le considérant 601, rencontrer au niveau des installateurs et des tableautiers en raison de la réputation prétendument inférieure de leurs offres n'est nullement étayée d'éléments factuels en rapport direct avec l'Italie.
402. Il n'a donc été établi à suffisance de droit ni la création, du fait de l'opération de concentration, d'une position dominante sur les marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux, ni, à supposer celle-ci avérée, une entrave significative à une concurrence effective, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, procédant, sur ces mêmes marchés, de cette position dominante.
403. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir le moyen.
Sur les conséquences des erreurs d'analyse et d'appréciation constatées ci-dessus
404. Le Tribunal considère que les erreurs, omissions et contradictions constatées ci-dessus dans l'analyse effectuée par la Commission de l'impact de l'opération notifiée revêtent un caractère de gravité certain.
405. En se fondant sur l'extension des activités de l'entité issue de la fusion à l'ensemble de l'EEE, la Commission a intégré des indicateurs de puissance économique étrangers aux marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération et ayant pour effet d'amplifier indûment l'impact de celle-ci sur ces marchés.
406. Il convient à cet égard de rappeler qu'aucun des éléments de fait retenus dans la Décision ne permet de considérer que la transaction proposée pourrait poser des problèmes de concurrence sur d'autres marchés que les marchés sectoriels enFrance et dans six autres pays, que la Décision identifie comme étant affectés par l'opération, en ses considérants 782 et 783.
407. La Décision ne contient, en particulier, aucune analyse de la structure concurrentielle des marchés sectoriels nationaux non affectés par la concentration litigieuse, tels que repris au tableau 30 reproduit au point 165 ci-dessus.
408. En raison des lacunes et des contradictions entachant l'analyse des structures de la distribution, la Commission ne pouvait davantage retenir comme avantages concurrentiels substantiels de l'entité issue de la fusion ni son prétendu accès privilégié à la distribution découlant de ses positions sur l'ensemble des marchés des matériels électriques basse tension au niveau de la distribution, ni l'incapacité des grossistes à exercer une contrainte concurrentielle sur la nouvelle entité.
409. Par leur caractère abstrait et détaché des marchés sectoriels nationaux à prendre en considération, les indices de puissance économique tirés de la gamme de produits inégalée et de l'incomparable panoplie de marques du groupe Schneider-Legrand ont conduit la Commission à surestimer encore davantage l'impact de l'opération notifiée sur les marchés sectoriels nationaux affectés par celle-ci.
410. Il en va de même, d'une part, du refus de la Commission de prendre en considération les ventes intégrées réalisées par ABB et Siemens sur les marchés nationaux de composants pour tableaux électriques affectés par l'opération et, d'autre part, des lacunes entachant, en particulier, l'analyse de l'impact de cette opération sur les marchés danois de composants pour tableaux terminaux et sur les marchés italiens de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux.
411. Les erreurs d'analyse et d'appréciation retenues ci-dessus sont donc de nature à priver de valeur probante l'appréciation économique de l'impact de l'opération de concentration, sur laquelle est fondée la déclaration d'incompatibilité contestée.
412. Toutefois, quelle que soit l'ampleur des lacunes que peut présenter une décision de la Commission constatant l'incompatibilité avec le Marché commun d'une opération de concentration, elles ne peuvent pas en entraîner l'annulation si, et dans la mesure où, l'ensemble des autres éléments contenus dans cette décision permet au Tribunal de considérer comme établi qu'en tout état de cause la réalisation de l'opération aboutira à la création ou au renforcement d'une position dominante ayant pour effet une entrave significative à une concurrence effective, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
413. À cet égard, les erreurs constatées ne peuvent en elles-mêmes suffire à remettre en cause les griefs que la Commission a retenus à l'égard de chacun des marchés sectoriels français énumérés aux considérants 782 et 783.
