Conseil Conc., 7 novembre 2002, n° 02-D-67
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine des sociétés Jean Chapelle et Semavem à l'encontre des sociétés Darty, Caprofem et certains de leurs fournisseurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Komiha, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, M. Nasse, vice-président, Mme Mader-Saussaye, membre, en remplacement de M. Jenny, vice-président empêché.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre, enregistrée le 8 juillet 1992, par laquelle les sociétés Semavem et Jean Chapelle ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Darty et Caprofem ainsi que par certains de leurs fournisseurs ; Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et à la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ainsi que le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-49 du 14 novembre 2000 prononçant un sursis à statuer ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, la société Semavem et la société Concurrence venant aux droits de la société Jean Chapelle. Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et le représentant des sociétés Concurrence et Semavem entendus lors de la séance du 17 septembre 2002 ;
Les parties saisissantes exposent que la société Caprofem, lorsqu'elle est livrée et facturée par sa maison mère, la société Darty, obtient des ristournes par son intermédiaire, alors qu'elle ne remplit pas les conditions pour en bénéficier. De la sorte, la société Caprofem profiterait, dans le cadre d'une entente entre Caprofem, Darty et les fournisseurs en cause, d'une application discriminatoire des conditions de vente de ces fournisseurs, qui aurait pour effet de constituer un désavantage dans la concurrence au détriment des plaignantes.
Les fournisseurs cités dans la saisine, au nombre de 26, sont : Alpine, Bose, Cabasse, Canon, Daewo, Denon, Grundig, Hitachi, JVC audio, JVC vidéo, Kenwood, Luxman, Marantz, Minolta, Panasonic, Philips, Radiola, Saba, Sanyo, Schneider, Sharp, Sony, Technics, Telefunken, Thomson, Yamaha.
Selon le rapport d'enquête, la société Caprofem exerce une activité de grossiste et assure également l'exposition et la démonstration du matériel.
I - Constatations
A la suite de la saisine du 7 juillet 1992, sont intervenus les actes suivants :
- une demande d'enquête du rapporteur en date du 17 décembre 1993 ;
- des procès-verbaux des services d'enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en date des 15, 21 et 30 juin 1994 qui concernent les années 1990, 1991 et 1992 ;
- des courriers adressés aux fournisseurs par le rapporteur, datés du 17 avril 1997, concernant les conditions de vente pratiquées pour l'année 1992 ;
- un procès-verbal d'audition du représentant de la société Sony, en date du 24 avril 1997, établi par le rapporteur et concernant l'année 1992 ;
- un procès-verbal d'audition des représentants des sociétés Darty et Caprofem en date du 2 septembre 1999 établi par le rapporteur ;
- une précédente proposition de non-lieu adressée aux parties le 8 novembre 1999.
Par ailleurs, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont demandé aux parties saisissantes, par lettres des 15 juin 1994, 23 juin 1994 et 6 juillet 1994, de leur communiquer les conditions commerciales obtenues par les sociétés Concurrence et Semavem auprès des fournisseurs visés dans la saisine. Ces demandes réitérées sont restées sans suite.
L'examen des documents recueillis au cours de l'enquête administrative et de l'instruction fait apparaître que ces éléments concernent les années 1990, 1991 et 1992, à l'exclusion de l'année 1989.
A la saisine sont joints des courriers et télécopies échangés entre les sociétés requérantes et la société Thomson-Cofadel qui évoquent, notamment, la commercialisation des produits de marque Thomson, Saba et Téléfunken par la société Caprofem :
- télécopie de la société Semavem à Thomson-Cofadel du 13 octobre 1990 : "Téléfunken et Saba : (...) je constate aussi que ce qui m'est interdit par ces contrats (revente à Intermarché) est autorisé à Darty qui, par sa société de gros Caprofem, revend du Saba et du Téléfunken, en cash and carry, à des revendeurs, des artisans non signataires d'un contrat sélectif Thomson : Même problème avec Caprofem, j'ai signé le contrat et je le respecterai, c'est-à-dire que je ne vendrai pas aux Intermarchés qui ne rendent pas les services exigés au contrat grossiste. Par contre, je vous demande de prendre sans délai les mesures nécessaires auprès de Darty et de m'en rendre compte. Je vous demande communication des conditions de vente qui permettraient la revente dans les Intermarchés."
