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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 24 mars 1999, n° 1998-22665

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ABC Synergie (SA)

Défendeur :

Bonnet Névé (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

Mes Melun, Huyghe, SCP Faure-Arnaudy, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Pigassou, Rouhette, Hermelin, Dian

T. com. Paris, 8e ch., du 7 oct. 1998

7 octobre 1998

La société Bonnet Névé, qui a notamment pour activité la fabrication et la commercialisation des vitrines réfrigérées à destination du secteur de la grande distribution et des commerces de proximité, a, au cours de l'année 1995, alors que son activité de production était répartie entre ses deux usines de Romorantin et d'Hendaye, décidé, dans le cadre d'une restructuration industrielle, de concentrer son potentiel de fabrication d'ensemble et de sous ensemble de vitrines réfrigérées sur le seul site d'Hendaye, ce qui impliquait la reconversion du site de Romorantin vers d'autres activités.

C'est ainsi qu'à la fin de l'année 1995, après consultation des divers partenaires sociaux, il a été décidé de la création d'une société destinée à reprendre certains actifs de l'usine de Romorantin non transférés à Hendaye et de la quasi totalité de salariés de Bonnet Névé pour y débuter une nouvelle activité voisine en compétences humaines de celles requises pour la fabrication des vitrines et adaptée aux matériels de production existant sur le site.

Ce projet a abouti à la création à l'initiative de Michel Corfec, ancien directeur de l'usine de Romorantin, d'une société ABC Synergie - en juin 1996 et à la signature d'un protocole d'accord le 22 décembre 1995 à effet au 1er juillet 1996 par la société Bonnet Névé, d'une part, et trois personnes physiques dont Michel Corfec auxquels s'est substituée la société ABC Synergie, d'autre part.

Aux termes de ce protocole, la société Bonnet Névé a cédé à la société ABC Synergie pour 1 F un ensemble d'équipements industriels situé dans l'usine de Romorantin et pour 5 000 000 F trois bâtiments industriels désignés sous les noms de bâtiments A et B et de poste de garde et a mis gratuitement à sa disposition jusqu'au 31 août 1997 le bâtiment G qui restait sa propriété.

Il était également prévu au protocole la signature au 1er juillet 1996 d'un accord de sous-traitance industrielle entre les sociétés Bonnet Névé et ABC Synergie, d'une durée de trois ans à compter de cette date, portant sur la fabrication et la fourniture, à titre exclusif au profit des sociétés du groupe EL-FI Spa auquel appartient Bonnet Névé, des sous ensembles concernant la structure de vitrines réfrigérées, Bonnet Névé s'engageant à assurer à ABC Synergie un chiffre d'affaires minimum de 50 000 heures directes de fabrication de sous ensembles par an afin de favoriser le démarrage de son activité.

Les parties étaient par ailleurs convenues qu'ABC Synergie pourraient continuer à procéder aux opérations de montage des vitrines au profit exclusif de Bonnet Névé, jusqu'à la fin de l'année 1997.

Par courrier du 7 novembre 1997, la société ABC Synergie, qui, depuis le mois d'avril précédent, avait engagé des contacts en vue d'un rapprochement avec la société Chief, concurrent direct de la société Bonnet Névé, a informé cette dernière de l'entrée dans son capital à hauteur de 30% de la société Chief et de la commande par Chief de 6 000 vitrines réfrigérées par l'année 1998.

En novembre 1997, la société Bonnet Névé ayant alors souhaité déménager vers son usine d'Hendaye les équipements industriels installés dans le bâtiment G du site de Romorantin, dont elle avait conservé la propriété, s'est heurtée à l'opposition de la société ABC Synergie.

