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Décisions

CA Paris, ch. économique et financière, 13 juin 1997, n° ECOC9710247X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Allô-Taxi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Feuillard

Avocat général :

M. Salvat

Conseillers :

Mmes Kamara, Marais

Avoué :

Me Huyghe

Avocat :

Me Amsellem

CA Paris n° ECOC9710247X

13 juin 1997

Saisi par M. Laporte, le 11 janvier 1995, de pratiques mises en œuvre par la société anonyme coopérative Allô Taxi dans le secteur de Cannes, le Conseil de la concurrence, par décision n° 96-D-53 du 17 septembre 1996, a enjoint à cette société de supprimer certaines dispositions de ses statuts et de son règlement intérieur, lui a infligé une sanction pécuniaire de 35 000 F et a ordonné la publication de sa décision dans le journal Nice-Matin couvrant le département des Alpes-Maritimes.

Il est fait référence aux constatations faites par le Conseil.

Allô Taxi est une société qui regroupait, en 1995, 145 des 148 exploitants de taxis cannois et facilitait l'exercice de l'activité professionnelle de ses membres, notamment par l'installation d'un standard radio pour la centralisation et la distribution des appels de la clientèle. Cette société est intervenue, en avril 1994, auprès des services de la mairie pour faire supprimer par France Télécom la possibilité d'appeler aux bornes téléphoniques et opérer le renvoi de l'appel sur le numéro du central téléphonique des taxis " CTT " qu'elle avait mis en place.

Ayant acquis de M. Bouchet l'autorisation de stationnement dont il était titulaire (transfert entériné par arrêté municipal du 3 mars 1994), M. Laporte a souhaité, en vain à plusieurs reprises, adhérer à Allô Taxi. Un avis favorable à l'adhésion n'a été donné par le conseil d'administration de la société que le 9 août 1996, après qu'un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence lui eut enjoint de prendre position conformément à ses statuts.

Le Conseil a considéré que Allô Taxi avait eu pour objectif, en écartant la candidature de M. Laporte, de décourager le rachat d'autorisations de stationnement et d'empêcher le développement d'une offre de transports occasionnels concurrente de celle des exploitants de taxis.

Par ailleurs, des dispositions des statuts ou du règlement intérieur de Allô Taxi, analysées par la décision, qui tendent, notamment à restreindre l'utilisation d'un radiotéléphone par les adhérents, à interdire l'utilisation de ce matériel par les anciens adhérents ou à empêcher une telle utilisation par les non-adhérents, ont été jugées par le Conseil comme constitutives de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La société Allô Taxi a formé un recours en annulation et réformation contre la décision du Conseil.

Elle demande à la cour de lui donner acte de sa décision de "renoncer purement et simplement " (à critiquer la décision du conseil en ce qu'elle se réfère) aux articles 12, alinéa 4, de ses statuts et 2 A de son règlement intérieur ainsi qu'à l'article 8, alinéa 3, de ce règlement relatif au principe d'une sanction ; d'infirmer la décision pour le surplus en ce qu'elle concerne l'article 3, alinéa 4, du règlement intérieur et d' " annuler " la sanction pécuniaire aux motifs de l'absence de preuve explicite ou de faisceau d'indices suffisants d'accords de volontés entre les membres de la concluante permettant d'établir la participation de celle-ci à une pratique anticoncurrentielle ; de constater que les coopérateurs reçoivent par l'intermédiaire de leur standard téléphonique à la fois " leur clientèle commune et personnelle " générant ainsi "des chiffres d'affaires accrus et consolidés ".

Elle fait valoir essentiellement, au soutien du maintien des dispositions de l'article 3, alinéa 4, de son règlement intérieur (interdiction pour l'exploitant adhérent de disposer à bord du véhicule d'un moyen de communication autre que le radiotéléphone agréé par la coopérative), que la mise en place du central téléphonique n'a engendré aucune suppression des possibilités des exploitants de taxis d'être "contactés directement dans leur véhicule par leurs clients personnels au travers des opératrices du central téléphonique ", les associés n'ayant été empêchés, à aucun moment, de se constituer et de développer une clientèle propre.

Le ministre de l'économie conclut à la confirmation de la décision du conseil en observant notamment que les dispositions des clauses sanctionnées ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence, la preuve matérielle de la pratique prohibée résultant des clauses elles-mêmes ; que la requérante parait reconnaître aujourd'hui la possibilité, pour les adhérents, de se constituer une clientèle propre sans pourtant leur laisser le choix de leurs propres modalités d'accès à cette clientèle, alors que la clause discutée, qui limite la liberté commerciale des adhérents en leur imposant de dépendre du standard de la société et supprime la liberté de choix du demandeur, entrave le libre jeu de la concurrence.