- télécopie de la SA Chapelle à Thomson-Cofadel du 20 octobre 1990 : "(...) m'étant adressé à la société Semavem pour obtenir des produits Thomson, Saba et Téléfunken, il m'a été répondu par cette société qu'elle ne pouvait me revendre ces marques en raison des méthodes de vente de nos établissements : ceci en application du contrat grossiste de votre société (Thomson) ou de vos contrats sélectifs (Téléfunken, Saba). Je suis très surpris, car adhérent du grossiste cash and carry Caprofem, je peux acheter des produits Thomson, Téléfunken et Saba (mais plus cher), sans que cette société ne s'inquiète de mes méthodes de vente : il en est de même pour d'autres grossistes."
- télécopie de la société Semavem à Thomson-Cofadel du 26 octobre 1990 : "(...) Caprofem revend à n'importe qui."
- courrier de la société Thomson à la société Semavem du 17 octobre 1990 : "(...) D'autre part, le client Caprofem a signé notre contrat de distribution grossiste Thomson et ne revend les produits Thomson à notre connaissance qu'à des professionnels assurant le SAV et la démonstration de nos produits."
- télécopie de la société Thomson à la société Chapelle du 29 octobre 1990 : "Merci d'accuser réception des nombreux éléments que nous vous avons transmis en contrats et tarifs de base. (...) En ce qui concerne la Caprofem, ce client a signé avec la marque un contrat grossiste et nous n'avons aucun élément à ce jour nous permettant de dire qu'il ne respecte pas les éléments y figurant."
- télécopie de la société Saba à M. Jean Chapelle du 30 octobre 1990 : "(...) D'autre part la société Semavem à laquelle vous faite allusion dans votre Téléx est en effet depuis peu l'un de nos nouveaux grossistes. Il est tout à fait normal qu'il ait refusé de vous revendre nos produits si les méthodes de vente de vos établissements ne répondent pas aux conditions contractuelles qui l'unissent à nous : elle ne fait que respecter ses engagements, comme doivent le faire nos revendeurs. La société Semavem nous a, d'ailleurs, fait part des mêmes observations que vous concernant la société Caprofem et la société Camif. Nous lui avons répondu qu'en ce qui concerne Caprofem, cette société est signataire du contrat de distribution grossiste Thomson et qu'à notre connaissance elle respecte les engagements qui en découlent. Cependant, comme vous êtes le second à nous signaler une éventuelle violation des contrats conclus par cette dernière, nous allons de façon interne vérifier ce fait."
L'instruction a établi que la société Caprofem, filiale à 100 % de la société Darty, est un grossiste dont la clientèle est constituée de professionnels. Sa publicité, que les entreprises plaignantes, ont jointe à leur saisine, indique : "Caprofem : centrale d'achats des professionnels de l'électroménager. Caprofem : pour qui ? la centrale d'achats est réservée aux seuls revendeurs et installateurs y adhérant. Pour vous inscrire, vous devez seulement justifier de votre appartenance à la profession (inscription au registre du commerce ou des métiers).". La société Jean Chapelle était adhérente de Caprofem depuis novembre 1989.