Saisi par les parties en référé, le président du Tribunal de grande instance de Blois a autorisé la société ABC Synergie à conserver la jouissance du matériel litigieux jusqu'à l'issue de la procédure pendante au fond initiée par la société Bonnet Névé, qui a fait assigner à jour fixe le 24 mars 1998, la société ABC Synergie devant le Tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir, sous astreinte, l'exécution forcée des accords de sous-traitance exclusive jusqu'au 30 juin 1999, la reconnaissance de son droit de propriété sur les quatre presses litigieuses conservées par celle-ci et leur restitution ainsi que le paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts.

C'est dans ces conditions, la société ABC Synergie ayant résisté à cette action, que par jugement en date du 7 octobre 1998, le tribunal a :

- fait interdiction à la société ABC Synergie, dès la signification du jugement et jusqu'au 30 juin 1999, de fabriquer ou vendre à la société Chief ou toute autre société étrangère au groupe EL-FI Spa tout meuble réfrigéré et ce, sous astreinte de 5 000 F par meuble livré ou vendu ;

- ordonné la restitution à la société Bonnet Névé dès signification du jugement, par la société ABC Synergie des matériels suivants se trouvant actuellement dans le bâtiment G de l'usine de Romorantin :

- 1presse à plateau de marque OTT ;

- 1 presse à plateau de marque OTT KG JJ9O n° 7929 ;

- 1 presse Hennecke n° 30 086 + 50;

- 1 presse Kraussmaffrei Rim Star 40 n° 23 152

ainsi que la tête d'injection mentionnée dans l'ordonnance du Tribunal de grande instance de Blois et ce, sous astreinte de 20 000 F par jour de retard pendant une période de 60 jours, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte ;

- condamné la société ABC Synergie à régler à la société Bonnet Névé la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire et mis les dépens à la charge de la société ABC Synergie.

La société ABC Synergie a fait appel de ce jugement et saisi le Premier Président d'une demande de suspension de l'exécution provisoire attachée à cette décision.

La société Bonnet Névé a, quant à elle, été autorisée à plaider à jour fixe sur les mérites de cet appel.

La société ABC Synergie poursuit l'infirmation du jugement déféré et demande à la Cour de débouter la société Bonnet Névé de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner reconventionnellement à lui payer la somme de 15 000 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 50 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Elle fait, en substance, valoir qu'il n'existe aucune clause de non-concurrence interdisant à la société ABC Synergie d'exercer une activité de fabrication de meubles réfrigérés, qu'en tout état de cause, une telle clause serait nulle au regard de la mise en œuvre simultanée par Bonnet Névé de transfert de contrats de travail en application de l'article L. 122 du Code du travail, que la société ABC Synergie est propriétaire des quatre machines désignées "presse à plateau de marque OTT, presse OTT KG JJ9O n° 7929, presse Hennecke n° 30 086 + 50 et presse Kraussmaffei Rim Star 40 n° 23 152" ainsi que de la tête d'injection associée à cet ensemble.

La société Bonnet Névé conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a, sous astreinte, fait interdiction à la société ABC Synergie de fabriquer ou vendre des meubles réfrigérés à la société Chief ou à tout autre société étrangère au groupe EL-FI Spa et lui a ordonné de restituer les presses litigieuses et l'a condamnée à l'indemniser de ses fais irrépétibles.

Elle prie la Cour réformant partiellement le jugement déféré de :

- condamner la société ABC Synergie à lui payer une somme de 12 000 000 F à titre de dommages et intérêts,

- dire que les astreintes ont un caractère définitif,

- dire que l'astreinte assortissant la mesure de restitution des matériels s'appliquera jusqu'à la date de leur complète restitution,

- réserver au Tribunal de commerce de Paris la liquidation des deux astreintes, si la Cour n'aime mieux se réserver ce pouvoir.

