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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 11 mars 1993, n° 91-17861

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Schweitzer

Défendeur :

Karil'M (SARL), Eliot Gilles de Roy (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Couderette, Borra

Conseiller :

Mme Cabat

Avoués :

SCP Varin Petit, Me Bodin Casalis

Avocats :

Mes Lemoine, Douet.

T. com. Paris, 17e ch., du 29 mai 1991

29 mai 1991

Le 1er octobre 1984 a été signé un contrat de franchise entre la SA Eliot Gilles de Roy, aux droits de laquelle est venue la SARL Karil'M et Madame Schweitzer commerçante à Metz pour la distribution de bijoux fantaisie, montres, affiches et cadres. Le contrat concernait la ville de Metz et était conclu pour une durée de cinq ans non renouvelable tacitement. Des obligations réciproques étaient souscrites par les deux parties, dont par le franchiseur la concession de l'enseigne et de la marque LM Jordane et pour la franchisée un engagement d'approvisionnement exclusif et une clause de non-concurrence en fin de contrat.

Le 2 mai 1989 la société Karil'M faisait dresser un constat dans le magasin exploité par Madame Schweitzer révélant la mise en vente de nombreux articles acquis en dehors du réseau Jordane et par courrier recommandé en date du 6 juin 1989 le franchiseur notifiait au franchisé la résiliation du contrat pour non-respect de l'engagement d'approvisionnement exclusif.

Sans contester le reproche qui lui était fait, Madame Schweitzer répliquait par lettre recommandée du 9 juin en résiliant elle aussi le contrat au motif que la société Karil'M n'était plus en mesure de lui assurer l'utilisation de la marque LM Jordane cause principale du contrat.

Ultérieurement par lettre recommandée du 14 septembre 1989 la société Karil'M mettait en demeure Madame Schweitzer de respecter la clause contractuelle de non-concurrence et faisait dresser les 15 et 20 mars 1990 un constat révélant selon elle le contraire.

C'est dans ces conditions que par exploit du 10 août 1990 les sociétés Karil'M et Eliot Gilles de Roy ont fait assigner Madame Schweitzer en paiement de diverses sommes en réparation des préjudices causés par les violations contractuelles à elle imputées, outre indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Schweitzer a répondu en invoquant la disparition de la cause essentielle du contrat du fait de la modification de la marque concédée et en invoquant à titre subsidiaire la nullité du contrat de franchise. Elle réclamait dommages-intérêts pour procédure abusive et indemnité pour frais irrépétibles.

Par jugement du 29 mai 1991 le Tribunal de commerce de Paris a reconnu la validité du contrat de franchise et sa violation par le franchisé, a condamné Madame Schweitzer à payer à la société Karil'M 100.000 F à titre de clause pénale pour violation de l'article 12, 100.000 F à titre de clause pénale pour violation de la clause de non-concurrence et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 ; et a fait interdiction à Madame Schweitzer d'user des installations, matériels, signes et décorations caractéristiques de la franchise résiliée sous astreinte de 500 F par jour pendant deux mois à compter du soixante et unième jour suivant la signification du jugement.

Madame Schweitzer a régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision.

Elle reprend son argumentation initiale sur la disparition de la cause principale du contrat résidant dans l'utilisation de la marque et sur les nullités entachant d'après elle le contrat de franchise pour obstacle un droit de concurrence normale et indétermination du prix des marchandises ; et soutient que le contrat doit être résilié aux torts du franchiseur.

Elle affirme qu'elle n'a pas porté atteinte à la clause de non-concurrence après résiliation du contrat.

Elle réclame 100.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10.000 F sur le fondement de l'article 700.

Les sociétés Karil'M et Eliot Gilles de Roy concluent à la confirmation du jugement en son principe, mais demandent par la voie d'un appel incident l'application stricte des clauses contractuelles et la condamnation de Madame Schweitzer au paiement de 199.000 F pour la violation de la clause d'exclusivité d'approvisionnement, 400.000 F pour la violation de la clause de reprise de l'image de marque, 513.513 F pour la violation de la clause de non- concurrence outre 100.000 F à titre de dommages-intérêts et 30.000 F pour frais irrépétibles.