Le Conseil de la concurrence n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.

La société Allô Taxi a répliqué pour affirmer que les attestations produites démontrent l'existence d'une compétition accrue, ce qui prouve que la clause litigieuse n' à jamais eu pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, l'organisation mise en place visant essentiellement à limiter les pratiques anciennes et condamnables de commissionnement et les bornes téléphoniques municipales restant à la disposition du public. Elle ajoute que la décision du Conseil en ce qu'elle concerne la sanction pécuniaire pourrait être infirmée ou limitée, le quantum ne paraissant pas " correspondre à un dommage important cause à l'économie par des pratiques de (la concluante) finalement réduites à leur plus simple expression ".

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant qu'il résulte du sens de ses conclusions, confirmé par son conseil à l'audience, que la requérante critique la décision du conseil seulement en ce qu'elle a considéré les dispositions de l'article 3, alinéa 4, de son règlement intérieur comme anticoncurrentielles ;

Que, par ailleurs, l' " annulation " sollicitée de la sanction pécuniaire doit être regardée comme une demande de suppression de cette sanction ;

Considérant que la requérante ne discute pas réellement l'applicabilité en la cause de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que l'article 3 (poste mobile), alinéa 4, du règlement intérieur de la coopérative requérante, seule disposition demeurant en discussion, énonce :

" Il est interdit à tout membre associé de posséder et d'utiliser tout moyen de communication autre que le radiotéléphone agréé par la coopérative, sous peine d'exclusion définitive " ;

Considérant qu'il résulte des écritures prises par Allô Taxi, des dispositions statutaires et réglementaires qu'elle a mises en place, et des explications de son conseil que le principe de fonctionnement de la coopérative, rappelé par son vice-président, M. Cros, est fondé sur " l'égalité absolue devant l'attribution des courses pour tous les coopérateurs " ;

Que Allô Taxi estime même que la suppression de l'exclusivité consacrée par la disposition en cause diminuerait considérablement l'utilité du standard téléphonique, par suite celle de la coopérative elle-même ;

Mais considérant que l'exclusion imposée aux adhérents de tout moyen de radiotéléphonie autre que celui agréé par Allô Taxi constitue une pratique illicite en conférant une exclusivité au standard téléphonique mis en place par la coopérative pour tout contact entre l'exploitant de taxi et un client éventuel, interdisant ainsi à l'exploitant tout rapport direct et personnel avec une clientèle propre par un moyen de son choix;

Que la disposition en cause du règlement intérieur est anticoncurrentielle par son objet;

Que Allô Taxi discute donc vainement le mode de "preuve " de la pratique incriminée ;

Considérant qu'un crédit relatif doit être accordé aux nombreuses attestations produites par Allô Taxi d'où il résulterait que les exploitants adhérents peuvent, par l'intermédiaire du standard téléphonique, être mis en contact avec tant leur clientèle propre que leur clientèle " commune ".

Qu'en effet, outre qu'il n'a pas été avancé au cours de l'enquête, cet argument contredit le sens des déclarations des responsables de Allô Taxi comme la finalité même du standard téléphonique telle qu'elle a été conçue par ces deniers ;

Qu'au surplus cet argument est difficilement compatible avec le souhait de Allô Taxi, motif du présent recours, de maintenir la disposition en cause dans son règlement intérieur ; que, logiquement et compte tenu de la teneur des attestations, cette disposition devrait pouvoir être supprimée sans inconvénient si, comme elle l'affirme, Allô Taxi n'a jamais eu l'intention d'entraver la concurrence ;

Considérant que Allô Taxi n'invoque pas réellement les dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la requérante ne conteste pas davantage les critères mis en œuvre par le conseil pour la détermination de la sanction pécuniaire en application de l'article 13 de l'ordonnance ;

Que, contrairement à ce qu'elle parait affirmer, le montant modéré de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée n'est pas disproportionné par rapport à l'importance du dommage cause à l'économie ;

Considérant ainsi que le recours sera rejeté,

Par ces motifs : Statuant dans la limite du recours, Rejette le recours formé par la société Allô Taxi contre la décision n° 96-D-53 du 17 septembre 1996 du Conseil de la concurrence ; Condamne la société Allô Taxi aux dépens.