CA Paris, 5e ch. A, 16 octobre 2002, n° 2001-20541
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chatton
Défendeur :
Evinox (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Arnaudy-Baechlin
Avocats :
Mes Michel, Ménagé
Yves Chatton est appelant du jugement non assorti de l'exécution provisoire rendu le 13 septembre 2001 par le Tribunal de grande instance de Meaux qui :
- a désigné Guy Bourgade en qualité d'expert avec mission de calculer les commissions auxquelles Yves Chatton peut prétendre pour les années 1991 à 1996 compte tenu de leur taux et de son secteur d'activité en tant qu'agent commercial de la SA Evinox,
- a débouté Yves Chatton de ses demandes en paiement d'indemnités de préavis et de cessation de contrat ainsi que de frais de réemploi au motif que la rupture était imputable aux deux parties, Monsieur Chatton ayant refusé de signer le contrat proposé par la Société Evinox et cette dernière étant intervenue auprès des clients exclusifs de son agent,
- a réservé les dépens et le sort des demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Chatton prie la Cour, réformant cette décision, de condamner la société Evinox à lui payer la somme de 53 710,11 euro hors taxes augmentée de la TVA en vigueur au jour de la condamnation au titre des commissions dues, celle de 7.112,67 euro hors taxes plus TVA dans les mêmes conditions au titre de l'indemnité de préavis, ainsi que celles de 87 733,39 euro à titre d'indemnité de cessation de contrat et 22 810,68 euro pour frais de réemploi, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1996, date de la rupture. Il sollicite en outre la somme de 5 335,72 euro sur le fondement de l'article du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Chatton qui expose s'être vu confier par la société Evinox à compter de l'année 1985 dans le cadre d'un contrat d'agence commerciale la représentation exclusive de ses produits sur un secteur comprenant l'ensemble des départements français hormis la région administrative de la Bretagne, fait grief à sa mandante :
- de ne pas lui avoir payé l'intégralité des commissions auxquelles il pouvait prétendre compte tenu des ventes directes et indirectes effectuées sur son secteur et du taux de 12,5 % contractuellement convenu, et à cet effet de s'être abstenue de lui communiquer les éléments comptables correspondant,
- après avoir rompu le contrat à sa seule initiative de refuser de l'en indemniser conformément aux dispositions des articles L. 134-11 et suivants du Code de commerce alors qu'aucune faute- et à fortiori aucune faute grave- ne peut lui être reprochée.
La société Evinox poursuit la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Chatton de ses demandes en paiement d'indemnités consécutives à la rupture qui lui est imputable compte tenu de son refus de signer le contrat qui lui était proposé et des fautes par lui commises dans l'exécution du mandat mais sa réformation pour le surplus et le débouté de Monsieur Chatton de sa demande en paiement d'un solde de commissions hors son secteur d'intervention, limité de par la commune intervention des parties à une liste nominative de clients et à un taux sur la base duquel il a lui-même établi ses factures, toute expertise étant à cet égard inutile. Elle sollicite enfin la somme de 15.245 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 7.620 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'il est constant qu'à partir de 1985 Monsieur Chatton a commercialisé les produits distribués par la société Evinox (machines à traire et accessoires) dans le cadre d'un contrat verbal d'agent commercial ; que par la suite la société Evinox a proposé dès 1992 la signature d'un contrat afin de se conformer aux prescriptions de la loi du 25 juin 1991, ce que Monsieur Chatton a toujours refusé ; que par courrier du 3 juin 1996 la société Evinox a notifié à ce dernier la rupture de son contrat d'agent commercial sans préavis ni indemnité en invoquant une faute grave résultant tant de son refus réitéré de signer la convention d'agent commercial qui lui avait été proposée à plusieurs reprises que de l'exécution fautive de son mandat ; que c'est dans ces conditions que par acte du 23 juillet 1996 Monsieur Chatton a saisi le Tribunal de grande instance de Meaux, qui a statué par le jugement dont appel ;
Considérant, s'agissant de la demande en paiement d'un solde de commissions dues au titre des années 1991 à 1996 sur laquelle le tribunal a procédé à la désignation d'un expert, que les deux parties s'accordent à estimer cette expertise inutile, Monsieur Chatton soutenant que les premiers juges disposaient de l'ensemble des éléments leur permettant de déterminer le territoire et la clientèle à lui confiés en exclusivité depuis 1985 ainsi que les taux de commissionnement appliqués et de faire droit en conséquence à sa demande, tandis que selon la société Evinox ces mêmes éléments démontrent la dénaturation de la situation contractuelle des parties à laquelle procède Monsieur Chatton et commandent son débouté ;
