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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 26 octobre 2001, n° 01-00697

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Grands Garages Méditerranéens (Sté)

Défendeur :

Subaru France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Jacquot

Avoués :

SCP Martelly-Maynard-Simoni, SCP Blanc-Amsellem-Mimran

Avocats :

Mes Mihailov, Claude, Boudou

T. com. Nice, du 28 déc. 2000

28 décembre 2000

Exposé du litige :

La société Grands Garages Méditerranéens (la SGGM), qui depuis le 1er décembre 1994 était concessionnaire exclusif de la société Subaru France sur le département des Alpes-Maritimes pour les véhicules automobiles de la marque éponyme, est devenue le 1er juillet 1996 distributeur agréé de cette société. Le 12 mai 2000, la société Subaru France a résilié ce contrat avec un préavis de six mois qui a pris fin le 17 novembre 2000.

Se plaignant du trouble illicite que lui causait cette rupture, la SGGM a attrait la société Subaru France devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nice qui, par ordonnance du 28 décembre 2000, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris.

Le 10 janvier 2001, la SGGM a formé contredit contre cette décision et le 31 janvier 2001 elle en a interjeté appel. Par arrêts des 13 avril 2001 et 22 juin 2001, cette cour a déclaré irrecevable le contredit, a joint les deux recours, a infirmé l'ordonnance attaquée, a retenu la compétence du juge des référés du Tribunal de commerce de Nice et a invité la société Subaru France à conclure sur les demandes de son adversaire.

La SGGM sollicite la condamnation de la société Subaru France à lui payer une provision de 462 000 F sur son préjudice, à rétablir les relations commerciales avec elle sous astreinte de 20 000 F par jour de retard et à lui verser la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Tout d'abord, elle soutient que la résiliation de son contrat contrevient du droit communautaire car il ne respecte pas le délai de deux ans prescrit par le règlement CEE 1475/95 en faveur des concessionnaires exclusifs d'automobiles. Pour cela elle allègue que malgré le changement de cadre contractuel opéré en 1996, la société Subaru France a continué à assurer le contrôle de son réseau maintenant à son profit une exclusivité de fait.

Ensuite, elle prétend que cette résiliation se trouve fautive au regard du droit interne de la concurrence car d'une part elle ne respecte pas le délai d'usage, en l'espèce de deux ans et d'autre part elle contrevient aux règles de la distribution sélective, la société Subaru France ne justifiant pas de son refus d'agrément et de la légalité de son réseau.

La société Subaru France conclut au débouté de la SGGM et à sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose que la SGGM a gravement manqué à ses obligations contractuelles de distributeur agréé et que la résiliation de son contrat intervenue dans le respect du préavis de six mois se trouve conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.

Se plaignant que la SGGM continue malgré son exclusion du réseau de distribution Subaru d'utiliser les signes distinctifs de cette marque, elle demande reconventionnellement qu'un tel usage lui soit interdit sous astreinte.

Motifs de la décision :

Sur l'application du règlement CEE 1475/95 :

Le règlement CEE 1475/95 applicable au commerce des véhicules automobiles concerne les contrats de distribution qui réservent au distributeur une exclusivité territoriale et instaure un préavis de rupture de deux ans.

La convention conclue le 1er juillet 1996 entre la société Subaru France et la SGGM ne stipule aucune exclusivité en faveur de l'une ou l'autre des parties, la société Subaru France ne s'interdisant pas de vendre dans un secteur déterminé correspondant notamment à l'aire de commercialité de la SGGM des véhicules automobiles par l'intermédiaire d'un autre distributeur et cette dernière conservant la possibilité de commercialiser des véhicules d'autres marques.

Vainement, la SGGM soutient-elle que la société Subaru France a maintenu une exclusivité de fait au bénéfice de ses distributeurs en n'en nommant qu'un seul par département. En effet, elle n'établit pas la réalité de cette pratique et les documents commerciaux produits par son adversaire montrent au contraire que dans plusieurs départements, il existe deux distributeurs. Cela est notamment vrai pour le département des Alpes-Maritimes où dès 1998, soit deux ans avant la rupture du contrat, la société Subaru France avait agréé un autre distributeur (la société Mozart Automobiles).

Le choix de la distribution sélective pour commercialiser ses véhicules par la société Subaru France ne manifeste pas une volonté de se soustraire aux contraintes du règlement européen précité mais s'explique par son faible taux de pénétration du marché français (0,028 % en 1995, 0,108 % en 2000) rendant difficile la rentabilité d'un distributeur monomarque.

Ainsi, la SGGM n'entre pas dans le champ d'application du règlement CEE 1475/95 et ne peut bénéficier du délai de préavis de deux ans qu'il édicte pour la résiliation des contrats de concession exclusive.

