CA Colmar, ch. soc. A, 29 octobre 1998, n° 9800141
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delplace
Défendeur :
Vestra (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
Mmes Sanvido, Beau
Avocats :
Mes Imbach, Schemla, Alexandre.
Le 1er février 1985, M. Charles Delplace entra au service de la SA Vestra, en qualité de VRP exclusif, afin de distribuer les produits de la marque Maco, fabriqués et vendus par son employeur sur le secteur Ile-de-France.
Le contrat de représentation dont M. Delplace est signataire prévoit notamment que la société Vestra se réserve la faculté :
- de confier à ses représentants, les nouveaux produits qu'elle serait susceptible de fabriquer ou diffuser ; - de modifier ou réduire le secteur confié à ses représentants pour des raisons d'efficacité, sous réserve de garantir ses revenus pendant deux années.
Début juillet 1992, la société Vestra proposa à ses représentants la signature d'avenants emportant la réduction de leurs secteurs d'activité, la représentation de nouveaux produits de la marque " Kempel " dont elle venait de racheter la gamme, ainsi que la fixation de quotas de vente.
Par lettre recommandée du 14 octobre 1992, M. Delplace refusa de signer les avenants proposés, ceux-ci constituant selon lui une modification substantielle de son contrat de travail.
Par lettres des 5 et 16 novembre 1992, la société Vestra prit acte du refus de M. Delplace. Elle abandonna sa proposition de fixer des quotas, en s'engageant à adresser au salarié de nouveaux avenants excluant toute clause de quota, et demanda à M. Delplace de réfléchir, toute rupture, en l'état, lui étant imputable.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 novembre 1992, M. Delplace confirma son refus des modifications substantielles apportées à son contrat de travail en imputant la rupture à son employeur.
Par jugement du 20 janvier 1995, le Conseil de prud'hommes de Haguenau a dit que la rupture intervenue s'analysait en une démission, débouta les parties de leurs prétentions plus amples et condamna M. Delplace aux entiers dépens.
Le 3 mars 1995, M. Delplace a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 février 1995.
Il fait oralement valoir qu'aux termes de son contrat de travail, il était chargé de représenter les produits Maco sur le secteur de l'Ile-de-France ; que la société Vestra qui a une première fois modifié son secteur en 1990, a à nouveau proposé une réduction de celui-ci en juillet 1992 ; qu'elle lui a demandé de commercialiser de nouveaux produits Kempel dès le mois de juillet 1992 pour la collection printemps-été 1993 ; qu'il s'est également vu imposer des objectifs ; qu'il a légitiment refusé ces modifications substantielles de son contrat de travail ; qu'il a en effet constaté que les versements effectués par la société Vestra ne correspondait pas au chiffre d'affaires réalisé et qu'il a subi des retenues injustifiées ; que la clause contractuelle de réduction de son secteur doit être réputée non écrite, celle-ci portant atteinte à son statut de VRP, ses revenus et avantages ; que la modification substantielle lui a été imposée sans consultation préalable du comité d'entreprise ; que la société Vestra n'établit pas qu'elle est motivée par l'intérêt de l'entreprise ; que la rupture est donc imputable à son employeur et s'analyse en un licenciement.
Il conclut donc à la condamnation de la société Vestra à lui payer les sommes de 80 740,42 F à titre de garantie de salaires, 6 000 F à titre de retenues indues sur salaires, 480 000 F à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 40 000 F pour violation des droits de la défense et non respect de la procédure de licenciement, 120 000 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 12 000 F à titre de congés payés sur préavis ainsi que :
- 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens. Il a sollicité en outre la rectification du bulletin destiné à l'Assedic sous astreinte de 500 F par jour de retard.
Subsidiairement, il sollicite la désignation d'un expert afin de déterminer les rémunérations que M. Delplace aurait dû percevoir en vertu de son contrat de travail.
La SA Vestra réplique en substance que c'est en faisant une exacte analyse de la présente espèce que le Conseil a débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions ; que c'est en effet pour travailler collectivement pour une société concurrente, la société Brandt, que les VRP ont rompu les relations contractuelles ; qu'en effet, la réduction des secteurs d'activité et l'attribution de nouveaux produits à représenter sont contractuellement convenues entre les parties de sorte que les VRP ne sauraient invoquer l'existence d'une modification substantielle de leur contrat de travail et ce d'autant que les VRP bénéficiaient d'une garantie de salaires pendant deux ans en contrepartie de ces modifications de secteur ; que la suppression de la clause de quota a été confirmée par son courrier du 17 novembre 1992 ; que M. Delplace n'a pas été spolié de ses droits à commissions ; que les retenues pratiquées sont dues au retour de marchandises impayées, le VRP n'ayant droit à une commission que sur les affaires conclues, exécutées et intégralement payées ; que la clause de réduction du secteur ne porte pas plus atteinte à la fixité de celui-ci ; qu'elle est parfaitement licite ; que la modification du contrat de travail n'était pas définitivement acquise ; que la rupture était donc prématurée ; que M. Delplace doit être considéré comme démissionnaire ou en tout cas ne peut réclamer d'indemnité dès lors qu'il a refusé à tort de travailler et que son contrat ne peut être considéré comme rompu ; que subsidiairement, la modification substantielle intervenue était justifiée par l'intérêt de l'entreprise en raison du rachat de la marque Kempel ; que la garantie de salaires ne saurait s'appliquer en l'espèce dès lors que les salariés ont refusé les modifications intervenues et qu'ils n'ont pas exécuté leurs obligations contractuelles ; que l'évolution négative de leur chiffre d'affaires est en effet due à leur baisse d'activité ; que leur modalité de détermination doivent être rejetées.