Considérant qu'une obligation essentielle du franchiseur était la mise à la disposition du franchisé de la marque et de l'enseigne LM Jordane et que Madame Schweitzer fait grief aux sociétés Gilles de Roy et Karil'M de la disparition de cette marque qui a été effectivement remplacée par celle de LM Jordane.

Qu'il convient toutefois de relever que ce changement d'appellation est du 30 juin 1989, donc postérieur à la résiliation du contrat par le franchiseur.

Qu'il est curieux de constater que Madame Schweitzer a attendu pour invoquer cet argument que son franchiseur ait fait constater le 2 mai 1989 sa violation de la clause d'approvisionnement exclusif, même si on admet que sa lettre recommandée du 9 juin ait été précédée d'un courrier du 16 mai formulant le grief.

Qu'elle invoque sans doute les difficultés qu'une société Charles Jourdan aurait faites en décembre 1982 à la société Eliot Gilles de Roy à propos de sa marque ; mais que cette dernière société verse aux débats un courrier de Charles Jourdan en date du 16 décembre 1982 lui donnant son accord pour qu'elle utilise la marque LM Jordane pour la distribution de bijoux.

Qu'il est exact qu'en avril 1989 le franchiseur a provoqué une réunion de ses franchisés ayant notamment pour but la modification de la marque, réunion à laquelle Madame Schweitzer n'a pas jugé bon d'assister et qui a été suivie de la modification du 30 juin.

Considérant au vu de ces éléments que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la cause essentielle du contrat de franchise tenant à la marque n'avait pas disparu à la date à laquelle le franchiseur a résilié ledit contrat pour un tout autre motif et que Madame Schweitzer ne pouvait invoquer une telle disparition le 9 juin 1989 pour prétendre résilier aux torts du franchiseur.

Considérant que Madame Schweitzer invoque la nullité du contrat au motif d'une indétermination du prix des marchandises ou plus exactement d'une fixation du prix à la seule volonté du franchiseur.

Mais que, si la clause contestée indique que les marchandises sont vendues au franchisé aux conditions générales de vente du franchiseur en usage dans sa clientèle et applicables à l'ensemble des distributeurs, elle ajoute que toute modification de prix non contestée par le franchisé dans les quarante huit heures est considérée comme ratifiée et que dans le cas contraire le prix sera fixé par un expert nommé par le Président du Tribunal de commerce qui devra prononcer dans les quinze jours sans possibilité de recours.

Que cette clause établit que la fixation des prix, contrairement à ce que soutient Madame Schweitzer, n'était pas livrée à l'arbitraire du franchiseur et qu'on ne se trouve pas en présence d'une indétermination du prix des marchandises entraînant la nullité du contrat.

Considérant que Madame Schweitzer invoque encore la nullité du contrat au motif qu'il porterait atteinte aux principes de la libre concurrence du fait que le franchiseur demeurait libre de distribuer ses produits par les canaux traditionnels tandis que le franchisé était limité dans la possibilité d'ouvrir de nouvelles boutiques, ce qui paraît théoriquement exact à la lecture du contrat de franchise, mais ne porte nullement atteinte au principe de la libre concurrence, le franchisé ayant choisi les avantages de la franchise avec une limitation voire une interdiction de concurrencer le franchiseur, et le franchiseur se réservant simplement la faculté de distribuer ses produits par les canaux traditionnels en s'interdisant sur le territoire concerné de démarcher tout détaillant et de vendre à des grossistes.

Que de ce second chef il ne peut y avoir davantage nullité du contrat.

Considérant que Madame Schweitzer invoque encore la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif du franchisé auprès du franchiseur ou des fournisseurs référencés par lui au vu des dispositions de l'article 85 alinéa 1er du Traité de Rome.

Mais qu'une telle clause n'est pas incompatible avec le texte susvisé dans la mesure où elle est nécessaire pour préserver l'identité et la réputation du réseau, ce qui est manifestement le cas en l'espèce.

Qu'au surplus le règlement CEE n° 4087 du 30 novembre 1988 exempté formellement de la restriction générale posée par l'article 85 alinéa 1er du Traité de Rome l'obligation pour le franchisé de ne pas fabriquer, vendre ou utiliser des produits concurrents de ceux du franchiseur faisant l'objet de la franchise, ce qui deviendrait le cas si la clause d'approvisionnement exclusif était supprimée.

Que la nullité de ladite clause ne peut donc être retenue en l'espèce.