L'enquête effectuée par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a permis de constater que la société Caprofem n'a eu de relations commerciales directes qu'avec les fournisseurs suivants :
- pour l'année 1990 : Alpine/Luxman, Denon, Panasonic, Sony et Technics ;
- pour l'année 1991 : Alpine/Luxman, Denon, Panasonic, Sanyo, Sony et Technics ;
- pour l'année 1992 : Alpine/Luxman, Denon, JVC Vidéo, Panasonic, Sony et Technics ;
La société Semavem a commandé des produits en 1990 à Bose, Denon, JVC vidéo, Philips, Sony, Telefunken, Thomson et Yamaha, et en 1991, à Sony et JVC vidéo. En 1992, elle n'a passé commande auprès d'aucun des vingt-six fournisseurs visés dans la saisine. M. Chapelle a indiqué que, depuis novembre 1991, la société Semavem n'avait plus d'activité économique.
La société Jean Chapelle a passé des commandes, en 1990 et 1991, auprès de Bose, Canon, Denon, JVC vidéo, Sony et Yamaha, en 1992 auprès des mêmes à l'exception de JVC vidéo.
Pour sa part, la société Darty a communiqué des fiches accompagnées d'échantillons de factures établies, d'une part, par des fournisseurs à Darty, d'autre part, par Darty à Caprofem. Ces éléments permettent d'avoir connaissance des conditions auxquelles elle rétrocédait des produits à sa filiale Caprofem en 1992. Ils montrent que les rétrocessions étaient facturées par Darty à Caprofem à prix nets, sans qu'apparaissent des ristournes de services. Les prix de facturation coïncident avec ceux portés sur les factures des fournisseurs pour vingt-deux d'entre eux. Sur les factures de Darty à sa filiale ne figurent pas les ristournes de services ou de coopération commerciale spécifiques négociées entre les fournisseurs et la société Darty.
En ce qui concerne spécifiquement les fournisseurs communs, entre 1990 et 1992, au groupe Darty/Caprofem, d'une part, aux sociétés Semavem et Jean Chapelle, d'autre part, à savoir Sony, Canon, Denon, Yamaha, Bose et JVC Vidéo, Téléfunken, Thomson, les constatations suivantes peuvent être faites :
Pour Yamaha, le rapport d'enquête signale que Caprofem n'a pas vendu de produits de cette marque. Il n'y a donc pas eu de rétrocessions de Darty à Caprofem concernant ce fournisseur.
Les factures de Canon à Darty ne font apparaître qu'une partie des rémunérations figurant dans leurs accords pour 1990 et 1991. La fiche Canon, communiquée en 1997 par Darty au rapporteur, permet de constater que, dans le cadre de la revente à Caprofem, Darty rétrocède seulement les remises de base sur facture en ne répercutant ni la remise de volume semestrielle (7 %) ni la ristourne de coopération (1 ou 2 %). Sur ces documents n'apparaissent pas les rémunérations supplémentaires de 37 % dénoncées par la saisine. En tout état de cause, le prix facturé par Darty à Caprofem est supérieur de 8 à 9 % au prix, après ristourne, facturé par Canon à Darty. Le montant des achats de produits Canon par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 473 000 F.
Les fiches internes de Darty récapitulant les conditions consenties par Denon pour 1990, 1991 et 1992 portent la mention "prix nets sur facture". Les factures de Denon à Darty ne font apparaître aucune remise liée aux services signalés par la saisine. La fiche Denon communiquée au rapporteur en 1997 par Darty permet de constater que la rétrocession à Caprofem s'opère au même prix net que celui facturé par Denon, sans qu'apparaissent sur les factures les rémunérations supplémentaires de 30 % dénoncées par la saisine. Le montant des achats de produits Denon par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 334 000 F.
Les fiches internes de Darty récapitulant les conditions consenties par Bose pour 1990, 1991 et 1992 indiquent une remise de base sur facture initialement de 42 %, majorée de 5 % à partir d'avril 1991. Les factures de Bose à Darty ne font apparaître aucune remise liée aux services signalés par la saisine, mais seulement des prix nets. La fiche Bose, communiquée au rapporteur en 1997 par Darty, permet de constater que la rétrocession à Caprofem s'effectue au même prix net que celui facturé par Denon, sans qu'apparaissent sur les factures les rémunérations supplémentaires de 20 à 25 % dénoncées par la saisine. Le montant des achats de produits Bose par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 207 000 F.
