TPICE, 3e ch., 15 janvier 1997, n° T-77/95
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Syndicat français de l'express international, DHL international, Service CRIE, May Courier
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Juges :
MM. Briënt, Potocki
Avocats :
Mes de Rivery, Derenne.
LA COUR,
Faits
1 Le 21 décembre 1990, le Syndicat français de l'express international (ci- après "SFEI"), dont les trois autres requérants sont membres, a déposé une plainte auprès de la Commission en vue de faire constater la violation, par l'Etat français, des articles 92 et suivants du traité CEE (devenu traité CE, ci-après "traité").
2 Le 18 mars 1991, une réunion informelle s'est tenue à Bruxelles entre les représentants du plaignant et ceux de la Commission. Au plus tard à cette date, la question d'une éventuelle violation de l'article 86 par la poste française (ci-après "La Poste"), en tant qu'entreprise, de l'article 90, par l'Etat français, et des articles 3, sous g), 5 et 86 du traité, par l'Etat français, a été évoquée.
3 Les échanges de vues, tels qu'ils sont rappelés par les requérants, sans être contestés par la Commission, peuvent être résumés comme suit.
4 Au regard de l'article 86, les requérants dénonçaient l'assistance logistique et commerciale prétendument fournie par La Poste à sa filiale, la Société française de messageries internationales (devenue GDEW France depuis 1992) (ci- après "SFMI"), active dans le secteur du courrier rapide international.
5 Au titre de l'assistance logistique, les requérants contestaient la mise à disposition des infrastructures de La Poste, en vue de la collecte, du tri, du transport, de la distribution et de la remise au client du courrier, l'existence d'une procédure privilégiée de dédouanement normalement réservée à La Poste et l'octroi de conditions financières privilégiées. Au titre de l'assistance commerciale, les requérants faisaient état, d'une part, du transfert d'éléments du fonds de commerce, tels que la clientèle et l'apport d'achalandage, et, d'autre part, de l'existence d'opérations de promotion et de publicité, effectuées par La Poste en faveur de la SFMI.
6 L'abus aurait consisté, pour La Poste, à faire bénéficier sa filiale SFMI de son infrastructure, à des conditions anormalement avantageuses, afin d'étendre la position dominante qu'elle détenait sur le marché du service postal de base au marché connexe du service de courrier rapide international. Cette pratique abusive se serait traduite par des subventions croisées au profit de la SFMI.
7 Au regard des articles 90, d'une part, 3, sous g), 5 et 86 du traité, les requérants soutenaient que les agissements illicites de La Poste en matière d'assistance à sa filiale trouvaient leur origine dans une série d'instructions et de directives émanant de l'Etat français.
8 Le 10 mars 1992, la Commission a adressé au conseil du plaignant une lettre de rejet de la plainte fondée sur l'article 86 du traité.
9 Le 16 mai 1992, le SFEI, DHL International, Service Crie et May Courier ont formé un recours en annulation à l'encontre de cette décision, qui a été déclaré irrecevable par le Tribunal (ordonnance du 30 novembre 1992, SFEI e.a.-Commission, T-36-92, Rec. p. II-2479). Sur pourvoi, cette ordonnance a été annulée par la Cour, qui a renvoyé l'affaire devant le Tribunal (arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a.-Commission, C-39-93 P, Rec. p. I-2681).
10 Par lettre du 4 août 1994, la Commission a retiré la décision qui faisait l'objet de la procédure dans l'affaire T-36-92. Le Tribunal a en conséquence prononcé un non-lieu à statuer (ordonnance du 3 octobre 1994, SFEI e.a.-Commission, T-36-92, non publiée au Recueil).
11 Le 29 août 1994, le SFEI a mis la Commission en demeure d'agir, conformément à l'article 175 du traité.
12 Le 28 octobre 1994, la Commission a adressé au SFEI une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), l'informant de son intention de rejeter la plainte.
13 Par lettre du 28 novembre 1994, le SFEI a fait parvenir à la Commission ses observations et a mis en demeure celle-ci de lui adresser une décision définitive.
14 Le 30 décembre 1994, la Commission a adopté la décision faisant l'objet du présent recours (ci-après "Décision"). Le SFEI en a reçu notification le 4 janvier 1995.
15 La Décision, sous forme d'une lettre signée de M. Van Miert, membre de la Commission, est libellée comme suit (numérotation des paragraphes non reprise) :
"La Commission se réfère à votre plainte déposée auprès de mes services en date du 21 décembre 1990 à laquelle était annexée une copie d'une plainte séparée introduite le 20 décembre 1990 auprès du Conseil français de la concurrence. Les deux plaintes concernaient les services express internationaux de l'administration postale française.
Le 28 octobre 1994, les services de la Commission vous ont adressé une lettre sur fondement de l'article 6 du règlement n° 99-63 où il était indiqué que les éléments recueillis lors de l'instruction de l'affaire ne permettaient pas à la Commission de donner une suite favorable à votre plainte concernant les aspects au regard de l'article 86 du traité, et où vous étiez invités à soumettre des commentaires à cet égard.
Dans vos commentaires du 28 novembre dernier, vous avez maintenu votre position en ce qui concerne l'abus de position dominante de La Poste française et de la SFMI.
De ce fait, à la lumière de ces commentaires, la Commission vous informe par la présente lettre de sa décision finale à propos de votre plainte du 21 décembre 1990 en ce qui concerne l'ouverture d'une procédure au titre de l'article 86.
La Commission considère, pour les raisons détaillées dans sa lettre du 28 octobre dernier, qu'il n'y a pas dans le cas d'espèce suffisamment d'éléments prouvant que de prétendues infractions persisteraient pour pouvoir donner une suite favorable à votre demande. A cet égard, vos commentaires du 28 novembre dernier n'apportent aucun élément nouveau permettant à la Commission de modifier cette conclusion, qui est supportée par les motifs développés ci-dessous.
D'une part, le livre vert relatif aux services postaux sur le marché unique ainsi que les lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires [COM (93)247 final du 2 juin 1993] abordent, entre autres, les principaux problèmes soulevés dans la plainte du SFEI. Bien que ces documents ne contiennent que des propositions de lege ferenda, ils doivent notamment être pris en considération pour évaluer si la Commission utilise de manière appropriée ses ressources limitées et notamment si ses services s'emploient à développer un cadre réglementaire concernant le futur du marché des services postaux plutôt que d'enquêter de sa propre initiative au sujet de prétendues infractions portées à sa connaissance.