Sur la brutalité de la rupture au regard du droit interne

Selon l'article L. 442-6 I 4° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par les accords interprofessionnels.

La SGGM prétend qu'en matière de distribution de véhicules automobiles, un préavis de deux ans est d'usage et que celui de six mois imposé par la société Subaru France contrevient à cette règle.

Mais les documents qu'elle produit concernent tous des contrats de concession exclusive conclus en application du règlement européen précité et se rapportent à des relations juridiques différentes de celles la liant à la société Subaru France.

Le préavis de six mois pratiqué par cette dernière société correspond à celui prévu par l'article 8 du contrat.

Cette durée n'apparaît pas dérisoire et dès lors la résiliation intervenue ne peut constituer un trouble manifestement illicite.

Au surplus, le juge des référés doit se placer pour apprécier la réalité du trouble non pas au jour de sa saisine mais à la date à laquelle il statue. À ce jour pris de dix-sept mois se sont écoulés depuis la notification de la résiliation et la SGGM ne peut plus prétendre après un tel délai, qui dépasse ce qu'impose les relations antérieures ou les usages commerciaux, au maintien des relations contractuelles.

Sur les infractions aux règles de la distribution sélective

Selon l'article 564 du nouveau Code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions mais l'article 563 du même code leur permet d'invoquer des moyens nouveaux pour justifier des prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge.

En l'espèce, comme en première instance, la SGGM demande le rétablissement des relations commerciales. Aux moyens développés en première instance, elle ajoute des critiques au réseau de distribution sélective de la société Subaru France dont d'une part les conditions de légalité ne seraient pas réunies et d'autre part elle satisferait aux conditions d'admission.

Ces moyens qui appuient des prétentions formées devant le premier juge s'avèrent recevables.

Pour critiquer la licéité du réseau de distribution sélective de la société Subaru France, la SGGM allègue qu'il entrave les ventes croisées et contient une obligation de non concurrence.

Mais le contrat du 1er juillet 1996 ne contient aucune disposition interdisant la SGGM de s'approvisionner en produits Subaru chez un autre vendeur que la société Subaru France et le seul fait que cette société ne garantisse pas les produits pour la commercialisation desquels elle n'intervient pas ne saurait constituer une entrave illicite aux ventes croisées.

Ce contrat ne contient aucune clause de non concurrence, son article 1.3 invoqué de ce chef par la SGGM lui interdisant seulement durant sa durée d'exercer l'activité de mandataire pour les véhicules Subaru.

Ainsi aucune critique à la licéité du réseau de la société Subaru France ne s'avère pertinente.

La SGGM reproche à la société Subaru France, par son refus d'honorer ses commandes sans justifier de son incapacité à satisfaire à ses critères de sélection, une attitude discriminatoire contraire à l'article L. 442-6. I. 1er du Code de commerce.

Ce texte sanctionne le tait de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence.

Il ne s'applique pas au refus de vente qui depuis la loi du 1er juillet 1996 n'est plus une infraction aux règles de la concurrence.

La SGGM ne démontre ni le caractère fautif de ce refus ni qu'il serait le résultat d'une exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, la société Subaru France n'occupant qu'une part très faible du marché automobile.

Ainsi la SGGM doit être déboutée de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle de la société Subaru France :

La SGGM échouant dans sa demande de maintien des relations commerciales, elle ne peut continuer à utiliser les signes distinctifs de la société Subaru France.

Il convient donc de le lui interdire selon les modalités précisées au dispositif sous astreinte de 1 000 F par jour de retard et infraction.

Succombant à la procédure, la SGGM doit être condamnée à payer à la société Subaru France la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement ; Vu les arrêts des 13 avril et 22 juin 2001 ; Déboute la société Grands Garages Méditerranéens de ses demandes ; Interdit à la société Grands Garages Méditerranéens sous astreinte de 1 000 F (152,44 euro) par infraction et jour de retard qui courra un mois après la signification de cet arrêt d'utiliser pour la désignation de son activité les signes distinctifs de la marque Subaru notamment dans son enseigne et ses papiers commerciaux ; Condamne la SGGM à restituer à la société Subaru France sous la même astreinte les documents techniques, imprimés et publicités qu'elle conserverait se rapportant aux produits de marque Subaru ; Condamne la société Grands Garages Méditerranéens à payer à la société Subaru France la somme de 5 000 F (762,25 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Grands Garages Méditerranéens aux dépens et autorise la SCP P. Blanc, Ph. Blanc et C. Ansellem-Mimran, avoués associés, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.