CCE, 27 juillet 1999, n° 1999-574
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Télécom Développement
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté Européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité(1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1216/1999(2), vu la demande d'attestation négative et la notification en vue de l'exemption introduites, conformément aux articles 2 et 4 du règlement n° 17, le 9 juillet 1997, vu le résumé de cette demande et de cette notification publié(3) conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit:
I. FAITS
A. INTRODUCTION
(1) Le 11 avril 1997, Cégétel SA (ci-après dénommée "Cégétel"), un nouvel opérateur de télécommunications en France, et la SNCF, la Société nationale des chemins de fer français (ci-après dénommée "SNCF"), ont conclu divers accords de coopération en vue de mettre en place et d'exploiter, par l'intermédiaire d'une filiale commune, Télécom Développement (ci-après dénommée "TD"), un réseau national de télécommunications longue distance le long du réseau national de chemins de fer français.
(2) L'opération notifiée est liée à la création de Cégétel. Dans la décision du 20 mai 1999 qu'elle a arrêtée dans l'affaire IV/36.592(4), la Commission a déclaré que les accords relatifs à l'établissement de Cégétel comme opérateur de télécommunications en France ne soulevaient pas d'objections au regard de l'article 81, paragraphe 1, du traité.
B. PARTIES
(3) La SNCF est l'opérateur public de chemins de fer en France. Ses activités sont à la fois industrielles et commerciales. Elle fournit des services de transport sur le réseau ferré national. Ses principales activités consistent dans le transport de passagers et de marchandises, ainsi que dans des activités connexes et complémentaires. La SNCF possède son propre réseau de télécommunications afin de pouvoir satisfaire ses besoins internes. Elle a réalisé un chiffre d'affaires total de 6,573 milliards d'euro en 1997.
(4) Cégétel est un opérateur de télécommunications, créé en 1996, qui appartient à la compagnie française des eaux Vivendi(5) SA, British Telecommunications plc (ci-après dénommée " BT "), Mannesmann AG et indirectement à SBC International Inc.(6). Depuis le 1er février 1998, Cégétel offre une gamme complète de services de télécommunications couvrant l'ensemble des segments du marché français. Cégétel exploite aussi un réseau national de téléphonie mobile GSM par l'intermédiaire de sa filiale Société française de radiotéléphonie (ci-après dénommée "SFR"). Le groupe Cégétel a réalisé un chiffre d'affaires total d'environ 1,610 milliard d'euro en 1997.
(5) TD est une société à responsabilité limitée de droit français, qui a été fondée en 1996 par la SNCF et dont Cégétel est devenue actionnaire en vertu des accords notifiés.
C. OPÉRATION
(6) La notification porte sur l'accord-cadre du 11 avril 1997, dont l'objectif est de définir les principes régissant les relations entre la SNCF et Cégétel en ce qui concerne, d'une part, la participation de cette dernière dans le capital de TD et, d'autre part, les modalités de déploiement du réseau et les modalités d'exploitation des services de télécommunications.
(7) TD a pour objet de mettre en place et d'exploiter un réseau national de télécommunications longue distance sur la base:
a) des capacités de transmission excédentaires du réseau de télécommunications existant de la SNCF;
b) des câbles optiques mis à sa disposition par Cégétel ou ses filiales
et
c) d'investissements supplémentaires destinés au déploiement de ses propres câbles, dans le cadre d'un plan d'installation prévu par les accords pour la période initiale 1997-2000.
(8) TD est titulaire d'une licence d'exploitation de réseaux longue distance ouverts au public. Les accords notifiés prévoient aussi que TD mettra en place et déploiera, en France, un service de télécommunications longue distance de nature à faire concurrence à l'offre de l'opérateur historique.
(9) Sur la base de ce réseau, détenu par TD, Cégétel envisage de devenir le deuxième opérateur français offrant une gamme complète de services de télécommunications, y compris des services de téléphonie vocale entre des points fixes et des services de fourniture de capacités de transmission destinés aux autres opérateurs.
(10) En dehors des connexions demandées par la SNCF, TD n'offrira pas de service de raccordement aux utilisateurs finals, entreprises ou particuliers. Conformément à l'article 1er de l'accord-cadre, TD fournira:
a) un service d'interconnexion longue distance destiné aux opérateurs de télécommunications;
b) des capacités de transmission longue distance destinées à Cégétel et à ses filiales, mais aussi à d'autres exploitants de réseau et prestataires de services de télécommunications;
c) un service de téléphonie vocale longue distance de bout en bout, qui sera commercialisé exclusivement par les filiales de Cégétel " Cégétel le 7 "(7) (abonnés résidentiels) et " Cégétel Entreprises " (entreprises), dont elle détiendra une partie du capital.