D'autre part, une enquête menée, au titre du règlement n° 4064-89, auprès de l'entreprise commune (GD Net) créée par TNT, La Poste et quatre autres administrations postales a conduit la Commission à la publication de sa décision du 2 décembre 1991 dans l'affaire n° IV-M.102. Par sa décision du 2 décembre 1991, la Commission a décidé de ne pas faire obstacle à la concentration notifiée et de la déclarer compatible au regard du Marché commun. Elle a tout particulièrement mis en évidence qu'en ce qui concernait l'entreprise commune "la transaction proposée ne crée pas ou ne renforce pas de position dominante qui pourrait entraver de manière significative la concurrence dans le Marché commun ou dans une partie importante de celui-ci".
Quelques points essentiels de la décision portaient sur l'impact que les activités de l'ex-SFMI pouvaient avoir sur la concurrence : l'accès exclusif de la SFMI aux équipements de La Poste a été réduit dans son rayon d'action et devait se terminer deux ans après la fin de la fusion, la tenant ainsi à distance de toute activité de sous-traitance de La Poste. Toute facilité d'accès légalement octroyée par La Poste à la SFMI devait être offerte, de manière similaire, à n'importe quel autre opérateur express avec lequel La Poste signerait un contrat.
Cet aboutissement rejoint tout à fait les solutions proposées pour l'avenir que vous aviez soumises le 21 décembre 1990. Vous aviez demandé que la SFMI soit contrainte de payer les services des PTT au même taux que si elle les achetait à une compagnie privée, au cas où la SFMI choisirait de continuer à utiliser ces services ; que "l'on mette fin à toutes aides et discrimination", et que "SFMI ajuste ses prix suivant la valeur réelle des services offerts par La Poste".
Dès lors, il est évident que les problèmes relatifs à la concurrence actuelle et future dans le domaine des services express internationaux que vous évoquez ont été résolus de manière adéquate par les mesures prises dès à présent par la Commission.
Si vous estimez que les conditions imposées à La Poste dans l'affaire IV-M.102 n'ont pas été respectées, notamment dans le domaine du transport et de la publicité, c'est alors à vous d'en apporter -dans la mesure du possible- les preuves, et éventuellement d'introduire une plainte sur le fondement de l'article 3.2 du règlement n° 17-62. Cependant, des phrases indiquant "qu'actuellement les tarifs (hors ristournes éventuelles) pratiqués par la SFMI demeurent substantiellement inférieurs à ceux des membres du SFEI" (page 3 de votre lettre du 28 novembre) ou que "Chronopost utilise des camions P et T comme support publicitaire" (procès-verbal de constat annexé à votre lettre) devraient être supportées par des éléments de fait justifiant une enquête par les services de la Commission.
Les actions que la Commission entreprend au titre de l'article 86 du traité ont pour objectif d'entretenir une concurrence réelle sur le marché intérieur. Dans le cas du Marché communautaire des services express internationaux, eu égard au développement significatif détaillé ci-dessus, il aurait été nécessaire de fournir de nouvelles informations à propos d'éventuelles violations de l'article 86 pour permettre à la Commission de justifier son intention d'enquêter sur lesdites activités.
Par ailleurs, la Commission considère qu'elle n'est pas tenue d'examiner d'éventuelles violations des règles de concurrence qui ont eu lieu dans le passé si le seul objet ou effet d'un tel examen est de servir les intérêts individuels des parties. La Commission ne voit pas d'intérêt pour entamer une telle enquête au titre de l'article 86 du traité.
Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je vous informe que votre plainte est rejetée."
Procédure
16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mars 1995, les requérants ont introduit le présent recours.
17 Le 2 octobre 1996, conformément aux dispositions des articles 14 et 51 du règlement de procédure du Tribunal, la formation plénière du Tribunal a décidé de renvoyer l'affaire, initialement attribuée à la troisième chambre élargie, devant la troisième chambre.
18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité les parties à répondre à certaines questions écrites, ce qu'elles ont chacune fait par lettre du 30 octobre 1996.
19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales lors de l'audience publique du 14 novembre 1996.
Conclusions des parties
20 Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision SG (94) D-19144 de la Commission du 30 décembre 1994 ;
- condamner la Commission aux dépens.
Dans leur mémoire en réplique, les requérants ont également demandé à ce qu'il plaise au Tribunal :
- ordonner, le cas échéant, la production de tous documents desquels il résulterait (a) la preuve que les engagements donnés dans l'affaire GD Net ont été exécutés et qu'il a été mis fin aux subventions croisées et (b) la preuve que c'est de façon délibérée (notamment pour privilégier un règlement politique général du problème de la libéralisation du secteur postal) que la Commission a refusé de tirer les conclusions des violations aux règles de la concurrence dénoncées par les requérants et constatées par elle.
21 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner les requérants aux dépens.
Sur le premier moyen : violation de l'article 86 du traité
Arguments des parties
22 Selon les requérants, il résulte de façon certaine du déroulement de la procédure dans cette affaire, notamment de la réunion du 18 mars 1991, des lettres précitées de la Commission du 10 mars 1992, du 4 août 1994, du 28 octobre 1994 et du 30 décembre 1994, de l'examen des mémoires de la Commission à l'occasion de l'affaire T-36-92 et de l'arrêt de la Cour du 16 juin 1994, précité, que la Commission a procédé à un examen des faits allégués par les requérants dans leur plainte au regard de l'article 86 du traité et non pas seulement, comme elle le prétend aujourd'hui, recherché s'il existait un intérêt communautaire à entamer une enquête. Ayant ainsi manifestement fait application de l'article 86 du traité, la Commission aurait violé cette disposition à deux titres.
23 Dans la première branche de ce moyen, les requérants soutiennent que, en fondant la décision de rejet de plainte sur des conclusions tirées d'une décision d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (ci- après "règlement n° 4064-89") (décision 91-C 322-14 de la Commission du 2 décembre 1991 dans l'affaire n° IV-M.102, TNT-Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Post and Sweden Post, JO 1991, C 322, p. 19, ci-après "décision GD Net"), la Commission a violé les dispositions de l'article 86 pour les trois raisons suivantes.
24 En premier lieu, la Commission aurait commis une erreur de droit, puisque les modes et critères d'appréciation des faits soumis à son examen différent selon que la règle juridique appliquée est l'article 86 ou le règlement n° 4064- 89.
25 En deuxième lieu, elle ne pourrait valablement se référer à la décision GD Net, dès lors que les parties et les faits sont distincts de ceux visés dans la plainte.