414. Le Tribunal note à ce sujet que Schneider n'a pas sérieusement contesté l'analyse de l'impact de l'opération notifiée sur ces marchés. Elle s'est, au contraire,employée à reprocher à la Commission d'avoir procédé à une extrapolation aux autres marchés sectoriels nationaux affectés de la situation de la concurrence sur les marchés français consécutive à l'opération notifiée.
415. Effectivement, au vu des éléments de fait contenus dans la Décision, il n'est pas possible de ne pas souscrire à la conclusion de la Commission selon laquelle la transaction proposée créera ou renforcera sur les marchés français, où chacune des deux parties notifiantes était déjà très puissante, une position dominante ayant pour effet, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89, une entrave significative à une concurrence effective dans le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci (voir, sur la notion de partie substantielle du Marché commun, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Uniee.a.-Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 375 et 448).
416. Il ressort, en effet, de la Décision que le groupe Schneider-Legrand détient sur chacun des marchés français affectés des parts de marchés indicatives de dominance ou d'une position dominante renforcée, compte tenu de la faible présence et de la dispersion des parts de marchés des principaux concurrents de l'entité fusionnée (voir notamment les tableaux 27 à 29 reproduits au point 172 ci-dessus).
417. En outre, la Commission a retenu au considérant 582, sans avoir été critiquée sur ce point par Schneider, et il résulte par ailleurs des tableaux 7 à 10 figurant aux considérants 228 et 234 de la Décision, que les prix du matériel électrique basse tension payés par les grossistes étaient en moyenne sensiblement plus élevés en France que sur les autres marchés nationaux affectés, avant la réalisation de la concentration.
418. Enfin, il n'est pas contestable que la rivalité entre les parties notifiantes s'est exercée de façon prépondérante sur les marchés sectoriels français visés par les griefs et que l'opération notifiée aura pour effet d'y supprimer un facteur essentiel de concurrence.
419. L'analyse économique sous-tendant la Décision ne peut donc être tenue pour insuffisante que pour tous les marchés sectoriels nationaux affectés autres que les marchés français, ces derniers constituant sans conteste une partie substantielle du Marché commun au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
420. Il convient donc d'examiner, au regard des seuls marchés français affectés par l'opération notifiée, les autres moyens soulevés dans la requête et, en particulier, celui tiré par Schneider d'une violation des droits de la défense en rapport avec les propositions de mesures correctives que Schneider a présentées au cours de la procédure devant la Commission pour rendre l'opération de concentration compatible avec le Marché commun.
Violation des droits de la défense
Sur le neuvième moyen, pris de la discordance entre la communication des griefs et la décision
- Arguments des parties
421. Schneider, soutenue par la République française, fait en substance valoir que la Commission a tiré, au considérant 811, un grief déterminant du renforcement, en France, de la position dominante de Schneider sur les marchés des tableaux divisionnaires et terminaux découlant de la position prépondérante de Legrand dans le secteur des équipements ultraterminaux, abstraction faite de tout chevauchement des activités des deux parties notifiantes.
422. Or, à aucun moment la communication des griefs n'aurait formulé ce grief sous une forme suffisamment précise pour permettre à Schneider de l'identifier en tant que tel, de faire valoir utilement ses observations à son propos et d'en tirer les conséquences appropriées, y compris sous la forme de la présentation de remèdes appropriés aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission.
423. En effet, l'analyse de l'incidence sur la concurrence de l'opération de concentration notifiée contenue dans la communication des griefs couvrirait les différents marchés géographiques en général, mais ne viserait pas le cas particulier de la France. Par ailleurs, lorsque la communication des griefs aborde la dominance de Legrand en France sur certains marchés, elle n'évoquerait jamais la position de Schneider sur les marchés des tableaux électriques.
424. Dans son rapport complémentaire du 8 octobre 2001, le conseiller-auditeur reconnaîtrait qu'il existe bien un grief tiré de la position de puissance combinée vis-à-vis des grossistes en dehors de tout chevauchement des activités des deux parties. Le conseiller-auditeur considérerait toutefois que ce grief figurait déjà dans la communication des griefs en tant qu'il s'agit "d'un des facteurs essentiels d'une création ou d'un renforcement de position dominante".