Considérant que le jugement dont appel doit dans ces conditions être confirmé en ce qu'il a constaté la validité du contrat de franchise du 1er octobre 1989.

Et qu'il convient d'examiner maintenant les circonstances de la résiliation prononcée par le franchiseur à la date du 6 juin 1989.

Considérant que cette résiliation se fonde sur la violation de la clause d'approvisionnement exclusif.

Qu'il résulte du constat dressé par l'huissier Nisi le 2 mai 1989 qu'a été alors constatée dans le magasin de Madame Schweitzer la présence de cent quatre vingt dix-neuf articles non fournis par le franchiseur ou l'un de ses fournisseurs agréés et que dans son courrier du 9 juin Madame Schweitzer n'a pas contesté l'infraction, se bornant à la minimiser ou à invoquer un accord de Madame Levy, dirigeante d'Eliot Gilles de Roy semble-t-il, accord dont la réalité n'est pas justifiée.

Et qu'en présence de ce manquement de la part du franchisé le franchiseur était en droit de résilier le contrat comme il l'a fait dans les termes de l'article 10 par simple lettre recommandée avec accusé de réception, ainsi que cela a été le cas.

Que le contrat de franchise doit donc être considéré comme résilié aux seuls torts du franchisé, ainsi que cela a été exactement jugé.

Considérant qu'il y a lieu d'examiner maintenant les préjudices qui auraient été causés au franchiseur du fait de cette résiliation.

Considérant que l'article 4-2-6 du contrat stipule que toute violation de la clause d'approvisionnement exclusif entraîne l'obligation pour le franchisé de payer au franchiseur une indemnité forfaitaire et définitive de 1.000 F par article mis en vente en infraction.

Qu'en l'espèce il a été constaté dans les vitrines du magasin Schweitzer la présence de cent quatre vingt dix-neuf articles mis en vente ne provenant pas de fournitures faites par le franchiseur ou un de ses fournisseurs agréés.

Que les premiers juges n'ont pas statué sur ce point qui leur avait cependant été soumis.

Et qu'il y a lieu, faisant droit à l'appel incident de ce chef, de condamner Madame Schweitzer à payer à la société Karil'M et à la société Eliot Gilles de Roy la somme de 199.000 F.

Considérant, sur la sanction relative à l'infraction à l'article XII (reprise de la marque), qu'à l'expiration du contrat ou à sa résiliation le franchisé doit mettre à la disposition du franchiseur les éléments représentatifs de la marque qu'il a reçus et faire disparaître les éléments décoratifs caractérisant la chaîne à peine après mise en demeure d'une indemnité contractuelle de 1.000 F par jour de retard.

Que les premiers juges, estimant que cette astreinte revêtait le caractère d'une clause pénale, en ont réduit le montant au chiffre de 100.000 F ;

Que Madame Schweitzer soutient qu'elle a satisfait aux obligations de l'article XII, ce que conteste le franchiseur, qui ne discute pas le caractère de clause pénale de l'article mais eu égard au préjudice causé demande la liquidation de l'astreinte au chiffre de 400.000 F pour la période comprise du 14 septembre 1989 au 28 novembre 1991 et la fixation d'une nouvelle astreinte de 1.000 F par jour jusqu'à achèvement des travaux nécessaires.

Qu'il est constant qu'à la date du 14 septembre 1989 la société Karil'M a sommé Madame Schweitzer de se conformer aux prescriptions de l'article XII et qu'il résulte d'un constat dressé le 15 mars 1990 et des photographies qui y sont jointes que, si les sigles et marques LM Jordane ont bien disparu, l'agencement du magasin organisé selon les stipulations du contrat de franchise sont demeurés très voisins en dehors de quelques modifications de coloris qui n'empêchent pas la boutique de conserver l'aspect d'une boutique Nordane ou Jordane.

Que l'infraction est caractérisée ainsi qu'en ont décidé à bon droit les premiers juges.

Que si le montant de la clause pénale peut apparaître manifestement excessif et doit être réduit en application de l'article 1152 du Code civil il y a lieu de prendre en considération le préjudice réellement causé par l'infraction ;

Qu'il résulte des nombreuses attestations produites par le franchiseur, qui a ouvert à Metz un nouveau magasin LM Jordane, qu'il peut y avoir confusion dans l'esprit de la clientèle avec le magasin de Madame Schweitzer qui porte désormais l'enseigne Canelle.

