CA Dijon, 1re ch. civ., 17 septembre 1998, n° 98-00659
DIJON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Icoplastic (SRL)
Défendeur :
Desplanches, Alliche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Littner
Conseillers :
M. Jacquin, Mme Arnaud
Avoués :
SCP Fontaine-Tranchand, SCP Avril-Hanssen
Avocats :
Mes Abela, Roussot
Faits, procédure et prétentions des parties
Suivant acte sous seing privé du 10 août 1994 Messieurs Desplanches et Alliche ont reçu de la société de droit italien Icoplastic mandat de vendre en France des boxes, palettes et emballage en matière plastique moyennant une commission globale de 10 % susceptible d'être réduite à 5 % pour les ventes importantes avec l'accord des parties.
Le contrat était à durée indéterminée, avec faculté de résiliation à tout moment par l'une ou l'autre des parties et les mandataires bénéficiaient d'une exclusivité pour la clientèle agricole et agro-alimentaire.
Le 2 avril 1996 la résiliation du contrat est intervenue à l'initiative de la société Icoplastic et le 4 avril 1996 Messieurs Desplanches et Alliche ont assigné celle-ci en paiement, d'une part d'un solde de commissions de 118 543,64 F pour chacun d'eux, et d'autre part d'une indemnité de 350 000 F en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat qualifié par eux " d'agent commercial ".
Le 11 juin 1996 la société Icoplastic a elle-même assigné Messieurs Desplanches et Alliche en paiement d'une somme de 93 685,50 F, représentant des frais qu'elle aurait exposés en raison de fautes ou erreurs commises par les défendeurs auxquels elle n'a reconnu devoir qu'une somme de 34 768 F à chacun d'eux. En outre elle a contesté la qualité d'agent commercial revendiquée par ceux-ci.
Par jugement du 28 novembre 1997 le Tribunal de commerce de Macon a joint les deux procédures, condamné la société Icoplastic à payer à Messieurs Desplanches et Alliche une provision globale de 69 536 F qu'elle reconnaissait devoir, et ordonné une expertise comptable confiée à M. Hebert à l'effet de " prendre connaissance des documents contractuels de la cause ainsi que de la correspondance échangée entre les parties et de déterminer les commissions touchées annuellement par Messieurs Alliche et Desplanches depuis la conclusion du contrat ".
Dans les motifs de sa décision le tribunal a retenu que Messieurs Desplanches et Alliche devaient être considérés comme des agents commerciaux, que la rupture du contrat était imputable à la société Icoplastic, et que la demande de remboursement de frais exposés par cette dernière n'apparaissait pas fondée.
Par ordonnance du 17 février 1998 le Premier Président de ce siège a autorisé la société Icoplastic à interjeter appel immédiat du jugement susvisé et a fixé l'affaire au fond selon la procédure à jour fixe. Il a considéré que la décision comportait de véritables motifs décisoires.
La société Icoplastic, appelante, demande à la Cour de dire que le contrat du 10 août 1994 n'est pas un contrat d'agent commercial au sens de la loi du 25 janvier 1991, en tout état de cause que l'intérêt commun en est absent, et que sa rupture ne lui est pas imputable. Elle reconnaît devoir à chacun des intimés la somme de 24 768 F et non pas de 34 768 F comme mentionné par erreur dans le dispositif du jugement ; à titre subsidiaire elle demande que la mission confiée à l'expert soit ainsi libellée : " établir le compte entre les parties relatif aux commissions pouvant rester dues en examinant les commissions à taux réduit, les sommes restant dues par la clientèle sur les affaires conclues ainsi que le montant des frais exposés par la société Icoplastic du chef de la mauvaise exécution de certains contrats ". Enfin elle réclame a chacun des intimés une indemnité de 10 000 F en application de I'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de son recours l'appelante soutient essentiellement que ses mandataires n'auraient jamais concouru à la finalité du projet commun, qu'ils auraient considéré que la clientèle leur était personnelle et manqué a leur devoir de loyauté et d'information de la société, et que l'expertise s'imposerait pour arrêter le compte entre les parties en fonction notamment des réductions du taux de certaines commissions et de la mauvaise exécution de certains contrats.