425. Cependant, aucun des points extraits par le conseiller-auditeur de l'analyse concurrentielle contenue dans la communication des griefs ne ferait référence à un grief retenant le cumul de positions dominantes des parties sur les deux marchés sectoriels français en cause, justifiant à lui seul une décision d'interdiction de la concentration.
426. Ce grief aurait été présenté aux parties notifiantes comme l'obstacle décisif aux propositions alternatives de mesures correctives présentées par Schneider le 24 septembre 2001. Le grief en question serait repris dans la Décision, dans la partie consacrée à l'examen des mesures correctives, pour d'évidentes raisons de justification du rejet des solutions proposées par Schneider.
427. La Commission estime irrecevable en la forme le moyen, en ce qu'il manquerait de clarté et ne lui permettrait pas d'articuler sa défense.
428. Sur le fond, la Commission fait observer que Schneider cherche sans doute à démontrer que la Commission a retenu une notion étrangère au règlement n° 4064-89, soit le simple cumul de positions dominantes, sur des marchés sectoriels distincts, sans qu'il y ait recouvrement d'activités. Cet argument laisserait la Commission perplexe, car Schneider reconnaîtrait, au point 177 de la requête, que cette notion ne figure pas non plus dans la Décision.
429. Faute de mention de ce grief, purement fictif, dans la Décision, Schneider tenterait de démontrer que la Commission a introduit dans la Décision des phrases contenant une allusion implicite et camouflée à ce grief.
430. Cette tentative manquerait cependant de conviction. Les passages de la Décision cités par Schneider ne révéleraient aucune modification substantielle des griefs exposés dans la communication notifiée aux parties le 3 août 2001. Les extraits rapportés par Schneider se borneraient, sur le fondement des observations et des informations recueillies auprès des parties et des tiers au cours de la suite de la procédure administrative, soit à tirer une conclusion logique sur les griefs exposés dans la communication, pratique jugée acceptable par le Tribunal dans l'arrêt Endemol-Commission, précité (point 81), soit à illustrer un propos par des exemples.
431. Schneider entretiendrait une confusion entre la notion, inexistante en l'espèce, de "cumul de positions dominantes" et le grief relatif à la possibilité pour l'entité issue de la fusion de disposer d'un accès privilégié aux grossistes, en raison de la gamme d'activités qu'elle détiendrait.
432. Sur ce dernier point, tant la communication des griefs que la Décision auraient exposé que la nouvelle entité allait posséder un ensemble d'activités sur les différents marchés en cause et que cette panoplie de produits inégalée en ferait un partenaire incontournable des grossistes. Dans ces deux actes, la Commission aurait estimé que la détention de ce portefeuille d'activités allait, en association avec une série d'autres éléments, tels que la création d'un nouvel acteur aux parts de marché très élevées, la suppression de la rivalité entre Schneider et Legrand et la combinaison des marques détenues par ces deux sociétés en un ensemble de marques incomparable, constituer l'un des facteurs essentiels de création et de renforcement d'une position dominante, compte tenu des caractéristiques des marchés affectés par l'opération.
433. Schneider aurait eu amplement l'occasion de faire connaître son opinion à ce sujet au cours de la procédure administrative. Aussi le conseiller-rapporteur aurait-il rejeté sa plainte à ce sujet au premier point de son rapport complémentaire du 8 octobre 2001.
434. Pour autant que le moyen concerne les remèdes, il aurait été matériellement impossible de les aborder dans la communication des griefs, étant donné qu'ils n'avaient pas encore été proposés par Schneider.
435. À supposer que le nouveau grief ressorte clairement du considérant 811, comme Schneider le soutient au point 179 de la requête, la Commission se demande pourquoi Schneider ne se donne pas la peine d'analyser cette question et d'expliquer en quoi consiste la mention de ce nouveau grief.