Elle conclut donc au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à la condamnation de M. Delplace aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ce, sur quoi LA COUR,
Vu l'ensemble de la procédure, les conclusions des parties et les pièces y annexées ;
L'appel interjeté par M. Delplace dans les formes et délais légaux est recevable.
Au fond
Sur la qualification de la rupture
M. Delplace ne fait valoir, à hauteur d'appel, aucun moyen nouveau de nature à justifier l'infirmation de la décision entreprise sur ce point.
En effet, c'est à bon droit que le Conseil a considéré que la réduction de secteur géographique ainsi que la représentation de nouveaux produits que le représentant s'est vu imposer à compter du mois de juillet 1992 ne peuvent s'analyser en une modification substantielle du contrat de travail de M. Delplace qui les prévoyait expressément, la société Vestra ayant renoncé à appliquer un objectif.
Aux termes de l'article 2 du contrat de travail, la société Vestra s'est réservée la faculté de confier à M. Delplace la représentation de nouveaux produits moyennant des conditions différentes de celles faisant l'objet du présent contrat. Elle a donc bien fait application de cette clause en accompagnant la distribution de ces nouveaux produits d'une réduction du secteur géographique couvert par le représentant afin d'équilibrer ses revenus et sa charge de travail en réduisant corrélativement ses déplacements et les frais y afférent.
Il convient d'ailleurs de relever qu'à l'article 4 du contrat de représentation, les parties sont expressément convenues de réduire le secteur du représentant pour des raisons d'efficacité et dans ce cas, la SA Vestra s'est contractuellement engagée " à garantir au représentant l'intégralité de son revenu, tel qu'avant la modification du secteur pendant deux ans. "
Il n'existe donc aucun motif d'annuler la clause de modification de secteur, que M. Delplace ne conteste d'ailleurs pas avoir librement acceptée en paraphant chaque page du contrat et en apposant sa signature in fine, celle-ci n'étant susceptible d'entraîner aucune diminution de la rémunération pendant la période couverte par la garantie de rémunération contractuelle. M. Delplace qui a pris acte de la rupture dès le mois de novembre 1993, n'établit pas plus qu'une telle réduction de secteur compensée par la représentation d'un nouveau produit, est de nature à entraîner une baisse de sa rémunération au-delà de cette période de garantie contractuelle. De plus, la modification intervenue n'est pas de nature à ôter toute fixité au secteur de M. Delplace qui reste parfaitement déterminé au contrat.
Pour l'ensemble de ces motifs, le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a dit que la rupture dont M. Delplace a pris l'initiative alors que son contrat de travail n'a subi aucune modification substantielle, lui est imputable et s'analyse donc en une démission.
En conséquence, le salarié sera débouté de ses prétentions à des indemnités de rupture qui ne sont nullement fondées.
Sur les retenues injustifiées
M. Delplace sollicite à ce titre, la somme de 6 000 F retenue par la société Vestra en avril 1993 à titre de provision pour retours de marchandises et impayés. Or, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette prétention qui n'est étayée d'aucune preuve objective. La société Vestra établit au contraire avoir restitué à M. Delplace sur cette provision la somme de 5 040,75 F le 31 janvier 1994 après avoir légitimement déduit de la provision retenue des retours et impayés enregistrés sur ses commandes, M. Delplace ne pouvant prétendre qu'aux commissions sur les ordres acceptés, livrés et intégralement payés.
Sur la garantie de salaires
M. Delplace qui représentait de juillet 1992 à la mi-novembre 1992, la collection printemps/été 1993 est en droit d'exiger l'application de la garantie de salaires contractuelle relativement aux ordres de la collection de référence. En effet, il convient de considérer, au vu des comptes-rendus des représentants pour les années 1990 et 1991, qu'à la mi-novembre 1992 le représentant a prospecté l'ensemble de sa clientèle pour ladite collection. Dans ces conditions, la rupture intervenue ne saurait être de nature à écarter le jeu de la garantie contractuelle.
Or, la cour ne dispose pas des éléments comptables permettant de déterminer les montants dus au salarié de ce chef. Il convient donc de rouvrir les débats sur ce point, et d'enjoindre aux parties d'effectuer un décompte précis des commissions effectivement perçues par M. Delplace pour les collections printemps/été des années 1992 et 1993 et de chiffrer sur cette base la somme due au représentant par application de la clause de garantie de rémunération contractuelle.
En conséquence, le jugement entrepris mérite d'être partiellement infirmé en ce sens.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Delplace qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions supportera les entiers dépens dans la proportion de 3/4 et la société Vestra, le quart restant.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare l'appel interjeté par M. Delplace régulier en la forme et recevable ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute le salarié de sa demande relative à la garantie de salaires ; Statuant à nouveau, Réserve à statuer sur le montant de la garantie de salaires dû à M. Delplace ; Ordonne la réouverture des débats ; Enjoint aux parties de produire pour la mise en état du 28 janvier 1999 à 14 heures 15 salle 10 un décompte comparé des commissions effectivement perçues par M. Delplace pour les collections printemps/été 1992 et 1993 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne M. Delplace et la SA Vestra, à supporter les dépens des deux instances, respectivement à proportion des trois quarts et un quart.