Les accords entre Darty et Téléfunken pour 1990, 1991 et 1992 prévoient des remises sur facture liées à des réalisations quantitatives et non à des services, ce que confirment les factures et la fiche Téléfunken communiquée au rapporteur en 1997 par Darty. Le montant des achats de produits Téléfunken par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 226 000 F.
Pour Thomson, les factures présentent, entre le prix tarif et le prix facturé, un écart en moins de 35 % en 1990, 38 % en 1991 et 48 % en 1992, sans aucune précision sur le détail des rémunérations couvertes par cette remise globale. La fiche concernant Thomson, établie par Darty, indique que Darty rétrocède à Caprofem les produits de cette marque aux conditions accordées par Thomson à Darty. En réponse au rapporteur qui, en 1997, a tenté d'obtenir des informations plus précises, la société Thomson a indiqué qu'elle ne disposait plus des documents susceptibles de satisfaire à cette demande, en raison de l'ancienneté des faits. Le montant des achats de produits Thomson par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 2 516 000 F.
S'agissant de Sony, la comparaison des barèmes pour 1990, 1991 et 1992 avec les factures amène à constater que Darty bénéficie, sur facture, d'une rémunération maximale de 24 puis 25 %, ce qui correspond à la remise quantitative de 17 % assortie de la remise pour démonstration de 3 % et de la remise de livraison de 5 %. Par contre, n'y figure pas la ristourne hors facture pour le service après-vente de 3 %. La fiche Sony, communiquée au rapporteur en 1997 par Darty, permet de relever que, dans le cadre de la rétrocession à Caprofem, Darty facture au même prix que celui facturé par Sony incluant les trois remises précitées d'un taux global de 25 %. En revanche, il est établi qu'elle ne rétrocède pas à Caprofem la ristourne de service après-vente ni aucune autre rémunération qui pourrait résulter d'un accord de coopération spécifique entre Darty et Sony. Le taux global de remises ainsi répercuté à Caprofem est sensiblement inférieur à celui de 45 % annoncé par les saisissantes. Par ailleurs, les achats de produits Sony par Caprofem auprès de Darty ont représenté, en 1992, un montant de 314 000 F. Dans le même temps, les achats de Darty auprès de Sony se sont élevés à 397 997 000 F.
Pour JVC Vidéo, l'examen des barèmes de rémunérations pour 1990, 1991 et 1992 ainsi que des accords de coopération commerciale et des factures permet de relever que Darty bénéficiait sur facture d'une rémunération maximale de 21 % jusqu'en 1991 puis 27 % en 1992, de rémunérations de services par avoirs mensuels et de primes en francs distinctes par référence de produit, versées par avoir séparé si l'objectif quantitatif défini est atteint. Dans la fiche JVC communiquée au rapporteur en 1997, Darty précise qu'elle ne reversait à Caprofem que la remise sur factures et aucune des ristournes hors facture.
Jusqu'en 1991, cette remise sur facture était la remise de base de 21 % accordée "à tout revendeur professionnel". En 1992, la remise de base de 21 % a disparu, mais les rémunérations pour services ont figuré immédiatement sur la facture et n'ont donc plus été réglées par avoir différé. Darty en percevait 27 % soit la totalité des remises qualitatives. Par ailleurs, l'accord de coopération prévoyait le versement, différé d'un mois, d'une remise de 6 % pour programmation des commandes. Il concernait les achats groupés des entreprises appartenant à un même groupe.