Messieurs Desplanches et Alliche demandent à la Cour de confirmer que le contrat litigieux est un contrat d'agent commercial, que sa rupture est imputable à la société Icoplastic et en conséquence de la condamner à payer à chacun d'eux :
- 118 543,64 F à titre de solde de commissions,
- 350 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat,
- 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Subsidiairement, pour le cas où une expertise serait ordonnée, les intimés demandent que celle-ci ait lieu aux frais avancés de la société Icoplastic et que cette dernière soit condamnée a leur payer a chacun d'eux une provision de 24 768 F.
DISCUSSION
Sur la nature du contrat
Attendu que le contrat qui avait vocation à être exécuté en France par des ressortissants français, a été rédigé en langue française et désigne à deux reprises Messieurs Desplanches et Alliche en qualité d'" agents commerciaux ";
Attendu que cette dénomination a un contenu précis dans la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 et le tribunal a justement observé que les modalités d'exercice du travail des intimés (indépendance, absence de contraintes horaires et de quotas ....) caractérisaient le contrat d'agent commercial pour l'exercice duquel ils étaient régulièrement immatriculés sur les registres spéciaux tenus aux greffes des tribunaux de commerce de Dijon, en ce qui concerne M. Desplanches (depuis le 1er avril 1988) et de Carpentras, s'agissant de M. Alliche (depuis le 19 juillet 1994);
Attendu au surplus qu'il s'agissait bien de mandat d'intérêt commun puisque tant la société Icoplastic que ses agents avaient un intérêt matériel évident au développement en France de la clientèle de cette entreprise italienne;
Attendu que cette clientèle était commune à la société mandante et aux mandataires, même si par suite d'un abus de langage dans leurs conclusions de première instance les intimés ont écrit que la clientèle était " la propriété " de l'agent commercial, et non pas également celle de la société Icoplastic;
Attendu que la qualité d'agent commercial des intimés n'est donc pas sérieusement contestable;
Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial
Attendu que l'étude des correspondances échangées entre les parties révèle que la société appelante a fait grief à ses agents de lui transmettre parfois des commandes insuffisamment précises quant aux désignations des articles, de consentir aux clients des rabais excessifs ne garantissant pas une marge suffisante pour régler les commissions, et de ne pas exiger des règlements plus ponctuels et selon certaines modalités précisées notamment dans un courrier du 20 décembre 1995;
Mais attendu à l'inverse que les intimés ont reproché essentiellement à la société Icoplastic, d'une part le problème des livraisons qu'ils ont demandé instamment à M. Antonio Jemma, par courrier du 23 mai 1995, de régler au plus tôt, en venant personnellement en France et d'autre part le problème du retard de règlement de leurs commissions dues sur des factures honorées par les clients de l'entreprise ;
Attendu sur ce dernier point que la société appelante reconnaît devoir au moins à ce titre une somme globale de 49 536 F à Messieurs Desplanches et Alliche ;
Attendu que compte tenu de ce retard chronique de règlement de commissions dues aux agents commerciaux, les fautes ponctuelles reprochées à ceux-ci ne revêtent pas un caractère de gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat, et ce d'autant plus que ledit contrat était muet sur les normes de travail exigées des agents, et qu'aucune mise en demeure en leur a été adressée à ce sujet avant le courrier du 25 mars 1996 qui ne traitait d'ailleurs que des cas particuliers de trois clients de la société dont "Beauvais-Diffusion" et Gilbert;
Attendu que le défaut de réponse à ce courrier dans le délai très bref imparti, soit 7 jours, ne constitue pas davantage une faute grave de nature à justifier la résiliation unilatérale du contrat et la perte du droit à l'indemnité compensatrice prévue à l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 au profit des agents commerciaux;
Attendu enfin que le grief de concurrence déloyale impute à ces derniers n'est assorti d'aucun commencement de preuve, alors qu'à l'inverse l'exploitation nouvelle de la société Icofrance, qui a débuté le 19 mars 1996, selon les mentions figurant sur le registre du commerce, donc avant la rupture du 2 avril 1996, concernait tous les produits de la société gamme Ico et était de nature à ruiner l'exclusivité dont les intimés bénéficiaient sur les produits agricoles et agro-alimentaires;
Sur le montant de la créance de messieurs Desplanches et Alliche
