CA Dijon, ch. civ. B, 28 février 2002, n° 00-00085
DIJON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lonjaret (Sté)
Défendeur :
Lonjaret-Mugnier Christian (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Littner (Conseiller faisant fonction)
Conseillers :
Mme Arnaud, M. Richard
Avoués :
Me Gerbay, SCP Avril & Hanssen
Avocats :
Mes Merienne, Chateau.
EXPOSE DE L'AFFAIRE :
Le 1er octobre 1998, Monsieur Christian Lonjaret, qui possédait 240 parts sur 500 dans la SARL Lonjaret, exerçant à Auvillars-sur-Saône une activité de terrasserie, maçonnerie, couverture et zinguerie, a été révoqué de ses fonctions de co-gérant.
Il a alors immédiatement créé une société, dénommée Lonjaret-Mugnier Christian exerçant la même activité à Seurre.
Lui reprochant d'employer des moyens déloyaux pour créer une confusion entre les deux sociétés, la SARL Lonjaret l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Beaune pour qu'il lui soit ordonné de changer de dénomination sociale, de modifier ses publicités sur ses véhicules et d'exercer effectivement son activité à Seurre et non plus à Auvillars-sur-Saône et pour qu'une somme de 100.000 F lui soit allouée à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 17 décembre 1999, le tribunal a rejeté l'ensemble des demandes et condamné la société demanderesse à payer 5.000 F à titre de dommages-intérêts et 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Lonjaret a fait appel.
Dans ses dernières écritures en date du 5 septembre 2001, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle maintient que la société créée par Christian Lonjaret s'est livré à des agissements déloyaux (dénigrement, imitation pour créer la confusion, désorganisation) et elle réitère ses demandes initiales, porte à 150.000 F sa demande de dommages-intérêts et souhaite que la décision à intervenir fasse l'objet d'une publication.
Elle réclame encore 10.000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.
La société Lonjaret-Mugnier Christian, par écritures du 19 novembre 2001, auxquelles il est pareillement fait référence, affirme que ne peuvent lui être reprochés ni dénigrement, ni désorganisation de la société appelante ni volonté de créer la confusion entre les deux sociétés, ni détournement de clientèle.
Elle sollicite la confirmation du jugement et forme une demande reconventionnelle en paiement de 150.000 F pour procédure abusive.
Elle demande enfin 12.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décisions :
Attendu qu'il est nécessaire de reprendre chacun des griefs allégués par la société appelante à l'encontre de la société Lonjaret-Mugnier ;
- en ce qui concerne le dénigrement :
Attendu que les reproches faits à ce sujet ne sont pas suffisamment établis, la SARL Lonjaret versant aux débats des attestations faisant état de faits antérieurs à la création de la seconde société, ou non circonstanciés ou comportant des témoignages indirects, ou dont les auteurs sont revenus sur leurs déclarations (Agnès Boeuf), faites, selon elle, sous la pression de Martine Lonjaret ;
que ce grief doit donc être rejeté ;
- en ce qui concerne l'imitation et les moyens de confusion :
Attendu que l'appelante reproche principalement à la société intimée d'avoir utilisé le patronyme "Lonjaret" dans son nom commercial pour exercer une activité identique dans une commune voisine, alors que la SARL Lonjaret était connue depuis longtemps pour avoir été créée par Monsieur Lonjaret père ;
Attendu que la société intimée rétorque que Christian Lonjaret avait le droit d'utiliser, pour la société qu'il créait, son nom patronymique et qu'il y a ajouté son prénom et le nom de jeune fille de son épouse ;
Mais attendu que le droit à l'usage du nom ne concerne que les personnes physiques et ne peut être invoqué pour justifier son utilisation à titre de dénomination sociale par une personne morale lorsqu'une autre société, ayant acquis une renommée indiscutable pour une activité similaire dans la même région, possède une dénomination voisine;
Attendu que le choix d'une dénomination déjà utilisée, serait-elle le patronyme du fondateur de la seconde société, serait-elle aussi complétée par l'adjonction d'un prénom, ou même du nom de l'épouse, ne peut être admis s'il est susceptible de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle;
Attendu que le risque de confusion est démontré par les pièces versées aux débats qui établissent que plusieurs fournisseurs ou clients se sont adressés à l'une des deux sociétés alors qu'en réalité l'autre était concernée (par ex. Sivom Seurre, Bloc Matériaux, MSI Guinchard, Outimat, Doras, Meursault Location) ;
que l'utilisation du patronyme Lonjaret dans le nom commercial avait évidemment pour objet de faire bénéficier la seconde société de la notoriété attachée à la première;
qu'il s'agit d'un acte de concurrence déloyalequi doit être sanctionné par l'obligation faite à la société intimée de modifier sa dénomination sociale, ce qui entraînera évidemment modifications des publicités sur les véhicules ;
- en ce qui concerne la désorganisation et le détournement de clientèle :
Attendu qu'aucun débauchage de personnel n'est démontré, Monsieur Bouchard ayant suffisamment expliqué les motifs de son départ et Monsieur Harchies n'ayant jamais travaillé pour la société intimée ;
qu'il en est de même pour le détournement de clientèle allégué, les clients Georgeon et Piot ayant l'un motivé son choix de la société Lonjaret-Mugnier Christian par une proposition qu'il estimait meilleure, le second déclaré qu'il avait d'abord contacté Monsieur Christian Lonjaret ;
qu'aucun démarchage déloyal n'est établi, plusieurs clients ayant au contraire affirmé que Christian Lonjaret avait refusé d'exécuter des travaux au motif qu'il ne faisait plus partie de la société Lonjaret ;
qu'il a de même refusé toute offre de travaux émanant de la Commune d'Auvillars-sur-Saône ;
Attendu enfin qu'il est reproché à tort à la société intimée d'exercer en réalité son activité à Auvillars-sur-Saône alors que les pièces versées aux débats démontrent que le siège social correspond bien à la réalité et que certaines livraisons ont seulement été faites au domicile de Christian Lonjaret pendant quelques mois en raison de l'exécution de travaux interdisant l'accès au bâtiment de Seurre ;
Attendu que le seul grief retenu est donc le risque de confusion résultant de l'emploi du patronyme Lonjaret dans la dénomination sociale ;
qu'il y a lieu de donner acte à la société appelante qu'elle souhaite que, pour le moins, le nom de Mugnier apparaisse en premier ;
Attendu que le préjudice subi par la société appelante en raison du risque de confusion doit être indemnisé par une somme de 2.000 euros, la diminution du chiffre d'affaires entre les exercices 97-98 et 98-99 ne pouvant être entièrement imputée à l'intimée ;
Attendu que cette indemnité répare suffisamment le préjudice subi, de sorte qu'il n'y a pas lieu à publication de la présente décision ;
Attendu que la société appelante doit recevoir en outre une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
que la société intimée, qui succombe, ne peut prétendre ni à dommages-intérêts ni à remboursement de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Dit que la SARL Lonjaret-Mugnier Christian a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la SARL Lonjaret ; Lui ordonne de changer sa dénomination sociale et donne acte à la SARL Lonjaret de ce qu'elle souhaite que "pour le moins, le nom de Mugnier apparaisse en premier" ; Dit que cette modification entraînera celle des publicités sur les véhicules ; Condamne la SARL Lonjaret-Mugnier Christian à payer à la SARL Lonjaret 2.000 euros à titre de dommages-intérêts et 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette les autres demandes ; Condamne la SARL Lonjaret-Mugnier Christian aux dépens d'instance et d'appel.