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Décisions

Ministre de l’Économie, 21 août 2002, n° ECOC0200395Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Présidents de la société vermandoise de sucreries, de la SAFBA et de la Sucrerie agricole Colleville

Ministre de l’Économie n° ECOC0200395Y

21 août 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Messieurs les présidents,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 17 juillet 2002, vous avez notifié l'opération de fusion-absorption entre la société anonyme des sucreries de Fontaine-le-Dun-Bolbec-Aufrey (SAFBA) et la Sucrerie agricole de Colleville (la Sucrerie Colleville), dans le secteur de la fabrication du sucre.

I. - Les parties et l'opération

La SAFBA, société absorbante, fait partie du groupe Vermandoise, contrôlé par la famille fondatrice, par l'intermédiaire de deux sociétés cotées à la bourse de Paris, la société Vermandoise de sucreries et la société Champenoise de gestion. Le groupe Vermandoise est présent dans le secteur de la fabrication du sucre et, de manière marginale, dans le secteur de la fabrication d'alcool. Le chiffre d'affaires mondial du groupe s'élève à 314 millions d'euros, dont 160 millions sont réalisés en France. La SAFBA est implantée en Seine-Maritime, tandis que les trois autres sucreries du groupe Vermandoise se répartissent entre la Somme et l'Eure-et-Loir.

La Sucrerie agricole de Colleville est également un fabricant de sucre, contrôlé par la société betteravière de Colleville, elle-même contrôlée par des planteurs de betteraves. La Sucrerie Colleville vend la totalité de sa production à la société Sucre Union, chargée de sa commercialisation en France et à l'étranger. Le chiffre d'affaires de la Sucrerie Colleville est réalisé entièrement en France et s'élève à 25 millions d'euros. La Sucrerie Colleville est, tout comme la SAFBA, implantée en Seine-Maritime.

L'opération consiste en une fusion entre la Sucrerie Colleville et la SAFBA par laquelle les actionnaires de la société absorbée (la Sucrerie Colleville) recevront des actions de la société absorbante (SAFBA) en échange de leurs actions de la Sucrerie Colleville. A l'issue de l'opération, les actionnaires de la Sucrerie de Colleville se partageront 24 % du capital de la SAFBA, tandis que le groupe Vermandoise détiendra 76 % du capital de cette même société. En conséquence, le contrôle exclusif de la Sucrerie Colleville passera de la société betteravière de Colleville au groupe Vermandoise. A ce titre, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. L'opération est contrôlable, dans la mesure où les chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées dépassent les seuils prévus à l'article L. 430-2 du même Code.

II. - Les marchés en cause et l'analyse concurrentielle

Les parties sont toutes deux actives dans le secteur de la fabrication du sucre. A ce titre, elles interviennent en amont en tant qu'acheteurs de betteraves auprès de planteurs (i) et en aval en tant que vendeurs de sucre après transformation (ii).

A titre liminaire, il convient de souligner que le secteur de la fabrication du sucre fait l'objet depuis 1968 d'une réglementation communautaire dans le cadre de la politique agricole commune. Cette réglementation a été reprise par le règlement (CE) n° 1260-2001 du Conseil du 19 juin 2001 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (cf. note 1). L'objectif recherché est de protéger planteurs de betteraves et fabricants de sucre des fortes fluctuations du marché international, propres à désorganiser cette activité industrielle qui demande de lourds investissements. La réglementation repose sur un principe de contingentement de la production de sucre à destination du marché commun et de garantie de prix minimaux pour le sucre ainsi que pour les betteraves ou la canne à sucre récoltées dans la Communauté et nécessaires à la fabrication du sucre destiné au Marché commun. Le règlement précité est en vigueur jusqu'au 30 juin 2006.

Chaque Etat membre dispose ainsi d'un contingent de production de sucre relatif au volume nécessaire à la consommation annuelle des pays de l'Union (quota A) et d'un contingent prévu pour faire face à une éventuelle situation de pénurie (quota B). Ces contingents sont répartis par les autorités de chaque Etat entre les différents producteurs. Toute production supplémentaire hors quotas, dénommée sucre C, doit être exportée et vendue sur le marché mondial, sans bénéficier des mécanismes de soutien des prix. Le règlement (CE) n° 1260-2001 précité prévoit une marge de manœuvre accordant aux Etats membres la possibilité de modifier les quotas des entreprises dans la limite de 10 % afin de permettre une certaine adaptation structurelle de l'industrie, à condition que ces ajustements ne se fassent pas au détriment des intérêts des producteurs de betteraves ou de canne à sucre concernés.

