CA Douai, 2e ch. civ., 16 novembre 1989, n° 1128-88
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Montalbano (SARL)
Défendeur :
Total CFD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bononi
Conseillers :
M. Besse, Mme Giroud
Avoués :
SCP Carlier Régnier, SCP Levasseur-Castille
Avocats :
Mes Meresse, Missery.
La SARL Montalbano, critiquant les conditions dans lesquelles la SA Total CFD a mis fin au contrat passé entre elles pour l'exploitation d'une station service, a réclamé diverses indemnités.
Par jugement du 7 janvier 1988, le Tribunal de commerce de Lille a débouté la SARL Montalbano et l'a condamnée à payer la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Montalbano a relevé appel de cette décision et demande à la Cour de l'annuler, subsidiairement de la réformer et de condamner la SA Total CFD à lui payer :
- la somme de 282 070 F, représentant la marge brute d'exploitation dégagée en 2 années, en réparation du préjudice que lui a causé la rupture abusive du mandat d'intérêt commun,
- la somme de 218 185,52 F sur le fondement de l'article 2000 du Code civil,
- la somme de 29 026,39 F au titre de solde comptable,
- les intérêts sur ces sommes ainsi que la capitalisation des intérêts, à compter de l'assignation,
- la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Total CFD demande à la Cour de confirmer le jugement et de condamner la SARL Montalbano à lui payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Discussion :
Le renvoi de l'affaire et l'échange contradictoire de conclusions entre les parties, postérieurement à l'ordonnance de clôture, justifient la révocation de ladite ordonnance ;
Sur l'annulation du jugement :
La SARL Montalbano considère que le jugement doit être annulé pour défaut de motifs.
La Cour constate qu'aucun motif n'est donné pour écarter la demande d'indemnité pour rupture abusive du mandat d'intérêt commun, ni pour écarter la réclamation fondée sur le solde du compte. Le jugement sera donc annulé pour défaut de motivation.
Sur l'indemnité pour rupture abusive du mandat :
L'article 1er du titre IV dispose que " les parties conviennent que le présent contrat recouvrant les deux activités, objet des titres II et III, qui devront s'exercer indivisiblement dans le cadre d'un fonds de commerce unique, aura une durée indéterminée commençant le 1er décembre 1982 avec faculté pour l'une ou l'autre des parties de le faire cesser à tout moment par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de 3 mois ".
Il résulte de ce texte et il n'est pas contesté par la SARL Montalbano que la SA Total CFD avait la faculté de mettre fin au contrat de mandat d'intérêt commun en respectant les formes convenues entre les parties.
La SARL Montalbano reproche à l'intimée d'avoir abusé de son droit en l'utilisant pour faire échec à la faculté qui lui était offerte par le contrat de s'adresser aux fournisseurs de son choix pour tous les produits non commercialisés par Total. Elle prétend que la SA Total CFD voulait lui imposer de passer par ses fournisseurs référencés, et que la résiliation du contrat n'a pas d'autre véritable motif que son refus de se soumettre aux demandes illégitimes de son cocontractant.
La SA Total CFD affirme au contraire que la résiliation est due à la chute brutale des ventes de lubrifiants Total au cours de l'année 1985.
Cependant les chiffres fournis par la société intimée elle-même, montrent que les ventes ont augmenté entre l'année 1983 et l'année 1984, et empêchent donc la SA Total CFD d'établir que la résiliation signifiée le 5 mars 1985, donc avant toute constatation de diminution significative des ventes, soit réellement motivée par une chute des ventes de lubrifiants.
La SA Total CFD indique également, et certainement plus exactement, que la résiliation s'explique par des motifs d'opportunité. Elle est en droit de le faire puisque le contrat n'exige pas que la partie qui exerce sa faculté de résiliation indique les motifs de son choix.
Cependant cette résiliation pour des motifs d'opportunité autorise la SARL Montalbano à démontrer que la SA Total CFD a abusé de son droit.
Elle entend le faire en relevant que cette société n'a jamais démenti la lettre du 20 juillet 1985 dans laquelle elle l'accusait d'exercer un " chantage " contre elle en la menaçant de résiliation pour lui faire renoncer à son approvisionnement chez des fournisseurs de son choix.
Il est exact que la SA Total CDF n'a pas répondu à ces accusations, comme elle n'a jamais précisé les motifs qui l'incitaient à résilier le contrat. Cependant il n'apparaît pas que le seul silence opposé aux demandes d'explications de la SARL Montalbano puisse démontrer que la SA Total CFD lui a enjoint de s'approvisionner auprès des fournisseurs référencés, ni qu'elle a utilisé la menace de la résiliation comme moyen de pression.