(11) Conformément aux closes de l'accord-cadre relatives à l'acquisition par Cégétel d'une participation dans le Capital de TD, la structure du capital de cette dernière devrait être la suivante:
- SNCF: entre un peu plus de 50 % et 60 %,
- Cégétel: entre 40 % et un peu moins de 50 %,
- tiers (le cas échéant): 10 %.
(12) TD est dirigée par un directoire, un conseil de surveillance et un comité d'actionnaires. Le directoire, qui est chargé des affaires courantes de TD, se compose de cinq membres: deux membres nommés sur proposition de la SNCF, deux membres nommés sur proposition de Cégétel et une personne qualifiée, sans lien avec les parties et nommée par le conseil de surveillance d'un commun accord entre les parties (le président). Le conseil de surveillance contrôle la conduite des affaires par le directoire. Il compte un nombre impair de membres. Le nombre des membres nommés par l'assemblée générale des actionnaires sur proposition de la SNCF sera toujours supérieur d'un membre au nombre des membres nommés par Cégétel. Le président du conseil de surveillance sera l'un des membres choisis par les membres du conseil de surveillance désignés sur proposition de la SNCF. Le comité d'actionnaires, qui se compose de dix membres, nommés pour moitié par Cégétel et pour moitié par la SNCF, se réunit pour arrêter la position commune des parties sur un certain nombre de questions, telles que les décisions et orientations stratégiques de TD, l'adoption et la modification du plan d'exploitation et du budget annuel, ainsi que les acquisitions d'actifs ou la réalisation d'investissements importants.
D. MARCHÉ EN CAUSE
a) Marché de produits
(13) TD exploitera un réseau de télécommunications qui sera en concurrence avec celui de l'opérateur historique France Télécom. Il fournira, principalement à Cégétel, mais aussi à d'autres opérateurs, des capacités de transmission pour le trafic national et le trafic longue distance et, exclusivement à Cégétel, des services de téléphonie vocale longue distance. Les accords notifiés concerneront par conséquent: i) le marché des services de portage et ii) celui de la fourniture de services de télécommunications fixes longue distance. Ces deux marchés ont été définis par un certain nombre de décisions antérieures de la Commission(8). Comme dans certaines décisions passées, il n'est en outre pas nécessaire en l'espèce de délimiter avec précision le marché de produits, puisque l'opération envisagée ne pose pas de problèmes au regard de la concurrence, même si l'on retient les définitions les plus restrictives.
b) Marché géographique
(14) L'étendue géographique du marché des télécommunications est déterminée: i) par l'étendue et la couverture du réseau, c'est-à-dire l'ensemble des clients qui peuvent être atteints par le réseau et dont la demande peut être satisfaite et ii) par la législation et la réglementation en vigueur sur le territoire sur lequel l'opérateur est actif.
(15) Compte tenu du régime de licence et du cadre réglementaire applicables à la fourniture de services de télécommunications fixes longue distance, il convient de considérer que le marché géographique correspondant est national. De plus, le réseau de TD sera limité au territoire français. Par conséquent, le marché géographique en cause pour la fourniture de services de portage est la France.
c) Position des parties sur le marché des télécommunications
(16) La SNCF n'exerce pas d'activités commerciales dans le secteur des télécommunications. TD et Cégétel ne sont entrées sur le marché de la téléphonie vocale longue distance (libéralisé en France le 1er janvier 1998) que le 1er février 1998. Sur le marché de la fourniture de capacité de transmission, la part de marché de TD en 1997 était négligeable.
d) Principaux concurrents
(17) Jusqu'au 31 décembre 1997, France Télécom détenait le monopole de la téléphonie vocale longue distance en France. Encore aujourd'hui, elle possède un pouvoir de marché important sur ce marché. De même, France Télécom occupe une position très forte sur le marché de la fourniture de capacités de transmission longue distance et sur celui de la fourniture de services d'interconnexion, pour lesquels sa part de marché dépasse 95 %.
