CA Lyon, 3e ch., 10 mai 2001, n° 2001-01699
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duhoo
Défendeur :
Gilde Aurore (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moussa
Conseillers :
MM. Simon, Ruellan
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, SCP Aguiraud Nouvellet
Avocats :
Mes Bolland-Blanchard, Merand.
Faits et procédure
Par acte sous seing privé du 1er mai 1982, la société Gilde Aurore confie à Andrée Chazalet, épouse Duhoo la franchise de la marque déposée " La Droguerie ", 12, rue de la monnaie à Lyon, moyennant le versement d'un droit d'entrée de 1 F et d'une caution de 50 000F.
Dans le courant de l'année 1999, la société Gilde Aurore propose de racheter le fonds de commerce de Andrée Chazalet, épouse Duhoo et les parties négocient le prix de vente de l'ensemble du stock dans la perspective de la cession du fonds au profit d'une société à constituer sur l'initiative de la société Gilde Aurore. Toutefois, les négociations échouent sur l'évaluation du stock et les modalités de sa liquidation.
Soutenant qu'elle n'était plus livrée par son franchiseur, Andrée Chazalet, épouse Duhoo saisit le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon qui, par ordonnance du 25 septembre 2000, ordonne le renvoi de la cause à l'audience du 9 octobre 2000 pour vérifier que les commandes litigieuses ont bien été honorées et statuer sur les commandes futures.
Par ordonnance du 9 octobre 2000, le juge des référés autorise Andrée Chazalet, épouse Duhoo à assigner la société Gilde Aurore à jour fixe par-devant le Tribunal de commerce de Lyon statuant au fond.
Par exploit du 27 octobre 2000, Andrée Chazalet, épouse Duhoo assigne la société Gilde Aurore par-devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement de la somme de 2 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de franchise, outre 100 000 F pour préjudice moral, outre 50 000 F correspondant à la caution versée à l'origine du contrat, outre 30 000 F au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire du 5 février 2001, le Tribunal de commerce de Lyon déboute Andrée Chazalet, épouse Duhoo de ses demandes.
Par ordonnance du 16 mars 2001, le premier président de la Cour d'appel de Lyon autorise Andrée Chazalet, épouse Duhoo à assigner la société Gilde Aurore à jour fixe par-devant la 3e chambre civile de ladite cour.
Prétentions des parties :
Andrée Chazalet, épouse Duhoo expose que la société Gilde Aurore a rompu unilatéralement et brutalement une relation de confiance de 18 années entre les parties, qu'elle a exercé un véritable chantage pour modifier substantiellement les conditions contractuelles par l'exigence d'un droit d'usage de la marque, l'octroi d'un préavis insuffisant, l'exigence d'une garantie de paiement en l'absence de tout impayé antérieur et d'un paiement immédiat comptant, outre un harcèlement moral constant par la non-Iivraison des nouveautés et l'absence de toute information à leur sujet.
Elle soutient que la société Gilde Aurore a essayé de la conduire à la cession de son activité par l'usure, qu'il convient de sanctionner cette faute par la résolution judiciaire du contrat.
Elle ajoute que postérieurement à l'audience du tribunal de commerce du 4 décembre 2000, le franchiseur a ouvert cinq jours plus tard une deuxième franchise à 423 mètres de son commerce, la société Traboule, utilisant le même logo, le même agencement du magasin et distribuant la même marque, portant ainsi atteinte au franchisé, même si le contrat de franchise ne contient pas de clause d'exclusivité territoriale, celle-ci résultant des circonstances de fait.
Elle conteste l'ensemble des griefs formulés par la société Gilde Aurore à son encontre, notamment en ce qui concerne la formation du personnel.
Elle précise que son préjudice ne saurait être inférieur à 18 mois de marge brute, soit 2 200 000 F, qu'elle doit supporter la charge morale et financière du licenciement de sept salariés.
Elle sollicite par ailleurs l'autorisation de procéder à la liquidation totale et immédiate de son stock pour cause de rupture ou à voir condamner la société Gilde Aurore à lui payer la valeur de ce stock au prix d'achat, sur la base d'un inventaire physique contradictoire au jour du jugement.
