CA Paris, 5e ch. B, 3 octobre 2002, n° 2001-14558
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gilardi (SA)
Défendeur :
Frenco (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Président de chambre :
Mme Pezard
Conseiller :
M. Faucher
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, Me Teytaud
Avocats :
Mes Scarzella, Junqua Lamarque
La cour est saisie de l'appel interjeté par la SA Gilardi de l'ordonnance contradictoirement rendue le 14 juin 2001 par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SARL Frenco, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'appelante, renvoyé l'affaire à une audience de mise en état et réservé les dépens.
Dans ses dernières conclusions du 14 mai 2002 la société Gilardi fait valoir :
- que son recours est recevable en application de l'alinéa 4 de l'article 776 du nouveau Code de procédure civile,
- que c'est à tort que le juge de la mise en état a décidé que le contrat d'agent commercial liant les parties étant par nature civil, le tribunal de grande instance était compétent alors que la qualité de commerçante des parties ayant contracté pour les besoins de leur activité commerciale conférait nécessairement au litige un caractère commercial,
- que l'intimée n'est pas fondée à invoquer les dispositions des alinéas 1er et 2 de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile pour prétendre que le Tribunal de grande instance de Paris est compétent, alors que :
* la règle de compétence du "lieu du fait dommageable" concerne la responsabilité délictuelle et n'est pas en l'espèce applicable à la rupture d'un contrat d'agent commercial,
* la règle de la compétence du "lieu de la prestation de service" ne permet pas d'établir la compétence de la juridiction parisienne puisque :
- le mandat d'agent s'exerce "sur tout le territoire français",
- il n'est justifié d'aucune prestation dans le ressort parisien,
- l'activité de sa cocontractante consiste à démarcher des centrales d'achat dont aucune n'est située à Paris,
- que les prestations de service de la société Frenco étant en vérité exécutées dans des lieux multiples, le critère à retenir est celui du lieu où demeure le défendeur,
- que la demande d'évocation du litige se heurte au fait que :
* la cour n'est pas juridiction d'appel relativement à la juridiction compétente, à savoir le Tribunal de commerce d'Antibes,
* il n'est pas de bonne justice de la priver du double degré de juridiction.
En conséquence l'appelante prie la cour d'infirmer l'ordonnance déférée, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce d'Antibes et de condamner la société Frenco à lui payer 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses ultimes écritures du 22 janvier 2002 la société Frenco soutient pour sa part :
- que le tribunal de grande instance est compétent en raison de la nature civile du mandat d'agent commercial la liant à l'appelante,
- que, s'agissant de la rupture d'un mandat soumis aux dispositions d'ordre public de la loi n° 91-593 du 25 janvier 1991, la responsabilité délictuelle de l'appelante est engagée et la compétence de "la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi", à savoir le centre d'activité de la société Frenco, doit être retenu,
- que, à supposer la responsabilité contractuelle de l'appelante engagée, le Tribunal de grande instance de Paris est compétent dans la mesure où ses prestations et diligences sont accomplies à Paris où elle a ses bureaux,
- que, à supposer même que la cour considère que l'absence de clients dans la ville de Paris justifie l'exception d'incompétence soulevée par l'appelante, il lui est demandé de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, ressort dans lequel existent des clients,
- que, sur le fond, il y a lieu, pour une bonne administration de la justice, d'évoquer l'affaire,
- que la société Gilardi, qui au demeurant l'a sciemment empêchée d'exercer son mandat dans des conditions normales, a rompu son contrat d'agence le 1er décembre 1999 en invoquant des motifs erronés et mensongers et lui a causé un préjudice évalué à 436.970 F.
- qu'elle a été contrainte d'engager des frais irrépétibles.
Dès lors l'intimée demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée, d'évoquer le litige et de condamner la société Gilardi à lui payer 66 615,65 euro à titre de dommages-intérêts.
A titre très subsidiaire, pour le cas où la cour jugerait alternativement ou cumulativement que les juridictions parisiennes ne sont pas compétentes, la société Frenco conclut au renvoi de l'affaire devant le tribunal de grande instance ou le tribunal de commerce de Nanterre.
