CA Paris, 25e ch. A, 5 avril 2002, n° 2001-00919
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Cheval Blanc (SARL)
Défendeur :
Blanchet (SA) - Elidis Paris Distribution
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picque
Avoués :
Me Ribaut, SCP Gibou-Pignot-Grappotter-Benetreau
Avocats :
Mes Dor de Saint Pulgent, Dreyfus Lemonier
La SA Blanchet exerçant sous l'enseigne "Elidis Paris Distribution", déclarant venir aux droits de la société La Brasserie, poursuit la société Le Cheval Blanc co-contractante de cette dernière en exécution de l'engagement d'achat annuel de 212 hectolitres de bière pendant cinq ans ou du paiement de l'indemnité conventionnelle souscrite en contrepartie de l'octroi d'un prêt de 50 000 F à la SARL Le Cheval Blanc, par un établissement bancaire auprès duquel le brasseur s'est porté caution.
Par jugement contradictoire du 24 novembre 2000 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a condamné la SARL Le Cheval Blanc à payer à la société Blanchet 116 352,71 F, majorés des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 1998, 10 000 F de dommages et intérêts et une indemnité de pareil montant au titre des frais irrépétibles.
La société Cheval Blanc a interjeté appel le 9 janvier 2001. Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 11 février 2002, elle soulève l'irrecevabilité de la demande de la SA Blanchet, soutient que la cession d'un fonds de commerce n'emporte pas cession des contrats et estime que la cession du contrat du 19 août 1994, par la société La Brasserie au profit de la SA Blanchet, lui est inopposable en ce qu'elle ne lui a pas été signifiée dans les termes des articles 1689 et 1690 du Code civil.
L'appelante considère aussi que le cessionnaire du contrat n'a pas repris le cautionnement consenti au CIC lors de l'octroi par cette banque du prêt de 50 000 F, alors que la convention initiale stipule que le revendeur reconnaît que cette contrepartie est un avantage économique et financier réel, déterminant son consentement. Elle fait valoir que la cession d'un contrat synallagmatique implique de recueillir aussi le consentement du cédé et en déduit qu'à défaut, le contrat du 19 août 1994 s'est trouvé rompu du fait du fournisseur, à la date de la cession de son fonds le 26 février 1996, soit antérieurement à la date à laquelle la société Blanchet prétend que la société Le Cheval Blanc a elle-même cessé de remplir les obligations contractuelles.
Cette dernière prétend encore que le contrat d'origine est nul à un double titre:
- comme faisant partie d'un ensemble conventionnel dans lequel l'engagement de fourniture exclusive est étroitement lié à un prêt obtenu "grâce à l'intervention du fournisseur" en infraction avec le monopole bancaire d'ordre public, la société de brasserie se livrant à titre habituel au cautionnement d'entreprises en contrepartie d'une exigence d'exclusivité de fournitures,
- en contrevenant au Règlement européen du 22 juin 1983, en ce que la contrepartie de l'obligation d'achat est dérisoire, la convention litigieuse n'offrant, selon l'appelante, qu'un avantage économique fictif, l'engagement de cautionnement n'ayant, au surplus, jamais été versé aux débats.
La société Le Cheval Blanc soutient encore que l'engagement de cautionnement est une fiction puisque la convention de fourniture exclusive oblige simultanément le débitant de boisson à payer toute somme restant due sur le montant prêté, en cas d'inexécution d'une quelconque des obligations, notamment de paiement d'une seule échéance.
L'appelante déduit la nullité de la clause pénale de la nullité de l'obligation principale et, à défaut, sollicite sa diminution tant du fait qu'une partie des engagements a été exécutée, qu'en fonction de son caractère, à ses yeux, manifestement excessif;
Elle indique avoir également souscrit une autre obligation de fourniture exclusive auprès d'un autre brasseur, mais précise t-elle, pour des produits que ne distribue pas la société Blanchet. Elle estime que cette dernière ne justifie pas détenir régulièrement le bénéfice des obligations d'exclusivité tant de la société La Brasserie que de la société HEINEKEN et lui dénie, en conséquence, tout droit à agir à son encontre. Elle considère aussi que l'examen préalable du litige, par la Commission Paritaire Nationale du Syndicat des Cafetiers et Limonadiers, était expressément stipulé par la convention de sorte que son exigence de sa saisine préalable ne constitue pas à ses yeux, une attitude dilatoire.
La SARL Le Cheval Blanc conclut à l'infirmation du jugement entrepris. Elle sollicite à titre principal l'annulation et au besoin, la résolution avec toutes conséquences de droit, de la convention du 19 août 1994:
- pour contravention aux dispositions d'ordre public de la loi bancaire,
- pour contravention aux dispositions du Règlement européen du 22 juin 1983 et à l'article 1131 du Code civil,
- aux torts exclusifs de la SA Blanchet.
Subsidiairement, l'appelante sollicite l'annulation de la clause pénale au visa des articles 1227, ou à défaut 1231, ou à défaut encore, 1152 du Code civil et dans tous les cas, demande qu'elle soit réduite à un euro.