Elle demande en outre de :

- ordonner la publication par extraits de l'arrêt à intervenir dans la Nouvelle République du Centre-Ouest et dans les Echos aux frais avancés de la société ABC Synergie et dans la limite d'un budget maximum de 20 000 F HT par insertion,

- condamner in solidum les sociétés ABC Synergie et Chief à lui payer la somme de 75 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait pour l'essentiel observer :

- sur la clause d'exclusivité dont la société ABC Synergie reconnaissait l'existence en première instance, qu'une telle clause figure à l'article 6 du protocole d'accord du 22 décembre 1995, que l'obligation est parfaitement déterminée et qu'il importe peu que l'accord de sous-traitance qui a été exécuté, n'ait pas été réitéré ;

- sur l'application de l'article L. 122-12 du Code de travail, que l'argumentation de ABC Synergie est inopérante dans la mesure où, il a été fait, en l'espèce, une application volontaire de ce texte, qui n'avait pas vocation à s'appliquer ;

- sur la propriété des machines litigieuses, que celles-ci avaient été exclues du périmètre de cession des actifs transférées à ABC Synergie en application du protocole d'accord, que l'absence de comptabilisation des machines litigieuses dans les comptes de Bonnet Névé au 31 décembre 1996, est sans portée.

Le Syndicat Départemental Sypem 41, CFE-CGC ( Syndicat du Personnel de l'Encadrement et de la Maîtrise de la Métallurgie du Loir et Cher) et l'Union Départementale CGT-Force Ouvrière (Syndicat de la Métallurgie) demandent à la Cour de :

- leur donner acte de leur intervention volontaire,

- constater que selon le rapport établi par René Grison, expert comptable missionné dans le cadre d'une procédure d'alerte le 19 juin 1998, l'interdiction prononcée par le Tribunal de commerce de Paris dans la décision dont appel à l'encontre de la société ABC Synergie, aura des conséquences sociales et économiques catastrophiques pour cette société, qui se traduiront par la disparition de sa rentabilité et sa disparition à court terme, ainsi que par le licenciement de 212 personnes dont 24 salariés employés en contrat à durée déterminée et 27 intérimaires,

- infirmer en conséquence le jugement déféré.

La société Chief prie quant à elle la Cour de :

vu l'article 554 du nouveau Code de procédure civile,

- la recevoir en son intervention volontaire et l'y dire bien fondée,

vu l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 1249 du Code civil,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

- constater que l'article 6 " Accord de sous-traitance " du protocole du 22 décembre 1995 n'interdit pas à ABC Synergie d'exercer une activité de fabrication de meubles réfrigérés au profit d'autres clients que la société Bonnet Névé ;

- constater au surplus que la société Bonnet Névé a été défaillante dans l'accord de sous-traitance qu'elle revendique et qu'en conséquence ABC Synergie est libérée de toute obligation ;

très subsidiairement,

- dire que les demandes de Bonnet Névé sont restrictives de concurrence au préjudice tant d'ABC Synergie que de Chief et les dire en conséquence mal fondées ;

plus subsidiairement encore,

- constater la nullité de la clause litigieuse en vertu de l'article L. 122-12 du Code du travail ;

- le cas échéant, désigner un expert afin de déterminer si les produits livrés par ABC Synergie à Chief entrent dans le champ d'application de la clause d'exclusivité figurant au protocole précité ;

- condamner ABC Synergie à lui payer une indemnité de 50 000 F au titre de ses frais non compris dans les dépens.

Les sociétés Linde et Gephal, la première précisant que le maintien de l'interdiction de livrer Chief créerait un processus irréversible qui conduirait le groupe Linde à se désengager d'ABC Synergie et que la prise de participation de Linde dans Gephal et indirectement dans Chief, avait pour but de créer un produit français avec une production française, demandent à la Cour de les déclarer recevables et bien fondées en leur intervention volontaire et de leur adjuger le bénéfice des écritures des sociétés Chief et ABC Synergie.

La société Bonnet Névé qui conclut à l'irrecevabilité des interventions volontaires tant du Syndicat Sypem 41, CFE-CGC et de l'Union Départementale CGT-FO par application de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile, que des sociétés Linde et Gephal par application des articles 122 et 554 de ce même Code, conteste l'argumentation développée par la société Chief au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour voir écarter la clause d'exclusivité partielle stipulée au protocole d'accord.

