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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc., 19 décembre 1989, n° 4387-89

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vignaud

Défendeur :

Loyen (ès-qual.), Richard (Epoux), AGS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mellier (Conseiller faisant fonction)

Conseillers :

MM. Gaboriau, Chauvin

Avocats :

Mes Trarieux, Trassard, Penaud, Gendre.

CA Bordeaux n° 4387-89

19 décembre 1989

Faits et procédure :

La Cour est saisie du contredit formé par Mr Francis Vignaud à un jugement rendu le 26 juin 1989 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, dans un différend portant sur la qualité de salarié de l'appelant et les réclamations qu'il en a déduites et l'opposant à Me Loyen mandataire liquidateur de Mme Marie-Madeleine Bergey, propriétaire du fonds de commerce " Bar Hôtel Restaurant Le Terminus " et à Mr et Me Richard propriétaires des murs et cessionnaires du fonds, a rendu la décision suivante :

"Dit qu'il y a lieu de joindre les instances inscrites au rôle général sous les numéros 1802 et 1908/88,

Rejette l'exception de litispendance,

Constate l'absence de contrat de travail entre Mr Vignaud et Mme Bergey,

Se déclare incompétent pour connaître des demandes de Mr Vignaud au profit du Tribunal de grande instance de Bordeaux,

Condamne Mr Vignaud aux entiers dépens."

A l'appui de sa voie de recours, Mr Vignaud par conclusions des 10 juillet 1989 et 30 octobre 1989 récapitulées et complétées par conclusions du 31 octobre 1989, reprenant son argumentation initiale demande à la Cour :

* De dire que la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige né de l'exécution de son contrat de travail le liant à Mme Bergey et qui s'est poursuivi par tacite reconduction,

* De lui reconnaître dès à présent, en conséquence sa qualité de gérant salarié contestée par Me Loyen ès-qualités et les époux Richard,

* De renvoyer la procédure devant le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux afin qu'il soit statué sur ses demandes ou de renvoyer à une prochaine audience de la Cour pour évocation,

* De condamner Me Loyen ès-qualités et les consorts Richard aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* De déclarer irrecevables et mal fondées les demandes reconventionnelles de Maître Loyen ès-qualités et des consorts Richard.

Me Loyen ès-qualités de mandataire liquidateur de la liquidation des biens de Madame Bergey d'une part et Mr Richard d'autre part, sollicitent quant à eux la confirmation de la décision déférée et la condamnation de Mr Vignaud au paiement à chacun d'une somme de 3 000 F pour les frais irrépétibles engagés et aux dépens.

L'ASSEDIC du Sud-Ouest - AGS demande également la confirmation du jugement attaqué et le débouté de Mr Vignaud en toutes ses demandes.

Les faits de la cause et ceux de la procédure ont été exactement relevés dans la décision critiquée.

Il apparaît cependant utile de rappeler :

que Mr et Mme Richard sont propriétaires d'un immeuble situé à Carcans Plage dans lequel est exploité un fonds de commerce de Bar Hôtel Restaurant sous l'enseigne "Le Terminus",

que cet immeuble a été loué à titre commercial à Mme Bergey à compter du 20 juin 1980,

que le 1er avril 1986, Mme Bergey a conclu avec Mr Vignaud une convention intitulée "contrat de gérance salariée" valable jusqu'au 30 juin 1987,

que Mme Bergey, à l'issue de ce contrat s'engageait dans la convention elle-même à donner en location-gérance à Mr Vignaud ce fonds à partir du 1er juillet 1987 pour une durée de 5 ans aux conditions déterminées lors de sa conclusion,

qu'à la date prévue, Mme Bergey a refusé de donner l'établissement en location-gérance à Mr Vignaud qui a, cependant, poursuivi l'exploitation commerciale du fonds,

que par jugement du 22 septembre 1987, le Tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture du redressement judiciaire de Mme Bergey, lequel a été transformé en liquidation judiciaire par jugement du 3 novembre 1987,

que par ordonnance du 8 juin 1988 du Juge Commissaire, la cession du fonds de commerce a été autorisée dans le délai d'un mois à compter de l'ordonnance,

que Mr Vignaud seul candidat à l'achat du fonds n'a pas été en mesure de verser le prix de vente convenu soit 170 000 F dans le délai imparti,

qu'une résiliation amiable du bail, également prévue par l'ordonnance précitée à défaut de vente du fonds, est alors intervenue le 28 juillet 1988 entre Me Loyen en qualité de mandataire liquidateur de Mme Bergey et les époux Richard qui devaient reprendre possession de l'immeuble,

qu'après avoir en vain saisi le juge des référés pour obtenir l'expulsion de Mr et Mme Vignaud qui continuaient l'exploitation du fonds, les époux Richard ont alors engagé une action aux mêmes fins devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux,

que parallèlement à cette procédure, Mr Vignaud a saisi le Conseil de prud'hommes de Bordeaux afin de voir reconnaître sa qualité de gérant salarié,

qu'en raison de cette action prud'homale, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a sursis à statuer jusqu'au 19 décembre 1989,

que le Conseil de prud'hommes de Bordeaux a rendu sa décision le 26 juin 1989, objet du contredit soumis à l'examen de la Cour.