26 En troisième lieu, en ne respectant pas les principes qu'elle avait elle- même posés pour apprécier la licéité de subventions croisées, telles que celles dénoncées dans la plainte au regard de l'article 86 du traité, et en se fondant sur des raisonnements juridiques inappropriés, la Commission aurait commis une erreur de droit.
27 Dans la seconde branche de ce moyen, les requérants soutiennent que, bien qu'ayant reconnu l'existence de différentes situations incompatibles avec l'article 86 du traité, la Commission aurait décidé, essentiellement à des fins politiques, de ne pas les sanctionner, accordant ainsi une exemption à l'infraction qu'elle était appelée à constater.
28 La Commission conclut au rejet de ce moyen, soutenant pour l'essentiel qu'elle n'a pas fait application de l'article 86 du traité, mais qu'elle s'est bornée à rejeter la plainte parce que l'examen de celle-ci n'aurait pas présenté un intérêt communautaire suffisant.
Appréciation du Tribunal
29 Selon une jurisprudence constante, l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu de cet article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et-ou à l'article 86 du traité (notamment arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, BEMIM-Commission, T- 114-92, Rec. p. II-147, point 62). En outre, la Commission est en droit de rejeter une plainte lorsqu'elle constate que l'affaire ne présente pas un intérêt communautaire suffisant à justifier la poursuite de l'examen de l'affaire (arrêt BEMIM-Commission, précité, point 80).
30 En l'espèce, le premier moyen soumis par les requérants repose sur une interprétation de la Décision qui est contestée par la Commission. En effet, celle-ci soutient que le rejet de plainte est uniquement fondé sur l'intérêt communautaire insuffisant que présentait l'affaire. Il convient, en conséquence, de déterminer le motif qui constitue le fondement du rejet de la plainte.
31 A cet égard, le Tribunal relève que, comme l'indiquent les requérants, la seule référence à l'intérêt communautaire -ailleurs implicite puisqu'il n'est question que d'intérêt- apparaît dans le pénultième paragraphe de la Décision, relatif aux infractions passées.
32 Toutefois, le Tribunal estime que le défaut d'intérêt communautaire à poursuivre l'examen de la plainte sous-tend toute la Décision. En effet, le pénultième paragraphe est indissociable du reste du texte. Ainsi, la Décision rappelle, tout d'abord, que le secteur des services postaux fait l'objet d'une analyse d'ensemble dans le cadre du livre vert sur les services postaux [COM (91) 476 final du 11 juin 1992] (ci-après "livre vert") et des lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires [COM (93) 247 final du 2 juin 1993] (ci-après "lignes directrices"), qui doivent être pris en compte pour évaluer si la Commission utilise de manière appropriée ses ressources limitées. Elle relève, ensuite, que les infractions dénoncées au titre de l'article 86 du traité dans le cas particulier du courrier rapide international ont été examinées et résolues par la Commission à l'occasion de la décision GD Net, celle-ci ayant donc permis à la Commission de remplir son rôle en matière de protection de la concurrence. La Décision souligne, par ailleurs, que les plaignants n'ont pas apporté la preuve de la persistance d'infractions et que la Commission n'a pas à s'occuper des infractions passées sous le seul angle de l'intérêt individuel des parties. La Commission conclut qu'elle ne voit pas d'intérêt à intervenir. Dès lors, toute la Décision est dictée par la recherche de l'opportunité d'intervenir dans un domaine où la Commission a déjà exercé son autorité. Pour le présent et l'avenir, les problèmes sont, de l'avis de la Commission, et en l'absence de preuve contraire soumise par les plaignants, résolus de manière adéquate.
33 De surcroît, le Tribunal relève que, en réalité, les éléments retenus dans la Décision n'auraient aucun sens si on devait les considérer comme une appréciation juridique au titre de l'article 86 du traité, en l'absence de toute définition du marché pertinent, tant géographique que matériel, de toute appréciation de la position de La Poste sur ce marché et de toute qualification des pratiques au regard de l'article 86 du traité.
34 Le Tribunal conclut donc que le rejet de la plainte est fondé sur le seul motif que l'affaire ne présentait pas, dans les circonstances de l'espèce, un intérêt communautaire suffisant.
35 Cette conclusion n'est pas contredite par les lettres précitées de la Commission et l'arrêt de la Cour du 16 juin 1994, SFEI e.a.-Commission, précité. En effet, même à supposer que la Commission ait procédé à un examen préliminaire des faits dénoncés au regard de l'article 86 du traité, cela ne saurait exclure que la Décision est uniquement fondée sur l'absence d'un intérêt communautaire suffisant (arrêt BEMIM-Commission, précité, point 81).
36 La Commission ayant conclu que l'affaire ne présentait pas un intérêt communautaire suffisant et n'ayant donc pas qualifié les pratiques dénoncées au regard de l'article 86 du traité, il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de cette disposition est, dans son ensemble, inopérant.
37 Compte tenu de cette conclusion, le Tribunal estime qu'il est approprié de modifier l'ordre des moyens soumis par les requérants, afin d'examiner tout d'abord le moyen tiré de la violation des règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire, qui n'était présenté que comme un moyen subsidiaire.
Sur le deuxième moyen : violation des règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire
Arguments des parties
38 Les requérants soutiennent, en premier lieu, que la jurisprudence a soumis la faculté de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire à des conditions strictes (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec-Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, point 86), à savoir l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du Marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'investigation nécessaires en vue de remplir, dans les meilleures conditions, la mission de surveillance du respect des articles 85 et 86 du traité. Or, la Commission n'aurait pas tenu compte de ces éléments ; au demeurant, aucun d'entre eux ne serait rempli en l'espèce.
39 En deuxième lieu, les requérants estiment que des documents tels que le livre vert et les lignes directrices n'auraient pas à être pris en considération dans l'appréciation de l'intérêt communautaire, d'autant qu'il n'en est résulté, à ce jour, aucun cadre réglementaire. En outre, la thèse de l'utilisation optimale des ressources limitées dont dispose la Commission serait inadmissible, dès lors que la préparation de textes réglementaires et l'instruction des plaintes en matière de concurrence relèvent de deux directions générales distinctes.
