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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 14 octobre 1998, n° 9707511

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence Trogoff Immobilier (SARL)

Défendeur :

Guyot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarède

Avoués :

Mes Gautier, D'aboville & De Moncuit St Hilaire

Avocats :

Mes De La Brosse, Faure.

T. com. Lorient, du 5 sept. 1997

5 septembre 1997

Exposé des faits-procédure-objet du recours

Par contrat du 9 avril 1994, la société Agence Trogoff Immobilier, agence immobilière, a confié à Catherine Guyot un mandat d'agent commercial. Par lettre du 12 décembre 1995, la société Agence Trogoff Immobilier a mis fin au contrat en allégant l'existence de fautes à la charge de l'agent.

Par jugement rendu le 5 septembre 1997, le Tribunal de commerce de Lorient a cependant condamné la société Agence Trogoff Immobilier à payer à Catherine Guyot :

- 25 000 F de dommages-intérêts en raison de l'application abusive de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat (la société Agence Trogoff Immobilier ayant tenté d'empêcher Catherine Guyot d'exercer son activité auprès d'autres agences), outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- 123 118,56 F à titre d'indemnité compensatrice de rupture du contrat, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- 9 966 F au titre d'honoraires dus sur un dossier Rohu-Liber, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- 4 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par acte du 18 septembre 1997, la société Agence Trogoff Immobilier a formé appel de ce jugement.

Moyens proposés par les parties

A l'appui de son appel, la société Agence Trogoff Immobilier fait valoir que :

- Catherine Guyot a commis des fautes graves justifiant la rupture du contrat sans indemnité,

- en tout état de cause, Catherine Guyot ne subit aucun préjudice,

- la signature de l'acte authentique n'étant intervenue qu'en août 1996, la commission concernant le dossier Rohu-Liber n'est pas due à l'agent qui ne pouvait prétendre être commissionné que sur les affaires conclues dans les six mois de la rupture.

En conséquence, la société Agence Trogoff Immobilier demande à la cour de rejeter les demandes de Catherine Guyot, mais aussi de la condamner à lui payer 60 000 F de dommages-intérêts correspondant aux commissions perdues en raison de son comportement fautif, 50 000 F pour actes de concurrence déloyale postérieurs à la rupture et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Catherine Guyot fait valoir que :

- aucune faute grave n'est établie à son encontre, aussi l'indemnité compensatrice de la rupture du contrat lui est-elle due,

- la société Agence Trogoff Immobilier a violé la clause de non-concurrence,

- les demandes présentées par la société Agence Trogoff Immobilier ne sont pas fondées,

- la commission concernant le dossier Rohu-Lider lui est due.

Elle conclut à la confirmation de la décision déférée et sollicite 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

La clause de non-concurrence

Considérant qu'une clause de ce type était insérée dans le contrat, en son article 11 ainsi rédigé : "En cas de rupture de contrat de la part de l'agent, l'agent s'interdit durant six mois toutes concurrences envers l'agence dans un rayon de 10 kms"; que cette clause ne pouvait être invoquée par la société Agence Trogoff Immobilier après la rupture du contrat, le contrat ayant été dénoncé par elle et non par l'agent commercial ;

Considérant cependant que, plus de trois mois après la rupture du contrat, soit le 20 mars 1996, la société Agence Trogoff Immobilier adressait une lettre recommandée à Catherine Guyot en faisant état de ladite clause qui, selon ses termes, lui interdisait d'exercer ses "activités à Carnac"; qu'elle adressait une copie de ce courrier à l'agence Immobilière du Chateau pour le compte de laquelle l'agent travaillait ; qu'elle adressait un nouveau courrier comminatoire à cette agence le 23 mars 1996, lui interdisant d'embaucher Catherine Guyot avant le 13 juin 1996 et lui indiquant "qu'avant cette date" elle "l'assignerait devant le tribunal" ;

Considérant que, le 30 mars 1996, l'agence Immobilière du Chateau décidait de surseoir à l'embauche de Catherine Guyot, lui demandant de "considérer" qu'elle ne faisait plus partie de sa société tant que la clause ne serait pas levée ; que le 30 avril, cette agence refusait de donner suite à son embauche au vu "des agissements véhéments" de son ex-employeur ; que la société Agence Trogoff Immobilier a également dénigré Catherine Guyot aux yeux d'une autre agence, AIF Immobilier, ce qui ne saurait être justifié par les propos tenus par Catherine Guyot à un client sur le fait que des commissions seraient demandées par la société Agence Trogoff Immobilier lors de l'évaluation de biens ;

Considérant qu'elle a ainsi entravé Catherine Guyot dans l'exercice de son travail et lui a causé, par ces fautes, un préjudice que les premiers juges ont justement fixé, au vu des éléments produits, à 25 000 F, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

L'indemnité compensatrice

Considérant que l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture d'un contrat d'agent commercial par le mandant est due, excepté lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent;

Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque :

- le fait allégué par la société Agence Trogoff Immobilier, qui reproche à Catherine Guyot d'avoir mis en vitrine les photos de la maison de Mme Cavin sans mandat de vente, ne saurait caractériser une faute grave de l'agent à son égard, dès lors que celui-ci fait état d'une pratique de l'agence confortée par la production d'une photo d'une maison située à Pluneret mise en vitrine par l'agence sans que le bon de visite ne fasse état d'un numéro de mandat et qu'ainsi l'agent n'a fait qu'adopter le propre comportement du mandant,

- la production de trois bons de visite sans numéro de mandat avec le nom de l'agent ne démontre pas davantage, et pour les mêmes raisons, l'existence d'une faute grave de l'agent à l'égard du mandant, qui d'ailleurs ne s'en était pas offusqué à l'époque,

- le fait d'avoir raturé une offre (celle de M. et Mme Laignel) ne constitue pas non plus en l'espèce une faute grave, l'agent - qui n'avait pas participé à la négociation - ayant adressé aussitôt à son signataire l'offre prévoyant la mise à sa charge de la commission (disposition visée par les ratures),

- le fait d'envoyer à clientèle des lettres à en-tête de l'agent commercial sans référence à la qualité de gérant ni aux mentions obligatoires prévues par la loi ne constitue pas davantage une faute grave dès lors qu'elles ont été imprimées par informatique avec l'en-tête de l'agence et que l'agent n'a fait qu'utiliser, sans le modifier, le logiciel mis à sa disposition par le mandant,

- la société Agence Trogoff Immobilier ne peut reprocher à l'agent la mise à sa disposition d'un bureau et de ses accessoires, dont elle assumait les frais, puisque c'est elle-même qui avait librement consenti cette mise à disposition,

- la seule existence de résultats jugés insuffisants par le mandant ne suffit pas pour caractériser une faute grave imputable à l'agent, dont il n'est nullement démontré qu'il ait fait preuve de carence dans l'organisation de son travail ;

Considérant ainsi que l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial est due par le mandant;

Considérant que ce préjudice ne saurait être compensé par celui que prétend subir, à tort, le mandant, ce dernier n'apportant nullement la preuve d'un préjudice lié à une faute de l'agent, notamment lors de la transaction Laignel, la négociatrice Mme Bouvier ayant attesté que l'offre avait été raturée à son initiative du fait que le contenu de l'offre était incomplet, "car il n'était pas précisé que le prix convenu était net vendeur" ; que la réduction de la commission n'est due qu'au refus de M. Leignel de la prendre en charge ;

Considérant de même qu'il n'est nullement démontré par l'agence que l'agent ait, postérieurement à la rupture du contrat, détourné la clientèle de l'agence qui intervient pour des affaires conclues ponctuellement par des clients dans un secteur soumis à la concurrence ;

Considérant au vu de ces éléments que les premiers juges ont justement fixé à 123 118,56 F l'indemnité compensatrice de rupture du contrat, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

Le dossier Rohu-Liber

Considérant que si l'article 8 du contrat ayant lié la société Agence Trogoff Immobilier et Catherine Guyot prévoyait qu'en cas de cessation du contrat les commissions ne seraient dues à l'agent que pour les affaires engagées par lui "conclues dans le délai raisonnable de six mois", la commission de 9 966 F sur le dossier Rohu-Liber est due à l'agent, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, dès lors que le compromis a été signé le 2 novembre 1995 (la signature de l'acte authentique n'étant intervenue qu'en août 1996 pour des raisons qui ne sont pas imputables à l'agent) et que l'agent, ainsi que l'a écrit Mme Rohu, a mené la négociation " avec compétence et célérité " ;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Les frais irrépétibles et les dépens

Considérant que la société Agence Trogoff Immobilier, qui échoue en son recours, n'est pas fondée à réclamer le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens ;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Catherine Guyot les nouvelles sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 F, cette somme s'ajoutant aux frais irrépétibles justement alloués par les premiers juges ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Condamne en outre la société Agence Trogoff Immobilier à verser à Catherine Guyot 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Agence Trogoff Immobilier aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.