436. Dans la mesure où le grief vise le "cumul des positions dominantes en France", il résulterait des développements précédents que cette branche du moyen se réduit en fait à reprocher à la Commission d'avoir utilisé cette expression lors d'une réunion tenue le 24 septembre 2001. À supposer ce reproche fondé, il serait néanmoins difficile de comprendre comment les droits de la défense de Schneider ont été violés, dès lors que ce prétendu grief est absent à la fois de la communication des griefs et de la Décision.
- Appréciation du Tribunal
437. Le Tribunal considère que la méconnaissance des droits de la défense de Schneider tenant à ce que la Commission aurait retenu dans la Décision un grief spécifique non exprimé clairement dans la communication des griefs a été alléguée avec la précision et la cohérence nécessaires pour permettre à la Commission de répondre utilement au moyen et au Tribunal d'en apprécier le bien-fondé.
438. Selon une jurisprudence bien établie, la Décision ne doit pas être nécessairement une copie de l'exposé des griefs. Sont ainsi admissibles des ajouts à la communication des griefs effectués à la lumière du mémoire en réponse des parties, dont les arguments démontrent qu'elles ont effectivement pu exercer leurs droits de la défense. La Commission peut également, au vu de la procédure administrative, réviser ou ajouter des arguments de fait ou de droit à l'appui des griefs qu'elle a formulés (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a.-Commission, T-86-95, Rec p. II-1011, point 448).
439. Il est évidemment loisible à la Commission, comme celle-ci l'a fait observer à l'audience, de compléter son appréciation de la compatibilité d'une concentration avec le Marché commun à la lumière des mesures correctives proposées par les parties notifiantes, puisque, par définition, ces mesures ne pouvaient être envisagées avant la communication des griefs.
440. Néanmoins, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellés en des termes suffisamment clairs pour pouvoir remplir l'objectif que lui assignent les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive.
441. Il en va d'autant plus ainsi que, en l'occurrence, la Commission n'a pas procédé à la répression, sur le fondement des articles 81 CE et 82 CE, de comportements anticoncurrentiels d'ores et déjà consommés et dont les entreprises poursuivies n'auraient pu ignorer la matérialité. La Commission a constaté l'incompatibilité avec le Marché commun d'une opération de concentration affectant la structure concurrentielle des marchés sectoriels nationaux, tels qu'énumérés aux considérants 782 et 783.
442. En outre, dans les procédures de contrôle des opérations de concentration, la communication des griefs n'a pas pour seul objet d'identifier les griefs et de donner à l'entreprise destinataire la possibilité de présenter ses observations en réponse. Cet acte a également vocation à permettre aux parties notifiantes d'envisager l'opportunité de présenter des mesures correctives et, notamment, des propositions de cessions d'actifs et de mesurer suffisamment tôt, compte tenu de l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale du règlement n° 4064-89, l'ampleur nécessaire de ces cessions, en vue de rendre en temps opportun l'opération notifiée compatible avec le Marché commun.
443. De plus, il ressort de la lecture du point VI de la Décision que la Commission s'est, comme elle y est tenue en vertu du règlement n° 4064-89 (arrêt France e.a.-Commission, précité, point 221), livrée à une approche prospective de la situation de la concurrence susceptible de découler à l'avenir de l'opération de concentration, aux fins de statuer sur les propositions de cessions d'actifs présentées par Schneider.
444. La Commission était par conséquent tenue de préciser d'autant plus clairement les problèmes de concurrence soulevés par la transaction proposée, de façon à permettre aux parties notifiantes de présenter utilement et en temps voulu des propositions de cessions d'actifs susceptibles, le cas échéant, de rendre l'opération compatible avec le Marché commun.