Le règlement (CE) n° 1260-2001 fixe un prix minimum pour la vente de sucre A ou B ainsi que pour la vente de betteraves A ou B. En cas d'écoulement de sucre A ou B sur le marché mondial, un système de restitution de la différence entre le prix mondial et le prix d'intervention est prévu et financé par des cotisations à charge des producteurs de sucre. Le sucre importé d'Etats tiers à l'Union est quant à lui soumis à une taxation spécifique.

Enfin, il convient de préciser que le règlement (CE) n° 1260-2001 prévoit dans ses annexes IV et V les modalités relatives aux transferts des quotas entre entreprises, en particulier à la suite d'une fusion d'entreprises productrices de sucre :

" En cas de fusion d'entreprises productrices de sucre, l'État membre attribue à l'entreprise résultant de la fusion un quota A et un quota B respectivement égal à la somme des quotas A et à la somme des quotas B attribués, avant la fusion, aux entreprises productrices de sucre fusionnées (...). "

Au cas d'espèce, les quotas A et B de la Sucrerie Colleville doivent donc en principe venir s'ajouter aux quotas de la SAFBA.

(i) Le marché de l'approvisionnement :

L'approvisionnement en matière première est fonction des quotas de fabrication attribués à chaque producteur de sucre. En outre, la réglementation communautaire garantit que l'approvisionnement est proportionnel à la production de sucre A ou B. En ce qui concerne les parties à l'opération, le groupe Vermandoise s'adresse à 3 860 planteurs de betteraves, tandis que la Sucrerie Colleville est approvisionnée par 518 planteurs. Une centaine de planteurs fournissent ces deux sites de production. Les achats de betteraves représentent environ 85 % des achats des parties à l'opération.

Le transport des betteraves est généralement à charge de l'acheteur, ce qui explique que les planteurs ne sont pas trop éloignés des usines de transformation de sucre. Leur production ne peut donc être écoulée que dans une zone limitée au territoire du département où ils sont implantés et aux départements limitrophes. En l'espèce, la société absorbante et la société absorbée sont implantées toutes deux en Seine-Maritime.

L'annexe IV précitée du règlement concernant les modalités relatives aux transferts de quotas entre entreprises, prévoit que " lorsqu'une partie des producteurs de betteraves ou de cannes directement affectés par une des opérations visées au paragraphe 1 [fusion ou aliénation d'entreprises ou d'usines productrices de sucre] manifestent expressément leur volonté de livrer leurs betteraves ou leur cannes à une entreprise productrice de sucre qui n'est pas partie prenante à ces opérations, l'État membre peut effectuer l'attribution en fonction des quantités de production absorbées par l'entreprise à laquelle ils entendent livrer leurs betteraves ou leurs cannes ". Compte tenu de cette disposition, les planteurs conservent en principe la possibilité de s'orienter vers un autre producteur de sucre.

Cependant, cette possibilité est très limitée pour plusieurs raisons. En premier lieu, une demande expresse justifiée doit être faite au ministère de l'Agriculture, ce qui nécessite une procédure relativement longue dont l'issue n'est pas certaine. En deuxième lieu, il est nécessaire que les capacités d'absorption du producteur de sucre choisi permettent la transformation d'un volume de betteraves supplémentaire. En troisième lieu, les deux fabricants de sucre doivent donner leur accord au transfert de quotas. En dernier lieu, il convient de souligner que la Seine-Maritime et les zones géographiques proches comptent peu de fabricants de sucre distincts des parties à l'opération. Ces derniers disposent en outre de faibles capacités d'absorption. En effet, sur les 13 000 hectares de betteraves plantés dans cette région, les deux seuls sites susceptibles d'accueillir des planteurs de la région ne représentent que 400 hectares chacun. En d'autres termes, la possibilité de s'orienter vers un autre fabricant de sucre est particulièrement faible sur cette région.

Toutefois, en ce qui concerne les relations entre planteurs et producteurs de sucre, le règlement (CE) n° 1260-2001 précise qu'" il y a lieu de prévoir, dans le souci d'assurer un juste équilibre entre les droits et les devoirs entre fabricants et producteurs agricoles, les instruments nécessaires à cette fin et notamment l'instauration de dispositions-cadres communautaires régissant les relations contractuelles entre les acheteurs et les vendeurs de betteraves ". L'annexe III du règlement fixe ainsi les conditions d'achat des betteraves. Ces dispositions sont reprises et complétées dans des accords interprofessionnels au niveau des Etats membres.