Les éléments figurant au dossier montrent que Darty a refacturé les produits à Caprofem en incluant un total de remises de 24 % soit 9 % en moins par rapport au total des ristournes consenties par JVC à Darty. Ainsi, Darty n'a pas rétrocédé à Caprofem la remise de service après-vente (3 %) et la remise de gamme (6 %). Les 24 % correspondent, d'une part, à la remise de programmation de 6 % et, d'autre part, aux 18 % de remises qualitatives incluant la démonstration des produits aux clients (4 %), assurée par Caprofem, la régularité des paiements (4 %), l'assistance au service après-vente (4 %) laquelle consiste, notamment, à assurer la reprise des appareils en panne des clients pour les acheminer vers le centre agréé JVC lorsque le distributeur ne dispose pas de son propre service après-vente, et la remise de présentation (6 %). Le montant des achats de produits JVC Vidéo par Caprofem auprès de Darty s'est élevé, en 1992, à 233 000 F.
II - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,
Sur la procédure
Considérant que les parties saisissantes exposent que la proposition de non-lieu aurait dû être communiquée à Darty et à tous les fournisseurs visés par sa saisine ;
Mais considérant que l'article L. 464-6 du Code de commerce dispose que "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure" ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsqu'à la suite de son instruction, le rapporteur établit une proposition de non-lieu, seuls l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement sont admis à consulter le dossier et à présenter des observations ;
Sur la prescription
Considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce, reprenant les dispositions de l'article 27 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, dispose que : "Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ;
Considérant que la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 juillet 2001, rendu sur le pourvoi formé par la société Thomson France contre un arrêt rendu le 9 mars 1999 par la Cour d'appel de Paris, a jugé que la prescription prévue à l'article 27 de l'ordonnance précitée était acquise dès lors qu'aucun acte visant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits de la cause n'avait été effectué dans une période de trois ans courant à compter du dernier acte interruptif ;
Considérant que les diligences accomplies au cours de l'enquête ont permis de recueillir les courriers adressés chaque année par les fournisseurs à la société Darty, et dans lesquels ceux-ci récapitulent les ristournes tant quantitatives que qualitatives consenties à leur cliente en fonction des engagements pris par elle pour l'année considérée ; qu'il apparaît ainsi que les conditions de vente des fournisseurs, qui regroupent des remises sur factures, des ristournes différées et des accords de coopération spécifiques, rémunérations liées soit à des quantités soit à des services rendus, étaient, durant la période examinée, négociées annuellement en fonction des performances réalisées l'année précédente, des objectifs envisageables pour l'année à venir et de l'étendue des services sur lesquels le distributeur était prêt à s'engager ; que les rémunérations convenues entre un fournisseur et un distributeur pouvaient donc, chaque année, évoluer à la hausse ou à la baisse selon l'étendue des engagements pris par le distributeur pour l'année considérée ;
Considérant que le rapport en déduit que, les actes d'enquête interruptifs de prescription n'ayant concerné que les pratiques dénoncées au titre de l'année 1992 et non celles qui se sont situées au cours des années 1989, 1990 et 1991, la prescription est acquise en ce qui concerne ces trois années ; que les plaignantes soutiennent au contraire que la période dont le Conseil est saisi forme un tout et que les actes d'enquête concernant une année interrompent la prescription pour l'ensemble des comportements dénoncés ;