445. Or, il ne ressort pas de sa lecture que la communication des griefs ait abordé avec suffisamment de clarté et de précision le renforcement de la position de Schneider face aux distributeurs français de matériels électriques basse tension, découlant non seulement de l'addition des ventes de Legrand sur les marchés de composants de tableaux électriques, mais aussi de la position prépondérante de Legrand sur les segments des équipements électriques ultraterminaux. Il convient d'observer notamment que la conclusion générale de la communication des griefs énumère les différents marchés sectoriels nationaux affectés par l'opération de concentration, sans mettre en évidence un adossement quelconque d'une position détenue par l'une des deux parties notifiantes sur un marché de produits donné à la position de l'autre partie sur un autre marché sectoriel.
446. Comme la Commission l'a confirmé au cours de la partie de sa plaidoirie relative à l'examen des remèdes effectué dans la Décision, ce renforcement résultait de deux facteurs, selon le considérant 811, qui renvoie à l'analyse concurrentielle des marchés pertinents : d'une part, les chevauchements purs et simples des parts de marché de composants pour tableaux divisionnaires et terminaux et, d'autre part, le renforcement de la position de Schneider vis-à-vis des grossistes, découlant de l'addition des ventes et de la position prépondérante de Legrand dans le secteur des équipements électriques ultraterminaux.
447. La Commission a également répété au cours de l'audience que les propositions d'engagement du 24 septembre 2001 concernant les marchés français des tableaux électriques n'auraient éliminé que l'addition des parts de marché de composants pour tableaux électriques.
448. Aurait, en revanche, subsisté le renforcement résultant de l'addition du poids de Legrand vis-à-vis des grossistes à celui de Schneider. En effet, l'entité issue de la fusion aurait gardé la majeure partie des activités ultraterminales de Legrand, qui confèrent à cette dernière une position de force envers les grossistes, de sorte que le problème de l'accès privilégié de la nouvelle entité à la distribution aurait continué à se poser.
449. La Commission souligne effectivement, au considérant 545, que Legrand détient en France des positions très significatives sur d'autres marchés de produits basse tension que les tableaux de distribution électrique et que Legrand dispose déjà de positions dominantes sur les marchés des prises et interrupteurs, des appareillages étanches, des matériels de fixation et de dérivation et des blocs autonomes d'éclairage et de sécurité. Cette précision est toutefois absente du passage correspondant de la communication des griefs (point 460).
450. Selon le point 501 de la communication des griefs, la transaction proposée "conduit à la naissance d'un groupe qui, sur de nombreux marchés de produits électriques basse tension, sera le principal fournisseur des grossistes avec une avance substantielle sur le second fournisseur". La Commission a néanmoins estimé devoir préciser, au considérant 590 de la Décision que "Ainsi qu'expliqué plus haut, ce sera notamment le cas en France".
451. Par ailleurs, il ressort du point 4 de sa note du 18 septembre 2001 adressée aux membres du comité consultatif en matière de concentration entre entreprises, relative aux propositions d'engagements de cessions d'actifs présentées par les parties notifiantes, que la Commission subordonnait son agrément aux remèdes proposés dans le secteur économique en cause à l'ampleur suffisante de ces cessions, de façon à éliminer tous les chevauchements concurrentiels identifiés dans la communication des griefs.
452. Or, un chevauchement concurrentiel ne peut se concevoir qu'au sein d'un seul et même marché sectoriel national et se distingue donc par nature de l'adossement, au niveau de la distribution, de deux positions prépondérantes détenues, dans un seul pays, par deux entreprises sur deux marchés sectoriels distincts mais complémentaires.
453. Il suit de là que la communication des griefs n'a pas permis à Schneider de mesurer dans toute leur ampleur les problèmes de concurrence identifiés par la Commission en raison de l'opération de concentration notifiée sur le marché français du matériel électrique basse tension appréhendé au niveau de la distribution.
454. Il s'ensuit que les droits de la défense de Schneider ont été méconnus à plusieurs égards.
455. Schneider a, d'abord, été privée de la possibilité de contester utilement sur le fond la thèse de la Commission consistant à retenir, au niveau de la distribution, le renforcement, en France, de la position dominante de Schneider dans le secteur des composants pour tableaux divisionnaires et terminaux en raison de la position prépondérante de Legrand dans les équipements ultraterminaux.