Dans cette perspective, comme a pu le relever le Conseil de la concurrence dans son avis relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say (cf. note 2) , les relations entre fabricants de sucre et planteurs sont encadrées en France par des accords interprofessionnels annuels qui déterminent notamment les conditions de commercialisation des betteraves. Des accords sont également conclus au niveau de chaque site de production de sucre entre le transformateur et les planteurs qui approvisionnent le site, pour déterminer en particulier les conditions d'indemnisation des planteurs lorsque la campagne de transformation s'allonge et qu'elle impose des frais de stockage supplémentaires aux planteurs.

Dès lors, il convient de souligner que les producteurs de betteraves bénéficient d'une protection accrue dans leurs rapports avec les producteurs de sucre en vertu de la réglementation communautaire et des accords interprofessionnels qui fixent non seulement le prix d'achat des betteraves, mais également les conditions de vente et la charge des frais encourus. Cette analyse a été corroborée par les tests de marché effectués dans le cadre de l'instruction de la présente opération.

En conséquence, il y lieu de constater que, compte tenu de la législation protectrice des intérêts des producteurs de betteraves, l'opération ne sera pas de nature à modifier sensiblement la situation qui prévalait avant l'opération sur le marché de l'approvisionnement, sans qu'il ne soit nécessaire d'en préciser davantage la dimension géographique.

(ii) Les marchés de la commercialisation du sucre :

Selon la pratique, tant de la Commission (cf. note 3) que du Conseil de la concurrence (cf. note 4) ou du ministre (cf. note 5), deux marchés au moins doivent être distingués en matière de commercialisation du sucre : d'une part, le marché du sucre destiné à l'industrie, et, d'autre part, le marché du sucre destiné à la vente au détail, encore appelé sucre de bouche. Cette distinction est due essentiellement au fait que les produits ne sont pas destinés au même type de clientèle (industrie alimentaire ou distributeurs) ni au même usage (incorporation dans les préparations alimentaires ou vente du produit en tant que tel au consommateur final). Dès lors, des différences notables existent au niveau du conditionnement, du mode de distribution, mais aussi dans la spécialisation de certains sites industriels et, par conséquent, au niveau du prix de vente. Au cas d'espèce, les parties à l'opération ne sont présentes que sur le marché du sucre industriel.

Par ailleurs, dans sa décision Saint Louis Sucre/Südzucker, la Commission a estimé qu'en vertu de la réglementation en vigueur, qui a pour conséquence de cloisonner le marché du sucre, la dimension géographique des marchés est nationale. En ce qui concerne la France, il n'y a pas lieu de définir une segmentation plus fine du marché du sucre dans la mesure où l'essentiel de la production se situe au nord de la Loire et que la commercialisation des produits s'effectue sur tout le territoire français.

Le contingent de production attribué par la réglementation communautaire à la France s'élève à 3 258 746 tonnes de sucre, quotas A et B confondus. La part du groupe Vermandoise s'élève à environ 11 % de ce contingent, ce qui le place derrière Béghin Say (35 %) et Saint Louis Sucre (23 %). La part de la Sucrerie Colleville ne dépasse pas pour sa part 1 % du quota attribué à la France.

La consommation totale de sucre en France s'est élevée à 2,18 millions de tonnes de sucre en 2000/2001. Le sucre destiné à l'industrie représente 75 % de la production totale de sucre. On peut donc estimer le total du marché du sucre industriel à 1,635 million de tonnes. La part du groupe Vermandoise sur ce marché représente approximativement 10-20 % en volume, tandis que la part de la Sucrerie Colleville avoisine le 1 %. Il est à noter que les importations représentent à elles seules environ 28 % de ce marché. En d'autres termes, le renforcement de la part de marché du groupe Vermandoise est particulièrement faible.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Veuillez agréer, Messieurs les présidents, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,

Pour le ministre et par délégation : Le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, Jérôme Gallot

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

Note (s) :

(1) Journal officiel n° L 178 du 30/06/2001, p. 0001-0045.

(2) Avis n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.

(3) Aff. M. 2530, Saint Louis Sucre/Südzucker, 19 décembre 2001.

(4) Avis précité n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.

(5) Lettre du 5 février 1997 relative à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.