Décision de la cour :

La Cour relève au préalable que l'exception de litispendance soulevée par Me Loyen ès-qualités et les époux Richard en raison de la procédure en cours devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux n'est pas maintenue, puisque les parties citées demandent la confirmation de la décision du Conseil de prud'hommes de Bordeaux qui l'a rejetée.

Sur la qualité de gérant salarié de Mr Vignaud, la Cour, à l'examen des pièces du dossier et notamment du contrat conclu entre Mme Bergey et Mr Vignaud, constate :

que la seule convention signée entre Mme Bergey et Mr Vignaud avait pour terme le 30 juin 1987,

que postérieurement à cette date et jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, aucun accord nouveau n'est intervenu entre les parties malgré la poursuite de l'exploitation du fonds par Mr Vignaud,

qu'il convient, donc, de considérer que cette exploitation se faisait toujours sur la base de la convention initiale à défaut de résiliation par l'une ou l'autre des parties,

que l'analyse de ce contrat pourtant intitulé "contrat de gérance salariée", conduit à retenir qu'il s'agit en fait, d'une véritable convention de mandat passée entre la propriétaire du fonds de commerce et Mr Vignaud.

La Cour observe, en effet, comme les premiers juges :

que Mr Vignaud bénéficiait d'une rémunération dont la part essentielle résultait "d'une remise proportionnelle de 12 % du chiffre d'affaires",

qu'il bénéficiait, également, d'une totale indépendance de gestion et n'était soumis, contractuellement, qu'à un contrôle des comptes,

qu'en particulier, il n'était assujetti à aucune obligation personnelle concernant son travail hormis celle de consacrer tout son temps et ses soins à la gérance,

qu'il avait totale autorité et direction sur son personnel qu'il pouvait engager ou licencier en tant que de besoin sous sa responsabilité,

qu'en outre, il avait totale liberté de réaliser certains investissements indispensables au maintien de l'exploitation du fonds sans que soient précisés la nature et le montant de ces dépenses qui devaient lui être remboursées ultérieurement par Mme Bergey,

qu'enfin, il était tenu de garantir sa gestion par la consignation d'un cautionnement de 50 000 F dont il ne pouvait demander le remboursement qu'en fin de gérance,

que ces éléments sont totalement contraires à l'état de dépendance d'un gérant salarié soumis aux directives et aux contrôles d'un employeur.

La Cour relève, de surcroît :

que les modalités d'exécution de cette convention sont davantage encore de nature à établir l'absence de tout lien de subordination de Mr Vignaud à l'égard de Mme Bergey,

que Mr Theil, comptable de l'Etablissement a attesté que depuis la conclusion du contrat, Monsieur Vignaud "assurait seul la gestion de l'Entreprise" et lui adressait périodiquement les documents nécessaires,

qu'il a affirmé à l'enquêteur de l'URSSAF que depuis 1986 "il n'avait plus affaire à Mme Bergey en matière de gestion",

qu'il a même exclu Mr Vignaud du poste salaires sur son compte de résultats provisoire de 1987,

que Mr Vignaud, sans en aviser au préalable Mme Bergey, a fait des rénovations considérables non seulement à l'aide des fonds de l'Etablissement mais également à l'aide de ses deniers personnels pour un montant d'environ 250 000 F,

qu'il est même allé jusqu'à honorer certaines dettes antérieures à sa gestion pour un montant supérieur à 50 000 F,

que, certes, Mr Vignaud explique qu'il lui était impérativement nécessaire de payer ces dettes et de réaliser ces travaux au risque de voir fermer l'établissement,

qu'il en a, néanmoins, déterminé librement la nature et le montant,

qu'il n'en a avisé Madame Bergey le 10 décembre 1986 que lorsque celle-ci s'est plainte de ne recevoir aucun fruit de sa gestion,

que le 28 janvier 1987, Mr Vignaud a même mis en demeure Mme Bergey de régler sous huitaine la somme de 39 023,14 F représentant le déficit provisoire d'exploitation de l'exercice 1986.

Dans ces conditions, la cour considère :

que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la cause en retenant l'absence de véritable contrat de travail entre Mr Vignaud et Mme Bergey,

qu'il convient pour les mêmes motifs et ceux exposés ci-dessus de confirmer intégralement leur décision.

Eu égard aux éléments du dossier, la Cour n'estime pas justifié d'allouer aux parties une somme quelconque sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais condamne Monsieur Vignaud qui succombe aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare mal fondé le contredit formé par Mr Francis Vignaud à l'encontre du jugement rendu le 29 juin 1989 par le Conseil de prud'hommes de Bordeaux, Confirme en son entier la décision déférée, Rejette la demande de Mr Vignaud, de Me Loyen ès-qualités de mandataire liquidateur de Mme Bergey et des consorts Richard sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Mr Vignaud aux dépens d'appel.