(18) De nombreuses entreprises sont entrées ou envisagent d'entrer sur le marché français des télécommunications, soit en tant qu'opérateur offrant une gamme complète de services de télécommunications (9 Télécom), soit en se spécialisant sur certains segments de ce marché: la revente de services de téléphonie vocale (Axis, Kertel, etc.), les réseaux de télécommunications (Hermes, Colt, Esprit Télécom) ou les services destinés aux entreprises (WorldCom, Siris, Colt, Omnicom, etc.), l'accès local (Lyonnaise Câble), etc. Au 8 avril 1999, cinquante-neuf licences(9) pour l'exploitation d'un réseau de télécommunications ou la fourniture de services de télécommunications avaient déjà été délivrées par l'autorité nationale de régulation des télécommunications. Sept opérateurs avaient obtenu un "préfixe court" leur permettant d'être présélectionnés par leurs abonnés.
E. ACCORDS NOTIFIÉS
Accords
(19) Les principes et les modalités de la collaboration entre les parties ont été définis dans l'accord entre la SNCF et Cégétel pour leur partenariat au sein de la société Télécom Développement. Cet accord (ci-après dénommé " l'accord cadre ") qui a été signé le 11 avril 1997, comprend entre autres:
- un plan de déploiement du réseau de TD (annexe 2 de l'accord-cadre),
- un plan d'exploitation initial relatif au développement de TD (annexe 9 de l'accord-cadre),
- un accord commercial ayant pour objet d'organiser les conditions de distribution par Cégétel des services de téléphonie longue distance de TD, de fourniture d'un service d'interconnexion et de fourniture de capacités de transmission longue distance (annexe 3 de l'accord-cadre),
- un contrat relatif au déploiement par la SNCF du réseau de TD (annexe 5 de l'accord-cadre),
- un contrat relatif à la maintenance par la SNCF du réseau de TD (annexe 6 de l'accord-cadre).
Dispositions contractuelles
a) Allocation à TD des capacités du réseau de câbles optiques existant
(20) Par contrat conclu le 22 novembre 1996, la SNCF avait concédé à TD le droit exclusif d'utiliser les capacités excédentaires de son réseau de câbles optiques existant. De plus, Cégétel a cédé à TD son propre réseau de câbles optiques longue distance ainsi que ceux de ses filiales. TD a pris le contrôle de Cégétel Longue Distance.
b) Utilisation prioritaire du domaine ferroviaire
(21) Par contrat conclu le 22 novembre 1996, la SNCF avait concédé(10) le droit, non exclusif, d'occuper pendant trente ans le domaine public ferroviaire, afin de lui permettre de déployer un réseau de télécommunications. Pour permettre un déploiement du réseau de TD le plus rapide possible, la SNCF lui a également accordé un " droit d'accès prioritaire " à son domaine ferroviaire, garanti par une pénalité applicable pendant trois ans et demi, de 1997 à 2000.
(22) L'étendue et les modalités d'application de ce droit d'accès prioritaire ont été précisées par la suite de l'intervention de la Commission, comme il est indiqué aux considérants 28, 29 et 30.
c) Distribution exclusive des services de téléphonie vocale
(23) Une entreprise commune, Cégétel Le 7, contrôlée à 80 % par Cégétel et à 20 % par TD, assurera de manière exclusive la commercialisation des services de téléphonie longue distance de TD destinés au grand public. De même, la distribution des services de téléphonie vocale de bout en bout destinés aux entreprises sera assurée de manière exclusive par Cégétel Entreprise, également contrôlée à 80 % par Cégétel et à 20 % par TD.
d) Approvisionnement exclusif
(24) Cégétel a conclu, à la fois en son nom et au nom de ses filiales, un contrat d'approvisionnement exclusif avec TD, en vertu duquel elle s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès de TD pour ses capacités de transmission longue distance en France. Toutefois, Cégétel est autorisée à s'adresser à d'autres fournisseurs dès lors que les prix pratiqués par TD seraient supérieurs à ceux du marché. De plus, TD est autorisée à acheter des capacités à d'autres opérateurs pour satisfaire les besoins de Cégétel. Enfin, Cégétel est liée par ses contrats d'approvisionnement antérieurs.
e) Non-concurrence
(25) La SNCF s'est engagée à n'exercer, directement ou indirectement par l'internédiaire d'une filiale, aucune activité dans le secteur des télécommunications qui pourrait être en concurrence avec celles de TD ou du groupe Cégétel.
