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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 25 février 1999, n° 9604638

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maisons Viva (SA)

Défendeur :

Houbart

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Credeville

Conseillers :

MM. Dragne, Pérignon

Avoués :

SCP Gallière-Lejeune, SCP Hamel-Fagoo

Avocats :

Mes Person, Lhomme.

TGI Bernay, du 12 sept. 1996

12 septembre 1996

Les faits et la procédure

Suivant convention du 3 novembre 1989, intitulée " contrat de travail ", Mme Houbart a travaillé comme mandataire pour la SA Maisons Viva, avec pour mission " la recherche de tous marchés en vue du placement des articles suivants : maisons individuelles commercialisées par la société Maisons Viva selon son catalogue " ;

Par courrier du 21 avril 1994, la SA Maisons Viva lui a fait connaître qu'elle entendait mettre fin à cette collaboration.

Le 6 avril 1995, Mme Houbart a fait assigner la SA Maisons Viva en paiement d'indemnités de rupture devant le Tribunal de grande instance de Bernay qui, par jugement rendu le 12 septembre 1996, a :

- condamné la SA Maisons Viva à payer à Mme Houbart les sommes suivantes :

- 360 360 F à titre principal,

- 18 500 F HT,

Lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- 6 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées,

- condamné la SA Maisons Viva aux dépens.

Le 16 octobre 1996, la SA Maisons Viva a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Les prétentions des parties

La SA Maisons Viva expose principalement que :

- contrairement à ce qu'elle affirme, les résultats de Mme Houbart étaient notoirement insuffisants par rapport à ses objectifs et aux résultats des autres commerciaux de la société,

- en réalité, elle a cherché à provoquer une rupture du contrat à son avantage pour rejoindre son mari qui venait de prendre sa retraite,

- l'attitude de Mme Houbart est constitutive d'une faute grave de nature à justifier la rupture du contrat et à la priver de toute indemnité,

- en outre, la convention signée avec Mme Houbart, qui visait à l'apport de contrats de construction, ne peut s'analyser comme un contrat d'agent commercial,

- subsidiairement, il convient de réduire le montant des indemnités en fonction du préjudice réellement subi et prouvé.

Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :

- débouter Mme Houbart de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer une somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sollicite en outre la révocation de l'ordonnance de clôture au motif que Mme Houbart a conclu trois jours avant que celle-ci n'ait été rendue, sinon le rejet des dernières conclusions de Mme Houbart.

Mme Houbart soutient notamment que :

- malgré une situation économique difficile, elle a réussi à maintenir ses résultats à un niveau élevé,

- elle a dû subir en outre l'attitude déloyale de son mandant qui démarchait directement des clients sur son secteur ou lui imposait la concurrence d'autres agents commerciaux,

- la SA Maisons Viva n'apporte pas la moindre preuve des fautes alléguées à son encontre, en particulier, sa prétendue baisse de motivation et son " désinvestissement ",

- la SA Maisons Viva n'est pas fondée à contester la nature de contrat d'agent commercial de la convention qui la liait à Mme Houbart au seul motif qu'elle apportait une clientèle de " particuliers " et non une " clientèle commerciale ",

- compte tenu du préjudice subi, l'indemnité allouée par le tribunal est parfaitement justifiée,

Elle demande donc à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la SA Maisons Viva de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer une somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Elle fait remarquer par ailleurs qu'elle n'a pu conclure pour la dernière fois que le 15 décembre 1998 en raison des conclusions tardives de la SA Maisons Viva et que la demande de celle-ci tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture ou au rejet de ses propres écritures est injustifiée.

Sur ce LA COUR :

Sur la procédure :

Attendu qu'aux termes de l'article 15 du nouveau Code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ;

Que l'article 16 précise que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'il lui appartient notamment d'écarter des débats les conclusions de dernière heure ;

Attendu de plus qu'aux termes de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ;

Attendu en l'espèce que Mme Houbart a signifié ses dernières conclusions le 15 décembre 1998, soit trois jours avant l'ordonnance de clôture rendue le 18 décembre 1998 ;

Que cependant, il convient de constater que ces conclusions répondent à des conclusions signifiées seulement le 22 octobre 1998 par la SA Maisons Viva alors que les précédentes écritures au fond de Mme Houbart lui avaient été signifiées le 20 mai 1997, soit 17 mois auparavant ;

Qu'il ne peut être dès Iors reproché à Mme Houbart d'avoir conclu tardivement au regard des dispositions légales ci-dessus rappelées ;

Qu'il en résulte que les dernières écritures de Mme Houbart seront déclarées recevables et qu'en l'absence de justification de toute cause grave, l'ordonnance de clôture sera maintenue et les conclusions ainsi que les pièces communiquées par la SA Maisons Viva postérieurement à celle-ci seront écartées des débats ;

Sur le fond

- Sur la nature du contrat litigieux :

Attendu que le contrat du 3 novembre 1989, dont il n'est pas discuté qu'il a été improprement dénommé " contrat de travail ", mentionne que Mme Houbart " accepte le mandat qui lui est ainsi donné et s'engage à représenter la société Maisons Viva par elle-même ou ses préposés " et fait expressément référence aux dispositions du décret du 23 décembre 1958 portant statut de la profession d'agent commercial ;

Qu'en particulier, il est indiqué que Mme Houbart " qui déclare satisfaire aux dispositions de l'ordonnance n° 59-26 du 3 janvier 1959, portant application aux activités de représentation de la loi du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles, exercera cette représentation sans aucun lien de subordination et dans la position d'agent commercial mandataire ; qu'elle " déclare faire son affaire personnelle de toutes démarches et formalités nécessaires à son immatriculation au Registre spécial des agents commerciaux, tenu au greffe du tribunal de commerce de son domicile ; qu'il est établi que ces démarches ont été effectuées ;