456. Schneider n'a pas reçu ainsi l'occasion de présenter utilement ses observations à cet égard aussi bien dans sa réponse à la communication des griefs qu'au cours de l'audition du 21 août 2001.
457. Si tel n'avait pas été le cas, la Commission aurait pu revenir sur sa position ou, au contraire, renforcer la démonstration de sa thèse par de nouveaux éléments, de sorte que la Décision aurait pu être différente en tout état de cause.
458. Schneider doit, ensuite, être regardée comme n'ayant pas bénéficié de l'opportunité de présenter utilement et en temps opportun des propositions de cessions d'actifs d'une ampleur suffisante pour permettre de résoudre les problèmes de concurrence identifiés par la Commission sur les marchés sectoriels français en cause.
459. Le Tribunal relève, à cet égard, que Schneider a souligné à l'audience qu'elle n'avait effectivement pas pu proposer en temps utile des remèdes aux problèmes de concurrence au titre desquels elle n'a pas contesté la Décision.
460. Schneider a pu être ainsi indirectement dépossédée de la possibilité d'obtenir un agrément que la Commission aurait pu donner aux remèdes proposés, si les parties notifiantes avaient été mises en mesure de présenter en temps opportun des propositions de désengagement d'une ampleur suffisante pour résoudre l'intégralité des problèmes concurrentiels identifiés par la Commission au niveau de la distribution en France.
461. L'incidence de ces irrégularités est d'autant plus grave que, comme la Commission l'a relevé plusieurs fois à l'audience, les remèdes constituent le seul moyen de préserver d'une déclaration d'incompatibilité une opération de concentration tombant sous le coup de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064-89.
462. La Décision étant, par conséquent, entachée d'une violation des droits de la défense, il y a lieu d'accueillir le moyen.
463. La Décision doit, dans ces conditions, être annulée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens et arguments articulés par Schneider au soutien de son recours et dirigés, notamment, contre l'appréciation par la Commission des propositions de cessions d'actifs présentées par Schneider à l'effet de rendre l'opération de concentration compatible avec le Marché commun.
464. En vertu de l'article 233 CE, il appartient, en effet, à la Commission de prendre les mesures que comporte l'exécution du présent arrêt d'annulation.
465. Ces mesures d'exécution doivent respecter les motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de l'arrêt (voir arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a.-Commission, 97-86, 99-86, 193-86 et 215-86, Rec. p. 2181, point 27). Les motifs pertinents du présent arrêt impliquent notamment, dans l'hypothèse où serait repris l'examen de la compatibilité de l'opération notifiée, que Schneider soit mise à même, pour les marchés sectoriels nationaux affectés à propos desquels l'analyse économique contenue dans la Décision n'a pas été écartée par le présent arrêt, à savoir les marchés sectoriels français, de faire utilement valoir sa défense et, le cas échéant, de proposer des mesures correctives répondant aux griefs retenus et préalablement précisés par la Commission.
Sur les dépens
466. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux de Schneider, conformément aux conclusions de celle-ci.
467. En application de l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Comité central d'entreprise de la SA Legrand et le Comité européen du groupe Legrand, parties intervenantes, supporteront leurs propres dépens.
468. Selon l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la République française supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre),
déclare et arrête :
1) La décision C (2001) 3014 final de la Commission, du 10 octobre 2001, déclarant une opération de concentration incompatible avec le Marché commun et le fonctionnement de l'accord EEE (affaire COMP-M.2283 - Schneider-Legrand), est annulée.
2) La Commission est condamnée à payer, outre ses propres dépens, ceux de Schneider Electric SA.
3) Le Comité central d'entreprise de la SA Legrand et le Comité européen du groupe Legrand supporteront leurs propres dépens.
4) La République française supportera ses propres dépens.