Sur ce, LA COUR

Sur la recevabilité des conclusions et des pièces communiquées par la société Bonnet Neve et par les syndicats

Considérant que les sociétés Chief, Linde et Gephal sollicitent le rejet des débats des pièces communiquées par les syndicats les 22 et 25 janvier 1999, ainsi que des conclusions qu'ils ont signifiées le 25 janvier 1999 ; qu'elles demandent également que les pièces et les conclusions communiquées et signifiées par la société Bonnet Névé le 26janvier 1999, soient écartées des débats et ce, en vertu des articles 14 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais considérant que la société Bonnet Névé autorisée par le Premier Président à plaider à jour fixe sur l'appel formé par la société ABC Synergie, a fait dénoncer à l'appelante une assignation pour plaider à jour fixe pour l'audience du 24 novembre 1998, date à laquelle les sociétés Chief, Linde et Gephal sont intervenues volontairement, les syndicats étant quant à eux intervenus volontairement le 20 novembre précédent ;

Qu'en tenant compte de ces interventions tardives, la Cour a procédé au renvoi de l'affaire à l'audience du 26 janvier 1999 ; que les parties mettant à profit ce délai supplémentaire, ont conclu abondamment et communiqué un nombre considérable de pièces jusqu'au 26 janvier 1999 ;

Qu'eu égard, d'une part, au développement pris par cette affaire qui n'en demeure pas moins urgente, puisque la clause d'exclusivité en litige prend fin le 30 juin 1999, et d'autre part, à la nature de la procédure à jour fixe suivie devant la Cour, il n'y a pas lieu de rejeter des débats l'ensemble des pièces et des conclusions communiqué et signifié tardivement par les parties, les une et les autres ayant pu s'en expliquer utilement à l'audience ;

Sur la recevabilité des interventions volontaires des syndicats et des sociétés Linde et Gephal

Considérant que la société Bonnet Névé prétend que les syndicats n'établissent pas que leurs représentants soient habilités à agir en justice en leur nom ; que Jacky Madoire, président de la Sypem 41 CFE-CGC, ne justifie d'aucun mandat du Conseil syndical ou de son président, seuls habilités à ester en justice, de même que les pièces versées, ne permettent pas d'apprécier les pouvoirs de Yoann Mahoudeau, secrétaire général de l'Union Départementale des Syndicats du Loir-et-Cher CGT-FO ;

Considérant cependant que, contrairement à ce que prétend Bonnet Névé, il est justifié par les documents produits par les syndicats - statuts et listes des membres du bureau déposés en mairie de Blois - que Jacky Madoire, président du Sypem 41 et Yoann Mahoudeau, secrétaire général du l'Union Départementale Force Ouvrière du Loir et Cher, sont habilités à agir en justice en leur nom ;

Considérant en revanche que les sociétés Linde et Gephal, qui ne détiennent aucune participation directe dans le capital d'ABC Synergie et n'entretiennent aucune relation commerciale directe avec elle, ne justifient d'aucun intérêt direct à agir dans l'instance qui oppose ABC Synergie à Bonnet Névé ; qu'elles devront être en conséquence déclarées irrecevables en leur intervention volontaire et devront conserver à leur charge les dépens qu'elles ont exposés de ce chef ;

Sur le fond

1°) sur la clause d'exclusivité figurant au protocole du 22 décembre 1995

a) sur l'existence et la validité de cette clause

Considérant que l'appelante relayée en cela par la société Chief soutient qu'il n'existerait aucune stipulation de non-concurrence et ce, dans la mesure où, aucun contrat de sous-traitance n'a été régularisé entre les parties et qu'en tout état de cause, si pendant la période du 1er juillet 1996 au 30 juin 1997, il est indiscutable que Bonnet Névé a confié un nombre d'heures supérieures à 50 000 heures toutes commandes confondues, en revanche la deuxième période du 1er juillet 1997 au 30 juin 1998 a fait apparaître une baisse sensible du nombre des commandes ; qu'en outre faute de signature du contrat, l'objet de la sous-traitance était indéterminé qu'enfin, ABC Synergie n'a pas rempli ses obligations en ne lui procurant pas les 50 000 heures convenues ;