Que les parties, en visant ces textes spécifiques, ont donc expressément voulu inscrire leur relation dans le cadre d'une convention d'agent commercial ;

Qu'au surplus, les obligations tant du mandant que du mandataire stipulées pages 2 et 3 du contrat, ainsi que l'objet de la convention ne laissent aucun doute sur la nature de contrat d'agent commercial de celle-ci, le fait que la clientèle soit constituée de " particuliers " étant évidemment sans incidence sur la qualification du contrat ;

- Sur la rupture :

Attendu que la convention litigieuse prévoit que le mandat est donné pour une durée indéterminée à compter du jour de la signature et que la partie qui entendrait y mettre fin devrait en informer son cocontractant par lettre recommandée avec accusé de réception et respecter un préavis d'un mois ;

Qu'il est précisé que le secteur géographique d'intervention de Mme Houbart est " celui dans lequel elle travaille habituellement, à savoir les départements de l'Eure, du Calvados, de la Seine Maritime et du nord des Yvelines " et qu'il ne s'agit pas d'un secteur exclusif, le mandant pouvant le revoir à tout moment ;

Que l'article 5 prévoit que Madame Houbart devait réaliser un minimum de deux ventes par mois et que l'absence de réalisation de ce quota pouvait entraîner la résiliation du contrat sans indemnité ;

Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 avril 1994, la société Maisons Viva a fait savoir à Mme Houbart qu'elle entendait mettre fin à leurs relations contractuelles au motif qu'elle n'avait réalisé qu'une vente depuis le 1er novembre 1993 ; que cette résiliation serait effective dans le délai d'un mois à compter de la réception du courrier ; qu'aucune indemnité n'était prévue ;

Mais attendu que la loi d'ordre public du 25 juin 1991 prévoit que l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (article 12) sauf si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent (article 13/a) ;

Qu'est réputée non écrite toute clause ou convention contraire à ces dispositions (article 16) ; qu'aucun préavis n'est prévu en cas de faute grave de l'une des parties (article 11);

Que ni la non-réalisation d'un quota ni la non réalisation d'un chiffre d'affaires minimum ne sont en elles-mêmes constitutives de fautes graves;

Que la faute grave doit être caractérisée par le comportement de l'agent commercial tel que l'inactivité, le dénigrement, une activité concurrentielle déloyale, des pratiques contraires à la loi, etc. ;

Qu'en l'espèce, il apparaît que si elle n'a pas strictement respecté les quotas conventionnels, Madame Houbart n'en a pas moins effectué un travail important pour le compte de la société Maisons Viva entre 1989 et 1994 ainsi que le révèlent ses relevés de chiffre d'affaires (en moyenne 4 millions de francs par an);

Que c'est à juste titre que le tribunal a considéré qu'il n'est pas démontré que, pour le dernier semestre, l'insuffisance de sa production dans un contexte économique morose, rendu encore plus difficile par le comportement du mandant à son égard (cf. les déclarations de Monsieur Heliard et de Madame Vanot qui font état de pratiques peu loyales à l'égard de Mme Houbart) soit imputable à sa carence;

Que Mme Houbart a obtenu la signature d'un contrat en avril 1994 et de deux contrats en novembre 1993, ce qui est exclusif du " désinvestissement " qui lui est reproché par le mandant ;

Qu'enfin, il convient de relever que la SA Maisons Viva qui n'a pas fait mention d'une faute grave à l'encontre de Mme Houbart dans la lettre de rupture du 21 avril 1994 et qui a admis le principe d'un préavis, exclusif d'une telle faute, est particulièrement mal fondé à l'invoquer aujourd'hui ;

Attendu en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu à Mme Houbart un droit à indemnisation en vertu des dispositions de la loi du 25 juin 1991;

- Sur le préjudice :

Attendu que l'article 12 de la loi prévoit que l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;

Attendu qu'au vu des éléments d'appréciation fournis à la Cour, il convient de constater que les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation des indemnités à allouer à Mme Houbart du chef de la rupture abusive du contrat d'agent commercial ; qu'il y a lieu d'adopter leurs motifs pertinents et de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 360 360 F, correspondant à deux années de commissions (du 31 juillet 1992 au 31 juillet 1994), l'indemnité compensatrice de la valeur du mandat perdu par Madame Houbart ;

Que c'est également à juste titre que le tribunal a constaté que la société Maisons Viva ne justifie pas du règlement de l'ensemble des commissions dues à Madame Houbart au titre des ventes Rigall, Dowling-Carter, Blondin, Dandois et qu'elle devra lui verser à ce titre la somme de 18 500 F HT. ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Sur les demandes annexes :

Attendu qu'il y a lieu de laisser les dépens d'appel et de première instance à la charge de la SA Maisons Viva ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de Mme Houbart les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel ; qu'il y a donc lieu de lui allouer une somme qu'au vu des éléments de la cause, la cour arbitre à 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare l'appel recevable en la forme ; Vu les articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile ; Déclare recevables les conclusions signifiées par Mme Houbart le 15 décembre 1998 ; Ecarte des débats les conclusions ainsi que les pièces communiquées par la SA Maisons Viva postérieurement à l'ordonnance de clôture du 18 décembre 1998 ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déboute la SA Maisons Viva de l'ensemble de ses demandes ; Dit que la SA Maisons Viva devra payer à Mme Houbart la somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Confirme les dispositions de la décision entreprise relatives à l'indemnité allouée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SA Maisons Viva, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.