CA Lyon, 8e ch. soc., 1 juin 1993, n° 92-6653
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chacok Diffusion (SA)
Défendeur :
Jahiel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Camy, Cappon, Ducroux
I - FAITS, PROCEDURE, MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame Georgine Jahiel a été embauchée à compter du 4 mars 1980 par la SARL Chacok Diffusion, transformée en SA, en qualité de VRP Multicartes à l'effet de prospecter une clientèle pour le placement d'articles de prêt à porter féminin, diffusés sous la marque Chacok ;
La SA Chacok Diffusion a rompu le contrat de travail la liant avec Madame Jahiel, suivant courrier recommandé en date du 24 février 1992, en décidant de procéder à la mise à la retraite de Madame Georgine Jahiel, née le 21 septembre 1925 et remplissant les conditions d'ouverture à une pension de vieillesse, après un délai de prévenance de 3 mois expirant le 26 mai 1990.
La SA Chacok a, suivant courrier recommandé en date du 29 juillet 1992, délié Madame Georgine Jahiel de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail et a renoncé à se prévaloir de cette clause contractuelle à l'encontre de Madame Jahiel;
Par ordonnance de référé rendue le 9 novembre 1992, le Conseil de prud'hommes de Lyon " a ordonné à la SA Chacok Diffusion le paiement à Madame Jahiel " de la somme de 135 000 F " à titre de provision à valoir sur la contrepartie financière de la clause de non-concurrence pour la période allant de juin 1992 à octobre 1992 et de la somme de 2 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " ;
La SA Chacok Diffusion a régulièrement relevé appel de cette ordonnance de référé.
L'appelante soutient que Madame Jahiel domiciliée depuis 1988 à Paris ne peut prétendre bénéficier du statut des VRP en raison des conditions d'exercice de cette profession exclusives de l'application dudit statut. L'appelante rappelle que Madame Jahiel se borne à organiser des défilés de mode ou "show room" à l'hôtel Sofitel de Lyon sans prospection effective du réseau de magasins. L'appelante indique que cette manière de travailler exclut toute possibilité d'extension de la clientèle. La SA Chacok Diffusion expose ensuite que Madame Jahiel avait manifesté son accord pour partir en retraite et que du fait de ce départ en retraite, la clause de non-concurrence était devenue sans intérêt puisque Madame Jahiel n'envisageait pas de travailler à nouveau et ne subissait aucune restriction à l'occasion d'une réinstallation professionnelle improbable ;
L'appelante indique que la cause du paiement de cette contrepartie financière a disparu dès lors que l'éventualité d'une réinstallation entravée par l'existence de cette clause, est exclue. L'appelante soutient que l'article 17 de la Convention collective des VRP ne s'applique pas en cas de mise à la retraite par application de l'article L. 122-14-13 du Code du travail et qu'il existe une contestation sérieuse sur l'obligation de l'employeur de verser à un VRP mis à la retraite une contrepartie financière d'une clause de non-concurrence et sur l'application du statut de VRP à Madame Jahiel.