Considérant, sur les principes, qu'il appartient à Monsieur Chatton qui invoque un non-respect par la société Evinox du secteur et du taux de commission applicables, de rapporter la preuve du bien-fondé de ses prétentions, observation étant faite qu'en l'absence de contrat écrit son contenu ne peut être établi que par les correspondances échangées entre les parties;
Considérant en premier lieu, s'agissant du secteur que Monsieur Chatton prétend à l'exclusivité territoriale sur "l'ensemble des départements français à l'exception de ceux constituant la région administrative de la Bretagne" en arguant du fait que des commissions lui ont été versées sur des commandes directes et indirectes ;
Mais considérant que le fait pour l'appelant d'avoir perçu des commissions sur des clients répartis sur une cinquantaine de départements français ne lui permet pas de prétendre à une exclusivité géographique, alors qu'elles correspondent à un nombre de clients limités, une liste nominative ayant d'ailleurs été dressée lors de l'entrée en fonction de Monsieur Chatton;
Que sa thèse se trouve de surcroît contredite par les pièces versées aux débats, et en particulier l'étude qu'il a lui-même réalisée en 1986 où il préconise dans ce qu'il intitule les "secteurs non affectés" la création de quatre secteurs un premier composé de 8 départements du Nord outre la région parisienne, un second de 14 départements de l'Est, un troisième de 15 départements du Centre-Ouest et un quatrième de 7 départements du Massif Central avant de conclure "évidemment, 4 régions supposent 4 représentants en place", suggestion suivie par la société Evinox qui verse aux débats les contrats qu'elle a conclus avec différents VRP sur ces secteurs, faits juridiques opposables en tant que tels à Monsieur Chatton ;
Considérant par ailleurs, en ce qui concerne le taux de commissionnement, qu'il résulte des factures établies par Monsieur Chatton versées aux débats qu'il a appliqué, outre le taux de 12,5 % qu'il revendique uniformément, celui de 10 % (applicable selon lui au client Saumag mais selon Evinox aux unités terminales) ainsi que celui de 6 % dont l'analyse des correspondances échangées entre les parties établit qu'il s'agissait du taux appliqué aux commandes prises par Monsieur Chatton sur le secteur des autres représentants ou agents d'Evinox ;
Que Monsieur Chatton, qui ne caractérise nullement l'existence d'un solde de commissions impayées, doit être débouté de sa demande à ce titre ;
Considérant, s'agissant de la rupture du contrat, qu'il résulte des dispositions des articles L. 134-11 et suivants du Code de commerce que le contrat peut cesser à l'initiative de chacune des parties moyennant un préavis (de 3 mois s'agissant d'un contrat à durée indéterminée de plus de deux ans) et que l'agent a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent ;
Considérant qu'en l'espèce la société Evinox ne saurait justifier la résiliation du contrat par une faute grave résultant du refus réitéré de Monsieur Chatton de signer le contrat qui lui était soumis dès lors que l'agent était fondé à en discuter les termes, s'agissant notamment de la disposition nouvelle limitant son droit à commission aux commandes contresignées par lui; que par ailleurs elle fait preuve d'incohérence en invoquant une inexécution fautive du mandat caractérisée par un désintérêt pour son mandant (visites irrégulières de la clientèle, absence sur le stand lors des salons professionnels) et des manœuvres déloyales (activité concurrente au profit de la société Kingston) alors qu'en toute connaissance des faits qu'elle invoque, commis selon elle depuis 1991, elle a à plusieurs reprises proposé à Monsieur Chatton de signer un contrat d'agent, prouvant ainsi le peu d'importance qu'elle attachait aux violations alléguées;
Que compte tenu de la durée des relations contractuelles Monsieur Chatton est fondé à prétendre au paiement d'une indemnité de préavis correspondant à 3 mois de commissions ; qu'en l'absence d'éléments chiffrés permettant à la cour de procéder à ce calcul, ces indemnités seront fixées, respectivement, au total des commissions perçues par Monsieur Chatton pour les mois de mars, avril et mai 1996 et au total des commissions perçues de juin 1994 à mai 1996 inclus ; que s'agissant d'indemnités, les intérêts ne courront qu'à compter du présent arrêt ;
Considérant que Monsieur Chatton, qui se borne à indiquer qu'il devra "faire face à un certain nombre de frais de réemploi" sans autrement les caractériser et en justifier, alors que la rupture date de 1996, doit être débouté de ce chef de demande ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser supporter à Monsieur Chatton, à hauteur de la somme de 3.000 euro, la charge des frais irrépétibles de première instance et d'appel par lui exposés ;
Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Condamne la SA Evinox à payer à Yves Chatton : - à titre d'indemnité de préavis une somme égale au total des commissions des mois de mars, avril et mai 1996, - à titre d'indemnité compensatrice une somme égale au total des commissions de juin 1994 à mai 1996 inclus ; La condamne au paiement de la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel. Admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.