Attendu que la Cour ne possède pas en l'état d'éléments suffisants de détermination pour calculer le solde des commissions dues par l'appelante en fonction des facturations encaissées sur les ventes réalisées par les intimés, du taux variable desdites commissions, et des débours éventuellement exposés par la société mandante en raison de commandes erronées ou d'autres prestations non conformes exécutées par ses agents;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de maintenir l'expertise ordonnée par le tribunal sous réserve de préciser la mission de M. Hébert en y ajoutant notamment la détermination de l'indemnité compensatrice due aux agents commerciaux en application de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991, et d'ordonner le dépôt du rapport au Greffe de la cour;
Attendu que le montant de la provision allouée aux intimés doit être fixé a 49 536 F conformément à l'offre rectifiée en cause d'appel ;
Attendu que la créance des intimés étant reconnue par la cour dans son principe, les dépens exposés à ce jour seront supportés par l'appelante;
DECISION
Par ces motifs : LA COUR, Vu l'ordonnance du Premier Président de ce siège du 17 février 1998 ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a décidé, d'une part, que Messieurs Desplanches et Alliche doivent être considérés comme des agents commerciaux, d'autre part que la rupture du contrat du 10 août 1994 est imputable à la société Icoplastic, et enfin qu'une expertise doit être confiée à M. Hébert demeurant 71 rue Jean Mace à Macon à l'effet d'arrêter le compte entre les parties ; Le réformant pour le surplus et y ajoutant ; Dit que Messieurs Desplanches et Alliche ont droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi par la rupture du contrat précité, et ce, par application de l'article 12 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 ; Sursoit à statuer sur le montant de cette indemnité et sur le solde de commissions réclamés par les intimés jusqu'au dépôt du rapport de M. Hébert au greffe de cette cour ; Dit que cet expert aura pour mission, les parties et les conseils régulièrement convoqués et entendus, s'ils comparaissent, de recueillir toutes informations et consulter tous documents contractuels et commerciaux utiles à l'effet de: 1°) déterminer le montant du solde de commissions a percevoir par Messieurs Desplanches et Alliche en fonction des ventes réalisées par eux pendant la durée d'exécution de leur mandat (du 10 août 1994 au 2 avril 1996), de l'encaissement effectif des factures correspondantes par la société Icoplastic, de la minoration éventuelle du taux de commission de 10% en cas d'accord des parties (article 3 du contrat) et des débours exposés par la société Icoplastic en cas d'exécution défectueuse des prestations par les agents commerciaux ; 2°) fournir tous éléments d'appréciation permettant d'évaluer, en fonction des usages de la profession, l'indemnité compensatrice due aux agents commerciaux en application de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 ; 3°) d'une manière générale arrêter le compte entre les parties ; Dit que Messieurs Alliche et Desplanches devront consigner au greffe de la cour dans le délai d'un mois à compter de ce jour une provision de 10 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert sous peine de caducité de l'expertise ; Dit que l'expert devra déposer rapport de ses opérations à ce même greffe dans le délai de 5 mois à compter de la notification de la consignation ; Dit que s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée l'expert devra lors de la première réunion, dresser un programme de ses investigations et évaluer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours, puis solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire ; Dit qu'à la fin de ses opérations, l'expert organisera une réunion de clôture au Cours de laquelle il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expertise ; Dit qu'au cas où l'expert constaterait que les parties sont parvenues à se concilier, il lui appartiendrait d'en aviser immédiatement le service central de contrôle des expertises (ou le magistrat chargé du contrôle) ; Désigne Monsieur Kerraudren, conseiller de la mise en état, pour suivre les opérations d'expertise ; Condamne la société Icoplastic a verser a chacun de Messieurs Desplanches et Alliche une provision de 24 768 F a valoir sur le montant de leur créance de commissions ; Sursoit à statuer sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Icoplastic aux dépens de première instance et d'appel exposés à ce jour avec faculté pour la SCP Avril, Hanssen, avoué, de recouvrer ceux exposés devant la Cour conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.