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Décisions

CA Rennes, 8e ch. sect. 1, 25 mai 1989, n° 87-101

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodipa (SA)

Défendeur :

Le Bris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lurton

Conseillers :

M. Piperaud, Mme Boivin

Avocats :

Mes Brezulier, Glon

Cons. prud'h. Vannes, du 27 janv. 1987

27 janvier 1987

Par jugement du 27 janvier 1987 le Conseil de Prud'hommes de Vannes a condamné la société anonyme Sodipa à payer à Louis Le Bris la somme de 52 500 F à titre d'indemnité de clientèle, la somme de 26 897,27 F à titre de commissions pour la période du 23 octobre 1984 au 15 février 1985, le tout sous astreinte de 100 F par jour de retard, et la somme de 3 000 F au titre des frais irrépétibles et à lui délivrer des bulletins de salaires correspondant au rappel des commissions ;

La société Sodipa a interjeté appel de cette décision par déclaration du 3 février 1987 et a conclu à la reformation du jugement déféré, au débouté de Louis Le Bris en toutes ses demandes et à sa condamnation à lui payer la somme de 3 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en exposant, à l'appui de son recours ; - qu'en cours d'exécution du contrat de représentation, avait été institué entre les parties un droit de présentation qui se rattachait à une notion patrimoniale de clientèle, de telle sorte que l'intimé ayant perçu de son successeur, à qui il avait cédé le secteur du Morbihan, le prix de la cession n'était pas fondé à réclamer en outre une indemnité de clientèle, qu'au demeurant Louis Le Bris était démissionnaire et qu'en conséquence aucune indemnité de clientèle n'était due, qu'enfin, en ce qui concernait le rappel de commissions, l'intéressé ne pouvait réclamer des commissions pour une période durant laquelle il s'était trouvé en arrêt de maladie ;

Louis Le Bris a conclu pour sa part à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait condamné la société Sodipa à lui verser la somme de 26 897,27 F à titre de rappel de commissions, sous astreinte de 100 F par jour de retard et à sa reformation pour le surplus, sollicitant la condamnation de son ancien employeur a lui verser la somme de 190 000 F à titre d'indemnité de clientèle ainsi que la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Au soutien de ses prétentions, le salarié a fait valoir :

- Sur le rappel de commissions pour la période du mois d'octobre 1984 au mois de février 1985, que si en raison de son état de santé il avait du cesser ses visites à la clientèle, il avait cependant poursuivi son activité en recevant des commandes et en entretenant la fidélité de sa clientèle pour le compte de la société Sodipa, de sorte qu'il était fondé à réclamer les commissions relatives aux ordres passés soit directement par lui, soit par l'intermédiaire d'un tiers qui démarchait sa clientèle et agissait sur ses instructions, ce qui constituait donc également des ordres directs a son profit ;

- Sur l'indemnité de clientèle, qu'il répondait aux conditions légales pour y avoir droit, son départ de l'entreprise pour cause d'incapacité totale de travail lui faisant perdre pour l'avenir le bénéfice de la clientèle qu'il avait développée pendant 22 ans, clientèle qui ne faisait pas partie de son patrimoine ; que le préjudice ainsi causé par cette perte n'avait pas été entièrement réparé par le versement par son successeur dans le secteur du Morbihan, d'une somme de 70 000 F qui devait seulement venir en déduction de la somme de 260 000 F représentant deux années de commissions sur ce seul secteur du Morbihan ; qu'enfin il ne pouvait être soutenu par son employeur qu'il avait renoncé à l'indemnité de clientèle, celle-ci ayant un caractère d'ordre public rendant impossible la renonciation ;

Sur quoi, La COUR

Considérant que Louis Le Bris a été engagé le 17 septembre 1962 par la société Sodipa, entreprise de distribution de papiers, en qualité de représentant statutaire avec mission de prospecter et de développer la clientèle des établissements Clergeau, dent l'employeur venait d'acquérir la branche papiers d'emballages, sur le secteur des Côtes-du-Nord et du Finistère nord ; qu'à compter de février 1963, son secteur a été étendu au Finistère Sud et au Morbihan, le secteur du Finistère nord étant par la suite cédé en juin 1976, celui des Côtes-du-Nord en octobre 1982 et celui du Finistère sud en juin 1983, date à compter de laquelle l'intéressé ne prospectait plus que le Morbihan ;