Considérant qu'il était prévu à l'article 6 du protocole du 22 décembre 1995 " Accord de Sous-traitance " que : " le cédant et le cessionnaire s'engagent à signer un contrat de sous-traitance d'une durée de trois ans qui prendra effet à la Date de Réalisation, pour la fabrication et la fourniture à titre exclusif au profit des sociétés du groupe EL.FI Spa, fabricant de meubles réfrigérés de vente, auquel appartient le cédant, de sous ensemble concernant la structure des meubles réfrigérés, à savoir :

- le soubassement ;

- les supports frontons ;

- la chambre de ventilation ;

- la réglette d'éclairage, et

- le coffret électrique.

Ce contrat de sous-traitance devra être signé avant la Date de Réalisation et devra reprendre les termes et les conditions prévues dans le modèle de contrat de sous-traitance figurant à l'annexe 8. "

Considérant que si le contrat ainsi prévu n'a jamais été signé par les parties, il n'en demeure pas moins qu'il a été exécuté sans problème majeur du moins jusqu'au mois d'août 1997, époque à laquelle Bonnet Névé a mal réagi à l'intention de sa cocontractante de se rapprocher d'une entreprise concurrente pour " assurer sa reconversion ", ce qui a été fait en octobre 1997 par la prise de participation de la société Chief dans le capital d'ABC Synergie ;

Considérant que l'ensemble des pièces versées aux débats par les parties établit que ce contrat de sous-traitance dont l'objet était déterminé tant par l'article 6 susvisé que par l'annexe 8 du protocole, qui suivant l'article 12 de ce texte en faisait partie intégrante, a été exécuté, ce qui a permis à ABC Synergie de réaliser pour les quatorze premiers mois de son existence un chiffre d'affaires de 112 073 000 F soit 99,12% de son chiffre d'affaires, accord de sous-traitance et fabrication de vitrine complète confondus et ce, selon le rapport de René Grison réalisé dans le cadre de la procédure d'alerte à la demande du Comité d'Entreprise de l'appelante ;

Qu'en effet, il avait également été convenu entre les parties qu'ABC Synergie s'engageait à fabriquer 10 000 vitrines réfrigérées pour le compte de Bonnet Névé jusqu'à fin août 1997 ;

Considérant que l'appelante parfaitement consciente que l'accord de " partenariat " bien que non signé, s'est exécuté soutient que Bonnet Névé n'aurait pas respecté ses engagements sur les 50 000 heures de travail, qu'elle s'était engagée à lui fournir à ce titre ; que sur ce point les parties ont échangé des chiffres contradictoires émanant de leurs expert comptable ou commissaire aux comptes respectifs ; que toutefois, force est de constater à cet égard, qu'ABC Synergie n'a jamais mis en demeure son donneur d'ordre de respecter ses obligations et n'a d'ailleurs émis les premières réclamations de ce chef que dans son courrier du 22 août 1997, au moment où elle s'apprêtait à passer à la concurrence et où une polémique s'était engagée sur ce point entre elles ;

Considérant enfin qu'il ne saurait être utilement soutenu que la clause d'exclusivité jusqu'au 30 juin 1999 ne viserait pas la fabrication des vitrines réfrigérées, mais seulement celle des " sous ensembles concernant la structure des meubles réfrigérés ", qui n'auraient jamais été définis et ce, dans la mesure où, outre que l'objet de ces sous ensembles a bien été défini comme précisé plus haut, il est évident que les sous ensembles visés au protocole qui constituent la structure des vitrines en est un élément indissociable et indispensables de celles-ci ;

b) sur l'application par le protocole du 22 décembre 1995 de l'article L. 122-12 du Code du travail