Considérant que le Conseil est saisi in rem des comportements susceptibles d'être imputés aux entreprises dans leur ensemble et pour l'ensemble de la période couverte par cette saisine; que, dès lors qu'il est établi qu'un acte tendant à la recherche à la constatation ou à la sanction de ces comportements, même s'il ne concerne qu'une des entreprises incriminées ou une partie seulement des faits commis pendant la période visée par la saisine, est intervenu avant le terme du délai légal de trois ans suivant le dernier acte interruptif, la prescription se trouve interrompue par l'effet de cet acte à l'égard de toutes les entreprises concernées et pour l'ensemble des faits dénoncés;
Considérant qu'en l'espèce, la saisine a été déposée le 8 juillet 1992 ; qu'en application des dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, précité, la recherche des comportements discriminatoires dénoncés pouvait remonter jusqu'au 8 juillet 1989 et porter sur les conditions de vente octroyées pour les années 1989, 1990, 1991 et 1992 ;
Considérant qu'entre la date de la saisine et la proposition de non-lieu établie par le rapporteur et adressée aux parties saisissantes le 17 avril 2002, sont intervenus plusieurs actes tendant à la recherche, la constatation et la sanction des comportements signalés dans la saisine pour la période correspondant aux quatre années visées par celle-ci ; qu'ainsi, à la suite d'une demande d'enquête en date du 17 décembre 1993, ont été établis par le service d'enquête des procès-verbaux d'audition en date des 15, 21 et 30 juin 1994 ; qu'ensuite, les rapporteurs successifs ont, tout d'abord, adressé, le 17 avril 1997, des courriers aux fournisseurs visés par la saisine, puis, procédé à des auditions de la société Sony le 24 avril 1997, des sociétés Darty et Caprofem en septembre 1999 ; que l'instruction ainsi menée a abouti à l'établissement d'un rapport de non-lieu en novembre 1999 ; qu'il en résulte que ces actes, accomplis successivement dans des délais inférieurs à trois ans par rapport au dernier acte interruptif effectué, ont interrompu la prescription pour l'ensemble des faits dénoncés;
Sur le fond
a) sur l'entente alléguée entre la société Caprofem et les fournisseurs mis en cause :
Considérant que l'instruction a établi que la société Caprofem n'avait eu aucune relation commerciale avec vingt et un des vingt-six fournisseurs incriminés en 1990, vingt en 1991 et 1992 ;
Considérant qu'en ce qui concerne les cinq ou six fournisseurs avec lesquels Caprofem a eu des relations commerciales directes sur la période considérée, il n'existe au dossier aucun élément permettant d'établir que cette société aurait bénéficié de la part de ces fournisseurs de conditions discriminatoires dont n'auraient pu bénéficier les sociétés saisissantes ; qu'à supposer même que les conditions octroyées par les fournisseurs à Caprofem aient été discriminatoires, ni la saisine, ni l'instruction n'apportent d'élément permettant de penser qu'aurait été conclu entre la société Caprofem et ces fournisseurs un accord de volontés en vue de limiter l'accès au marché ou la libre concurrence ; qu'en particulier, le dossier ne contient pas d'indice laissant présumer que Caprofem aurait demandé que les avantages dont elle aurait bénéficié ne soient pas octroyés à d'autres distributeurs, ni que les fournisseurs concernés auraient accédé à une telle requête ; que le représentant des sociétés Semavem et Concurrence en a convenu, lors de la séance, et a précisé que sa saisine visait à dénoncer une entente entre Darty et les fournisseurs ;
b) sur l'entente entre les sociétés Darty et Caprofem :
Considérant qu'en ce qui concerne la rétrocession de produits de certains fournisseurs à la société Caprofem par la société Darty, l'instruction a établi que Darty avait refacturé ces produits à Caprofem au même prix que celui que lui avait facturé vingt-deux des vingt-six fournisseurs concernés par la saisine ; que, pour les quatre autres, la refacturation a été faite à un prix supérieur ;
Considérant que, lors de son audition par le rapporteur, le représentant de la société Darty a précisé que la société Caprofem est une filiale à 100 % de la société Darty laquelle en est la gérante ; que les dirigeants de Caprofem sont nommés directement par la société mère et que les gammes de produits commercialisés par Caprofem sont déterminées à 80 % par Darty ; que les conditions d'achat aux fournisseurs sont négociées au niveau du groupe ;