40 De même, la référence à la décision GD Net et aux engagements qui y sont annexés pour l'appréciation de l'intérêt communautaire serait erronée en droit, puisque, d'une part, cette décision a été adoptée sur le fondement du règlement n° 4064-89, et, d'autre part, la notion de position dominante est une notion objective, dont l'application ne pourrait dépendre des engagements pris par des entreprises. En tout état de cause, la décision GD Net ne serait pas pertinente en l'espèce. En effet, les engagements ne viseraient que la situation hypothétique dans laquelle les administrations postales feraient l'objet d'une demande d'accès au réseau ; en d'autres termes, en l'absence d'une telle demande, La Poste pourrait continuer à privilégier sa filiale. En outre, les engagements ne couvriraient pas toutes les infractions alléguées et ne concerneraient pas les mêmes parties que celles visées dans la plainte. Ensuite, la Commission aurait à tort considéré que les éléments de preuve apportés par les requérants pour établir la persistance des infractions dans les domaines de la publicité et du transport étaient insuffisants. Enfin, elle n'aurait pas expliqué comment elle pouvait avoir la certitude que les pratiques avaient cessé, alors qu'elle n'a pas examiné si les engagements étaient respectés.
41 Les requérants en concluent que le seul élément retenu par la Commission pour conclure au défaut d'intérêt communautaire repose sur le fait qu'elle ne serait pas tenue d'examiner des violations passées si le seul objet ou effet d'un tel examen est de servir les intérêts particuliers des plaignants (pénultième paragraphe de la Décision).
42 Or, une telle explication ne pourrait être valablement retenue. En effet, le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission au titre de l'article 3 du règlement n° 17 ne pourrait permettre d'aller à l'encontre des objectifs énoncés aux articles 3, sous g), 89, paragraphe 1, et 155 du traité. En outre, dans la mesure où l'article 86 sanctionne, par définition, des comportements passés, c'est-à-dire réalisés, qu'ils aient ou non cessé, se limiter à constater qu'une violation de l'article 86 du traité a cessé pour rejeter une plainte reviendrait à nier tout effet utile de cet article. A cet égard, les requérants se réfèrent à la jurisprudence relative à l'article 169 du traité selon laquelle, même si l'infraction a cessé de produire ses effets, il demeure un intérêt à voir établir l'existence ou non du manquement. Enfin, la circonstance que la Commission puisse ouvrir une procédure en cas de violation des engagements pris par une entreprise ne serait pas de nature à justifier le rejet d'une plainte fondée sur l'article 86 du traité.
43 En troisième lieu, les requérants soutiennent que la seule solution possible pour assurer efficacement la protection de l'intérêt communautaire aurait consisté à prendre une décision sanctionnant les pratiques dénoncées dans la plainte.
44 En effet, tout d'abord, les travaux pour l'élaboration d'un cadre réglementaire, toujours inexistant de surcroît, ne seraient pas de nature à aboutir aux résultats d'une procédure menée sur le fondement du règlement n° 17, à savoir la cessation des infractions à l'article 86 (arrêt du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC-Commission, T-37-92, Rec. p. II-285, points 50 à 61). En outre, un juge national saisi de ce dossier se trouverait confronté à des principes de droit communautaire n'ayant pas encore fait l'objet d'applications spécifiques. Une décision d'application aurait ainsi constitué un développement important du droit en la matière, parfaitement conforme à l'intérêt communautaire.
45 La Commission conclut au rejet de ce moyen, soutenant pour cela qu'elle a correctement fait usage de son pouvoir d'appréciation de l'intérêt communautaire.
Appréciation du Tribunal
46 A titre liminaire, s'il est vrai que le Tribunal a énuméré les éléments qu'il appartient à la Commission, notamment, de mettre en balance dans l'appréciation de l'intérêt communautaire, il n'en demeure pas moins que la Commission est en droit de retenir, dans cette appréciation, d'autres éléments pertinents. En effet, l'appréciation de l'intérêt communautaire repose nécessairement sur un examen des circonstances propres à chaque espèce, réalisé sous le contrôle du Tribunal (arrêt Automec-Commission, précité, point 86).
47 En l'espèce, compte tenu de l'analyse faite par le Tribunal sous le premier moyen, l'examen de l'appréciation de l'intérêt communautaire doit porter sur l'ensemble de la Décision. En effet, contrairement aux affirmations des requérants, cette appréciation ne se limite pas au pénultième paragraphe de la Décision.
48 Ainsi qu'il a été dit, l'appréciation de la Commission dans la Décision comporte deux parties.
49 Dans la première, la Commission se réfère au livre vert et aux lignes directrices. Il ressort de la Décision que cette référence avait pour objectif de préciser le contexte général dans lequel s'inscrit la présente affaire, en rappelant les efforts de la Commission pour la mise en place d'un cadre réglementaire concernant, notamment, l'activité en cause en l'espèce. Dans cette mesure, cet élément du raisonnement de la Commission, même s'il apparaît formellement en tête de celui-ci, présente, en l'espèce, un caractère supplémentaire. Il y a lieu de relever que la Commission n'a nullement prétendu que, en raison du livre vert et des lignes directrices, dont elle a souligné la nature de propositions de lege ferenda, les pratiques dénoncées dans la plainte auraient cessé.
50 En outre, dès lors que la Commission concluait par ailleurs que les pratiques dénoncées avaient cessé, elle était en droit de considérer que les efforts en vue d'élaborer pour l'avenir un cadre réglementaire, plutôt que l'examen d'une plainte relative à des pratiques passées et résolues, constituaient une utilisation appropriée de ses ressources limitées, même si, comme l'indiquent les requérants, de tels travaux relevaient, pour l'essentiel, de deux directions générales distinctes.
51 Le Tribunal conclut que les requérants ne peuvent utilement reprocher à la Commission sa référence à ces deux documents, compte tenu de l'objectif que poursuivait cette mention.
52 Dans la seconde partie de la Décision, la Commission expose que les pratiques dénoncées dans la plainte ont cessé, en raison de la décision GD Net, et que les plaignants n'ont pas apporté la preuve contraire. Elle en déduit que l'examen de la plainte, portant sur des comportements passés, aurait pour seul objet ou effet de servir les intérêts individuels des plaignants.
53 Il convient d'examiner tout d'abord si, en principe, la Commission est en droit de rejeter une plainte pour abus de position dominante, sur le fondement de l'absence d'intérêt communautaire, au motif que les pratiques dénoncées dans cette plainte ont cessé par la suite, si bien que le seul objet ou effet d'un examen serait de servir les intérêts individuels des plaignants.
54 A cet égard, le Tribunal rappelle que l'étendue des obligations de la Commission dans le domaine du droit de la concurrence doit être examinée à la lumière de l'article 89, paragraphe 1, du traité qui, dans ce domaine, constitue la manifestation spécifique de la mission générale de surveillance confiée à la Commission par l'article 155 du traité (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen-Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 63).