Considérant que les sociétés ABC Synergie et Chief soutiennent que la clause d'exclusivité insérée au protocole serait nulle pour contrevenir aux dispositions de l'article L 122-12 du Code du travail, visé dans ce protocole pour justifier du transfert des contrats de travail ;

Considérant que selon l'alinéa 2 de l'article susvisé " S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise " ; que ces dispositions ont vocation à s'appliquer à tout transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ;

Or considérant qu'il est établi que cet article n'avait pas, en l'espèce, vocation à s'appliquer à la cession du site de Romorantin par Bonnet Névé qui visait explicitement sa reconversion vers de nouvelles activités faisant appel aux métiers de base du site - tôlerie, peinture, injection, câblage électrique, assemblage -, ainsi qu'en attestent les comptes-rendus des réunions des comités d'entreprise et d'établissement des 25 et 26 octobre 1995 ainsi que du 22 décembre 1995, versés aux débats, au cours desquelles les partenaires sociaux ont pu débattre de ce projet, qu'ils ont approuvé à l'unanimité, même s'ils étaient défavorables quant à sa motivation relative au choix par Bonnet Névé du site d'Hendaye au lieu de celui de Romorantin ;

Considérant que faute de poursuite de l'activité par le cessionnaire, Bonnet Névé prétend justement qu'il a été fait une application volontaire de ce texte par le protocole du 22 décembre 1995 et que les contrats de travail ayant été transférés par la suite à ABC Synergie, il est difficile de saisir exactement l'argumentation développée tant par Chief et ABC Synergie que par les syndicats, sur la méconnaissance par les salariés de la clause de non concurrence limitée dans le temps au contrat de sous-traitance intervenu entre Bonnet Névé et ABC Synergie, limité au surplus à 50 000 heures de travail sur les 150 000 fournies sur le site, alors qu'ils connaissaient pour en avoir discuté que l'objectif recherché était celui d'une reconversion du site ;

c) sur le caractère licite de la clause d'exclusivité au regard de l'article 8 aIiéa 2 de l'ordonnance de 1er décembre 1986

Considérant que la société Chief fait valoir que cette clause, qui fait interdiction à ABC Synergie de fabriquer et de vendre des sous ensembles de meubles réfrigérés et d'ensembles complets de vitrines réfrigérées à tout autre que Bonnet Névé, alors qu'elle n'a pu dans les délais impartis opérer une reconversion en profondeur de ses activités, met ABC Synergie, qui se trouve privée de la possibilité de vendre ses produits, dans une situation de dépendance économique totale vis-à-vis de Bonnet Névé ;

Mais considérant qu'à l'origine, la fabrication de sous ensembles à titre exclusif par ABC Synergie pour Bonnet Névé, limitée en volume et dans le temps, n'avait pas pour objet ni pour effet de l'empêcher d'exercer d'autres activités, d'autant plus que ni la fabrication des vitrines réfrigérées, ni la réfrigération, ne faisaient parties des activités déclarées de la société;

Que la situation dans laquelle se trouve actuellement ABC Synergie au regard de cette clause qu'elle a acceptée lors de la signature du protocole d'accord en contrepartie de l'activité résiduelle que Bonnet Névé lui consentait pour soutenir son redémarrage, n'est due qu'à son revirement dans sa stratégie industrielle, quelques mois avant que ne cesse en fin d'année 1997, la fabrication pour Bonnet Névé de vitrines complètes; qu'en effet, au cours du printemps 1997, son dirigeant a pris la décision dans un but de reconversion de passer purement et simplement à la concurrence, étant ici relevé que Michel Corfec qui était à l'origine du projet de reconversion du site de Romorantin, était plus que quiconque informé des engagements qu'il avait pris envers le cédant;

