CA Riom, ch. com., 6 janvier 1999, n° 98-01170
RIOM
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Artoros (SARL)
Défendeur :
Ost Développement (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bardel
Conseillers :
MM. Despierres, Legras
Avoués :
Me Lecocq, SCP Goutet Arnaud
Avocats :
Me Bazy, SCP Farache
LE LITIGE
Au terme d'un contrat d'agence commerciale, conclu le 26 juillet 1996, la société Artoros se voyait attribuer par la société Ost Développement deux territoires pour la commercialisation de deux produits d'origine animale à destination des greffes osseuses. L'engagement de résultat n'était pas respecté la première année par la société Artoros ; la société Ost Développement rompait le contrat.
La société Artoros réclamait le paiement des commissions sur l'ensemble des opérations conclues dans son secteur, soit la somme de 19 674,34 F ainsi que les sommes de 300 000 F à titre d'indemnité de préavis et celle de 1 200 000 F à titre d'indemnité de clientèle au titre de la rupture abusive du contrat d'agent commercial, outre celle de 200 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle était déboutée du tout, par jugement du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, du 16 mars 1998 et condamnée, à payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En son appel, elle réclame à nouveau chacune des trois sommes principales ci-dessus énoncées et sollicite celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les faits sont exposés, concernant la commercialisation, dans le cadre du contrat d'agence commerciale conclu à son bénéfice des deux produits d'origine animale à destination des greffes osseuses, dénommés le " Lubboc " et le " Laddec ", mis en œuvre par la société Ost Développement. Il en est de même du contenu de cette convention, de sa mise en œuvre et de la détermination des relations contractuelles qui aboutissait à une rupture.
Elle présente les moyens suivants :
- contrairement à ce que dit le jugement, la détermination d'un territoire a pour effet que l'agent reçoive une rémunération sur l'ensemble des opérations conclues dans son secteur, fut-ce sans son intervention. L'exclusivité territoriale attribuée à l'agent commercial résulte de l'attribution à ce dernier d'un territoire déterminé. Ceci sauf si le mandant se réserve une clientèle.
- la résiliation par la société Ost Développement par courrier du 4 juillet 1997 était injustifiée. Celle-ci avait retiré du secteur un territoire et un produit. Ainsi l'objectif prévu n'a-t-il pas été atteint par Artoros. En outre, la non réalisation d'un quota est, à elle seule inopérante pour caractériser une faute justifiant une rupture sans indemnité.
- à tort, le tribunal a estimé qu'Artoros avait commis une faute grave en manquant à son obligation de non concurrence.
Ost Développement n'a pas respecté l'obligation contractuelle de rupture après mise en demeure. Artoros, recevant la lettre de rupture a cru, à tort, être libérée. Aussi a-t-elle adressé des courriers à des clients, que Ost Développement estime constituer un dénigrement et justifier une rupture immédiate. L'erreur procédurale de Ost Développement est l'erreur initiale ; elle ne permet pas à celle-ci d'invoquer la faute grave d'Artoros qui a suivi.
- dès lors sont dues les indemnisations. Le préavis était de six mois; le chiffre d'affaire aurait été de 600 000 F. Cette somme est due à titre d'indemnité de préavis. (En dispositif est réclamée celle de 300 000 F).
Deux années de commissions sont également dues pour la rupture abusive et la perte de la clientèle, clientèle d'hôpitaux parisiens et d'assistance publique difficiles à conquérir et qu'elle a apportée à la société Ost Développement.
Intimée, la société Ost Développement conclut à la confirmation du jugement et demande, en outre, les sommes de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Après rappel circonstancié des faits et particulièrement des conditions de la rupture, elle soutient que :
- l'insuffisance du chiffre d'affaire réalisé par la société Artoros justifie la résiliation du contrat d'agent commercial liant les parties. Cette résiliation n'est pas fondée sur une faute, mais sur le défaut d'exécution du contrat.
- la teneur ainsi que le caractère non-exclusif du contrat d'agent commercial de la société Artoros excluent que cette société perçoive des commissions sur des ventes qui n'ont pas été réalisées par elle.
Le contrat prévoyait que les commissions d'Artoros seraient calculées sur le chiffre d'affaires réalisé par elle. Elle n'a donc aucun droit sur les ventes effectuées par Ost Développement.
Et, par ailleurs, le contrat ne prévoyait aucune exclusivité sur les secteurs, au profit d'Artoros. La jurisprudence citée par celle-ci est inapplicable au cas d'espèce. Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a constaté que la demande d'Artoros concerne des ventes réalisées sans son intervention.