(26) Cégétel a pris l'engagement de ne pas investir dans les réseaux de télécommunications longue distance, en dehors de TD.
(27) TD s'est engagé à ne pas faire concurrence à Cégétel Le 7 ni à Cégétel Entreprises pour la commercialisation des services de télécommunications.
F. MODIFICATIONS CONTRACTUELLES
(28) Le 18 mars 1998, la Commission a informé les parties qu'elle considérait que la clause relative à l'utilisation prioritaire du domaine ferroviaire par TD tombait sous le coup de l'article 81, paragraphe 1, du traité et qu'elle ne pouvait pas, en tant que telle, bénéficier de l'exemption prévue à l'article 81, paragraphe 3. Le 20 avril 1998, les parties ont proposé de modifier cette clause afin de préciser l'étendue et les modalités d'application du droit d'accès prioritaire accordé à TD et, partant, de définir clairement les conditions d'application des sanctions prévues par les accords. Afin de répondre aux observations de la Commission, les parties ont ajouté les dispositions suivantes aux accords initiaux le 31 juillet 1998: i) un traitement équitable des tiers dans les cas exceptionnels ou les infrastructures ferroviaires en question constituent le seul moyen de faire passer des câbles (vallées étroites) et ii) la SNCF (ou le cas échéant RFF: voir note 10 de bas de page) reste libre de fournir un accès à ses infrastructures ferroviaires aux autres opérateurs de télécommunications, pour autant que cela n'entrave pas le déploiement du réseau de TD.
(29) Ces modifications permettent à la SNCF de donner accès à ses infrastructures aux autres opérateurs, pour autant que cela n'entrave pas la mise en place du réseau de TD.
(30) De plus, le droit d'accès prioritaire est limité à la période minimale jugée nécessaire pour mettre en place le réseau (1997-2000), et la SNCF a pris l'engagement formel de ne pas appliquer ce droit dès lors que d'autres entreprises souhaiteraient avoir accès à des portions spécifiques du domaine public ferroviaire, parce que l'installation de câbles sur ces portions constitue l'unique moyen de créer un réseau de télécommunications.
G. OBSERVATIONS DES TIERS
(31) À la suite de la publication de la communication faite conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, la Commission a reçu les observations de quatre tiers intéressés. Ces observations ont porté, en particulier, sur les modifications présentées par les parties concernant l'utilisation prioritaire du domaine ferroviaire par TD et l'accès conditionnel aux infrastructures ferroviaires relevant de l'accord pendant la durée du déploiement du réseau de TD et aux alternatives existantes aux infrastructures du réseau ferré aux fins d'installation d'un réseau de télécommunications. Après un examen approfondi de ces observations, la Commission a estimé qu'il n'y avait pas lieu pour elle de revenir sur sa position favorable, compte tenu des modifications contractuelles proposées par les parties.
II. APPRÉCIATION JURIDIQUE
A. APPLICATION DE L'ARTICLE 81, PARAGRAPHE 1, DU TRAITÉ À L'ENTRÉE DE CÉGÉTEL DANS LE CAPITAL DE TD
(32) La SNCF et Cégétel ne sont pas des concurrents, ni même des concurrents potentiels. Elles sont actives sur des marchés complètement distincts. Cégétel est présente ou émergente sur la plupart des segments du marché français des services de télécommunications, tandis que la SNCF, qui fournit les infrastructures sur la base desquelles ces services seront développés et exploités, n'exerce pas d'activités commerciales dans le secteur des télécommunications. De plus, ni la SNCF ni Cégétel ne sont présentes sur le marché des services de portage, sur lequel TD exercera l'essentiel de ses activités.
(33) La SNCF est un opérateur public de chemins de fer et n'envisage pas de devenir un opérateur de télécommunications. Elle n'a pas non plus créé TD en vue d'offrir des services de télécommunications, mais simplement pour déployer un réseau de télécommunications qu'elle utilisait auparavant à des fins internes. Les autorités françaises ont confirmé que l'objectif de TD, en tant que filiale de la SNCF, se limitait à l'exploitation de ce réseau(11). Dans le cadre de l'accord notifié, Cégétel aura accès aux infrastructures ferroviaires sur l'ensemble du territoire français afin de construire son propre réseau de télécommunications. En contrepartie, la SNCF recevra une rémunération atypique et obtiendra des capacités de transmission pour ses propres besoins internes.
