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Décisions

CA Colmar, ch. soc. A, 29 octobre 1998, n° 9800138

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Recher

Défendeur :

Vestra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

Mmes Sanvido, Beau

Avocats :

Mes Imbach, Schemla, Alexandre.

Cons. prud'h. Haguenau, du 20 janv. 1995

20 janvier 1995

Le 1er février 1990, M. Jean-Bernard Recher entra au service de la SA Vestra, en qualité de VRP exclusif, afin de distribuer les produits de la marque Maco, fabriqués et vendus par son employeur.

Ce contrat de représentation prévoit notamment que la société Vestra se réserve la faculté :

- de confier à ses représentants, les nouveaux produits qu'elle serait susceptible de fabriquer ou diffuser,

- de modifier ou réduire le secteur confié à ses représentants pour des raisons d'efficacité, sous réserve de garantir ses revenus pendant deux années.

Début juillet 1992, la société Vestra proposa à ses représentants, la signature d'avenants emportant la réduction de leurs secteurs d'activité, la représentation de nouveaux produits de la marque " Kempel " dont elle venait de racheter la gamme, ainsi que la fixation d'objectifs de vente.

Par lettre recommandée du 14 octobre 1992, M. Recher refusa de signer les avenants proposés, ceux-ci constituant selon lui une modification substantielle de son contrat de travail.

Par lettres des 5 et 17 novembre 1992, la société Vestra prit acte du refus de M. Recher. Elle abandonna sa proposition de fixer des quotas, en s'engageant à adresser au salarié de nouveaux avenants excluant toute clause de quota, et demanda à M. Recher de réfléchir, toute rupture, en l'état, lui étant imputable.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 novembre 1992, M. Recher confirma son refus des modifications substantielles apportées à son contrat de travail en imputant la rupture à son employeur. Il contesta la réduction de son secteur, la fixation de quotas irréalistes et la garantie de salaires qui selon lui, n'était que provisoire et ne le garantissait en rien contre une éventuelle insuffisance de résultats ultérieure.

Par jugement du 20 janvier 1995, le Conseil de prud'hommes de Haguenau a dit que la rupture intervenue s'analysait en une démission, débouta les parties de leurs prétentions plus amples et condamna M. Recher aux entiers dépens.

Le 9 février 1995, M. Recher a interjeté appel de cette décision.

Il fait oralement valoir qu'aux termes de son contrat de travail, il était chargé de représenter les produits Maco sur un secteur d'activité constitué de neuf départements ; que la société Vestra qui a réduit son secteur d'activité à 7 départements, lui a demandé de commercialiser de nouveaux produits de la marque Kempel dès le mois de juillet 1992 pour la collection printemps-été 1993 ; qu'il s'est également vu imposer des objectifs ; qu'il a légitimement refusé ces modifications substantielles de son contrat de travail ; qu'il a en effet constaté que les versements effectués par la société Vestra ne correspondait pas au chiffre d'affaires réalisé et qu' il a subi des retenues indues ; que la clause contractuelle de réduction de son secteur doit être réputée non écrite, celle-ci portant atteinte à son statut de VRP, ses revenus et avantages, que la modification substantielle lui a été imposée sans consultation préalable du comité d'entreprise ; que la société Vestra n'établit pas qu'elle est motivée par l'intérêt de l'entreprise ; que la rupture est donc imputable à son employeur et s'analyse en un licenciement.

Il conclut donc à la condamnation de la société Vestra à lui payer les sommes de 29 325,82 F à titre de garantie de salaire, 37 666 F à titre de retenues indues sur salaires, 480 000 F à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 40 000 F pour violation des droits de la défense et non respect de la procédure de licenciement, 120 000 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 12 000 F à titre de congés payés sur préavis ainsi que 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens. Il a sollicité en outre, la rectification du bulletin destiné à l'Assedic. Subsidiairement, elle sollicite la désignation d'un expert afin de déterminer les rémunérations qu'il aurait dû percevoir en 1992 et 1993 en vertu de son contrat de travail.

La SA Vestra réplique en substance que c'est en faisant une exacte analyse de la présente espèce que le Conseil a débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions ; que c'est en effet pour travailler collectivement pour une société concurrente, la société Brandt, que les VRP ont rompu les relations contractuelles ; qu'en effet, la réduction des secteurs d'activité et l'attribution de nouveaux produits à représenter sont contractuellement convenus entre les parties de sorte que les VRP ne sauraient invoquer l'existence d'une modification substantielle de leur contrat de travail et ce d'autant que les VRP bénéficiaient d'une garantie de salaires pendant deux ans en contrepartie de ces modifications de secteur ; que la suppression de la clause de quota a été confirmée par son courrier du 17 novembre 1992 ; que M. Recher n'a pas été spolié de ses droits à commissions ; que les retenues pratiquées sont dues au retour de marchandises impayées, le VRP n'ayant droit à une commission que sur les affaires conclues, exécutées et intégralement payées ; que la clause de réduction du secteur ne porte pas plus atteinte à la fixité de celui-ci ; qu'elle est parfaitement licite ; que la modification du contrat de travail n'était pas définitivement acquise ; que la rupture était donc prématurée ; que M. Recher qui a le 6 novembre 1992 seulement contesté la clause de quotas qui a par la suite été supprimée est censé avoir accepté les modifications intervenues ; qu'il doit être considéré comme démissionnaire ou en tout cas ne peut réclamer d'indemnité dès lors qu'il a refusé à tort de travailler et que son contrat ne peut être considéré comme rompu ; que subsidiairement la modification substantielle intervenue était justifiée par l'intérêt de l'entreprise en raison du rachat de la marque Kempel ; que la garantie de salaires ne saurait s'appliquer en l'espèce dès lors que les salariés ont refusé les modifications intervenues et qu' ils n'ont pas exécuté leurs obligations contractuelles ; que l'évolution négative de leur chiffre d'affaires est en effet due à leur baisse d'activité ; que leurs modalités de détermination doivent être rejetées.