Au titre de son préjudice moral, elle sollicite la condamnation de la société Gilde Aurore à lui payer la somme de 100 000 F, outre celle de 50 000 F au titre du remboursement de la caution, outre 30 000 F au titre des frais irrépétibles.
La société Gilde Aurore conteste le bien fondé de l'appel contre elle diligenté.
Elle expose que Andrée Chazalet, épouse Duhoo n'a jamais fait l'objet d'aucun harcèlement ou pratique discriminatoire de sa part en ce qui concerne les commandes, qu'il lui a été proposé d'acquérir son fonds de commerce, que cependant les négociations ont échoué pour des raisons appartenant à l'appelante.
Elle soutient que postérieurement à l'audience du 4 décembre 2000, elle a effectivement accordé sa franchise à un autre commerce alors que Andrée Chazalet, épouse Duhoo ne bénéficiait d'aucune exclusivité contractuelle territoriale, qu'elle ne peut donc prétendre à aucune protection particulière, même si elle a bénéficié pendant dix-huit ans d'une position privilégiée à Lyon, cette situation ne créant aucun droit à son profit, ce qui serait constitutif d'un monopole sur la ville de Lyon.
Elle précise que le second magasin, la société Traboule, n'a pas la même enseigne, qu'il distribue d'autres produits, qu'il ne fait que partiellement concurrence à l'appelante, laquelle a refusé toute évolution de son commerce dans le cadre de la franchise.
Elle fait observer que la perte de confiance dont fait état Andrée Chazalet, épouse Duhoo n'est pas établie et se révèle purement subjective, qu'aucun agissement fautif ne peut être relevé contre le franchiseur dans les conditions d'approvisionnement du magasin de l'appelante, qu'il lui est toujours offert une assistance commerciale qu'elle refuse, qu'il n'est pas prouvé que la distribution par la société Traboule des produits " La Droguerie " ait entraîne pour Andrée Chazalet, épouse Duhoo le moindre préjudice, qu'il n'existe aucune mauvaise foi dans l'exécution de la convention entre les parties ou rupture brutale des relations commerciales.
Subsidiairement, la société Gilde Aurore conclut à l'absence de tout préjudice, Andrée Chazalet, épouse Duhoo n'étant pas obligée de licencier son personnel et d'interrompre brutalement son activité.
Dans l'hypothèse d'une résiliation, elle demande l'organisation d'un préavis de 6 mois conformément aux usages et d'une indemnisation, non sur la base de la marge brute, mais sur le montant du résultat de l'exercice de la période considérée.
Au titre des frais irrépétibles, la société Gilde Aurore sollicite la condamnation de Andrée Chazalet, épouse Duhoo à lui payer la somme de 30 000 F.
Sur ce, LA COUR :
I - Sur la résolution judiciaire du contrat de franchise :
1° Sur le comportement de la société Gilde Aurore avant l'ouverture de la société Traboule :
Attendu qu'il est constant que les parties ont été en négociation, que des pourparlers ont eu lieu relativement à la cession du fonds de commerce par Andrée Chazalet, épouse Duhoo au profit de la société Gilde Aurore, que les négociations ont échoué sur l'initiative de la société Gilde Aurore, que cependant, il n'apparaît pas qu'il existe un quelconque lien entre l'échec de ce projet et la poursuite des relations contractuelles ordinaires entre les parties ; qu'au demeurant, le juge des référés a constaté le 11 octobre 2000 que la société Gilde Aurore avait respecté les termes de l'ordonnance du 25 septembre 2000 au visa de l'engagement de l'intimée d'honorer les commandes passées par le franchisé, qu'il a donné acte aux parties de ce qu'elles convenaient que les termes de l'ordonnance avaient été respectés, qu'il n'y avait donc pas lieu d'assortir les commandes futures passées par le franchisé d'une astreinte ;
Attendu en conséquence qu'il ne résulte d'aucun des éléments de la cause que le comportement de la société Gilde Aurore à l'égard de son franchisé, antérieurement au 4 décembre 2000, a été constitutif d'un manque de loyauté justifiant la rupture du contrat de franchise à ses torts, que pour la période postérieure, il n'est fait aucun grief par le franchisé au franchiseur du chef des livraisons et plus généralement, du respect de ses obligations contractuelles ;
2° Sur l'ouverture de la société Traboule :
Attendu que la franchise concédée par la société Gilde Aurore à Andrée Chazalet, épouse Duhoo ne contient aucune clause d'exclusivité territoriale, qu'il est cependant établi, sans aucune contestation sérieuse de la part de I'intimé, que celui-ci a concédé sa franchise à un magasin vendant les mêmes produits à moins de 500 m de son établissement ;