(34) En outre, le déploiement d'un réseau national de télécommunications nécessite un certain nombres d'années ainsi que des investissements considérables. TD ne pourrait raisonnablement réaliser de tels investissements sans le soutien financier d'un opérateur offrant une gamme complète de services de télécommunications et désireux de s'établir sur la base d'une infrastructure et de services en concurrence avec ceux de l'opérateur historique en France.
(35) Cégétel est un nouveau venu sur le marché français des télécommunications qui fait face à la forte concurrence de France Télécom. Cette entreprise ne possède pas son propre réseau dorsal et a dépendu, jusqu'à présent, de l'infrastructure de l'opérateur historique pour offrir ses services. Par l'intermédiaire de TD, Cégétel aura accès aux infrastructures ferroviaires sur l'ensemble du territoire français pour construire son propre réseau de télécommunications. Ce réseau sera le premier réseau national alternatif (à celui contrôlé par l'opérateur historique) à être mis en service en France. Bien qu'il existe un certain nombre d'infrastructures, autres que les chemins de fer, qui peuvent permettre de construire un réseau de télécommunications, que Cégétel aurait pu examiner avant de décider d'acquérir une participation dans le capital de TD, elle n'aurait vraisemblablement pas pu entrer sur le marché de la téléphonie vocale longue distance (y compris les services de transit commuté ou de transit spécialisé) dès le 1er février 1998, sans le réseau existant de TD et un droit d'accès prioritaire au domaine ferroviaire de la SNCF.
(36) L'accord notifié prévoit une répartition des tâches entre, d'une part TD, qui sera chargée des aspects techniques de la création, de l'entretien et du fonctionnement du réseau de télécommunications, et d'autre part Cégétel, qui grâce à Cégétel Le 7 et Cégétel Entreprises fournira des services commerciaux de télécommunications aux utilisateurs finals.
(37) Le marché français des télécommunications n'est pleinement libéralisé que depuis relativement peu de temps (depuis le 1er janvier 1998) et les nouveaux venus sont confrontés à une forte pression de l'opérateur historique, qui détenait traditionnellement le monopole de la fourniture de lignes nationales de transmission dans ce pays. La libéralisation des infrastructures alternatives en France date du 1er juillet 1996. Un certain nombre d'opérateurs de télécommunications, y compris Hermes(12), COLT, Worldcom/MCI et Cable & Wireless, construisent actuellement ou ont annoncé qu'ils allaient construire un réseau national de fibres optiques en France. Dans ces conditions, l'accord notifié ne semble pas avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché en cause précité. En lui permettant de construire son propre réseau et d'offrir des services longue distance sur la base des capacités de transmission fournies par TD, ces accords permettront à Cégétel d'améliorer sa position concurrentielle sur le marché en mettant un terme à sa dépendance à l'égard du réseau dorsal de l'opérateur.
(38) Les accords ne sont pas de nature à affecter la position concurrentielle de tiers, dans la mesure où la SNCF conserve la possibilité de fournir un accès à ses infrastructures à d'autres opérateurs. En outre, les autres opérateurs pourraient bénéficier de l'existence des capacités de transmission supplémentaires créées par TD pour les services de télécommunications.
(39) La Commission a reconnu elle-même qu'il était nécessaire d'octroyer, aux nouveaux opérateurs titulaires d'une licence comme TD, des droits de passage à travers des propriétés publiques et privées, afin d'y déployer leurs réseaux, de même qu'elle a reconnu les avantages du partage d'infrastructures sur les plans urbanistique, environnemental et économique, ne fût-ce que dans un contexte d'interconnexion(13).
(40) En conclusion, compte tenu des arguments développés ci-dessus, l'acquisition par Cégétel d'une participation dans le capital de TD ne tombe pas sous le coup de l'article 81, paragraphe 1, du traité.