Considérant que l'accord entre une société et sa filiale qui ne dispose pas d'une autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d'action sur le marché et qui forme une unité économique avec sa société mère n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce; qu'ainsi, de par le lien étroit de filialisation existant entre les deux sociétés et l'absence d'autonomie de la société Caprofem quant à sa politique et ses conditions d'achat, la pratique de rétrocession de produits, quel qu'en soit le contenu, ne relève pas des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce;
c) sur l'entente entre la société Darty et les fournisseurs mis en cause :
Considérant que l'instruction a établi qu'entre 1990 et 1992, les sociétés Darty et Caprofem ont eu huit fournisseurs en commun avec les sociétés Chapelle et Semavem, à savoir Bose, Canon, Denon, JVC Vidéo, Sony Téléfunken, Thomson, Yamaha ; qu'il convient d'examiner si les rétrocessions des produits de ces fournisseurs par la société Darty à la société Caprofem ont donné lieu à des traitements discriminatoires favorables à Caprofem au détriment d'autres entreprises et, notamment, des parties saisissantes ;
Considérant que, sur la période considérée, Caprofem n'a pas commercialisé de produits Yamaha et n'a donc pas bénéficié de rétrocessions de produits de cette marque de la part de Darty ; qu'en ce qui concerne les marques Canon, Téléfunken, Sony et JVC Vidéo, les éléments de fait, relatés dans la partie I de la présente décision, permettent de conclure que la société Darty, lorsqu'elle a rétrocédé des produits de ces marques à Caprofem, n'a pas répercuté à Caprofem la totalité des ristournes qu'elle avait obtenues de ces marques ; que, notamment, Darty n'a pas reversé à Caprofem, selon le cas, des rémunérations liées au service après-vente, à la gamme, ou à la coopération commerciale ; qu'en ce qui concerne les marques Denon, Bose et Thomson, il ressort des pièces figurant au dossier que Darty a répercuté à Caprofem soit les mêmes prix nets sur facture que ceux appliqués par le fabricant (Denon), soit une remise globalisée sans que les éléments recueillis permettent de déterminer si ces prix nets ou cette remise globale incluent des rémunérations (Bose, Thomson) ; qu'ainsi, pour cinq des fournisseurs en cause (Yamaha, Canon, Telefunken, Sony et JVC Vidéo), il est établi qu'aucune ristourne indue n'a été consentie par Darty à Caprofem et que, pour les trois autres (Denon, Bose et Thomson), il n'est pas démontré que des ristournes indues aient été consenties par la société mère à sa filiale ;
Considérant que les parties saisissantes sollicitent le renvoi du dossier à l'instruction afin qu'il soit procédé à de nouvelles investigations qu'elles estiment nécessaires ; que, cependant, l'enquête effectuée par les services de la DGCCRF a été d'abord complétée par des demandes de renseignements adressées aux fournisseurs au cours de l'instruction afin de vérifier, notamment, le contenu de leurs conditions générales de vente et de leurs barèmes de remises et ristournes, ce qui a permis d'apprécier les bases sur lesquelles fonctionnaient leurs relations avec la société Darty et de les comparer aux relations entre cette dernière société et sa filiale ; que, de même, il a été procédé par le dernier rapporteur en charge du dossier à l'audition d'un responsable de la société Darty et d'un responsable de la société Caprofem qui se sont expliqués sur les liens sociaux et économiques unissant ces deux entreprises ; qu'au vu de l'ensemble de la procédure, il n'apparaît pas que des diligences complémentaires pourraient apporter des éléments de preuve permettant de caractériser l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre Darty et les fournisseurs, communs ou non à cette entreprise et aux sociétés Chapelle et Semavem, visés par la saisine ;
Considérant, par ailleurs, que la qualification d'entente anticoncurrentielle suppose, pour pouvoir être retenue, que soit démontrée une volonté commune de deux ou plusieurs partenaires économiques de limiter ou de fausser le jeu de la concurrence ; qu'en matière de pratiques tarifaires, la jurisprudence, telle qu'elle ressort, notamment, d'un arrêt Sony rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 octobre 1996, exige, s'agissant de l'octroi de ristournes, l'existence d'éléments établissant que le fournisseur a consenti à certains distributeurs des dérogations aux stipulations contractuelles concernant les conditions d'attribution de ces avantages ;