- la violation par Artoros de ses engagements contractuels justifie de plus fort la résiliation du contrat et la prive de tout droit à indemnité de clientèle.
Artoros n'a pas demandé une modification de contrat après que les objectifs fixés n'eurent pas été atteints et après que Ost Développement lui eut enlevé une partie du secteur et un produit. C'est reconnaître que le contrat a été exécuté par Ost Développement conformément à la commune intention des parties.
Artoros n'a pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour assurer la vente du produit qui lui a ensuite été retiré puisqu'elle a refusé de travailler avec le vendeur compétent que Ost Développement avait demandé voir participer à cette activité.
Artoros n'a jamais cherché à commercialiser ce produit : aucune commande n'a été passée. D'où l'absence de préjudice pour Artoros.
- Les fautes graves commises par Artoros durant le préavis excluent le versement de toute indemnité. Les agissements d'Artoros ont en effet contraint Ost Développement à interrompre le préavis. Ces fautes graves consistent en des pratiques déloyalement concurrentielles, en violation de la clause de non concurrence du contrat.
Or, à la date de ces faits, Artoros était encore liée à Ost Développement.
Même si elle ne l'était plus, son comportement est constitutif d'une concurrence déloyale.
- Artoros ne justifie d'aucun préjudice.
- la procédure d'appel est abusive.
MOTIVATION
Attendu que le contrat d'agent commercial conclu les 12 et 26 juillet 1996 entre Ost Développement SA et la SARL Artoros avait pour objet de confier à Artoros la vente de deux greffons osseux, Lubboc et Laddec, sur lesquels Ost Développement détenait les brevets et les marques ; que le champ d'action territorial était très précisément défini pour chacun des produits que le contrat était conclu pour trois ans, renouvelable, la société Artoros s'engageant sur les ventes minimum à hauteur de 600 000 F la première année, étant précisé que " si Artoros restreignait son activité et par là même n'atteignait pas le chiffre d'affaires prévu pour l'une quelconque des trois années, Ost Développement aurait le droit de mettre fin au contrat en respectant le préavis de 6 mois par lettre recommandée avec accusé de réception " ; qu'enfin le contrat prévoit qu'en cas de manquement grave ... et après mise en demeure... le présent contrat sera résilié de plein droit ... ; qu'une clause de non concurrence, en outre, interdisait à Artoros la promotion d'autres substrats osseux d'origine animale... ;
1. Attendu qu'ainsi ce contrat circonstancié ne dispose-t-il pas que la société Artoros bénéficiait d'une exclusivité de vente des produits sur les territoires définis ; que l'accord des parties portait bien sur une telle absence d'exclusivité, puisque à l'occasion d'une contestation par Artoros sur une imputation de ventes (sa lettre du 21 juillet 1997), Ost Développement répondait le 22 juillet 1997, et sans qu'il y ait ensuite de critique de la part d'Artoros, que " ces ventes ont été faites en direct par Ost sans intervention de votre part " et " nous vous rappelons que vous n'avez aucune exclusivité sur le territoire et que les clients que vous mentionnez ont été suivis par d'autres que par vous ".
Attendu que l'exclusivité ne résulte pas de plein droit du contrat d'agence commerciale; que dès lors il est exclu que Artoros perçoive des rémunérations sur les produits qu'elle n'a pas elle-même vendus; que le contrat disposait d'ailleurs précisément et seulement que les commissions d'Artoros seraient déterminées "pour la prestation de service effectuée pour le compte de Ost Développement";
Attendu que le jugement doit être confirmé à ce titre, en ce qu'il a débouté Artoros de sa demande portant sur ces commissions ;
2. Attendu que le contrat a été résilié par Ost Développement au motif que le chiffre d'affaires minimum prévu, de 600 000 F, n'a pas été atteint la première année ; que les ventes se sont élevées à la somme de 585 492,54 F ;
Attendu qu'Artoros se dit surprise d'une rupture pour un chiffre si proche du minimum convenu ;
Attendu qu'en toute rigueur d'analyse la résiliation pour cette insuffisance de chiffre d'affaire est conforme à la convention ;
Attendu que cette résiliation a été notifiée dans les formes prévues au contrat ; que la lettre du 4 juillet 1997 en recommandé avec AR vise ce motif et dispose précisément que "cette résiliation qui prend effet à partir d'aujourd'hui se fera dans le cadre du préavis de 6 mois fixé au contrat" ; qu'elle est régulière ;
Attendu que ce montant des ventes effectuées est justifié par un tableau établi par Artoros, pour la période du 1er juillet 1996 au 30 juin 1997 ; qu'il n'est pas contesté (si ce n'est par la demande ci-dessus rejetée tendant à faire dire que les ventes non réalisées par Artoros lui donneraient droit à commissions, lesquelles, s'ajoutant, permettraient au chiffre d'affaires minimum d'être atteint...) ;