B. APPLICATION DE L'ARTICLE 81, PARAGRAPHE 1, DU TRAITÉ AUX DISPOSITIONS CONTRACTUELLES
(41) Sur la base des arguments développés ci-après, les dispositions contractuelles citées aux considérants 28, 29 et 30 constituent des restrictions accessoires à l'activité de TD, dans la mesure où elles sont directement liées et nécessaires à cette activité. Compte tenu des investissements financiers nécessaires pour déployer un autre réseau national de télécommunications pouvant servir de base à l'exploitation de Cégétel, elle-même un nouveau venu sur le marché français des télécommunications, ces dispositions garantissant à TD les conditions d'exploitation nécessaires à son entrée sur le marché à court terme.
a) Utilisation exclusive des fibres optiques de la SNCF par TD
(42) Par cette disposition, la SNCF assure à sa filiale TD les ressources nécessaires à la poursuite de ses principales activités. Il s'agit d'un droit exclusif concernant l'essence même du contrat d'apport. Cette disposition est également liée à la décision de la SNCF de ne pas devenir un opérateur de télécommunications et de céder à sa filiale TD toutes les activités liées à l'exploitation du réseau construit sur ses infrastructures ferroviaires. De plus, TD a également pour tâche de concevoir l'architecture et d'assurer la maintenance d'un réseau national de télécommunications sur la base des fibres optiques déjà déployées par la SNCF. Une mise à niveau de ces fibres est nécessaire pour accroître leur capacité et assurer leur intégration dans le réseau. La gestion, l'intégration et la mise à niveau de ce réseau seraient extrêmement difficiles, si l'utilisation de l'ensemble des fibres optiques qui le composent n'étaient pas réservée à un seul opérateur.
b) Utilisation prioritaire du domaine ferroviaire
(43) Cette disposition a pour objet d'assurer à TD les moyens nécessaires à son activité en garantissant le déploiement du réseau de télécommunications en cause dans le délai fixé dans son plan d'exploitation. Cégétel dépend exclusivement du réseau longue distance de TD pour l'acheminement de son trafic longue distance. Ce droit d'accès prioritaire au domaine ferroviaire est justifié, vu les conditions de déploiement du réseau imposées par la loi et l'obligation d'assurer un service de transport ferroviaire continu et de garantir la circulation des trains. Le texte des accords, tel qu'il a été modifié par les parties (considérants 28, 29 et 30), ne confère pas de droit exclusif à TD, ni n'interdit aux tiers d'utiliser le domaine ferroviaire(14) pour installer des câbles et, partant, n'empêche pas des opérateurs concurrents de construire des réseaux.
c) Distribution exclusive des services de téléphonie vocale de TD par Cégétel
(44) L'accord de commercialisation prévoit que TD ne distribuera pas elle-même ses services de téléphonie vocale destinés aux utilisateurs finals, mais les fournira à Cégétel (article 2.1 de l'accord de commercialisation). Les deux entreprises fondatrices sont convenues de la stratégie suivante: TD sera chargée des aspects techniques de l'installation et de l'exploitation du réseau, tandis que Cégétel, par l'intermédiaire de Cégétel Le 7 et de Cégétel Entreprises, assurera l'exploitation commerciale des services offerts aux clients. Cette disposition reflète l'intention de la SNCF de limiter les activités de TD à l'exploitation du réseau de télécommunications. Par cette limitation, l'accord de commercialisation garantit à TD une demande pour ses services de téléphonie vocale longue distance, qui seront commercialisés par Cégétel. Cet accord assure par conséquent à TD des débouchés suffisants pour lui permettre d'entrer sur le marché et de rester viable durablement en tant qu'opérateur.
d) Clause d'approvisionnement exclusif
(45) De même, l'obligation prévue aux articles 4.4 et 4.5 de l'accord-cadre, selon laquelle Cégétel est tenue de s'approvisionner exclusivement auprès de TD, garantit à l'entreprise commune un volume minimal d'activités effectif et rentable ainsi que des bénéfices réguliers. Il convient cependant de rappeler que cet engagement est considérablement réduit, d'une part, par la possibilité pour Cégétel de s'approvisionner auprès d'un tiers dès lors que les prix pratiqués par TD seraient supérieurs à ceux du marché et, d'autre part, par les anciens contrats d'approvisionnement auxquels elle est toujours liée.
(46) À la lumière des circonstances particulières de la présente affaire, il est possible de conclure que l'utilisation exclusive des capacités du réseau de câbles optiques de la SNCF, l'utilisation du domaine ferroviaire résultant des modifications apportées par les parties le 31 juillet 1998, la distribution exclusive des services de téléphonie vocale et la clause d'approvisionnement exclusif sont directement liées et nécessaires à une mise en service réussie du réseau et à l'activité de TD. Par conséquent, il convient de considérer ces dispositions comme des restrictions accessoires au projet envisagé par les parties au sens des règles de concurrence du traité.
(47) Les restrictions accessoires doivent être appréciées dans le cadre de la création de l'entreprise. À cet égard, étant donné qu'il a été conclu que les accords passés entre la SNCF et Cégétel concernant TD ne relevaient pas de l'article 81, paragraphe 1, du traité, cela vaut également pour chacune des dispositions précitées.
e) Non-concurrence
(48) Les clauses de non-concurrence applicables à la SNCF (articles 3 et 36 de l'accord-cadre) et à Cégétel (article 4.8 de l'accord-cadre) garantissent que ces deux entreprises non concurrentes, qui sont entrées sur un marché de produits nouveau pour toutes les deux, concentreront leurs efforts sur TD. De plus, étant donné que le réseau de télécommunications de TD, qui sera construit sur la base des infrastructures ferroviaires françaises, sera indispensable à l'activité de Cégétel en tant qu'opérateur offrant une gamme complète de services de télécommunications, ces clauses sont nécessaires pour assurer la stabilité de TD sur le marché. L'obligation de non-concurrence qui repose sur TD assure que TD concentrera ses efforts sur l'exploitation du réseau de télécommunications,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Sur la base des éléments dont elle a connaissance, la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle d'intervenir, en vertu de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE, à l'égard des accords notifiés relatifs à la coopération entre la Société nationale des chemins de fer français et Cégétel SA par l'intermédiaire de leur filiale commune Télécom Développement.
Article 2
1) Société nationale des chemins de fer français 88, rue Saint-Lazare F - 75009 Paris
2) Cégétel SA 52, rue d'Anjou F - 75008 Paris
3) Télécom Développement 88, rue Saint-Lazare F - 75009 Paris
sont destinataires de la présente décision.
(1) JO 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO L. 148 du 15.6.1999, p. 5.
(3) JO C 293 du 22.9.1998, p. 4.
(4) Voir page 14 du présent Journal officiel.
(5) Anciennement "Compagnie générale des eaux (CGE)".
(6) SBCI est une filiale à 100 % de SBC Communications Inc. SBC est une entreprise américaine qui exerce ses principales activités dans le secteur des services de télécommunications.
(7) Anciennement "Télécom Développement Services (TDS)".
(8) Phoenix/Global One, affaire IV/35.617, décision 96/547/CE (voir JO L. 239 du 19.9.1996, p. 57) ou Unisource, affaire IV/35.830, décision 97/780/CE (JO L. 318 du 20.11.1997, p. 1), Cégétel, affaire IV/36.592, décision 1999/573/CE de la Commission (voir page 14 du présent Journal officiel).
(9) Source: autorité de régulation des télécommunications, Licences L.33-1 (licence d'opérateur de réseau) et L.34-1 (licence de fournisseur de services de télécommunications aux particuliers).
(10) Conformément à la loi 97-135 du 13 février 1997, la SNCF a cédé ses infrastructures ferroviaires (notamment les voies, les quais et les marchandises) à Réseau ferré de France l'entité publique qu'elle a établie (ci-après dénommée "RFF") (JO du 15.2.1997). À titre de mesure provisoire, cette loi établit que tout acte relatif à cette cession d'actifs conclu par la SNCF entre le 1er janvier 1997 et la promulgation des règlements d'application est considéré comme ayant été conclu au nom et pour le compte de RFF (article 16 de la loi). C'est la raison pour laquelle l'article 36 de l'accord-cadre conclu entre la SNCF et Cégétel établit que les dispositions relatives aux actifs cédés à RFF, conformément à la loi du 13 février 1997, sont considérées comme ayant été adoptées au nom et pour le compte de RFF.
(11) Comme cela a été confirmé par lettre, du 17 juillet 1996, adressée par le secrétaire d'État français aux transports au président de la SNCF.
(12) La SNCF est un actionnaire indirect de Hermes en raison de sa participation de 9 % dans le capital de HitTail BV.
(13) Directive 90/388/CEE de la Commission du 28.6.1990 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (JO L. 192 du 24.7.1990, p. 10) modifiée en dernier lieu par la directive 96/19/CE (JO L. 74 du 22.3.1996, p. 13).
(14) Les modalités relatives à la réalisation de travaux sur le domaine ferroviaire doivent respecter la loi 97-135 (Journal officiel de la République française du 15.2.1997, annexe 5).