Madame Georgine Jahiel rappelle qu'elle a fait progresser dans des proportions importantes le chiffre d'affaires réalisé dans son secteur comprenant 14 départements et qu'elle a subi sa mise à la retraite comme un véritable "diktat". Madame Jahiel estime qu'elle est en droit de prétendre à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence instituée par l'article 17 de l'Accord National Interprofessionnel des VRP et qu'elle peut se prévaloir de ce statut dès lors qu'elle a prospecté la clientèle à elle confiée à la satisfaction de son employeur et que la pratique du "show room" est très usitée dans la profession et est bénéfique pour les parties au contrat de travail. Madame Jahiel soutient que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence est due à un VRP mis à la retraite dès lors que la liberté du travail lui permet de continuer son activité professionnelle en dépit de sa vocation à une pension de vieillesse qu'elle n'a pas fait liquider. Madame Jahiel sollicite, sur appel incident, que le montant de la provision soit porté à 275 170 F eu égard à la période désormais écoulée pendant laquelle elle a été privée de cette contrepartie financière
II - DISCUSSION
Attendu que Madame Georgine Jahiel peut, sans contestation utilement soulevée, prétendre bénéficier du statut des VRP Voyageurs, Représentants et Placiers institué par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail dès lors qu'elle a été embauchée en cette qualité pour la SA Chacok Diffusion, que cette qualité ne lui a jamais été déniée par son employeur pendant l'exécution de son contrat de travail (bulletins de paie mentionnant cette qualité et délivrance par l'employeur de l'attestation prévue à l'article R. 751-3 dudit Code certifiant que Madame Jahiel exerce une activité dans les conditions prévues par les articles L. 751 et suivants dudit Code) et que Madame Jahiel a effectivement exercé une activité de représentation conformément aux dispositions légales régissant le statut des VRP et conformément à son contrat de travail ;
Attendu que les conditions dans lesquelles elle a exercé depuis plusieurs années son activité de représentation à savoir organisation de défilés de mode des collections Eté et Hiver auxquels elle conviait la clientèle et au cours desquels elle recevait les commandes de celle-ci ne sont nullement exclusives de l'application du statut qui se borne à exiger que le VRP prospecte hors du siège de l'entreprise sans fixer les modalités, ni ne sont contraires au contrat de travail qui stipulait que la " clientèle était habituée à voir les collections sur mannequins " et que " le VRP s'engageait à respecter ce mode de présentation indispensable pour la bonne compréhension et la vente du produit Chacok " ;
Attendu que la SA Chacok Diffusion n'allègue pas que Madame Jahiel n'ait pas respecté des directives par elle énoncées concernant les modalités de prospection de la clientèle ;
Attendu qu'à supposer ce non-respect démontré, il n'entraînerait pas la non-application du statut mais fonderait en cas d'insuffisances de résultats avérées, le licenciement de Madame Jahiel ;
Attendu que le transfert par Madame Jahiel de son domicile hors du secteur prospecté n'entraîne pas la non-application du statut des VRP dès lors que ce changement de domicile a été porté à la connaissance de l'employeur qui le 4 février 1986 adressait à Madame Jahiel un courrier à son domicile parisien, sans faire état de cette situation nouvelle et dès lors que le contrat de travail ne faisait pas obligation à Madame Jahiel de résider dans le secteur prospecté ;
Attendu qu'au surplus, Madame Jahiel justifie avoir conservé un domicile à Lyon 94 rue Mercière pour lequel elle a acquitté en 1990, 1991 et 1992 la taxe d'habitation ;
Attendu que la clause de non-concurrence s'applique à tous les cas de rupture du contrat de travail d'un VRP y compris dans le cas où l'employeur met le VRP à la retraite, mise à la retraite qui n'implique pas que le VRP cesse toute activité professionnelle salariée pour le compte d'un autre employeur ;
Attendu que la clause de non-concurrence ne devient pas caduque ou sans objet après une mise à la retraite d'un VRP qui conserve la liberté d'exercer une activité professionnelle salariée ;
Attendu queMadame Jahiel n'avait pas manifesté clairement son intention de mettre fin définitivement à sa carrière professionnelle, ce qui aurait eu pour effet de priver d'objet la clause d'interdiction de concurrence et d'empêcher à Madame Jahiel de solliciter la contrepartie pécuniaire de ladite clause ;
Attendu que les premiers juges statuant en référé étaient donc fondés, en l'absence de contestation sérieuse sur l'application du statut des VRP au profit de Madame Jahiel et sur l'ouverture du droit à une contrepartie financière de la clause de non-concurrence au profit d'un VRP mis à la retraite, à allouer une provision ;
Attendu qu'il convient de porter le montant de cette provision à 220 000 F dès lors que cette contrepartie pécuniaire est due pendant la durée d'application de la clause de non-concurrence soit 2 années et qu'il s'est écoulé au jour où la cour d'appel statue 10 mois depuis le jour où cette contrepartie est due ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Déclare régulier en la forme l'appel interjeté par la SA Chacok Diffusion, Au fond, confirme l'ordonnance de référé attaquée en toutes ses dispositions, Toutefois y ajoutant, Condamne la SA Chacok Diffusion à porter et payer à Madame Georgine Jahiel la somme de 220 000 F à titre de provision totale, déduction à faire de la provision précédemment allouée, à valoir sur la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, Condamne la SA Chacok Diffusion aux dépens d'appel.