En tout état de cause l'intimée sollicite la condamnation de sa mandante à lui payer 10 671,43 euro au titre de ses frais irrépétibles.
Sur ce :
Considérant que le 17 février 1995 la SA Gilardi a confié à la SARL Frenco le mandat de commercialiser "auprès de la totalité du secteur alimentaire, et de l'ensemble de la grande distribution (centrales d'achats, hypermarchés,...) sur le territoire français" "l'ensemble des vins mis en bouteille ou diffusés" par l'appelante "quelle que soit la marque sous laquelle les vins viendraient à être présentés";
Considérant que le 1er décembre 1999 la société Gilardi, laquelle a son siège à Antibes, a confirmé à l'intimée sa volonté de résilier le contrat d'agent commercial la liant à elle;
Considérant qu'à la suite de cette rupture la société Frenco a fait assigner sa cocontractante devant le Tribunal de grande instance de Paris dont la compétence est contestée par la défenderesse qui soutient que seul le Tribunal de commerce d'Antibes est compétent pour connaître du litige l'opposant à son mandataire;
Considérant tout d'abord que, nonobstant la nature civile du mandat unissant l'agent commercial à la société appelante, celle-ci est bien fondée à revendiquer la compétence de la juridiction consulaire puisque le litige oppose en l'espèce deux personnes morales ayant la qualité de commerçantes et ayant contracté à l'occasion de l'exercice de leur activité commerciale;
Considérant ensuite que, poursuivant, au vu de ses écritures, conformément aux dispositions du 1er alinéa de l'article 12 de la loi du 12 janvier 1991, la réparation du préjudice à elle causé par la "cessation de ses relations avec le mandant", la société Frenco met en ouvre la responsabilité contractuelle de celui-ci et se trouve dès lors fondée à l'attraire devant "la juridiction ... du lieu de l'exécution de la prestation de service";
Considérant toutefois que l'intimée ne démontre pas que ce lieu se trouve à Paris, alors que :
- d'une part rien ne prouve qu'il s'agit là, comme elle l'affirme, de son "centre d'activité, la correspondance à elle adressée à Paris 75015, 66 avenue de Suffren, par la société Gilardi étant à elle seule insuffisante pour rapporter cette preuve, ce d'autant que, même s'il s'agit là d'une domiciliation, la société Frenco a son siège à Cannes et a elle-même informé la société de domiciliation, la société Astri, le 29 janvier 1998 que "(ses) affaires (la) conduisent à être présent(e) sur la Côte, plusieurs fois par mois",
- d'autre part le contrat d'agence liant les parties prévoit en son article 4 que la société Frenco a "la responsabilité de l'ensemble des négociations commerciales avec la clientèle" située, au vu d'un tableau dressé par l'intimée elle-même, en dehors de Paris, à savoir Evry, Levallois, Marne-la-Vallée, Chilly Mazarin, Issy-les-Moulineaux, Bondoufle, Boulogne-sur-Seine et Villeneuve d'Ascq dans le Nord;
Considérant dès lors que, faute de pouvoir déterminer avec précision le "lieu de l'exécution de la prestation de service", la société Frenco se devait, par application des articles 42 alinéa 1 et 46 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, de saisir le tribunal de commerce du lieu où demeure le défendeur, solution qui s'imposait aussi pour le cas où la responsabilité délictuelle de la société Gilardi était mise en cause puisque l'intimée soutenait encore que le "lieu du fait dommageable" ou celui dans lequel "le dommage a été subi" se trouvait en son "centre d'activité";
Considérant en conséquence que le siège social de la société Gilardi étant situé à Antibes 06600, 65 boulevard du Val Claret, il convient, par application des dispositions de l'article 79 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, de renvoyer la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Aix-en-provence;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties le montant de ses frais irrépétibles;
Par ces motifs : Infirme l'ordonnance déférée et renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Aix-en-provence, Dit qu'il sera procédé par le secrétariat-greffe de ce siège conformément aux dispositions de l'article 97 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Frenco aux dépens et admet la SCP Duboscq & Pellerin, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.