Attendu que l'abus du droit de résilier pourrait être invoqué qu'Artoros prétend seulement qu'Ost Développement est responsable de deux faits qui sont la cause du défaut de réalisation de l'objectif nécessaire ;
Attendu que la Cour peut retenir et admettre que ces deux faits, s'ils sont établis - pourraient donner un caractère abusif à la résiliation ;
Attendu que le premier invoqué consiste dans le non commissionnement d'opérations réalisées sur le territoire de l'agent fusse sans son concours ; que la cour, après les premiers juges, a dit le droit à ce sujet, rejetant cette prétention ;
Attendu que le second consiste dans le retrait unilatéral par Ost Développement de trois cliniques du secteur, et d'un des deux produits ;
Mais attendu que la lettre de retrait du 2 janvier 1997, qui tendait à régler divers problèmes, comportait une proposition de modification du contrat, en ce qui concerne les secteurs, de la façon exposée et avec exclusions du "Laddec" ; qu'il était demandé de répondre afin qu'un avenant soit établi ; que cette lettre ne faisait l'objet d'aucune réponse ;
Or attendu que cette lettre énonce que ces réaménagements résultaient du fait que Artoros n'avait pas voulu poursuivre sa collaboration avec un M. Gatineau, agent commercial, " pour des raisons -énonce Ost Développement- que nous pouvons comprendre " ; que la proposition de modification du contrat par Ost Développement tenait compte de cet élément et était fait dans le souci de rééquilibrer l'action ; qu'ainsi Artoros, en ne répondant pas à cette proposition, n'a-t-elle pas manifesté qu'elle contestait un projet né de son fait (au moins en partie) et qu'elle estimait que celui-ci, accepté ou non, devait entraîner la modification de l'objectif financier auquel elle demeurait tenue ;
Attendu qu'Ost Développement n'a pas commis d'abus dans l'exercice du droit de résiliation ;
Attendu qu'ainsi, au motif du seul fait de l'absence de réalisation de l'objectif financier convenu, la société Ost a pu, sans abus, résilier le contrat ;
3. Attendu qu'au cours du préavis, Ost Développement a mis fin brusquement aux relations commerciales, sans indemnité, par lettre recommandée avec AR du 1er août 1997 ;
Attendu, en effet, que peu après la lettre de résiliation, la société Artoros a commis des actes de concurrence déloyale caractérisés, d'ailleurs admis, consistant en l'envoi de lettres tendant à dénigrer le produit Ost Développement au bénéfice de nouveaux produits qu'Artoros commercialisait;
Attendu que la société Artoros, pour se dégager de cette faute, soutient avoir commis une erreur d'interprétation de la lettre de résiliation et n'avoir pas perçu qu'elle ne la privait pas du préavis ;
Attendu que cette énonciation est sans effet au regard des termes précis de la lettre de résiliation, régulièrement adressée ;
Attendu que demeure la faute d'Artoros qui la met en contravention avec l'article 8 du contrat auquel elle demeurait tenue, relatif à l'interdiction de promouvoir d'autres produits concurrentiels et qui constitue un manquement grave justifiant, - non pas la rupture du contrat (avec application des dispositions de l'article 7-3 du contrat, relatives à une mise en demeure restée sans effet...), rupture déjà intervenue - , mais l'interruption du préavis, et nécessairement, par suite, la privation de toute indemnité de préavis;
Attendu que cette faute grave a été renforcée par la suite, puisqu'aussi bien Ost Développement énonce, sans démenti, et les pièces produites l'établissent, qu'Artoros a vendu directement des produits du stock de démonstration, en émettant des factures à son en-tête et en encaissant directement le prix; qu'elle a agi ainsi en septembre 1997, postérieurement à une lettre du 20 juillet 1997 d'Artoros, qui énonce page 2 que " nous admettons que l'article 8 avait vocation à s'appliquer jusqu'au 4 janvier 1998 " ;
Attendu que ces fautes graves justifient la privation de toute indemnité; que la rupture du préavis en effet, après celle du contrat lui-même, n'est pas abusive de la part d'Ost Développement et, au contraire, se trouve justifiée par les fautes commises par Artoros;
4. Attendu que le jugement doit être confirmé
Attendu que l'abus de procédure, de la part de la société Artoros n'est pas établi ; qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts à ce titre ;
Attendu qu'au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 20 000 F allouée en première instance suffit à couvrir l'ensemble du litige ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement, rejette toutes autres demandes, condamne la société Artoros aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.