Elle conclut donc au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à sa condamnation aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ce, sur quoi LA COUR,

Vu l'ensemble de la procédure, les conclusions des parties et les pièces y annexées ;

L'appel interjeté par M. Recher dans les formes et délais légaux est recevable.

Au fond ;

Sur la qualification de la rupture

M. Recher ne fait valoir, à hauteur d'appel, aucun moyen nouveau de nature à justifier l'infirmation de la décision entreprise sur ce point.

En effet, c'est à bon droit que le Conseil a considéré que la réduction de secteur géographique ainsi que la représentation d'un nouveau produit de la marque Kempel que la société Vestra a imposées au représentant à compter du mois de juillet 1992, ne peuvent s'analyser en une modification substantielle du contrat de travail de M. Recher qui les prévoyait expressément.

Aux termes de l'article 2 du contrat de travail, la société Vestra s'est réservée la faculté de confier à M. Recher la représentation de nouveaux produits moyennant des conditions différentes de celles faisant l'objet du présent contrat. Elle a donc bien fait application de cette clause en accompagnant la distribution de ce nouveau produit d'une réduction du secteur géographique couvert par le représentant afin d'équilibrer ses revenus et sa charge de travail en réduisant corrélativement ses déplacements et les frais y afférent.

Il convient d'ailleurs de relever qu'à l'article 4 du contrat de représentation, les parties sont expressément convenues de réduire le secteur du représentant pour des raisons d'efficacité et dans ce cas, la SA Vestra, s'est contractuellement engagée " à garantir au représentant l'intégralité de son revenu, tel qu'avant la modification du secteur pendant deux ans. "

Il n'existe donc aucun motif d'annuler la clause de modification de secteur, que M. Recher ne conteste d'ailleurs pas avoir librement acceptée en paraphant chaque page du contrat et en apposant sa signature in fine, celle-ci n'étant susceptible d'entraîner aucune diminution de la rémunération pendant la durée d'application de la garantie de rémunération contractuelle. M. Recher qui a pris acte de la rupture dès le mois de novembre 1993, n'établit pas qu'une telle réduction de secteur compensée par la représentation d'un nouveau produit, était de nature à entraîner une baisse de sa rémunération au-delà de cette durée. De plus, la modification intervenue n'est pas de nature à ôter toute fixité au secteur de M. Recher qui reste parfaitement déterminé au contrat.

Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a dit que la rupture dont M. Recher a pris l'initiative alors que son contrat de travail n'avait subi aucune modification substantielle, lui est imputable et s'analyse donc en une démission.

En conséquence, le salarié sera débouté de ses prétentions à des indemnités de rupture qui ne sont nullement fondées.

Sur les retenues injustifiées

M. Recher sollicite à ce titre, la somme de 7 500 F retenue par la société Vestra sur ses commissions, à titre de provision pour retours ou impayés. Or, la société Vestra établit qu'en janvier 1994 elle a restitué au représentant sur cette provision, la somme de 4 891,71 F après avoir légitimement déduit des retours et impayés concernant ses commandes, le représentant ne pouvant prétendre qu'aux commissions sur les ordres acceptés, livrés et intégralement payés.

C'est dès lors, à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette prétention injustifiée.

Sur la garantie de salaires

M. Recher, qui représentait de juillet 1992 à la mi-novembre 1992, la collection printemps/été 1993 est en droit d'exiger l'application de la garantie de rémunération contractuelle relativement aux ordres de la collection de référence. En effet, il convient de considérer, au vu des comptes rendus hebdomadaires des représentants pour les années 1990 et 1991, qu'à la mi-novembre de chaque année, ceux-ci ont prospecté l'ensemble de leur clientèle pour ladite collection. Dans ces conditions, la rupture intervenue le 16 novembre 1992, ne saurait être de nature à écarter le jeu de la garantie contractuelle.

Or, la cour ne dispose pas des éléments comptables permettant de déterminer les montants dus au salarié de ce chef. Il convient donc de réouvrir les débats sur ce point, et d'enjoindre aux parties d'effectuer un décompte précis des commissions effectivement perçues par M. Recher pour les collections printemps/été des années 1992 et 1993.

En conséquence, le jugement entrepris mérite d'être confirmé en toutes ses dispositions.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

M. Recher qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions supportera les entiers dépens.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel interjeté par M. Recher régulier en la forme et recevable ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute le salarié de sa demande relative à la garantie de salaires ; Statuant à nouveau, Réserve à statuer sur le montant de la garantie de salaires dû à M. Recher ; Ordonne la réouverture des débats ; Enjoint aux parties de produire pour la mise en état du 28 janvier 1999 à 14 heures 15 salle 10, un décompte comparé des commissions effectivement perçues par M. Recher pour les collections printemps/été 1992 et 1993 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Recher aux entiers dépens des deux instances ; Réserve les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.