Qu'en outre, Chief se gardant bien de définir le marché de référence sur lequel s'exerceraient les pratiques restrictives de concurrence au sens de l'article 8 de l'ordonnance précitée, son argumentation est inopérante, étant encore relevé qu'elles n'ont pas eu pour effet et pour objet d'empêcher Chief de fabriquer elle-même des vitrines réfrigérées, mais seulement de les faire fabriquer par l'intermédiaire d'ABC Synergie dans l'ancien site industriel de sa concurrente directe, du moins jusqu'au 30 juin 1999 ;

Considérant qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal constatant que la société ABC Synergie a manifestement violé la clause d'exclusivité prévue à l'article 6 " Accord de sous-traitance " du protocole du 22 décembre 1995 pour pallier l'échec de sa reconversion, lui a enjoint de cesser toute activité liée à la fabrication de meubles réfrigérés pour tout autre client que la société Bonnet Névé ou les sociétés du groupe EL.FI Spa et lui a interdit de poursuivre son activité à ce titre avec la société Chief jusqu'à la date du 30 juin 1999 sous astreinte de 5 000 F par meuble livré ou vendu;

2°) Sur la propriété des machines litigieuses

Considérant que selon l'article 1, 1.1 du protocole d'accord, le cédant s'était engagé à céder au cessionnaire l'ensemble du matériel de production relatif à l'activité suivant une liste figurant à l'annexe 2 ; que cependant la société ABC Synergie qui prétend que cette liste n'avait qu'un caractère indicatif, soutient que l'ensemble des machines lui a été vendu suivant factures du 30 août 1996, notamment les quatre presses OTT, Hennecke et Kraussmaffei qui ne figuraient pas sur cette annexe, mais qui ne figuraient plus non plus au nombre des immobilisations au bilan de Bonnet Névé en décembre 1996 et dont elle revendique la propriété ;

Mais considérant que, comme l'a à juste titre relevé le tribunal, les quatre presses litigieuses qui sont depuis dix ans la propriété de Bonnet Névé sur le site de Romorantin, ne figuraient pas à l'inventaire du matériel cédé dans le cadre du protocole du 22 décembre 1995, que leur valeur comptable estimée à 4 000 000 F n'aurait pas manquée d'être mentionnée s'il avait été convenu qu'elles entraient dans le périmètre de la cession du matériel ;

Qu'en outre ces presses qui étaient exclusivement destinées au montage des vitrines réfrigérées n'avaient pas vocation à entrer dans le périmètre de la cession visant la reconversion du site et n'avaient été laissées dans le bâtiment G, resté la propriété de Bonnet Névé, à la disposition de ABC Synergie que pour lui permettre d'effectuer le montage des vitrines initialement prévu jusqu'en août 1997, puis en fait jusqu'en novembre 1997 ;

Considérant que le fait que ces machines n'aient pas figuré au titre des immobilisations au bilan 1996, ne démontre pas en soi qu'elles aient été cédées à ABC Synergie ; qu'en outre, Bonnet Névé a justifié du projet de joint venture avec des entreprises chinoises, opération dans le cadre de laquelle elles devaient être cédées ; que les mentions " VE " figurant sur certaines lignes des listings informatiques édités par Bonnet Névé représentant un état des matériels installés sur le site de Romorantin, lesquels constituaient un outil de travail pour cette société, ne sauraient non plus établir la cession contestée des quatre presses à injection à ABC Synergie ;

Considérant que là encore le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a ordonné sous astreinte la restitution des quatre presses à Bonnet Névé ;

3°) Sur les demandes de dommages et intérêts

Considérant que la société ABC Synergie qui n'a pas respecté l'accord des parties, d'une part, en violant l'exclusivité partielle et limitée dans le temps prévue au protocole du 22 décembre 1995 et ce, en vue de sa reconversion dans la fabrication de vitrines réfrigérées pour la concurrence selon son dirigeant, - courrier adressé par ce dernier le 25 août 1997 à Bonnet Névé - et d'autre part, en conservant par devers elle les presses à injection litigieuses restées la propriété de Bonnet Névé, ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts faute de démontrer les manquements qu'auraient commis celle-ci à son égard ;