55 En outre, ainsi qu'il a été rappelé plus haut (voir ci-dessus point 29), l'article 3 du règlement n° 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu de cet article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 et-ou à l'article 86 du traité. La Commission est ainsi en droit d'accorder des degrés de priorité différents à l'examen des plaintes dont elle est saisie, et il est légitime qu'elle se réfère à l'intérêt communautaire que présente une affaire comme critère de priorité. Elle peut rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de l'affaire.
56 Enfin, la Cour a jugé que l'article 86 du traité est une expression de l'objectif général assigné par l'article 3, sous g), du traité à l'action de la Communauté, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche-Commission, 85-76, Rec. p. 461, 520).
57 Au vu de cet objectif général et de la mission assignée à la Commission, le Tribunal considère que, sous réserve de motiver une telle décision, la Commission peut légitimement décider qu'il n'est pas opportun de donner suite à une plainte dénonçant des pratiques qui ont ultérieurement cessé. Il en est d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, cette cessation est le résultat de l'action de la Commission. A cet égard, le Tribunal relève qu'il importe peu de savoir sur quel fondement juridique est adoptée une décision qui mettrait fin aux pratiques dénoncées, l'effet de cette décision devant seul être pris en compte.
58 Dans un tel cas, l'instruction de l'affaire et la constatation d'infractions passées n'auraient plus pour intérêt d'assurer une concurrence non faussée dans le Marché commun et ne correspondraient donc pas à la fonction attribuée à la Commission par le traité. L'objectif essentiel d'une telle procédure serait de faciliter aux plaignants la démonstration d'une faute devant les juridictions nationales en vue d'obtenir des dommages et intérêts.
59 En conséquence, la Commission était en droit de considérer, en l'espèce, que, ayant mis fin aux pratiques dénoncées par l'adoption d'une autre décision et ayant ainsi exercé son rôle de surveillance de la bonne application du traité, poursuivre la procédure, dans le seul but de qualifier des faits passés au regard de l'article 86 du traité, ne constituerait pas une utilisation appropriée de ses ressources limitées, surtout lorsqu'elle s'efforce, par ailleurs, d'établir un cadre réglementaire dans le secteur d'activité concerné. Cette analyse opérée par la Commission était d'autant plus légitime que, en présence d'une décision définitive de sa part de ne pas donner suite à l'examen d'une plainte dénonçant une violation de l'article 86 du traité, les instances nationales, éventuellement saisies par les requérants, sont compétentes pour statuer sur l'infraction alléguée.
60 La jurisprudence élaborée par la Cour pour l'application de l'article 169 du traité, à la supposer transposable comme le soutiennent les requérants, n'est pas de nature à modifier cette conclusion. En effet, s'il est vrai que la Cour a jugé que, même au cas où le manquement a été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu de l'article 169, deuxième alinéa, la poursuite de l'action conserve un intérêt en vue d'établir la base d'une responsabilité qu'un Etat membre peut encourir, en conséquence de son manquement (notamment arrêt de la Cour du 2 décembre 1992, Commission-Irlande, C-280-89, Rec. p. I-6185), il n'en reste pas moins que la Commission n'est pas tenue de poursuivre une telle action.
61 Il convient ensuite d'examiner si la Commission a pu, à bon droit, conclure que, en l'espèce, les pratiques dénoncées dans la plainte avaient cessé en raison de l'adoption de la décision GD Net.
62 Il est nécessaire, à titre liminaire, de rappeler que, dans la décision GD Net, la Commission a tout d'abord constaté que les accords notifiés contenaient une clause selon laquelle un service sous-traité, par la filiale commune, à une administration postale sera fourni moyennant rémunération, dans les conditions normales du commerce. Toutefois, ainsi que l'avaient fait valoir des tiers concurrents, la Commission a relevé que, au jour où elle se prononçait, les administrations postales n'avaient pas mis en place de mécanismes permettant de calculer précisément le coût de chacun des services fournis. Elle a de ce fait considéré que ne pouvaient être exclues des distorsions de concurrence. Elle a néanmoins estimé qu'il n'y aurait pour les administrations postales aucune justification économique à faire bénéficier la filiale de subventions croisées, dès lors que leur part individuelle des profits de la filiale commune ne pourrait équivaloir aux possibles subventions accordées par chacune. En outre, les administrations postales parties à l'opération se sont engagées à fournir les mêmes services à des tiers, dans des conditions identiques, aussi longtemps qu'elles ne pourraient pas établir l'absence de subventions croisées.
63 Au vu de ces éléments, il convient d'examiner les arguments des requérants tendant à démontrer que la décision GD Net n'a pas mis fin aux infractions dénoncées dans la plainte.
64 A cet égard, en premier lieu, s'il est vrai, comme le font valoir les requérants, que la plainte et la décision GD Net ne concernent pas toutes les mêmes parties, il demeure que la plainte, pour autant qu'elle visait l'infraction à l'article 86 du traité, dénonçait l'abus de position dominante de La Poste, ainsi qu'il ressort de l'exposé de cette plainte, non écrite (voir ci-dessus points 1 et 2), tel qu'il est présenté par les requérants dans leurs écritures dans la présente affaire. Quant à la décision GD Net, elle impliquait notamment La Poste ; celle-ci se trouve donc juridiquement liée non seulement par les dispositions des accords notifiés, et en particulier par les dispositions relatives à la rémunération des services qui lui seraient sous-traités, mais également par les engagements annexés à la décision. Il convient en outre de souligner que, par l'effet de l'opération de concentration, La Poste se retirait du marché des services de courrier rapide international, si bien qu'elle ne conservait pas d'activités propres dans ce secteur lui permettant d'échapper aux engagements pris.
65 Il en résulte que la Commission n'a pas commis d'erreur en se référant à la décision GD Net, même s'il n'y avait pas identité de parties entre cette décision et la plainte.
66 En deuxième lieu, il ressort de la décision GD Net que la filiale commune décidera seule des services qu'elle entend sous-traiter aux administrations postales, les sociétés-mères s'étant limitées à indiquer les services dont on pouvait s'attendre qu'ils seraient principalement concernés. Compte tenu des termes "on pouvait s'attendre" et de l'adverbe "principalement", utilisés dans la décision GD Net, le Tribunal considère qu'aucun service particulier n'est exclu, si bien que tous services que la filiale commune décidera effectivement de sous-traiter aux administrations postales, même au-delà de ceux qui sont expressément énumérés, seront fournis moyennant rémunération, dans les conditions normales du commerce, et soumis à l'engagement annexé à la décision.