En tout état de cause, la société Le Cheval Blanc requiert 2 286,74 euro de frais irrépétibles.
La SA Blanchet réplique, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 18 février 2002, qu'aux termes de l'acte du 28 février 1996 par lequel elle a acquis le fonds de commerce de la société La Brasserie, le fonds cédé comprend la totalité des contrats de fourniture de bières et autres boissons, "indépendamment du fait que certains de ces contrats ont pu être conclus en relation avec des prêts ou cautions accordés par le cédant et conservés par lui dans le cadre de la présente cession, dont les listes ont été communiquées [le même jour] à Blanchet SA".
L'intimée en déduit que la société La Brasserie n'avait aucun intérêt à agir dans la présente instance, "puisque celle-ci n'a pas pour objet ni un prêt, ni une caution". Elle soutient que le défaut d'exécution des formalités de signification ne rend pas le cessionnaire de la créance irrecevable à réclamer l'exécution de l'obligation cédée, dès lors que celle-ci n'est pas susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance. Elle fait valoir que la société Le Cheval Blanc ne fait pas état de grief résultant de la cession de créance et indique, au contraire, que la convention d'approvisionnement s'est poursuivie, postérieurement à la cession du fonds de commerce, pendant deux années jusqu'à la rupture résultant de la seule inexécution de la société Le Cheval Blanc. La société Blanchet prétend aussi que l'objet principal du contrat litigieux, ne concerne pas une opération de crédit ou de banque, mais se cantonne à une convention exclusive d'achat en application du règlement européen du 22 juin 1983, l'article 1er précisant expressément que la SARL Le Cheval Blanc reconnaissait que la contrepartie consentie constituait un avantage économique et financier réel et déterminant de son consentement. En tout état de cause, l'intimée estime que l'éventuelle violation de la loi bancaire du 24 janvier 1984, n'emporte pas nullité du contrat et que les entreprises sont autorisées à consentir des avances de paiement à leurs co-contractants en contrepartie d'un accord d'approvisionnement. Elle considère, par ailleurs, inopérant sur la présente instance, la souscription par l'appelante d'un autre contrat de fournitures exclusives dont elle admet qu'il concerne des produits qu'elle ne distribue pas. La SA Blanchet conclut à la confirmation du jugement entrepris, sollicite de porter à 3 800 euro ses dommages et intérêts, en application de l'article 1153, alinéa 4 du Code civil, et requiert 2 500 euro pour ses frais irrépétibles.
SUR CE,
Sur la recevabilité de la demande et l'opposabilité de la cession du contrat de fournitures:
Considérant qu'aux termes de la convention de cession de fonds de commerce intervenue le 28 février 1996 entre les sociétés La Brasserie SA et Blanchet SA, la première a cédé à la seconde son fonds de négoce en gros et demi-gros de boissons, cette cession comprenant expressément "la totalité des contrats de fournitures de bières et autres boissons";
Que le même acte précise que la cession des contrats de fourniture de bières est indépendante "du fait que certains de ces contrats ont pu être conclus en relation avec des prêts ou cautions accordés par le cédant et conservés par lui dans le cadre de la présente cession";
Considérant par ailleurs, qu'il n'est pas contesté que le contrat litigieux était directement en relation avec l'activité du fonds cédé;
Que l'article 2 du contrat de fournitures souscrit le 19 août 1994, initialement entre la société La Brasserie ("fournisseur") et la société Le Cheval Blanc ("revendeur"), stipule que le revendeur achètera exclusivement au fournisseur "ou tout autre entrepositaire qu'il désignerait...";
Que par cette stipulation, la société Le Cheval Blanc a implicitement, mais nécessairement, admis que le contrat de fournitures exclusives soit transmis à un autre entrepositaire;
Qu'en outre le contrat, qui prévoyait ainsi sa transmissibilité, ne stipule pas l'information préalable du revendeur, ni son agrément, étant surabondamment observé que l'assignation introductive de la présente instance, a opéré, en tant que de besoin, la signification de la cession du contrat;
Considérant aussi, que même si le contrat avait été souscrit originellement par la société Le Cheval Blanc en considération de l'engagement de cautionnement contracté par le fournisseur d'origine au profit de la Banque CIC, ayant permis l'octroi par cette dernière d'un prêt de 50 000 F au revendeur, la non-transmission de cet engagement à la société Blanchet SA, ne prive pas d'effet la transmission du contrat de fournitures exclusives, dès lors que l'appelante ne démontre, ni n'allègue que le concours bancaire concerné en ait été affecté;
Qu'il n'est au demeurant pas contesté, que le contrat de fournitures a continué de s'exécuter pendant environ deux années, postérieurement à sa cession intervenue dans le cadre de la vente du fonds de commerce du fournisseur précédent, ce qui corrobore l'acceptation de principe contenue dans le contrat d'origine;
