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Décisions

Cass. com., 17 décembre 2002, n° 00-17.134

COUR DE CASSATION

Arret

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Moreau (Epoux)

Défendeur :

Bergerioux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M.Dumas

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Garaud, Gaschignard, SCP Ancel, Couturier-Heuer

Poitiers, 2e ch. civ., du 4 avr. 2000

4 avril 2000

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par M. Bergerioux que sur le pourvoi principal formé par M. et Mme Moreau; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Poitiers, 4 avril 2000) que, suivant acte notarié du 10 juin 1994, M. et Mme Moreau ont donné en location-gérance, pour une durée de six mois à compter du 1er juillet suivant, un fonds de commerce de présentation et vente de produits de la mer destinés à la consommation à M. Bergerioux, lequel, par un acte sous seing privé du même jour, a promis de le leur acheter, ainsi que l'immeuble, sous réserve de diverses conditions suspensives qui devaient être réalisées avant le 31janvier 1995; que, parmi ces conditions, il était stipulé "qu'aucune obligation de travaux d'un montant supérieur à 5 % du prix d'achat ne soit prescrite pour l'ouverture au public, dans les locaux dont s'agit, par tout organisme ou commission de sécurité que ce soit"; que le 26 juillet 1994, la Socotec, organisme agréé qui s'était rendu sur place à la demande de M. Bergerioux, a rendu un rapport relevant la non-conformité aux normes de sécurité des installations électriques et des dispositifs en cas d'incendie, ainsi qu'un risque d'effondrement en chaîne des aquariums dont les supports ne présentaient pas une rigidité suffisante; que, le 26 juillet suivant, M. Bergerioux, se prévalant de ce rapport, a avisé M. et Mme Moreau qu'il mettait fin à la location-gérance à compter du 31 juillet et que, sans réponse de leur part, il ferait procéder à la fermeture du fonds; que les époux Moreau ont fait constater par huissier que, le 1er août 1994, ils étaient contraints de reprendre l'exploitation et que des aquariums ainsi qu'un véhicule étaient endommagés; que, le 8 août 1994, M. Bergerioux a dénoncé au préfet les conditions de la poursuite, par les époux Moreau, de cette exploitation et, le 9 août 1994, le maire a interdit l'ouverture du fonds au public; qu'après avoir obtenu une expertise pour évaluer le montant des travaux de mise aux normes de sécurite, M. Bergerioux a assigné les époux Moreau pour voir prononcer la résiliation, à leur torts, de la location-gérance et obtenir leur condamnation au paiement de dommages-intérêts en raison des pertes subies ainsi que la restitution de la somme de 50 000 F remise à titre de dépôt de garantie de paiement des loyers; qu'il a également demandé que soit constatée la non-réalisation de la condition suspensive de la promesse de vente et ordonnée en conséquence la restitution de la somme de 40 000 F qu'il avait versée à titre d'acompte que les époux Moreau ont reconventionnellement demandé la condamnation de M. Bergerioux au paiement de pénalités contractuelles et dommages-intérêts ainsi que des loyers et redevances impayés;

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal, réunis : - Attendu que M. et Mme Moreau font grief à l'arrêt d'avoir décidé que la promesse synallagmatique de cession du fonds de commerce et des murs était caduque, alors, selon Les moyens: 1 - que les travaux de mise en conformité aux normes de sécurité exigés par l'autorité administrative pour la sécurité des tiers, sont par nature des travaux conservatoires, que le contrat de promesse de cession des lieux donnés en location gérance à M. Bergerioux, preneur qui s'était engagé à acheter sous condition suspensive, autorisait le bailleur ayant promis de céder le fonds de commerce et les murs, à exécuter les travaux conservatoires jusqu'à la signature de l'acte authentique de cession; d'où il suit qu'en décidant que les travaux de mise en conformité aux normes de sécurité ne constituaient pas des travaux conservatoires que le propriétaire bailleur était en droit d'exécuter avant la signature de l'acte de cession, la cour d'appel a violé l'article 1136 du Code civil; 2 - que la condition suspensive suspend la formation du contrat à un événement futur dont la date de survenance peut être fixée par les parties; qu'en présence d'une condition suspensive relative au montant des travaux de mise en conformité du bien vendu, dont la réalisation devait intervenir au plus tard le 31 décembre 1994, il incombait au vendeur, débiteur de l'obligation, de vendre sous cette condition, d'accomplir les travaux de conformité à ses frais avant la date prévue pour la réalisation de la condition; d'où if suit qu'en présence de travaux de mise en conformité accomplis par le vendeur avant la date fixée pour la réalisation de la condition suspensive, les travaux restant à effectuer étant, selon l'avis de l'expert judiciairement nommé, d'un montant de 30 072,39 F TTC, et les travaux visés par la condition suspensive ne pouvant dépasser 38 150 F , la cour d'appel ne pouvait se déterminer comme elle l'a fait sans violer l'article 1181 du Code civil;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que la vente était subordonnée à la condition qu'aucune obligation de travaux de sécurité excédant 5 % du prix ne soit prescrite pendant les 6 mois de la location-gérance, la cour d'appel en a déduit, par un motif non critiqué, que, dès lors que des travaux dépassant le double de ce seuil avaient été prescrits au cours de la période considérée, la condition était défaillie, peu important que les propriétaires en aient pris en charge l'excédent avant l'expiration du délai; d'où il suit que les moyens sont inopérants;

Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que M. Bergerioux reproche à l'arrêt d'avoir mis à sa charge le coût des matériels endommagés à hauteur de 19 369,78 F et déduit cette somme de celles dues par les loueurs, les époux Moreau, alors, selon le moyen, que la présomption édictée par l'article 1731 du Code civil, selon laquelle, en l'absence d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état et doit les rendre tels, se limite aux réparations locatives d'immeubles et n'est pas applicable aux éléments corporels d'un fonds de commerce donné en location-gérance; d'où il résulte que la cour d'appel, qui ne relève pas que la détérioration du matériel serait imputable au locataire-gérant, ne pouvait mettre à sa charge le coût de remise en état, sans violer le texte précité par fausse application;

Mais attendu qu'aux conclusions des époux Moreau qui, se prévalant du constat d'huissier, revendiquaient une indemnisation pour des aquariums et un véhicule retrouvés endommagés après son départ, M. Bergerioux s'est borné à répondre qu'ils ne rapportaient "aucune preuve à l'appui de leurs allégations" et qu'aucun défaut d'entretien ne pouvait lui être imputé; d'où il suit que, nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen est irrecevable;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal : - Vu les articles 1134 et 1184 du Code civil; - Attendu que, pour infirmer le jugement et prononcer aux torts partagés la résolution du contrat de location-gérance, l'arrêt retient qu'en remettant au preneur des locaux inexploitables, les époux Moreau ont failli à leur obligation de délivrance, et qu'ils ne peuvent se retrancher derrière la clause figurant au contrat selon laquelle le preneur prenait le fonds "dans l'état où tout se trouve actuellement, sans pouvoir, à cet égard, exercer aucun recours contre le bailleur pour quelque cause que ce soit"

Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que M. Bergerioux, qui savait que des travaux de mise en conformité étaient nécessaires, s'était engagé à prendre les locaux dans l'état où ils se trouvaient, et que ce n'est que postérieurement à son entrée dans les lieux que des risques ont été identifiés, ce dont il résulte que les époux Moreau s'étaient acquittés de l'obligation de délivrance qui leur incombait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a prononcé aux torts partagés la résolution du contrat de location-gérance du 10 juin 1994, l'arrêt rendu le 4 avril 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Limoges;