67 Il en résulte que la Commission n'a pas commis d'erreur en estimant que les pratiques dénoncées dans la plainte, pour autant qu'elles concernaient les services de transport et de publicité, n'échappaient pas aux domaines couverts dans la décision GD Net.
68 En troisième lieu, s'agissant de la certitude de la Commission quant à la cessation des pratiques, il convient d'observer que, dès lors que La Poste est liée par les accords notifiés et par les engagements, la Commission pouvait à bon droit considérer que, une fois l'opération de concentration réalisée, soit, au vu des informations fournies au Tribunal, le 18 mars 1992, ces règles étaient respectées, en l'absence d'indices de leur violation.
69 En l'espèce, le Tribunal relève que les éléments de preuve apportés par les requérants dans leur lettre du 28 novembre 1994, précitée, en réponse à la lettre de la Commission du 28 octobre 1994, précitée, en vue d'établir la persistance des pratiques litigieuses, sont au nombre de deux : d'une part, un constat d'huissier, constatant une affiche publicitaire relative au service "Chronopost" sur un véhicule de La Poste, et, d'autre part, une mention, dans le corps de la lettre des requérants, selon laquelle "actuellement les tarifs (hors ristournes éventuelles) pratiqués par la SFMI demeurent substantiellement inférieurs à ceux des membres du SFEI", cette affirmation n'étant, au demeurant, pas étayée. Or, ces éléments, s'ils peuvent permettre d'établir que des services sont effectivement sous-traités, ne permettent pas en revanche de présumer l'existence de subventions croisées.
70 En conséquence, le Tribunal considère que la Commission n'a pas commis d'erreur en estimant qu'ils n'étaient pas suffisants pour justifier une enquête.
71 Cette conclusion ne saurait être affectée par le fait, dont les requérants se sont prévalus à l'audience, que la Commission a, en juillet 1996, décidé d'ouvrir une procédure, au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, à l'égard d'aides que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost (JO 1996, C 206, p. 3). En effet, une telle ouverture de procédure ne permet pas d'établir que, à la date d'adoption de la Décision, la Commission disposait d'éléments suffisants pour justifier que soit entamée une enquête au titre de l'article 86 du traité pour la période postérieure à l'adoption de la décision GD Net.
72 En quatrième lieu, l'argument selon lequel les engagements contractés, notamment, par La Poste ne viseraient qu'une situation hypothétique, en ce sens que, en l'absence d'une demande d'un tiers d'accéder au réseau des administrations postales, rien ne pourrait empêcher La Poste de continuer à faire bénéficier sa filiale de subventions croisées, repose sur une lecture partielle de la décision GD Net. Indépendamment de l'application des engagements, il reste que les parties à l'opération de concentration notifiée demeurent tenues par les clauses de leur contrat, en ce compris celle en vertu de laquelle tout service de sous-traitance sera fourni moyennant rémunération, dans des conditions normales du commerce ; en outre, il ressort de la décision GD Net qu'il n'y aurait pas, pour les administrations postales, de justification économique à faire bénéficier la filiale commune de subventions croisées ; cette appréciation, contenue dans la décision GD Net, qui n'a pas été déférée au Tribunal, n'a pas été contestée par les requérants dans leurs écritures. En réalité, les engagements constituent une mesure supplémentaire à la charge des administrations postales, les obligeant à accorder des conditions identiques, à service comparable, aux autres prestataires de services de courrier rapide international, aussi longtemps qu'elles ne pourront prouver l'absence de subventions croisées.
73 Le Tribunal estime, en conséquence, que c'est à tort que les requérants affirment que, en l'absence de demandes de tiers d'accéder au réseau de La Poste, rien ne pourrait empêcher celle-ci de faire bénéficier sa filiale de subventions croisées. Au demeurant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les requérants n'ont pas été en mesure d'apporter un commencement de preuve de la persistance de subventions croisées, de nature à justifier l'ouverture d'une enquête.
74 En cinquième lieu, à l'occasion des réponses aux questions écrites du Tribunal, les requérants ont tiré argument du retrait de La Poste du capital de la société GD Net, intervenu après l'adoption de la Décision (décision de la Commission du 24 juillet 1996, PTT Post-TNT - GD Net, affaire n° IV-M.787). Cet argument ne saurait être retenu. En effet, cette nouvelle situation ne saurait affecter la légalité de la Décision, qui s'apprécie au moment de l'adoption de celle-ci (voir, en dernier lieu, arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, SNCF et BR-Commission, T-79-95 et T-80-95, non encore publié au Recueil, point 48).
75 Au vu de l'ensemble de ces éléments, le deuxième moyen doit être rejeté.
76 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande des requérants, tendant à ordonner à la Commission de produire tous documents desquels il résulterait la preuve que les engagements donnés dans l'affaire GD Net ont été exécutés et qu'il a été mis fin aux subventions croisées.
Sur le troisième moyen : violation de l'article 190 du traité
Arguments des parties
77 Dans la première branche de ce moyen, les requérants relèvent deux contradictions de motifs.
78 Tout d'abord, il apparaîtrait de la Décision tout à la fois que la Commission a décidé de ne pas entamer d'enquête au titre de l'article 86 du traité (pénultième paragraphe de la Décision) et que les éléments recueillis lors de l'instruction de l'affaire n'ont pas permis de donner une suite favorable à la plainte (deuxième paragraphe), ce qui, dans le contexte de la présente affaire, signifierait que la Commission a mené une enquête et décidé d'y mettre fin en rejetant la plainte. Il y aurait ainsi contradiction de motifs, que les prétendues acceptions différentes du terme "enquête" ne pourraient expliquer.
79 Ensuite, la Décision et le mémoire en défense se contrediraient sur le point de savoir si les engagements souscrits dans l'affaire GD Net couvrent les aspects de la plainte relatifs à la publicité et au transport.
80 Dans la deuxième branche de ce moyen, les requérants soutiennent que la Décision ne permet d'établir ni si la Commission a examiné le grief tiré d'une violation de l'article 86 du traité, ni pourquoi cette disposition n'aurait pas été violée.
81 Dans la troisième branche de ce moyen, les requérants font valoir que la Décision ne comporte aucune motivation du rejet de la plainte, pour autant que celle-ci concernait la violation des articles 3, sous g), 5, second alinéa, et 86 du traité, d'une part, celle de l'article 90 du traité, d'autre part.