Considérant que l'instruction n'a pas fait apparaître que les rétrocessions de produits par la société Darty à la société Caprofem auraient fait l'objet d'un accord entre la société Darty et les fournisseurs concernés, ni que cette rétrocession aurait été évoquée dans le cadre des conventions commerciales passées entre Darty et ces fournisseurs, ni que la société Darty aurait tenu ses fournisseurs informés de l'existence, de l'étendue et des conditions tarifaires de la rétrocession de leurs produits à Caprofem ;
Considérant que le représentant des parties saisissantes soutient, néanmoins, dans ses observations écrites, que les fournisseurs ne peuvent ignorer que les produits de leurs marques, commercialisés par Caprofem, sont rétrocédés à cette dernière par sa société mère ; qu'il a, en outre, déclaré, lors de la séance, qu'il avait écrit à tous les fournisseurs pour les alerter sur cette pratique de rétrocession de leurs produits par Darty à Caprofem ; qu'ainsi, à défaut d'accord formel, il existerait au moins un accord tacite entre Darty et les fournisseurs ;
Mais considérant, d'abord, que l'affirmation selon laquelle M. Chapelle aurait alerté tous les fournisseurs n'est appuyée d'aucun commencement de preuve, les seules pièces jointes à la saisine consistant en des échanges de courriers et de télécopies entre les sociétés Chapelle et Semavem et la société Thomson-Cofadel à propos des produits de marque Thomson, Saba et Téléfunken ; qu'il résulte de ces documents, dont le contenu a été rappelé au I ci-dessus, que les sociétés Chapelle et Semavem dénonçaient le fait que la société Caprofem revendrait des produits des marques Thomson, Saba et Téléfunken "à n'importe qui" et non le fait que la société Darty ferait bénéficier de façon indue sa filiale Caprofem de certaines ristournes obtenues par la société mère auprès du fournisseur Thomson ; qu'en réponse à ces courriers, la société Thomson a assuré qu'elle vérifiait que Caprofem respectait les conditions de son contrat grossiste et qu'à sa connaissance les reventes effectuées par la société Caprofem étaient conformes aux stipulations de ce contrat ;
Considérant, ensuite, qu'il n'existe au dossier aucun élément permettant de penser que, quel qu'ait été le contenu des accords liant la société Darty et les fournisseurs mis en cause, ces derniers n'auraient, en fait, rien ignoré des conditions de rétrocession de leurs produits à la société Caprofem, s'agissant, en l'espèce, du fonctionnement de relations contractuelles auxquelles ces fournisseurs n'étaient pas parties et dont ils n'avaient donc pas de raisons de connaître la teneur; qu'ainsi, et à supposer même que Darty ait répercuté à Caprofem des ristournes auxquelles celle-ci ne pouvait prétendre, un tel comportement ne saurait être qualifié d'entente anticoncurrentielle entre Darty et ses fournisseurs;
Considérant, au surplus et en tout état de cause, que le montant des achats de produits rétrocédés par Darty à Caprofem représente, en 1992, 1,25 % seulement des achats de Darty auprès des fournisseurs concernés, cette proportion tombant à 0,07 % pour la société Sony, qui, en 1992, a représenté 20 % des achats de Darty et qui est le principal fournisseur de la société Concurrence ; qu'il en résulte que la part des achats de Darty rétrocédée à Caprofem est faible et que, dans l'hypothèse où il serait établi que Caprofem a bénéficié de la part de sa société mère de conditions financières plus favorables que si elle avait traité directement avec les fournisseurs concernés, l'effet de ce comportement individuel sur le marché serait nécessairement très limité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que les sociétés Darty, Caprofem et les vingt-six fournisseurs cités dans la saisine aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'il y a lieu, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce ;
Décide
Article unique : il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.