CA Colmar, ch. soc. A, 29 octobre 1998, n° 9800140
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Noirjean
Défendeur :
Vestra (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
Mmes Sanvido, Beau
Avocats :
Mes Imbach, Schemla, Alexandre.
En septembre 1972, M. Bernard Noirjean entra au service de la SA Vestra, en qualité de VRP exclusif.
Le 27 mai 1991, les parties conclurent un nouveau contrat de travail pour la distribution des produits de la marque Maco, sur un secteur géographique comprenant quatorze départements.
Ce contrat de représentation prévoit notamment que la société Vestra se réserve la faculté :
- de confier à ses représentants, les nouveaux produits qu'elle serait susceptible de fabriquer ou diffuser, - de modifier ou réduire le secteur confié à ses représentants pour des raisons d'efficacité, sous réserve de garantir ses revenus pendant deux années.
Début juillet 1992, la société Vestra proposa à M. Noirjean, la signature d'avenants emportant la réduction de son secteur d'activité, la représentation de nouveaux produits de la marque " Kempel " dont elle venait de racheter la gamme, ainsi que la fixation de quotas de vente.
Par lettre recommandée du 6 octobre 1992, M. Noirjean refusa de signer les avenants proposés, ceux-ci constituant selon lui une modification substantielle de son contrat de travail.
Par lettres des 5 et 17 novembre 1992, la société Vestra prit acte du refus de M. Noirjean. Elle abandonna sa proposition de fixer des quotas, en s'engageant à adresser au salarié de nouveaux avenants excluant toute clause d'objectifs. Elle proposa à M. Noirjean une nouvelle modification de son secteur géographique et demanda à celui-ci de réfléchir, toute rupture, en l'état, lui étant imputable.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 novembre 1992, M. Noirjean confirma son refus des modifications substantielles apportées à son contrat de travail en imputant la rupture à son employeur.
Par lettre du 24 novembre 1992, la société Vestra prit acte de la rupture et contesta le caractère substantiel des modifications intervenues.
Par jugement du 20 janvier 1995, le Conseil de prud'hommes de Haguenau a dit que la rupture intervenue s'analysait en une démission, débouta les parties de leurs prétentions plus amples et condamna M. Noirjean aux entiers dépens.
Le 3 mars 1995, M. Noirjean a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 février 1995.
Il fait oralement valoir qu'aux termes de son contrat de travail, il était chargé de représenter les produits Maco sur un secteur comportant quatorze départements ; que la société Vestra qui a une première fois modifié son secteur en 1990, a à nouveau proposé une réduction de celui-ci à quatre départements en juillet 1992 ; qu'elle lui a demandé de commercialiser de nouveaux produits de la marque Kempel dès le mois de juillet 1992 pour la collection printemps-été 1993 ; qu'il s'est également vu imposer des objectifs ; qu'il a légitimement refusé ces modifications substantielles de son contrat de travail ; qu'il a en effet constaté que les versements effectués par la société Vestra ne correspondait pas au chiffre d'affaires réalisé et qu'il a subi des retenues injustifiées ; que la clause contractuelle de réduction de son secteur doit être réputée non écrite, celle-ci portant atteinte à son statut de VRP, ses revenus et avantages ; que la modification substantielle lui a été imposée sans consultation préalable du comité d'entreprise ; que la société Vestra n'établit pas qu'elle est motivée par l'intérêt de l'entreprise ; que la rupture est donc imputable à son employeur et s'analyse en un licenciement.
Il conclut donc à la condamnation de la société Vestra à lui payer les sommes de 145 987,49 F à titre de garantie de salaires, 9 323,65 F à titre de retenues indues sur salaires, 480 000 F à titre d' indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 40 000 F pour violation des droits de la défense et non respect de la procédure de licenciement, 120 000 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 12 000 F à titre de congés payés sur préavis ainsi que 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens. Il a sollicité en outre, la rectification du bulletin destiné à l'Assedic sous astreinte de 500 F par jour de retard. Subsidiairement, il sollicite la désignation d'un expert afin de déterminer les rémunérations que M. Noirjean aurait dû percevoir en vertu de son contrat de travail.