Et que l'indemnité de 100.000 F allouée de ce chef par le tribunal correspond au préjudice réel et doit être confirmée.

Qu'il convient par ailleurs afin de mettre un terme à la perpétuation de ce préjudice de confirmer également l'obligation faite à Madame Schweitzer de faire disparaître les ressemblances caractéristiques qui subsistent et qu'elle peut aisément définir au vu de stipulations contenues au contrat et au manuel opérationnel qui lui était joint à peine d'une astreinte durant deux mois, le point de départ de cette astreinte devant cependant être fixé à l'expiration d'un délai raisonnable d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et son taux fixé à 1.000 F ainsi que cela était prévu au contrat.

Considérant, sur l'infraction relative à la clause de non-concurrence, qu'en cas de rupture du contrat selon son article XI le franchisé s'est interdit pendant deux ans de concurrencer dans le secteur qui lui était dévolu le franchiseur sous réserve d'un délai de trois mois pour écouler son stock à peine d'application d'une clause pénale égale à 50 % du chiffre d'affaires TTC.

Que la clause de non-concurrence doit être limitée à un an aux termes du droit européen aujourd'hui en vigueur.

Que le contrat a été valablement résilié à la date du 6 juin 1989 et que Madame Schweitzer n'a jamais prétendu avoir exercé à Metz un commerce différent de celui faisant l'objet de la franchise après l'expiration du délai de trois mois pour l'écoulement du stock.

Qu'il est sans doute exact que l'indemnité contractuelle prévue dans ce cas et correspondant à 50 % du chiffre d'affaires TTC du dernier exercice s'établit à 513.513 F.

Mais que cette indemnité a été -fixée à titre de clause pénale et peut être réduite si elle apparaît manifestement excessive, ce que les premiers juges ont retenu à bon droit en fixant à 100.000 F seulement le montant de l'indemnité due à ce titre à la charge de Madame Schweitzer.

Considérant que les sociétés Karil'M et Eliot Gilles de Roy font valoir qu'un préjudice distinct de ceux précédemment réparés leur aurait été causé par Madame Schweitzer du fait de la résiliation anticipée du contrat au 6 juin 1989 alors qu'il s'achevait normalement au 1er octobre suivant et de l'impossibilité d'un renouvellement qui aurait pu être envisagé.

Mais que sur ce point le franchiseur ne produit aucun élément d'où on puisse dégager la certitude d'un tel préjudice et le cas échéant en apprécier le montant.

Et que c'est à bon droit que les sociétés Karil'M et Eliot Gilles de Roy ont été déboutées de leur demande de dommages-intérêts supplémentaires.

Considérant que l'équité exige que les sociétés demanderesses ne supportent pas la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés pour faire valoir leurs droits.

Qu'à juste titre une indemnité de 5.000 F leur a été allouée de ce chef par les premiers juges.

Que les frais dont s'agit se trouvent accrus en raison de l'appel infondé de Madame Schweitzer et qu'une indemnité supplémentaire de 5.000 F doit leur être accordée au titre des frais irrépétibles d'appel.

Considérant que Madame Schweitzer, qui succombe dans son recours, sera déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'indemnité pour frais irrépétibles et condamnée aux dépens de la procédure.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels principal et incident réguliers en la forme ; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 mai 1991 sauf en ce qu'il a statué sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et l'astreinte relative à la suppression des installations caractéristiques de la franchise résiliée, Prononçant à nouveau de ces chefs et ajoutant, Fait obligation à Madame Schweitzer de se conformer aux prescriptions de l'article XII du contrat de franchise résilié en faisant disparaître les ressemblances caractéristiques de l'agencement de son magasin avec celles imposées par le contrat et le manuel opérationnel qui lui était joint, à peine d'une astreinte de 1.000 F par jour de retard pendant deux mois commençant à courir à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ; Condamne Madame Schweitzer à payer aux sociétés Karil'M et Eliot Gilles de Roy la somme de 199.000 F au titre de la violation de la clause d'approvisionnement exclusif, La condamne à verser aux mêmes sociétés une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de la procédure et en ce qui concerne ceux d'appel autorise Me Bodin-Casalis, avoué, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'il a exposés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.