Considérant en conséquence, que la SARL Le Cheval Blanc, ne pouvait pas s'opposer à la cession du contrat litigieux, de sorte que la demande de la société Blanchet SA est recevable en la forme et que la cession du contrat de fournitures exclusives du 19 août 1994, est opposable à l'appelante;
Sur la validité du contrat litigieux
Considérant qu'il n'est pas contesté que le contrat litigieux de fourniture a été souscrit en contrepartie, notamment, de l'avantage économique et financier constitué par l'engagement de cautionnement souscrit par le fournisseur au profit du CIC, afin de permettre au revendeur l'obtention d'un concours bancaire de 50 000 F;
Mais considérant que l'appelante n'allègue ni ne démontre, que la société La Brasserie, aurait perçu à cette occasion, un intérêt ou une commission de sorte que ledit engagement par signature n'entre pas dans la catégorie des actes visés à l'article L. 313-1 du Code monétaire et financier (ancien article 3 de la loi bancaire n° 84-46 du 24 janvier 1984) et n'est dès lors pas illicite;
Considérant par ailleurs qu'il est constant que le contrat litigieux n'a pas une durée excédant cinq ans et qu'il a été souscrit entre deux partenaires seulement; Qu'il n'est pas contesté par la société Le Cheval Blanc, que sans l'engagement de cautionnement souscrit par le fournisseur, l'établissement bancaire ne lui aurait pas octroyé le prêt de 50 000 F;
Que dès lors, l'engagement de fournitures exclusives du revendeur, a une contrepartie économique réelle et le contrat est en conséquence, conforme au règlement européen d'exemption du 22 juin 1983;
Considérant aussi que l'engagement du revendeur à payer toute somme restant due sur le montant prêté en cas notamment de défaut de paiement d'une seule échéance du prêt, ne rend pas fictif l'engagement de la caution, comme le soutient à tort, la société Le Cheval Blanc, en ce que cette clause est habituellement stipulée en faveur de la caution, laquelle est, en tout état de cause, subrogée dans les droits de la banque créancière qu'elle aura le cas échéant, désintéressée;
Sur la validité de la clause pénale
Considérant que le défaut de validité de ladite clause, tiré de la nullité de la convention dans son ensemble, est ici inopérante, le contrat n'étant pas ci-après annulé;
Considérant par ailleurs, que la société Le Cheval Blanc ne démontre pas le caractère prétendument excessif de la clause pénale contestée, le taux de 20 % du prix des quantités de bières, qui auraient été débitées si l'accord s'était poursuivi jusqu'à son terme, étant au demeurant usuel dans la profession pour ce type d'accord;
Sur les autres prétentions et moyens
Considérant que l'appelante ne démontre pas en quoi l'engagement d'exclusivité qu'elle indique avoir souscrit par ailleurs avec la société Heineken, soit de nature à la dispenser du respect des engagements qu'elle a souscrits dans le cadre du contrat du 19 août 1996;
Que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'elle ne pouvait pas se prévaloir de ses propres turpitudes, étant observé:
- que la société Blanchet n'a nullement prétendu agir au titre de cet autre contrat, dans le cadre de la présente instance,
- que la société Le Cheval Blanc a elle-même indiqué que les produits concernés n'étaient pas distribués par l'intimée,
- que l'article 2 dernier alinéa, du contrat du 19 août 1996 stipule expressément que le revendeur pourra, sous certaines conditions, s'approvisionner ailleurs si le fournisseur n'a pas le produit de référence;
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'engagement d'achat exclusif de cinq ans, a été partiellement exécuté tant avec la société originelle que pendant deux années avec la société Blanchet;
Mais considérant que l'article 1231 du Code civil est en l'espèce inopérant, le mode de calcul de la peine contractuelle étant fondé sur un pourcentage du prix des fournitures qui auraient été postérieurement exécutées, si l'accord s'était poursuivi jusqu'à son terme;
Considérant que la convention des parties stipulait une tentative de conciliation en cas de contestation;
Qu'en exigeant la saisine de la Commission paritaire de la Fédération nationale des boissons, la société Le Cheval Blanc, n'a fait qu'appliquer l'engagement réciproque souscrit à cet égard, par les parties de sorte que la faute qui lui est reprochée par la société Blanchet, n'est pas démontrée; Que cette dernière ne rapporte pas davantage la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un préjudice distinct du simple retard du paiement de l'indemnité contractuelle sollicitée, lequel fait par ailleurs l'objet de la demande concernant les intérêts moratoires;
Qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de cette dernière, les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer au cours de l'instance;
Par ces motifs: Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la SARL Le Cheval Blanc à payer 10 000 F de dommages et intérêts à la SA Blanchet, et réformant de ce seul chef; Rejette la demande de dommages et intérêts de la société Blanchet; Ajoutant au jugement déféré; Condamne la SARL Le Cheval Blanc aux dépens d'appel et à verser 2 500 euro de frais irrépétibles à la SA Blanchet; Admet la SCP Gibou-Pignot & Grappotte-Benetreau au bénéfice de l'article 699 du NCPC.