Considérant qu'à compter de juillet 1984, Louis Le Bris a été mis en arrêt de maladie puis s'est vu notifier par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Morbihan, le 29 mars 1985 sa mise en invalidité seconde catégorie, avec effet du 26 février 1985, en sa qualité d'invalide absolument incapable d'exercer une activité quelconque, décision a la suite de laquelle est intervenue la rupture du contrat conclu entre les parties;

Considérant, s'agissant de la demande d'indemnité de clientèle, que la société Sodipa est mal fondée à soutenir que Louis Le Bris ne saurait y prétendre an motif qu'il aurait démissionné de ses fonctions de VRP ;

Considérant en effetque l'article L. 751-9 du Code du travail dispose expressément que le représentant a droit à une indemnité de clientèle dans le cas où la cessation du contrat intervient par suite d'accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail de l'employé, ce qui est très exactement le cas en l'espèce de Louis Le Bris, ainsi que cela résulte de la lettre de notification de sa mise en invalidité.

Considérant de même que le fait que par lettre du 25 février 1985, l'intimé ait écrit a son employeur : " je vous confirme également que je renonce par avance, lors de la rupture de mon contrat à toute indemnité de clientèle ou de quelque nature que ce soit " ne peut lui être utilement opposé, dès lors que l'indemnité de clientèle est un droit reconnu par une disposition légale à laquelle est attaché un caractère d'ordre public, en sorte que le représentant ne peut valablement y renoncer par avance ; qu'ainsi Louis Le Bris ne pouvait, le 25 février 1985, renoncer à une indemnité à laquelle il ne pouvait pas encore prétendre puisque son contrat de travail n'était pas encore rompu à cette date, la rupture n'intervenant au plus tôt qu'a la date de la notification de la décision du 29 mars 1985 ;

Considérant, en revanche, que la société Sodipa fait à juste titre valoir que le 27 février 1985, Louis Le Bris avait établi un acte sous seing privé par lequel il s'engageait à céder à Rémy Lefebvre, moyennant le prix de 70 000 F, sa clientèle du Morbihan lors de la rupture de son contrat avec la société Sodipa; que ce paiement était effectivement intervenu le 2 avril 1985 " pour la vente de son portefeuille sur le secteur 56 ", ainsi que rédigé dans un acte de cette date ;

Or considérant que l'article 5 du contrat conclu le 17 septembre 1962, lequel se référait expressément au statut des VRP, qui a exclu la notion de propriété de la clientèle, disposait expressément que Louis Le Bris ne pouvait prétendre à la revente de son portefeuille;

Considérant qu'en agissant comme il l'a fait, peu important à cet égard que ce fût avec l'accord au moins implicite de la société Sodipa, l'intéressé s'est placé tout à la fois en dehors du cadre contractuel et en dehors du cadre statutaire, de telle sorte qu'il se trouve en conséquence irrecevable à invoquer le bénéfice de l'indemnité de clientèle attachée à l'application du statut des VRP; qu'au demeurant il sera observe que lors des abandons antérieurs des secteurs du Finistère nord, des Côtes-du-Nord puis du Finistère sud, Louis Le Bris avait également vendu à ses successeurs les clientèles correspondantes ; que le seul fait qu'en 1985, il n'ait pas démissionné mais qu'il se soit trouvé dans l'impossibilité de continuer à travailler, ce qui ne pouvait, comme précédemment indiqué, suffire à lui interdire de prétendre à une indemnité de clientèle, ne change en rien la nature de la transaction passée avec son successeur, laquelle doit s'analyser, comme les précédentes et comme lui-même l'a qualifiée à deux reprises à l'époque, en une cession de clientèle exclusive de toute indemnité de la part de l'employeur;

Considérant qu'il convient donc de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à tort à Louis Le Bris une indemnité de clientèle et de le débouter de ce chef de demande ;

Considérant, sur le rappel de commissions, que l'article 8 de la Convention Collective Nationale des VRP dispose qu'après deux ans d'ancienneté, le représentant de commerce dent le contrat est suspendu du fait de maladie bénéficie, lorsque la suspension du contrat se prolonge au-delà de 30 jours d'une indemnité journalière complémentaire de celle suivie par la Sécurité Sociale et prenant effet rétroactivement à partir du onzième jour de suspension ; que le paragraphe 2 de ce texte, après avoir indiqué le mode de calcul de cette indemnité, précise qu'en sont déduites " ... les sommes éventuellement perçues par le représentant de commerce sur des ordres passés depuis le premier jour d'absence indemnisé ; au contraire les sommes perçues au titre d'ordres passés antérieurement à cette absence lui restent acquises " ;