La SARL Montalbano reproche également à la SA Total CFD de n'avoir pas respecté les formes de la résiliation ; elle estime que la première lettre recommandée avec accusé de réception lui ayant été adressée le 8 mars 1985, la seconde devait être envoyée le 8 juin 1985 et non le 5 juin comme elle l'a été.
Cependant le fait que la période de pré-résiliation ait été abrégée de 3 jours sur 3 mois, et que la période de préavis ait été prolongée de 3 jours sur 3 mois ne permet pas de dire que les formes n'ont pas été respectées dans la mesure où le léger décalage constaté est inévitable en pratique, qu'il n'a causé aucun préjudice à la société appelante et lui a au contraire permis d'être définitivement fixée sur son sort 3 jours plus tôt qu'il est exigé.
La discussion engagée sur le point de savoir si la prolongation du préavis jusqu'au 2 décembre 1985 a été demandée par la SARL Montalbano ou au contraire par la SA Total CFD pour lui donner le temps de trouver un gérant est sans pertinence, car à supposer même que cette dernière version des faits soit établies, elle n'aurait aucune conséquence sur l'appréciation du caractère abusif ou non de la rupture.
En définitive la Cour constate que la SARL Montalbano ne démontre pas ce caractère abusif, et qu'elle ne peut donc qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur la demande fondée sur l'article 2000 du Code civil :
L'article 1999 du Code civil dispose que le mandant doit rembourser au mandataire ses frais et l'article 2000 du même code qu'il doit aussi l'indemniser des pertes essuyées à l'occasion de sa gestion.
La SARL Montalbano en déduit que la SA Total CFD doit l'indemniser des pertes d'exploitation entraînées par le manque de rentabilité de la vente des carburants, eu égard à l'importance des frais entraînés par cette activité. Elle commet ainsi un contresens en assimilant es " pertes essuyées par le mandataire à l'occasion de sa gestion " avec les pertes générées par les frais trop élevées de son exploitation.
En effet, la SARL Montalbano a pour mandat de stocker le carburant fourni par la SA Total CFD, de le vendre pour le compte de cette dernière, et de percevoir une commission. Dans la gestion de ce mandat, les pertes ne peuvent survenir qu'à l'occasion d'évènements tout à fait exceptionnels. Certes la gestion de ce mandat nécessite d'engager les frais inhérents à toute exploitation commerciale, et comptabilisées dans les comptes de charges, mais ces frais doivent être distingués des pertes qui recouvrent une notion entièrement différentes et qui sont comptabilisés dans les comptes de pertes exceptionnelles.
La SARL Montalbano ne justifie pas avoir essuyé des pertes à l'occasion de sa gestion ; elle ne fait état que des frais qui sont rémunérés par le paiement de la commission forfaitaire prévue contractuellement ; elle doit donc être déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 2000 du Code civil.
Sur le solde de compte :
La SARL Montalbano réclame la somme de 29 026,39 F se décomposant de la manière suivante :
- redevance de décembre 1985 : 11 099,77 F
- redevance de janvier 1986 : 11 099,77 F
- Solde du compte : 6 826,85 F
29 026,39 F
La SA Total CFD fait justement remarquer :
- que la SARL Montalbano a exploité le fonds le 1er décembre 1985 et doit pour cette journée la somme de 358,06 F,
- que le compte faisant apparaître le solde de 6 826,85 F comporte une écriture du 30 décembre 1985 d'un montant de 21 841,48 F portée au crédit de la SARL Montalbano et correspondant au remboursement des redevances des 30 derniers jours du mois de décembre 1985 et du mois de janvier 1986.
La SARL Montalbano ne peut donc prétendre qu'au solde du compte d'un montant de 6 826,85 F.
Sur l'article 700
Il n'apparaît pas que les circonstances en l'espèce justifient en équité l'octroi à l'une ou l'autre des parties, d'une indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur les dépens :
La SARL Montalbano se voit déboutée de l'essentiel de ses demandes, à l'exception d'un solde de compte insignifiant. Elle sera donc condamnée à payer la totalité des dépens.
Par ces motifs, Révoque l'ordonnance de clôture et déclare recevables les conclusions échangées postérieurement entre les parties, Annule le jugement, Statuant à nouveau, condamne la SA Total CFD à payer à la SARL Montalbano la somme de 6 826,85, avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 10 janvier 1986, et capitalisation desdites intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil et ce à compter du 2 février 1989, date à laquelle elle a été demandée, Déboute la SARL Montalbano du surplus de sa demande, Condamne la SARL Montalbano aux dépens de première instance et d'appel et pour ces derniers, autorise la SCP Levasseur-Castille à les recouvrer directement dans la mesure prévue par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.