La SA Vestra réplique en substance que c'est en faisant une exacte analyse de la présente espèce que le Conseil a débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions ; que c'est en effet pour travailler collectivement pour une société concurrente, la société Brandt, que les VRP ont rompu les relations contractuelles ; qu' en effet, la réduction des secteurs d'activité et l'attribution de nouveaux produits à représenter sont contractuellement convenues entre les parties de sorte que les VRP ne sauraient invoquer l'existence d'une modification substantielle de leur contrat de travail et ce d'autant que les VRP bénéficiaient d'une garantie de salaires pendant deux ans en contrepartie de ces modifications de secteur ; que la suppression de la clause de quota a été confirmée par son courrier du 17 novembre 1992 ; que M. Noirjean n'a pas été spolié de ses droits à commissions ; que les retenues pratiquées sont dues au retour de marchandises impayées, le VRP n'ayant droit à une commission que sur les affaires conclues, exécutées et intégralement payées ; que la clause de réduction du secteur ne porte pas plus atteinte à la fixité de celui-ci ; qu'elle est parfaitement licite ; que la modification du contrat de travail n'était pas définitivement acquise ; que la rupture était donc prématurée ; que M. Noirjean doit être considéré comme démissionnaire ou en tout cas ne peut réclamer d' indemnité dès lors qu'il a refusé à tort de travailler et que son contrat ne peut être considéré comme rompu ; que subsidiairement, la modification substantielle intervenue était justifiée par l'intérêt de l'entreprise en raison du rachat de la marque Kempel ; que la garantie de salaires ne saurait s'appliquer en l'espèce dès lors que les salariés ont refusé les modifications intervenues et qu'ils n'ont pas exécuté leurs obligations contractuelles ; que l'évolution négative de leur chiffre d'affaires est en effet due à leur baisse d'activité ; que les modalités de détermination des montants demandés à ce titre, doivent donc être rejetées.
Elle conclut donc au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à la condamnation de M. Noirjean aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ce sur quoi LA COUR.
Vu l'ensemble de la procédure, les conclusions des parties et les pièces y annexées ;
L'appel interjeté par M. Noirjean dans les formes et délais légaux est recevable.
Au fond :
Sur la qualification de la rupture
M. Noirjean ne fait valoir, à hauteur d'appel, aucun moyen nouveau de nature à justifier l'infirmation de la décision entreprise sur ce point.
En effet, c'est à bon droit que le Conseil a considéré que la réduction de secteur géographique ainsi que la représentation de nouveaux produits que la société Vestra a imposées à M. Noirjean en juillet 1992, ne peuvent s'analyser en une modification substantielle du contrat de travail qui les prévoyait expressément.
Aux termes de l'article 2 du contrat de travail, la société Vestra s'est réservée la faculté de confier à M. Noirjean la représentation de nouveaux produits moyennant des conditions différentes de celles faisant l'objet du présent contrat. Elle a donc bien fait application de cette clause en accompagnant la distribution de ces nouveaux produits d'une réduction du secteur géographique couvert par le représentant afin d'équilibrer ses revenus et sa charge de travail en réduisant corrélativement ses déplacements et les frais y afférent.
Il convient d'ailleurs de relever qu'à l'article 4 du contrat de représentation, les parties sont expressément convenues de réduire le secteur du représentant pour des raisons d'efficacité et dans ce cas, la SA Vestra, s'est contractuellement engagée à garantir au représentant l'intégralité de son revenu, tel qu'avant la modification du secteur pendant deux ans.