Attendu que l'examen des pièces du dossier permet d'établir que la franchise " La Droguerie " est installée dans 8 villes de France (Paris, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Clermont-Ferrand et Lyon) par l'intermédiaire de 8 boutiques, que pour la ville de Lyon et sa région, Andrée Chazalet, épouse Duhoo bénéficiait d'une exclusivité territoriale de fait jusqu' à l'installation de la société Traboule ;
Attendu que si les relations contractuelles entre les parties n'ont jamais été formalisées autrement que par une " attestation " comprenant trois paragraphes sur une demi-page, établie en 1982, il n'en demeure pas moins que ces relations s'inscrivent dans le cadre des règles générales de la franchise, qui imposent pour le franchisé une obligation de fourniture exclusive auprès du franchiseur, en contrepartie notamment, pour le franchiseur, d'une exclusivité de distribution territoriale, laquelle est essentielle pour assurer la réussite commerciale du franchisé et protéger son investissement;
Attendu qu'en ouvrant une seconde franchise dans la ville de Lyon, dans un rayon aussi proche de la première, la société Gilde Aurore a non seulement violé la clause d'exclusivité territoriale de fait qu'elle avait concédée a Andrée Chazalet, épouse Duhoo pendant dix-huit ans, mais encore, a manqué à son devoir de loyauté, compte tenu par ailleurs des relations conflictuelles existant entre les parties au moment de cette ouverture et de la tentative de reprise du fonds de Andrée Chazalet, épouse Duhoo par le franchiseur à ses conditions;
Attendu que l'ouverture de cette seconde franchise constitue incontestablement un juste motif de résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur;
Attendu qu'il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris ;
II - Sur le préjudice de Andrée Chazalet, épouse Duhoo :
Attendu que les usages en matière de franchise stipulent qu'un préavis de 6 mois doit être respecté en cas de rupture des relations contractuelles, qu'eu égard aux circonstances de la cause, il convient d'établir I'indemnité de rupture allouée à Andrée Chazalet, épouse Duhoo sur la base de cette durée ;
Attendu que cette indemnité doit être calculée sur la perte de marge sur le chiffre d'affaires que les parties auraient dû réaliser pendant le préavis et les frais de personnel, qu'au vu des éléments dont dispose la cour et non contestés par le franchiseur, il convient d'allouer au franchisé une somme forfaitaire de 750 000 F ;
Attendu que la demande de réparation du préjudice moral de l'appelant du chef du licenciement de son personnel sera rejetée, qu'en effet, la charge morale et financière de ce licenciement reste à sa charge, qu'elle soit ou non en franchise et alors au surplus qu'elle envisageait la fermeture de son établissement ;
Attendu en revanche qu'il sera fait droit à la demande de restitution de la caution de 50 000 F ;
III - Sur la liquidation du stock :
Attendu que l'autorisation de liquider le stock de Andrée Chazalet, épouse Duhoo ne relève pas de l'autorité judiciaire mais de l'autorité préfectorale, que cette demande est des lors sans objet, de même que la demande alternative de condamnation de la société Gilde Aurore à en régler la valeur ;
IV - Sur les demandes accessoires :
Attendu que les circonstances de la cause justifient l'allocation à Andrée Chazalet, épouse Duhoo d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Réforme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 5 février 2001 ; Prononce la résolution judiciaire du contrat de franchise souscrit par Andrée Chazalet, épouse Duhoo auprès de la société Gilde Aurore, aux torts exclusifs de la société Gilde Aurore ; Condamne la société Gilde Aurore à payer à Andrée Chazalet, épouse Duhoo la somme de 750 000 F à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la restitution par la société Gilde Aurore à Andrée Chazalet, épouse Duhoo de la somme de 50 000 F ; Déboute Andrée Chazalet, épouse Duhoo du surplus de ses demandes ; Condamne la société Gilde Aurore à payer à Andrée Chazalet, épouse Duhoo la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Gilde Aurore aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront distraits au profit de l'avoué qui en aura fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.