Considérant, en revanche, que Bonnet Névé n'a pas pu reprendre depuis le mois de novembre 1997, possession des presses à injection restées sa propriété, qui n'ont pu être normalement utilisées par son usine de production d'Hendaye ; que de plus, elle se trouve depuis confrontée à la concurrence directe d'ABC Synergie, qui fabrique, en dépit de ses engagements jusqu'en juin 1999, des vitrines réfrigérées pour le compte de son concurrent Chief ; que les prévisions de ventes de vitrines réfrigérées d' ABC Synergie pour cette dernière pour l'exercice 97-98 s'élevaient à 64.885 000 F et devaient se développer pour atteindre lors de l'exercice 1999 145.680 000 F ; qu'enfin Bonnet Névé a fait l'objet en novembre et décembre 1998, d'une violente campagne de dénigrement médiatique orchestrée par ABC Synergie, susceptible de porter atteinte à son image et à sa réputation commerciale ;

Qu'il s'ensuit, les interdictions de vente et de fabrication ne permettant pas une réparation suffisante, que la Cour a les éléments d'appréciation pour évaluer à la somme de 6 000 000 F les dommages et intérêts qui doivent être alloués à Bonnet Névé en réparation du préjudice qui lui a été causé par les agissements d'ABC Synergie ;

Sur la demande au titre des astreintes

Considérant que de ce chef le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé des astreintes provisoires et en ce que la juridiction consulaire s'est réservée la liquidation de celles-ci ; que cependant, celle assortissant la restitution des quatre presses à injection demeurera jusqu'à la restitution complète de ces matériels ;

Sur le surplus

Considérant que compte tenu du comportement déloyal d'ABC Synergie envers Bonnet Névé à l'occasion de la reconversion du site de Romorantin, il convient d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt dans la Nouvelle République du Centre-Ouest et dans les Echos, aux frais avancés d' ABC Synergie et dans la limite de 20 000 F HT par insertion ;

Considérant que les sociétés ABC Synergie et Chief qui succombent ne peuvent prétendre à l'indemnisation de leurs frais non compris dans les dépens, tandis qu'il est équitable d'allouer à ce titre à la société Bonnet Névé la somme complémentaire ci-dessous précisée ;

Par ces motifs : Déclare les sociétés Linde et Gephal irrecevables en leur intervention volontaire ; Donne acte aux syndicats de leur intervention volontaire ; Constate que la société ABC Synergie n'a pas respecté l'accord des parties, d'une part, en violant l'exclusivité partielle et limitée dans le temps prévue au protocole du 22 décembre 1995, d'autre part, en conservant par devers elle quatre presses à injection restées la propriété de la société Bonnet Névé et constate enfin, qu'à l'occasion de l'instance qui l'a opposée à celle-ci, elle a orchestré une campagne médiatique de dénigrement susceptible de porter atteinte à l'image et à la réputation commerciale de société Bonnet Névé ; Confirme en conséquence le jugement déféré sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société Bonnet Névé, statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant ; Condamne la société ABC Synergie à payer à la société Bonnet Névé la somme de 6 000 000 F à titre de dommages et intérêts ; Dit que l'astreinte qui assortit la restitution des presses à injection demeurera jusqu'à la restitution effective de ces matériels ; Ordonne aux frais de la société ABC Synergie la publication du dispositif de l'arrêt dans la République du Centre-Ouest et dans les Echos et ce, dans la limite d'un budget de 20 000 F HT par insertion ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne la société ABC Synergie à payer à la société Bonnet Névé la somme complémentaire de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel, hormis ceux concernant l'intervention des sociétés Linde et Gephal qui resteront à la charge de ces dernières ; admet les avoués concernés aux bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.