Il n'existe donc aucun motif d'annuler la clause de modification de secteur, que M. Noirjean ne conteste d'ailleurs pas avoir librement acceptée en paraphant chaque page du contrat et en apposant sa signature in fine, celle-ci n'étant susceptible d'entraîner aucune diminution de la rémunération pendant la période couverte par la garantie de rémunération contractuelle. M. Noirjean qui a pris acte de la rupture dès le mois de novembre 1993, n'établit pas plus qu'une telle réduction de secteur compensée par la représentation d'un nouveau produit, est de nature à entraîner une baisse de sa rémunération au-delà de cette durée. De plus, la modification intervenue n'est pas de nature à ôter toute fixité au secteur de M. Noirjean qui reste parfaitement déterminé au contrat.
Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a dit que la rupture dont M. Noirjean a pris l'initiative alors que son contrat de travail n'avait subi aucune modification substantielle, lui est imputable et s'analyse donc en une démission.
En conséquence, le salarié sera débouté de ses prétentions à des indemnités de rupture qui ne sont nullement fondées.
Sur les retenues injustifiées
M. Noirjean sollicite à ce titre, la somme de 9 323,65 F correspondant à des retenues opérées par la société Vestra sur ses commissions, à titre de provision pour retours et impayés. Or, il est établi que la société Vestra n'a retenu qu'une somme de 6 000 F sur les commissions de M. Noirjean. Celui-ci ne démontre pas en effet avoir payé la somme supplémentaire de 3 323,65 F réclamée par la société Vestra pour des retours et impayés sur les commandes enregistrées pour les produits de la gamme Kempel.
Il est par ailleurs, démontré que la société Vestra a restitué au représentant la somme de 5 512,94 F sur la provision de 6 000 F retenue, après avoir légitimement déduit des retours et impayés intervenus sur ses commandes en 1993. Il résulte en effet des dispositions contractuelles que M. Noirjean ne peut prétendre qu'aux commissions sur les ordres acceptés, livrés et intégralement payés.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette prétention de M. Noirjean dès lors injustifiée.
Sur les garanties de salaires
M. Noirjean qui représentait de juillet 1992 à la mi-novembre 1992, la collection printemps/été 1993 est en droit de prétendre à la garantie de salaires contractuelle relativement aux ordres de la collection de référence. En effet, il convient de considérer au vu des comptes-rendus hebdomadaires des représentants pour les années 1990 et 1991, qu'à la mi-novembre 1992, les représentants avaient prospecté l'ensemble de leur clientèle pour ladite collection. Dans ces conditions, la rupture intervenue ne saurait être de nature à écarter le jeu de la garantie contractuelle.
Or, la cour ne dispose pas des éléments comptables permettant de déterminer les montants dus au salarié de ce chef. Il convient donc de rouvrir les débats sur ce point, et d'enjoindre aux parties d'effectuer un décompte précis des commissions effectivement perçues par M. Noirjean pour les collections printemps/été des années 1992 et 1993, et de chiffrer sur cette base les montants dus à M. Noirjean au titre de la garantie de rémunération contractuelle, étant observé que celle-ci ne s'applique qu'aux modifications de secteur intervenues postérieurement au contrat du 27 mai 1991 qui la prévoit.
En conséquence, le jugement entrepris mérite d'être partiellement infirmé en ce sens.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
M. Noirjean qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions supportera les entiers dépens dans la proportion de 3/4 et la société Vestra, le quart restant.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel interjeté par M. Noirjean régulier en la forme et recevable ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute le salarié de sa demande relative à la garantie de salaires ; Statuant à nouveau, Réserve à statuer sur le montant de la garantie de salaires dû à M. Noirjean ; Ordonne la réouverture des débats ; Enjoint aux parties de produire pour la mise en état du 28 janvier 1999 à 14 heures 15 salle 10, un décompte comparé des commissions effectivement perçues par M. Noirjean pour les collections printemps/été 1992 et 1993 et de chiffrer sur cette base, la somme due au représentant par application de la clause de garantie de rémunération contractuelle ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Noirjean et la SA Vestra, à supporter les dépens des deux instances, respectivement à proportion des 3/4 et 1/4.