Considérant qu'il ressort des pièces communiquées, qu'en application de ce texte, la société Sodipa, suite à un arrêt pour cause de maladie de Louis Le Bris, a reconnu lui devoir, pour la période d'indemnisation conventionnelle du 11 juillet au 23 octobre 1984, un total d'indemnités maladie de 9 106,50 F dent elle a déduit le montant des commissions perçues sur les ordres passés depuis le 1er juillet 1984 jusqu'en octobre 1984, soit 8 225,81 F et lui a donc malgré la différence, soit 880,69 F;

Considérant que Louis Le Bris limite sa demande de rappel aux commissions concernant les ordres passes à compter du 24 octobre 1984 jusqu'au 15 février 1985, date à partir de laquelle il avait expressément renoncé, dans sa lettre précitée du 25 février 1985, aux commissions afférentes à toutes les commandes directes ou indirectes ;

Considérant qu'il résulte des documents versées aux débats que pendant cette période du 24 octobre 1984 au 15 février certains ordres ont été enregistrés par la société Sodipa au nom de Louis Le Bris, sous le code 2.155 tandis que d'autres l'ont été sous le code 2.192, étant reconnu par l'intéressé, pour ces derniers, qu'ils avaient été passés par l'intermédiaire d'un tiers, le sieur Poilane, salarié de la société Sodipa ;

Considérant, concernant ces derniers ordres enregistrés sous le numéro 2.192, que Louis Le Bris est mal fondé à réclamer les commissions correspondantes pour la période en cause ; qu'en effet, dans sa lettre du 25 février 1985, il avait expressément écrit à son employeur " ... Par contre cette renonciation ne peut se confondre avec la liquidation des commissions dues sur les commandes prises sur ce secteur jusqu'au 14 février 1985, liquidation qui interviendra lors de la rupture définitive de mon contrat à l'exclusion des commandes enregistrées sous le code 2.192 " ; qu'il résulte de ce dernier membre de phrase, que l'intéressé avait en définitive renoncé aux commissions sur ces commandes, lesquelles n'avaient en effet pas été la contrepartie de son travail personnel mais la contrepartie du travail d'un tiers ;

Considérant en revanche, qu'il n'est pas établi par la société Sodipa que les ordres enregistrés sous le code 2.155 n'ont pas été pris directement par Louis Le Bris, comme celui-ci le soutient, ce que son arrêt pour cause de maladie ne l'empêchait pas de faire, ainsi qu'on témoigne le fait que pour la période du 11 juillet au 23 octobre, l'appelante lui avait versé le montant des commissions correspondant aux ordres passés malgré son arrêt ;

Considérant qu'il convient en conséquence, réformant partiellement le jugement entrepris, de condamner la société Sodipa à payer à Louis Le Bris les seules commissions sur les commandes enregistrées sous le code 2,155, soit la somme nette correspondant à la somme brute de 10948,56 F ainsi que cela ressort d'un décompte de l'intimé et des pièces justificatives ;

Considérant que s'agissant du paiement d'une somme, il n'y a pas lieu à fixation d'une astreinte, contrairement à ce qu'a jugé à tort le Conseil de Prud'hommes ; que Louis Le Bris sera donc débouté de ce chef de demande ; que les intérêts sur la somme précitée courent à compter du 21 janvier 1986, date de l'audience de conciliation au cours de laquelle la demande de rappel de commissions a été contradictoirement présentée ;

Considérant que la société Sodipa devra délivrer à Louis Le Bris un bulletin de paie mentionnant le rappel de commissions ;

Considérant enfin que l'intéressé a été contraint d'agir en justice pour obtenir au moins partiellement satisfaction ; qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il lui sera donc alloué la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Vannes du 27 janvier 1987 ; Déclare Louis Le Bris mal fondé en sa demande d'indemnité de clientèle ; l'en déboute ; Condamne la société Sodipa à payer à Louis Le Bris : - à titre de rappel de commissions, la somme nette correspondant à la somme brute de 10 948,56 F avec les intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1986 ; la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens.