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Décisions

CA Colmar, ch. soc. A, 29 octobre 1998, n° 9800142

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rodier

Défendeur :

Vestra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

Mmes Sanvido, Beau

Avocats :

Mes Imbach, Schmela, Alexandre.

Cons. prud'h. Haguenau, du 20 janv. 1995

20 janvier 1995

Le 1er septembre 1983, M. Jacques Rodier entra au service de la SA Vestra, en qualité de VRP afin de distribuer les produits de la marque Maco, fabriqués et vendus par son employeur sur un secteur géographique comportant 13 départements situés dans l'est de la France.

Ce contrat de représentation prévoit notamment que la société Vestra se réserve la faculté :

- de confier à ses représentants, les nouveaux produits qu'elle serait susceptible de fabriquer ou diffuser, - de modifier ou réduire le secteur confié à ses représentants pour des raisons d'efficacité, sous réserve de garantir ses revenus pendant deux années.

Par avenant du 2 janvier 1991, le secteur géographique de M. Rodier s'est étendu à 15 départements.

Début juillet 1992, la société Vestra proposa à ses représentants, la signature d'avenants emportant la réduction de leurs secteurs d'activité, la représentation de nouveaux produits de la marque " Kempel " dont elle venait de racheter la gamme, ainsi que la fixation de quotas de vente.

Après avoir provisoirement accepté une telle modification de secteur sous réserve de l'application de la garantie de rémunération contractuelle, M. Rodier refusa par lettre du 30 octobre 1992, de signer les avenants proposés par son employeur, ceux-ci constituant selon lui, une modification substantielle de son contrat de travail.

Par lettres des 5 et 17 novembre 1992, la société Vestra prit acte du refus de M. Rodier. Elle abandonna sa proposition de fixer des quotas, en s'engageant à adresser au salarié de nouveaux avenants excluant la fixation d'objectifs et demanda à M. Rodier de réfléchir, toute rupture, en l'état, lui étant imputable.

Par lettres des 14 et 24 novembre 1992, M. Rodier confirma son refus des modifications substantielles apportées à son contrat de travail en imputant la rupture à son employeur.

Par jugement du 20 janvier 1995, le Conseil de prud'hommes de Haguenau a dit que la rupture intervenue s'analysait en une démission, débouta les parties de leurs prétentions plus amples et condamna M. Rodier aux entiers dépens.

Le 6 février 1995, M. Rodier a interjeté appel de cette décision.

Il fait oralement valoir qu'aux termes de son contrat de travail, il était chargé de représenter les produits Maco sur un secteur d'activité constitué de 13 départements ; que la société Vestra qui a modifié son secteur d'activité une première fois, lui a, en juillet 1992, réduit celui-ci de trois départements ; qu'elle lui a demandé de commercialiser de nouveaux produits de la marque Kempel dès le mois de juillet 1992 pour la collection printemps-été 1993 ; qu'il s'est également vu imposer des objectifs ; qu'il a légitimement refusé ces modifications substantielles de son contrat de travail ; qu'il a en effet constaté que la société Vestra n'avait pas respecté la garantie de salaires pour les saisons 90/91 et 91/92 pour lesquelles des modifications de secteur étaient déjà intervenues ; que la poursuite du contrat de travail ne saurait s'analyser en une renonciation tacite au jeu de cette garantie ; qu'il n'a pas signé les avenants proposés par l'employeur en juillet 1992 de sorte qu'il ne saurait être soutenu qu'il les a acceptés ; que la clause contractuelle de réduction de son secteur doit être réputée non écrite, celle-ci portant atteinte à son statut de VRP, ses revenus et avantages ; que la modification substantielle lui a été imposée sans consultation préalable du comité d'entreprise ; que la société Vestra n'établit pas qu'elle est motivée par l'intérêt de l'entreprise ; que la rupture est donc imputable à son employeur et s'analyse en un licenciement ; qu'en tous cas, la non application de la clause de garantie pour les années 1991 et 1992, justifiaient la rupture en raison de l'inexécution par la SA Vestra de ses obligations contractuelles ; qu'au besoin une expertise pourrait être ordonnée afin de déterminer les commissions auxquelles il aurait pu prétendre depuis 1989.

Il conclut donc à la condamnation de la société Vestra à lui payer les sommes de 348 818,63 F à titre de garantie de salaire, 480 000 F à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 40 000 F pour violation des droits de la défense et non respect de la procédure de licenciement, 120 000 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 12 000 F à titre de congés payés sur préavis ainsi que 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens. Il a sollicité en outre la rectification du bulletin destiné à l'Assedic sous astreinte de 500 F par jour de retard. Subsidiairement, il sollicite la désignation d'un expert afin de déterminer les commissions que M. Rodier aurait dû percevoir de 1990 à 1993 en vertu de son contrat de travail.

La SA Vestra réplique en substance que c'est en faisant une exacte analyse de la présente espèce que le Conseil a débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions ; que c'est en effet pour travailler collectivement pour une société concurrente, la société Brandt, que les VRP ont rompu les relations contractuelles ; qu'en effet, la réduction des secteurs d'activité et l'attribution de nouveaux produits à représenter sont contractuellement convenues entre les parties de sorte que les VRP ne sauraient invoquer l'existence d'une modification substantielle de leur contrat de travail et ce d'autant que les VRP bénéficient d'une garantie de salaires pendant deux ans en contrepartie de ces modifications de secteur ; que la suppression de la clause de quota a été confirmée par son courrier du 17 novembre 1992 ; que M. Rodier a accepté les modifications de secteur intervenues sous réserve de l'application de la garantie de rémunération ; qu'il n'a pas été spolié de ses droits à commissions ; que la clause de réduction du secteur ne porte pas plus atteinte à la fixité de celui-ci, qu'elle est parfaitement licite ; que la modification du contrat de travail n'était pas définitivement acquise ; que la rupture était donc prématurée ; que M. Rodier doit donc être considéré comme démissionnaire ou en tout cas ne peut réclamer d'indemnité dès lors qu'il a refusé à tort de travailler ; que subsidiairement la modification substantielle intervenue était justifiée par l'intérêt de l'entreprise en raison du rachat de la marque Kempel ; que la garantie de salaires ne saurait s'appliquer en l'espèce dès lors que les salariés ont refusé les modifications intervenues et qu'ils n'ont pas exécuté leurs obligations contractuelles ; que l'évolution négative de leur chiffre d'affaires est en effet due à leur baisse d'activité ; que leur modalité de détermination doivent être rejetées.

Elle conclut donc au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à sa condamnation aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ce, sur quoi LA COUR,

Vu l'ensemble de la procédure, les conclusions des parties et les pièces y annexées ;

L'appel interjeté par M. Rodier dans les formes et délais légaux est recevable.

Au fond :

Sur la cause de la rupture

M. Rodier ne fait valoir, à hauteur d'appel, aucun moyen nouveau de nature à justifier l'infirmation de la décision entreprise sur ce point.

En effet, c'est à bon droit que le Conseil a considéré que la réduction de secteur géographique ainsi que la représentation d'un nouveau produit de la marque Kempel qui ont été imposées par la société Vestra à M. Rodier, à compter du mois de juillet 1992, celui-ci ne les ayant pas alors définitivement acceptées, ne peuvent s'analyser en une modification substantielle du contrat de travail de M. Rodier qui les prévoyait expressément.

Aux termes de l'article 2 du contrat de travail, la société Vestra s'est réservée la faculté de confier à M. Rodier la représentation de nouveaux produits moyennant des conditions différentes de celles faisant l'objet du présent contrat. Elle a donc bien fait application de cette clause en accompagnant la distribution de ce nouveau produit d'une réduction du secteur géographique couvert par le représentant, afin d'équilibrer ses revenus et sa charge de travail par la diminution corrélative des déplacements et des frais y afférent.

Il convient d'ailleurs de relever qu'à l'article 4 du contrat de représentation, les parties sont expressément convenues de réduire le secteur du représentant pour des raisons d'efficacité et dans ce cas, la SA Vestra, s'est contractuellement engagée " à garantir au représentant l'intégralité de son revenu, tel qu'avant la modification du secteur pendant deux " ;

Il n'existe donc aucun motif d'annuler la clause de modification de secteur, que M. Rodier ne conteste d'ailleurs pas avoir librement acceptée en paraphant chaque page du contrat et en apposant sa signature in fine, celle-ci n'étant susceptible d'entraîner aucune diminution de la rémunération pendant la période de deux ans couverte par la garantie contractuelle. M. Rodier qui a pris l'initiative de la rupture dès le mois de novembre 1992, en refusant de signer les avenants litigieux, n'établit pas qu'une telle réduction de secteur compensée par la représentation d'un nouveau produit, était de nature à entraîner une baisse de sa rémunération au-delà de cette durée, étant observé qu'il travaillait alors pour la collection printemps/été 1993. De plus, la modification intervenue n'est pas de nature à ôter toute fixité au secteur de M. Rodier qui reste malgré celle-ci, parfaitement déterminé au contrat.

Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a dit que la rupture dont le salarié a pris l'initiative, alors que son contrat n'avait subi aucune modification substantielle s'analyse en une démission.

La modification de secteur intervenue le 2 janvier 1991, qui emportait une augmentation du secteur du VRP à trois départements supplémentaires, le secteur de M. Rodier passant alors de treize départements à seize départements, n'était pas de nature à emporter application du jeu de la garantie de rémunération contractuelle qui est expressément subordonnée soit à la modification à égalité du secteur du représentant soit à sa réduction. M. Rodier n'en n'a d'ailleurs jamais réclamé l'application antérieurement à la rupture. Il ne saurait donc de bonne foi soutenir que la rupture est causée par une inexécution par la SA Vestra de ses obligations contractuelles.

En conséquence, le salarié sera débouté de ses prétentions à des indemnités de rupture qui ne sont nullement fondées.

Sur la garantie de salaires

M. Rodier qui représentait de juillet 1992 à la mi-novembre 1992, la collection printemps/été 1993 est en droit de prétendre à la garantie de salaires contractuelle relativement aux ordres de la collection de référence. En effet, il convient de considérer, au vu des comptes-rendus hebdomadaires des représentants pour les années 1990 et 1991, qu'à la mi-novembre 1992, le représentant avait prospecté l'ensemble de sa clientèle pour ladite collection.

Dans ces conditions, la rupture intervenue le 16 novembre 1992, ne saurait être de nature à écarter le jeu de la garantie contractuelle.

Or, la cour ne dispose pas des éléments comptables permettant de déterminer les montants dus au salarié de ce chef. Il convient donc de rouvrir les débats sur ce point, et d'enjoindre aux parties d'effectuer un décompte précis des commissions effectivement perçues par M. Rodier pour les collections printemps/été des années 1992 et 1993 et de chiffrer, sur cette base, le montant dû à M. Rodier par application de la clause de garantie de rémunération prévue au contrat.

En conséquence, le jugement entrepris mérite d'être confirmé en toutes ses dispositions.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Rodier qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions supportera les entiers dépens.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel interjeté par M. Rodier régulier en la forme et recevable ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute le salarié de sa demande relative à la garantie de salaires ; Statuant à nouveau, Réserve à statuer sur le montant de la garantie de salaires dû à M. Rodier ; Ordonne la réouverture des débats sur ce point ; Enjoint aux parties de produire pour la mise en état du 28 janvier 1999 à 14 heures 15 salle 10, un décompte comparé des commissions effectivement perçues par M. Rodier pour les collections printemps/été 1992 et 1993 et de chiffrer sur cette base le montant dû au représentant par application de la clause de la garantie contractuelle prévue au contrat ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Rodier aux entiers dépens des deux instances ; Réserve les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.