82 Dans la quatrième branche de ce moyen, les requérants soutiennent que, dans la mesure où l'argument tiré par la Commission de l'affaire GD Net ne peut être retenu, le défaut d'intérêt communautaire demeurerait l'unique motivation possible de la décision de rejet. Or, un tel motif ne pourrait être considéré, en l'état actuel du droit, comme s'inscrivant dans la ligne d'une pratique décisionnelle constante, si bien qu'une motivation sommaire devrait être exclue, surtout lorsque, comme en l'espèce, les intérêts en jeu sont importants.
83 La Commission soutient avoir motivé la Décision de façon suffisamment claire et cohérente. Elle conclut donc au rejet de ce moyen.
Appréciation du Tribunal
84 Dans la première branche du moyen, les requérants se prévalent de deux contradictions de motifs.
85 En premier lieu, ils allèguent qu'il est contradictoire d'affirmer qu'une enquête ne sera pas entamée, alors que la Commission avait déjà procédé à une enquête sur les pratiques dénoncées au regard de l'article 86. Cependant, même à supposer que la thèse des requérants soit exacte, il en résulterait simplement que la Commission, en concluant qu'elle ne voyait pas d'intérêt à entamer une enquête, a manqué de précision, en ce qu'elle aurait dû en réalité indiquer qu'elle ne voyait pas d'intérêt à poursuivre l'enquête. Une telle erreur, de nature terminologique, ne saurait suffire à constituer une contradiction de motifs susceptible d'affecter la compréhension du raisonnement de la Commission.
86 En second lieu, les requérants allèguent une contradiction de motifs entre la Décision et le mémoire en défense déposé par la Commission dans la présente affaire. Toutefois, le Tribunal estime que seule une contradiction propre aux motifs de l'acte attaqué serait de nature à vicier la légalité de celui-ci.
87 La première branche du moyen doit, en conséquence, être rejetée.
88 Sur la deuxième branche du moyen, tirée de l'absence de motivation au regard de l'article 86 du traité, il convient de rappeler que le rejet de plainte est uniquement fondé sur le défaut d'intérêt communautaire, sans que la Commission ait qualifié les pratiques au regard de cet article. En conséquence, cette branche du moyen est inopérante.
89 Sur la troisième branche du moyen, relative à la plainte visant la violation par l'Etat français des articles 90, d'une part, 3, sous g), 5 et 86 du traité, d'autre part, le Tribunal relève que, ainsi qu'il ressort des deuxième, quatrième et pénultième paragraphes de la Décision, celle-ci ne concerne que la partie de la plainte relative à l'article 86 du traité. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner la troisième branche du moyen.
90 Sur la quatrième branche du moyen, relative à la motivation de la Décision sur l'intérêt communautaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'obligation de motivation consiste à faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte attaqué, de façon à permettre au requérant de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et au juge communautaire d'exercer son contrôle (arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman-Commission, T-575-93, Rec. p. II-1, point 83). Plus particulièrement, en vertu de l'exigence de motivation, la Commission ne saurait se contenter de se référer abstraitement à l'intérêt communautaire. Elle est tenue d'exposer les considérations de droit et de fait qui l'ont conduite à conclure qu'il n'y avait pas d'intérêt communautaire suffisant de nature à justifier l'adoption de mesures d'instruction (arrêt Automec-Commission, précité, point 77).
91 Or, il ressort de l'examen des premier et deuxième moyens, exposés ci-dessus, que la Décision expose de façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission, ce qui a mis le Tribunal en mesure d'exercer son contrôle juridictionnel.
92 La quatrième branche du présent moyen doit donc être rejetée.
93 Au vu de l'ensemble de ces éléments, le troisième moyen est rejeté.
Sur le quatrième moyen : violation de principes généraux de droit communautaire
Arguments des parties
94 Dans la première branche de ce moyen, les requérants font valoir que la Commission a violé le principe de bonne administration, en ce qu'elle n'aurait ni examiné ni pris en compte une des pièces principales annexées à la plainte du SFEI, à savoir une étude économique élaborée par un cabinet d'audit (arrêts Automec-Commission précités, point 79, et Parker Pen-Commission, précité, point 63).
95 Dans la seconde branche de ce moyen, les requérants allèguent que la Commission a méconnu le principe fondamental de non-discrimination. Par application du principe de hiérarchie des normes, la Commission ne pourrait tenter de se justifier par référence à son pouvoir discrétionnaire dans le cadre du règlement n° 17.
96 En l'espèce, la Commission aurait adopté une attitude différente de celle adoptée dans d'autres affaires, à deux égards.
97 En premier lieu, la Commission aurait décidé de rejeter la plainte au motif qu'il ne s'agirait que de violations commises dans le passé et que l'examen n'aurait servi que les intérêts individuels des parties. Une telle motivation serait en contradiction avec de nombreuses décisions précédentes de la Commission, notamment lorsque l'infraction était constatée sur le fondement d'une plainte d'un tiers concurrent.
98 En second lieu, la Commission n'aurait appliqué ni le principe, reconnu par la Cour, selon lequel constitue une violation de l'article 86 le fait, pour une entreprise en position dominante sur un marché donné, d'étendre sans justification objective sa position dominante au bénéfice d'une filiale, sur un marché voisin, mais distinct, au risque d'éliminer toute concurrence de la part des entreprises tierces opérant sur ce marché (arrêt de la Cour du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C-18-88, Rec. p. I-5941), ni le principe selon lequel l'article 86, lu en combinaison avec les articles 3, sous g), et 5, second alinéa, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature légale ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence appliquées aux entreprises (arrêt de la Cour du 21 septembre 1988, Van Eycke, 267-86, Rec. p. 4769).
99 La Commission nie toute violation des principes de bonne administration et de non-discrimination.
Appréciation du Tribunal
100 En premier lieu, compte tenu du fait que la Décision rejette la plainte pour défaut d'intérêt communautaire, essentiellement en ce que les pratiques avaient cessé en raison de la décision GD Net du 2 décembre 1991, le Tribunal estime que ne peut constituer une violation du principe de bonne administration l'absence d'exploitation d'un rapport d'expertise du 6 décembre 1990, qui tendait à démontrer l'existence des pratiques dénoncées jusqu'en 1989, soit pour une période antérieure à l'adoption de la décision GD Net.
101 En second lieu, le Tribunal rappelle que le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de façon différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Bernardi-Parlement, T-146-95, non encore publié au Recueil, point 37).
102 A ce titre, le Tribunal constate, tout d'abord, que les requérants n'ont nullement établi que, dans une situation comparable à celle de l'espèce, dans laquelle des pratiques litigieuses auraient cessé en raison d'une décision antérieure de la Commission, celle-ci aurait néanmoins entamé une enquête au titre de l'article 86 du traité sur les faits passés. En conséquence, les requérants n'ont pas démontré la violation alléguée du principe de non-discrimination.
103 Ensuite, le Tribunal estime que les requérants ne peuvent se prévaloir d'une discrimination dans l'application de l'article 86 du traité, puisque la Décision est uniquement fondée sur le défaut d'intérêt communautaire, si bien que la Commission n'a pas qualifié les faits reprochés au regard de cet article.
104 Enfin, les requérants ne peuvent invoquer une discrimination dans l'application combinée des articles 3, 5 et 86 du traité, puisque, ainsi qu'il a déjà été dit, seule la partie de la plainte relative à l'article 86 du traité a fait l'objet de la Décision.
105 Le quatrième moyen doit, en conséquence, être également rejeté.
Sur le cinquième moyen : détournement de pouvoir
Arguments des parties
106 Les requérants font valoir, dans la première branche de ce moyen, que, en ne se fondant que sur des travaux prélégislatifs et sur une procédure d'application du règlement n° 4064-89, la Commission aurait éludé la procédure prévue par le règlement n° 17, commettant ainsi un détournement de procédure (arrêt de la Cour du 21 février 1984, Walzstahl-Vereinigung et Thyssen-Commission, Rec. p. 951, point 28).
107 Dans la seconde branche de ce moyen, afin de démontrer l'existence d'un détournement de pouvoir, les requérants avancent les éléments suivants.
108 En premier lieu, la procédure conduite par la Commission n'aurait consisté qu'en lettres d'attente et subterfuges.
109 En deuxième lieu, La Poste serait "très certainement" intervenue dans le cadre de l'examen de la présente affaire, comme elle était intervenue auprès de la Commission pour obtenir des modifications substantielles du livre vert.
110 En troisième lieu, les volte-face de la Commission auraient eu pour effet, et sans doute pour objet, de retarder l'appréciation de la légalité de ses choix.
111 En quatrième lieu, les déclarations des membres de la Commission successivement en charge de la concurrence illustreraient l'attitude ambiguë de la Commission, publiquement attachée au respect de la concurrence dans le secteur postal, mais cédant en réalité aux pressions de certains États et administrations postales, comme en atteste le traitement d'une autre plainte, déposée en 1988 par l'International Express Carrier Conference, relative au repostage ("remail").
112 En cinquième lieu, alors que les règles applicables à l'encontre des pratiques de subventions croisées sont clairement établies, la Commission aurait refusé d'utiliser les pouvoirs dont elle dispose au titre du règlement n° 17.
113 En dernier lieu, les requérants se réfèrent à une lettre du 1er juin 1995 du membre de la Commission L. Brittan au président de la Commission, dont il ressortirait que la Commission a décidé de ne pas poursuivre les infractions dénoncées dans la plainte, au profit de la mise en place d'une politique postale par le Conseil.
114 La Commission conclut au rejet de ce moyen, dépourvu, selon elle, de tout fondement sérieux.
Appréciation du Tribunal
115 Sur la première branche du moyen, tirée du détournement de procédure, le Tribunal rappelle que la Commission n'est pas tenue de mener une instruction lorsqu'elle est saisie d'une demande au titre de l'article 3 du règlement n° 17 ; toutefois, elle est tenue d'examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par la partie plaignante (arrêts Automec-Commission, précité, point 79, BEUC et NCC-Commission, précité, point 45, et du 24 janvier 1995, Ladbroke Racing-Commission, T-74-92, Rec. p. II-115, point 58). En l'espèce, il ressort de l'examen des deuxième et troisième moyens que la Commission a, à juste titre, rejeté la plainte pour défaut d'intérêt communautaire. Dans ces conditions, les requérants n'ont pas établi l'existence d'un détournement de procédure.
116 Sur la deuxième branche du moyen, il convient de rappeler qu'une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées (voir, en dernier lieu, arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Royaume-Uni-Conseil, C-84-94, non encore publié au Recueil, point 69).
117 En l'espèce, le Tribunal estime, tout d'abord, que la prétendue intervention de La Poste auprès de la Commission, pour obtenir le classement de cette affaire, la conjecture sur l'objet des prétendues volte-face de la Commission et les observations des requérants tirées d'une lettre qu'aurait adressée M. Brittan au président de la Commission, qui n'est pas produite au dossier et dont aucun élément ne permet même de confirmer l'existence, ne reposent que sur des allégations non étayées et, partant, insusceptibles de constituer des indices de nature à conclure à l'existence d'un détournement de pouvoir.
118 En outre, l'allégation que la procédure n'aurait consisté qu'en lettres d'attente n'est pas soutenue par les faits. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la plainte du 21 décembre 1990 ne portait que sur l'article 92 du traité ; ce n'est qu'ultérieurement, au plus tard le 18 mars 1991, que les faits rapportés dans la plainte ont été examinés au titre de l'article 86 du traité. En outre, ne peut être imputée à la Commission la période de mai 1992 à juin 1994, durant laquelle l'affaire était pendante devant le Tribunal, puis devant la Cour. Au vu de ces éléments, le Tribunal considère que la Commission a fait preuve, en l'espèce, de la diligence requise, même si elle n'a pas conclu dans le sens souhaité par les requérants.
119 La prétendue attitude ambiguë de la Commission dans le domaine des services postaux n'est pas non plus étayée. A ce titre, la référence au traitement par la Commission d'une autre plainte, déposée par une autre partie et relative à une activité distincte, n'est pas pertinente pour déterminer si, en l'espèce, l'adoption de la Décision est entachée d'un détournement de pouvoir.
120 Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, le fait, pour la Commission, de ne pas avoir utilisé les pouvoirs dont elle dispose au titre du règlement n° 17, notamment par des demandes de renseignement, n'est pas de nature à constituer un indice objectif de détournement de pouvoir.
121 Au vu de ces éléments, le cinquième moyen doit être rejeté.
122 Dans ces conditions, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande des requérants, tendant à ce que le Tribunal ordonne la production de tous documents desquels il résulterait que c'est de façon délibérée, notamment pour privilégier un règlement politique général du problème de la libéralisation du secteur postal, que la Commission a refusé de tirer les conclusions des violations aux règles de la concurrence prétendument constatées par elle.
123 Il s'ensuit que le recours dans son ensemble doit être rejeté.
Sur les dépens
124 Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, les requérants ayant succombé en leurs moyens et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de les condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Les requérants sont condamnés aux dépens.